Liste des personnalités auditionnées au Sénat
Mme |
Elisabeth Dupoirier |
Directrice de recherche Centre de recherches politiques (CEVIPOF) |
M. |
Daniel Delaveau |
Président Assemblée des communautés de France (AdCF) |
M. |
Martin Malvy |
Président Association des petites villes de France (APVF) |
M. |
Vincent Descoeur |
Président Association nationale des élus de la montagne (ANEM) |
Mme |
Chantal Robin-Rodrigo |
Secrétaire générale Association nationale des élus de la montagne (ANEM) |
M. |
Pierre Bretel |
Délégué général Association nationale des élus de la montagne (ANEM) |
M. |
Claudy Lebreton |
Président Assemblée des départements de France (ADF) |
M. |
Jean-Claude Nemery |
Association des maires ruraux de France (AMRF) |
M. |
Bruno Delsol |
Adjoint au directeur général de la direction générale des collectivités locales (DGCL) |
Mme |
Brigitte Belloc |
Chef du département études et statistiques de la DGCL |
M. |
Emmanuel Berthier |
Délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR) |
Mme |
Yolande Restouin |
Syndicat autonome de la fonction publique |
M. |
Bruno Champion |
Syndicat autonome de la fonction publique |
M. |
Thierry Camilieri |
Syndicat autonome de la fonction publique |
M. |
Jean-Claude Lenay |
CFDT Fonction publique territoriale. |
M. |
Olivier Moureau |
CFDT Fonction publique territoriale |
M. |
Jean-Claude Tava |
UNSA territoriaux |
M. |
Claude le Hen |
UNSA territoriaux |
M. |
Laurent Colin |
UNSA territoriaux |
M. |
Couderc |
Fédération CGT des services publics |
M. |
Michel |
Fédération CGT des services publics |
Mme |
Dieudonné |
Fédération CGT des services publics |
M. |
Patrick Kanner |
Président Union nationale des centres communaux d'action sociale (UNCCAS) |
M. |
Antoine Breining |
Fédération autonome de la fonction publique territoriale |
M. |
Bruno Collignon |
Fédération autonome de la fonction publique territoriale |
M. |
Éric Jalon |
Directeur général des collectivités locales (DGCL) |
M. |
Philippe Richert |
Ministre des collectivités territoriales |
M. |
Sylvian Lescure |
Secrétaire fédéral Syndicat FO Service public |
M. |
Didier Pirot |
Syndicat FO Service public |
Comptes rendus des personnalités entendues par la délégation
Audition de M. Jean-Pierre Balligand, coprésident de l'Institut de la décentralisation, le 8 février 2011
La Délégation procède à l'audition de M. Jean-Pierre Balligand, coprésident de l'Institut de la décentralisation.
M. Jean-Pierre Balligand. À son grand regret, mon collègue Michel Piron, qui copréside avec moi l'Institut de la décentralisation, ne peut pas être des nôtres et vous prie de bien vouloir l'excuser.
L'Institut de la décentralisation est une structure totalement indépendante, financée exclusivement par les collectivités. L'Institut ne reçoit rien de l'État et ne lui demande rien par principe. C'est une garantie d'indépendance.
C'est un lieu transpartisan. J'en assure actuellement la coprésidence avec un élu UMP, Michel Piron, qui a succédé à Adrien Zeller ; l'Institut est donc dirigé par des personnes appartenant à des sensibilités politiques différentes, mais qui ont pour point commun d'être particulièrement engagées en matière de décentralisation.
L'Institut compte de nombreux adhérents : une trentaine de départements, une quinzaine de régions, beaucoup de grandes villes et d'agglomérations, comme Bordeaux, Marseille, Strasbourg, Lille, Dijon, Lyon, Nantes, Rennes... Nous sommes organisés en trois collèges : élus, directeurs généraux des services et universitaires spécialistes de la décentralisation.
A l'Institut, nous pensons que la décentralisation est depuis un certain temps, à la fois en danger et dans une impasse.
Elle est d'abord en danger parce que, de toute évidence, aucun des textes récents ne constitue une avancée en la matière. Pour nous, la décentralisation c'est une dévolution de pouvoir de la part de l'État. Or, il n'y a pas eu de dévolution supplémentaire de pouvoir de la part de l'État dans la dernière loi. C'est, pour nous, un sujet d'inquiétude. La loi qui avait été votée à l'initiative de M. Raffarin, que l'on peut discuter, affectait néanmoins de nouvelles compétences aux collectivités. Là, on est sur une philosophie pour nous très différente : il n'y a aucune avancée en matière de compétences.
