3. La transformation des relations avec l'Apec

Sous la pression du droit de la concurrence, l'Apec est engagée, depuis plusieurs années, dans une évolution profonde de ses missions et de son cadre juridique. En tant qu'organisme percevant une cotisation décidée dans un cadre conventionnel mais rendue obligatoire par décision règlementaire, l'association fait en effet aujourd'hui face à l'obligation de clarifier les conditions dans lesquelles elle utilise un financement assimilable à une aide d'Etat. Cet impératif juridique a des conséquences sur le fonctionnement de l'association bien au-delà de la question de l'accompagnement des cadres demandeurs d'emploi. Conformément à son mandat, la mission d'information ne s'est cependant intéressée qu'aux aspects de l'évolution de l'Apec qui ont un impact sur ses relations avec Pôle emploi. Elle s'est pour cela largement appuyée sur le rapport de l'Igas rendu public en juillet 2010 62 ( * ) .

a) L'Apec, un ancien cotraitant

Sur la période allant de la signature de la convention nationale pour la mise en oeuvre du programme d'action personnalisé pour un nouveau départ (Pap-ND), en juillet 2001, jusqu'au 31 mars 2010, les relations entre l'Apec et l'ANPE, (puis Pôle emploi) se sont inscrites principalement dans le cadre d'une relation de cotraitance 63 ( * ) , à savoir un accord de gré à gré, en dehors des règles de la commande publique, pour déléguer à l'Apec le placement de cadres demandeurs d'emploi. Aux termes de cette convention, l'ANPE a confié à l'association la mission d'accompagner, chaque année, quelques 30 000 demandeurs d'emploi (35 000 en 2009 dans le contexte de crise économique), dont 10 % de chômeurs non indemnisés, en substitution du suivi assuré normalement par l'ANPE puis par Pôle emploi.

La réalisation de ces prestations de cotraitance a mobilisé des moyens importants pour l'Apec. Pour mettre en oeuvre la convention de 2001, l'association a recruté plus de deux cents consultants. D'après les estimations de l'Igas, en 2008, l'accompagnement des cadres demandeurs d'emploi a absorbé le tiers du temps de travail du réseau et même la moitié, si on inclut dans ce calcul la prise en compte du temps de travail des fonctions support.

Au plan financier, le travail de l'Apec dans le cadre de la cotraitance s'est accompagné du versement par l'ANPE d'une rémunération forfaitaire par chômeur indemnisé suivi (rémunération dont le montant varie selon le type d'accompagnement réalisé), l'Apec prenant en charge le coût de l'accompagnement des cadres demandeurs d'emploi ne relevant pas de l'assurance chômage. Pour donner un ordre de grandeur, la subvention versée par Pôle emploi représentait un peu moins de vingt millions d'euros par an et environ 15 % des recettes de l'association . D'après les estimations de la mission de l'Igas, cette subvention ne couvrait cependant qu'environ 60 % du coût de la cotraitance par l'Apec, le solde étant assuré par l'Apec sur ses ressources propres.

On peut signaler enfin que les liens entre l'Apec et le service public de l'emploi se sont inscrits principalement mais pas entièrement dans le cadre de la cotraitance. En effet, dans le cadre de contrats passés avec l'ANPE ou l'Unedic, l'Apec a assuré à titre expérimental, pendant cette période, un certain nombre de prestations d'accompagnement des cadres demandeurs d'emploi portant sur des effectifs réduits et des populations bien circonscrites. On peut citer l'exemple d' Etap'carrières , une prestation définie par une convention tripartite ANPE-Unedic-Apec, ayant pour objet l'accompagnement de cadres demandeurs d'emploi de plus de quarante-cinq ans. En outre, en dehors de tout cadre conventionnel, l'Apec a assuré une offre de services à destination des demandeurs d'emploi qui bénéficiaient déjà par ailleurs d'un suivi de l'ANPE (les flux concernés se sont montés à trois à quatre mille personnes par an entre 2009 et 2010).

b) Le passage au régime de la sous-traitance

A la suite de demandes de renseignement adressées au Gouvernement français par la Commission européenne en 2005, 2006 et 2008, les pouvoirs publics ont dû clarifier, au regard du droit de la concurrence (et plus précisément des règles encadrant les aides d'Etat au titre de la compensation d'obligations de service public), l'utilisation par l'Apec de la cotisation prélevée sur les cadres et les entreprises. Cela a abouti à la transmission à la Commission européenne d'un mandat de service public en janvier 2009 . Ce mandat assigne à l'Apec cinq missions d'intérêt général susceptibles d'être financées par la cotisation obligatoire prélevée par l'association. Ces mission portent : 1) sur le renforcement de la maitrise de leur environnement professionnel par les cadres, 2) sur la création et le développement d'un système d'information permettant aux personnes en recherche d'emploi ou en mobilité d'accéder de façon fiable au marché du travail, 3) sur l'accompagnement des recruteurs dans leur recherche de candidats, 4) sur l'accès des jeunes diplômés au premier emploi et 5) sur le développement d'un programme d'études sur le marché de l'emploi des cadres.

Ce mandat n'intègre donc pas l'accompagnement des cadres demandeurs d'emploi et renvoie donc les anciennes actions de cotraitance au champ concurrentiel.

Depuis le printemps 2010 et la fin de la convention de cotraitance, la délégation par Pôle emploi du suivi de cadres demandeurs d'emploi ne peut plus s'effectuer que dans le cadre de marchés conclus dans le respect des règles de la commande publique. L'Apec peut bien entendu concourir à ces appels d'offres. Elle ne peut en revanche utiliser le produit de la cotisation obligatoire pour couvrir les charges liées à cette activité sous peine de distorsion de concurrence. C'est uniquement par les recettes tirées de la facturation à Pôle emploi de ses prestations d'accompagnement (recettes incluant une marge « raisonnable ») que l'Apec doit désormais financer cet aspect de son activité.

L'association a répondu à l'appel d'offres « Atouts cadres » lancé par Pôle emploi en mars 2010. Ce marché, divisé en seize lots, prévoit l'accompagnement d'un nombre de bénéficiaires compris entre 30 000 et 70 000 personnes, entre le 1 er août 2010 et le 31 mai 2012. Retenue pour exécuter une partie de ces marchés, l'Apec est ainsi devenue un opérateur privé de placement . Cette mutation pose à l'association de nouveaux défis.

En premier lieu, l'Apec doit faire face à un recul important de son activité d'accompagnement des demandeurs d'emploi. En effet, le volume total d'activité délégué par Pôle emploi dans le programme « Atouts cadres » est, dans les prévisions les plus larges, équivalent au volume auparavant pris en charge par l'association dans le cadre de la cotraitance (soit 30 000 à 35 000 cadres au chômage suivis par an). Or, l'Apec doit désormais « partager » cette activité avec ses concurrents, notamment avec Ingeus, qui a remporté cinq lots, correspondant à environ 44 % du marché. Anticipant ce recul de l'activité de l'association, l'Igas indiquait d'ailleurs dans son rapport de 2010 que cette évolution nécessiterait « une adaptation décisive et rapide de l'offre de service, des pratiques et du dimensionnement du réseau. Une partie importante des effectifs opérationnels devra être redéployée sur des activités préfinancées, destinées aux cadres en emploi ou aux jeunes diplômés » .

En deuxième lieu, l'Apec est désormais dans l'obligation de fournir une comptabilité analytique précise de ses activités afin de distinguer ce qui relève des missions d'intérêt général et ce qui relève des prestations marchandes .

Enfin, en tant que sous-traitant, l'Apec est désormais soumise, de la part de Pôle emploi, à un contrôle strict des méthodes et des résultats de l'accompagnement des demandeurs d'emploi. C'est un changement majeur dans les relations entre l'association et l'opérateur public, ce dernier n'ayant procédé qu'à une supervision assez lointaine de son cotraitant avant 2008.

c) Une situation qui reste à clarifier

Le mandat de service public notifié en 2009 semble, à première vue, donner un cadre clair et bien circonscrit aux activités de l'Apec en matière de placement des demandeurs d'emploi. En effet, il n'existe a priori que deux possibilités :

- soit un cadre demandeur d'emploi est confié à l'Apec dans le cadre d'une relation de sous-traitance et, dans ce cas, l'association travaille à son placement en facturant ses services à Pôle emploi conformément aux conditions fixées par le cahier des charges de l'appel d'offres ;

- soit ce cadre est accompagné par Pôle emploi (ou un sous-traitant autre que l'Apec) et dans ce cas l'association est exclue de son suivi.

Les déclarations faites par le représentant de l'Apec lors de son audition par la mission d'information suggèrent cependant que la réalité est peut-être plus complexe que cela. Il est possible qu'il existe en effet un espace non marchand sur lequel l'Apec pourrait continuer à délivrer des prestations d'accompagnement des demandeurs d'emploi finançables par la cotisation obligatoire. C'est, si l'on interprète bien ses propos, le sens des analyses qu'a développées Bertrand Hébert, directeur du développement des activités institutionnelles et partenariales de l'Apec, au cours de son audition par la mission d'information.