La deuxième chose source d'inquiétude, à laquelle il faudra sans doute s'atteler, réside dans le fait que l'État ne cesse de créer de la norme. Chaque dévolution de pouvoir, et d'ailleurs quels que soient les gouvernements, est suivie de normes nouvelles. Par exemple, l'État transfère la formation professionnelle (c'était la loi Raffarin) puis, sous prétexte de développer l'insertion, produit toute une série de normes pour mettre en place de nouveaux dispositifs de formation professionnelle. Une telle attitude part souvent de bons sentiments, mais elle est quelque peu en contradiction avec la logique du transfert de compétence.
Cette situation entraîne un troisième problème : dans les matières transférées, l'État a un rôle essentiel à jouer, mais qu'il ne joue pas, à savoir le rôle d'évaluateur. Il n'y a jamais réellement d'évaluation ex ante, ni ex post. Cela tient au fait que l'État reste toujours partie à ces dispositifs, via les normes qu'il adopte ; il peut donc difficilement en être aussi juge. Dès lors que les collectivités ont reçu des compétences de l'État, celui-ci ne devrait pas s'immiscer directement dans leur exercice, mais s'assurer que les entités à qui il les a transférées les accomplissent de manière satisfaisante.
Le quatrième problème que je voudrais soulever concerne les moyens : la crise des finances publiques est une réalité et oblige à des mutations. Il faut l'admettre, même si cela ne fait pas forcément plaisir à entendre : on ne peut pas rester en l'état. Les finances publiques étant ce qu'elles sont, et pour longtemps, l'État ne pourra que se désengager et il faut s'y préparer.
En ce qui concerne les finances, nous pensons, à l'Institut, que, comme on est incapable de réformer la décentralisation, on cherche à étrangler les collectivités. C'est vrai que c'est plus ou moins violent : le bloc communal (intercommunalité et communes) est un peu moins affecté que les départements, qui subissent une explosion de la dépense obligatoire (APA, RSA, handicap...). Ils la ressentent d'autant plus que ces dépenses obligatoires représentent, et de très loin, la part essentielle de leur budget : dans mon département, sur environ 450 millions de dépenses de fonctionnement, 372 millions correspondent à des dépenses obligatoires. Les départements sont en grave danger parce qu'ils ont une explosion des dépenses liées au vieillissement et à l'exclusion sociale, dues à des normes établies sur des critères nationaux qui ne leur laissent aucune marge de manoeuvre. Quant à la région, elle est en très grave danger car elle n'a plus la moindre autonomie fiscale. Je ne comprends pas le Conseil constitutionnel, qui a considéré qu'il n'y avait pas atteinte à l'autonomie des collectivités. Certes, dans la Constitution, on a consacré l'autonomie financière plutôt que l'autonomie fiscale. Il n'empêche qu'une collectivité qui ne lève pas d'impôts, cela devrait nous interpeler.
J'en viens maintenant aux propositions de l'Institut.
Tout d'abord, nous pensons qu'il serait souhaitable d'avoir des garanties de la part de l'État, afin d'arriver à des situations comme celle dans laquelle se trouve la région qui, de réforme en réforme, n'a finalement plus ni taxe d'habitation, ni taxe professionnelle aujourd'hui, ni foncier bâti, bref à un niveau de collectivités qui n'a plus aucun levier fiscal.
Nous pensons aussi, à l'Institut, qu'il faut redémarrer, rebâtir la décentralisation. Il faut d'abord desserrer l'étau de l'État. L'État ne peut pas être juge et partie. Il faut qu'il transfère un certain nombre de compétences. Nous pensons ainsi qu'il faut donner un pouvoir normatif aux régions. L'État, dans un certain nombre de domaines, ferait mieux de déléguer. Un exemple caractéristique : le logement ; l'État pourrait très bien dire chaque région mène une politique sur la base d'orientations obligatoires qu'il définirait. Autre exemple : la formation professionnelle, qui ne peut pas être uniforme sur le territoire ; elle doit être adaptée.
L'État devrait donc déléguer, mais pas forcément ad vitam aeternam. On pourrait le décider pour quatre ans, par exemple, pour disposer ensuite d'une année d'évaluation, donnant lieu une vraie interpellation du Parlement national. À l'Institut, on approuve la proposition de M. Pierre Méhaignerie d'une expérimentation, permettant de voir, par exemple sur trois ou quatre régions, comment, dans tel et tel domaine faire fonctionner un pouvoir réglementaire d'adaptation. Il faudrait essayer de rebâtir la région autour de cette idée.
Par ailleurs, nous condamnons, à l'Institut, une approche uniforme qui ne nous semble pas répondre à la nécessité de compétition et d'attractivité territoriale. Par exemple, l'idée d'avoir des villes métropoles reprenant des compétences des départements, et de procéder en conséquence à des adaptations dans les départements concernés, n'a rien de scandaleux... dès lors, bien sûr, qu'il ne s'agit pas de faire disparaître le département.
Nous refusons donc une uniformité qui tuerait l'émergence des métropoles. En ce sens, le rapport Balladur ne nous a pas choqués, on n'a pas trouvé absurde de dire qu'il fallait 4, 5 ou 6 métropoles, en dehors de Paris qui est ville mais aussi conseil général. Pourquoi Paris aurait le droit d'exercer les compétences d'un département et pas des villes comme Lyon, Marseille, Toulouse, Nantes ?
Il faut aussi s'attaquer à la péréquation. Mais, jusqu'à présent, la péréquation est verticale, et non horizontale : faire de la péréquation uniquement sur le budget national, cela ne peut pas fonctionner dans un pays où les finances de l'État sont dans la situation que l'on sait. Il faut donc faire de la péréquation à la fois horizontale et verticale. Les conseils généraux sont à cet égard très utiles et remplissent de vraies fonctions de péréquation là où nous avons des villes moyennes, des petites villes, des villes rurales.
La réforme de la taxe professionnelle a prévu des dispositifs de péréquation pour la région et le département. Mais rien n'a été fait pour le bloc communal où les disparités sont les plus fortes. L'Assemblée nationale comme le Sénat, vont retravailler sur cette péréquation. Les grandes associations nationales d'élus (AMF, ADCF) y travaillent également. Il faut s'occuper vraiment du problème de la péréquation.
Sur les compétences des régions, il faut tirer les régions vers le haut, mais pas vers le bas. Leur rôle c'est de faire de la recherche/développement, du capital risque régional, de l'université de filières, beaucoup de formation professionnelle, de l'enseignement technique, qui pour moi ne doit pas être uniforme, et de la politique de l'emploi.
Nous ne sommes pas hostiles à une spécialisation des compétences, hors sport, culture, tourisme (ce dont a d'ailleurs tenu compte la loi de 2010). Je ne crois pas qu'il faille dire que tout le monde doit faire tout, ne serait-ce que parce qu'il y a raréfaction de l'argent public. Même s'il ne faut pas exagérer les chevauchements, il faut être responsable et gérer au mieux l'argent public.
M. Roland du Luart. Vous dites que le bloc communal est un peu moins affecté que le département ; moi, je vais jusqu'à penser qu'il va bien : aujourd'hui, après la réforme, les communes et intercommunalités n'ont pas de problèmes financiers.
M. Jean-Pierre Balligand. Je suis d'accord avec vous en ce que, aujourd'hui, à l'année n + 1 par rapport à la réforme, il n'y a pas de problèmes. En revanche, je redoute qu'il y en ait dès l'année prochaine, parce que le redémarrage de l'économie va probablement s'accompagner d'un retour de l'inflation. Or, le fonds national de garantie individuelle des ressources, le FNGIR, n'évoluera pas comme les prix. Si nous avons un taux annuel d'inflation de l'ordre de 4 % pendant 3 ans, cela représente in fine près d'environ 12 % de perte de pouvoir d'achat. Et vous savez aussi bien que moi qu'il n'y aura pas réactualisation du FNGIR. Donc, tant qu'il n'y a pas d'inflation, ça va ; dès que l'inflation redémarrera, on aura un gros souci.
M. Roland du Luart. Certes, mais je pense que l'inflation sera en partie jugulée. C'est un impératif dans le cadre de la zone euro, et la Banque centrale européenne y veille ; s'il y a inflation, elle doit être plus ou moins maîtrisée, sinon tout explose.
M. Jean-Pierre Balligand. Je suis d'accord avec vous. Mais 4, voire 5 %, c'est une inflation que l'on peut considérer maîtrisée.
M. Roland du Luart. Cela plutôt en dessous.
Je suis davantage d'accord avec vous sur les problèmes des départements. Néanmoins, ceux qui ont su anticiper les évolutions peuvent quand même maîtriser leurs dépenses Il y a quatre ans, j'ai engagé des réformes de fond dans mon département car je voyais se dessiner une crise des finances publiques forte ; au final, j'ai cette année un compte administratif qui est le meilleur depuis treize ans. Je suis donc un peu sceptique quand j'entends dire que les départements sont étranglés.