Premier point du raisonnement : le coeur de métier de l'Apec est la sécurisation des parcours professionnels des cadres tout au long de leur carrière , et ce quels que soient leur âge ou leur position par rapport à l'emploi : « Le public de l'Apec n'est pas segmenté suivant son âge ou sa situation au regard de l'emploi et du chômage : quel que soit son statut, une personne ayant cotisé est un ayant-droit des services de l'Apec pendant toute sa vie. Telle est la promesse de l'Apec, en termes de marketing et là se trouve l'enjeu pour l'association. (...) Sur cent cadres qui s'adressent à nous, soixante-dix sont en activité et nous sollicitent dans une logique d'anticipation de leur carrière professionnelle. Pôle emploi ne les verra jamais. »

Si on admet ce qui précède, à savoir que l'Apec a vocation à accompagner le déroulement de carrière des cadres à toutes ses étapes, il reste cependant que son activité risque d'empiéter sur celle de Pôle emploi . Or, Bertrand Hébert a souligné que l'Apec « ne peut pas faire la même chose que Pôle emploi car la même mesure ferait alors l'objet d'un double financement. (...) La différence résidera dans le contenu de l'offre de services et dans sa forme, notamment du point de vue de la fréquence des rendez-vous. (...) L'Igas disait explicitement qu'il ne serait plus possible, pour les cadres demandeurs d'emploi, d'être suivi par l'Apec au titre de la cotisation, dès lors que celle-ci constitue une aide d'Etat et que la puissance publique finance déjà Pôle emploi. Il n'y a aucune raison pour que la puissance publique paie deux fois pour le même service. Il fallait donc différencier les services ».

L'Apec, prestataire spécialisé dans l'emploi des cadres, offrirait donc un service spécialisé et un accompagnement personnalisé que Pôle emploi, prestataire généraliste et soumis à des contraintes de traitement de masse, ne serait pas en mesure de fournir. Dans ces conditions, il n'y aurait pas cumul d'aides publiques mais synergie entre deux prestations complémentaires, Pôle emploi offrant aux cadres un socle de services généralistes valables pour tous les demandeurs d'emploi, tandis que l'Apec, conformément à sa vocation d'accompagnement des cadres tout au long de la vie professionnelle, apporterait un conseil et une orientation spécifiques.

Cette interprétation par l'Apec de son mandat de service public et des contraintes liées au droit de la concurrence est stimulante. Elle identifie un positionnement de l'association au sein du service public de l'emploi centré sur les problématiques de sécurisation des parcours professionnels et légitimant un appui aux demandeurs d'emploi dans un cadre qui ne relève ni de la cotraitance (désormais interdite), ni de la sous-traitance (que l'Apec peut toutefois pratiquer par ailleurs si elle remporte des appels d'offre).

On peut noter que le positionnement sur ces missions correspond à l'une des deux stratégies envisagées par l'Igas dans son rapport de juillet 2010 en ce qui concerne l'avenir de l'Apec : « Les cadres chômeurs suivi par Pôle emploi ou un autre opérateur privé ne peuvent ipso facto être exclus du bénéfice des conseils et prestations que l'Apec doit offrir à tous les cadres. L'offre de ces prestations spécifiques de conseil et d'accompagnement devrait être définie sur la base d'une décision de principe du conseil d'administration. En revanche, conformément aux récentes décisions des instances de renforcer l'action de l'Apec en faveur des cadres en activité, ces missions devraient privilégier ce qu'il est désormais convenu d'appeler la sécurisation des parcours professionnels des cadres. » 64 ( * )

Cette forme originale d'articulation de l'Apec avec les autres composantes du service public de l'emploi, présenterait deux avantages importants. D'une part, en offrant à l'Apec un rôle clairement identifié au sein du service public de l'emploi, elle pérenniserait une institution qui a capitalisé une grande expérience dans le domaine de la sécurisation des parcours professionnels. D'autre part, elle maintiendrait dans le champ de l'accompagnement des demandeurs d'emploi une structure relativement souple, apte à offrir des prestations personnalisées, tranchant, comme l'a souligné l'Apec, avec « l'approche extrêmement modélisée du retour à l'emploi que nous avons apprise à travers notre relation avec Pôle emploi [et qui] n'est pas le schéma le plus efficace . »

Il faut toutefois accueillir avec prudence ce positionnement stratégique de l'Apec. Sa validité est suspendue à l'appréciation que fera la Commission européenne du mandat de service public communiqué par les autorités françaises en 2009 et auquel la Commission n'a toujours pas répondu. Cela confirme la nécessité, soulignée par l'Igas, de clarifier davantage encore le mandat de service public de l'Apec.


* 62 Cf. le rapport « Contrôle de l'association pour l'emploi des cadres, ingénieurs et techniciens (Apec) » établi par Frédéric Laloue et Didier Noury, membres de l'Igas, juillet 2010.

* 63 Cette convention a été renouvelée en 2004 et 2006, puis prolongée par avenants en décembre 2008, août 2009 et janvier 2010.

* 64 Rapport précité de l'Igas, p. 96.

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