De plus, le Parlement, à l'unanimité, a voté la péréquation des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). À cette occasion, on a d'ailleurs constaté que les plus riches n'étaient pas forcément ceux que l'on croyait et, inversement, que les plus pauvres n'étaient pas nécessairement ceux qui prétendaient l'être. Quoi qu'il en soit, les élus de toutes sensibilités ont accepté de jouer le jeu de la péréquation et, même s'il ne sera pas toujours facile de connaître avec précision le montant des DMTO dans chaque département, cela va donner globalement de l'oxygène aux budgets départementaux pour compenser les dérives des dépenses sociales.
La difficulté pourrait provenir alors d'un retournement de conjoncture et je reconnais que, si l'on n'a plus de croissance de DMTO, cela sera très difficile pour bien des départements.
Néanmoins, je constate que vous comme moi sommes partisans d'une péréquation verticale et horizontale. C'est en effet la bonne solution pour les départements.
En ce qui concerne votre refus d'une uniformité de région à région, c'est une position courageuse, qui vous honore, mais alors ne se heurte-t-elle pas au principe d'égalité entre les citoyens ? Est-ce que, aujourd'hui, les élus, quelle que soit leur sensibilité politique, sont prêts à accepter cette inégalité au niveau des territoires. C'est une question que je me pose, sur laquelle je n'ai pas de réponse.
Lorsque Pierre Mauroy et Jean-Pierre Raffarin s'étaient penchés, à l'aube des années 2000, sur la situation des régions, ils étaient déclarés favorables à limiter leur nombre à dix ou douze. Je regrette que cette recommandation n'ait pas été suivie -et je note que le conservatisme en l'occurrence n'est pas une question de sensibilité politique. Il faudrait avoir le courage d'aller vers des regroupements de régions. D'ailleurs, je trouve très fâcheux, quand on connaît la situation de nos finances publiques, que des régions, de droite ou de gauche, se soient lancées dans la construction d'hôtels de région pharaoniques ; il en va hélas de même dans bien des communautés de communes, où la première chose que les élus font, c'est de construire un hôtel de communauté, souvent luxueux, sans que les limites de la communauté aient été bien définies.
M. Charles Guené. Je voudrais vous dire, M. Balligand, que je partage beaucoup de vos observations, mais que, selon moi, vous n'allez peut-être pas assez loin dans certains domaines.
Tout d'abord, quand vous dites qu'il n'y pas eu de décentralisation nouvelle, c'est à la fois vrai et faux car il y a une décentralisation rampante, l'État chargeant les collectivités territoriales de diverses missions, d'ailleurs sans compensation financière. À cet égard, je vous rejoins sur la problématique des normes, qui doivent être jugulées.
J'ai un point de vue différent du vôtre sur les questions fiscales et financières. Sur ces sujets nous devons changer radicalement notre mode d'appréhension : nous vivons dans des schémas passéistes, où les collectivités territoriales semblent s'accrocher à un rapport quasi hiérarchique avec l'État, notamment en matière de finances locales. En Allemagne, et dans d'autres pays fédéraux, les collectivités disposent certes de garanties financières, mais elles sont aussi animées d'une solide culture de la négociation avec l'État ; elles sont dégagées de cette forme de rapport hiérarchique avec lui, alors que nos collectivités territoriales semblent souhaiter le conserver, se plaçant ainsi dans une posture défensive. L'exemple de la conférence nationale des exécutifs illustre bien cette incapacité à faire naître une véritable culture de la négociation entre l'État et les collectivités territoriales.
C'est pour cela que le débat sur l'autonomie fiscale me semble dépassé : l'important est que les collectivités territoriales conservent leur autonomie financière ; elles peuvent très bien y parvenir, et ce serait leur intérêt, en négociant des parts d'impôts, ce qu'elles ne font malheureusement pas. L'État s'en accommode d'ailleurs fort bien car cela lui permet de mettre les collectivités territoriales sous coupe réglée avec les nouvelles modalités de financement qu'il choisit.
La véritable décentralisation ce ne serait donc pas l'autonomie fiscale, qui est un objectif illusoire, mais une révolution culturelle en matière de négociation avec l'État, doublé d'une révolution institutionnelle. Nous devons enfin sortir de notre schéma jacobin.
Sur la répartition des compétences, je suis favorable au dispositif de la loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales. Cette nouvelle répartition des compétences est plus saine, plus claire et devrait permettre des économies d'échelle. Mais, il y a une deuxième révolution à faire, vis-à-vis de l'État : sans doute de nouvelles compétences devraient être décentralisées ; mais nous pourrions aussi imaginer de rendre à l'État un certain nombre de celles qui sont aujourd'hui exercées par les collectivités territoriales, comme les SDIS par exemple.
Sur la péréquation enfin, et plus particulièrement la péréquation horizontale, je suis plus confiant que vous sur sa réalité au niveau du bloc communal où, me semble-t-il, les évolutions sont désormais bien engagées. En revanche, je suis plus réservé au niveau des régions et des départements : le dispositif qui a été mis en place ne me semble pas parfait et je crois que les départements et les régions ne travaillent pas suffisamment sur ces sujets entre eux ; c'est particulièrement frappant au niveau des régions qui ne semblent pas vouloir faire de péréquation, comme on le voit depuis des années dans le cadre des travaux du comité des finances locales.
M. Roland du Luart. En ce qui concerne le problème des normes, qui nous heurte tous, il me semble que la dimension européenne du sujet n'est pas suffisamment prise en compte. L'État, au moment de la transposition en droit interne, va souvent plus loin dans les exigences que ce qu'impose le droit communautaire. Cette pratique rajoute des charges non compensées sur les budgets locaux.
M. Pierre-Yves Collombat. Je ne vois pas comment on peut s'en sortir si on part du principe qu'il faut que l'État se désengage, qu'il rétablisse ses finances et qu'il faut surtout lutter contre l'inflation... qui d'ailleurs n'existe pas.
Comme disait Keynes : il y a deux maux : l'inflation et le chômage, s'il faut choisir, choisissons le moindre. Je ne vois pas comment nous allons pouvoir régler le problème de la dette ou du vieillissement de la population sans un peu d'inflation. On nous dit qu'on va se serrer la ceinture, ce qui me rappelle une nouvelle de Kafka « Les athlètes du jeûne », dans laquelle, à force de jeûner, les athlètes meurent.
Par ailleurs, nous donner l'Allemagne en exemple ne me semble pas opportun, notamment s'agissant des collectivités territoriales. À titre personnel, je préfère être dans une collectivité territoriale française plutôt qu'allemande, car ces dernières ont un niveau d'endettement très élevé et ne disposent plus des moyens d'investir.
Le problème n'est pas un problème de transfert de compétences, mais un problème de moyens financiers. Une des raisons de la réussite de la décentralisation, c'est qu'il y avait des moyens financiers pour l'accompagner, comme la taxe professionnelle, dont le rendement était supérieur à la croissance du PIB, et les droits de mutation. Quand les droits de mutation ont été transférés en même temps que les compétences sociales, on ne s'attendait pas à ce que cela marche aussi bien. Dans le département du Var, en 2007, les droits indirects rapportaient plus que la fiscalité directe. Tous les départements n'ont pas connu cette situation, mais tous ont connu une amélioration substantielle de leurs recettes.
Un raisonnement uniquement bâti sur le respect des grands équilibres financiers nous conduit vers une impasse ; si on continue dans cette ligne, on fera comme dans les autres pays européens, comme en Allemagne par exemple, où l'État central, pour rétablir ses finances, ne répond qu'avec retard aux besoins exprimés par les Länder et les communes.
Dernier point, s'agissant de la question des métropoles, c'est un peu le même type de problème. La loi prévoit la création de métropoles qui vont hériter des routes, des collèges, de l'aide sociale... Très franchement, je ne vois pas en quoi cela va dynamiser l'économie locale. C'est vrai qu'avoir des métropoles dynamiques c'est peut-être une condition d'un développement moderne, mais je crains que cela ne soit pas simplement en vampirisant les départements que l'on arrivera à ça. Les pôles métropolitains auraient pu être habilités à coordonner une politique d'envergure sur des territoires, d'ailleurs pas forcément continus, et pour des compétences décisives : l'emploi, la R&D, l'université... Malheureusement, ces sujets n'ont pas été traités.
Tout ça mis bout à bout, j'ai l'impression qu'on s'enferme dans les problèmes et que les solutions s'éloignent.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Il faut reconnaître que certaines collectivités territoriales vivent un peu au-dessus de leurs moyens. Je pense à l'hôtel de la région Languedoc-Roussillon ainsi qu'à la mairie de Montpellier, qui ont donné ou donnent lieu à des dépenses qui pourraient être évitées, surtout dans une région qui accueille 1 500 personnes de plus chaque mois et qui souffre d'une pénurie de logements.
Sur le constat du fonctionnement des collectivités territoriales, je crois que nous devons surtout faire très attention à maintenir la proximité de l'action publique et donc surtout maintenir le lien avec les départements. Je suis maire d'une commune de 3 000 habitants qui appartient à une communauté de communes de 50 000 habitants ; nous entretenons d'excellentes relations de travail avec le conseil général, beaucoup plus étroites qu'avec le conseil régional. Ce lien de proximité doit être conservé. Il est sans doute possible de regrouper les régions sans que nos concitoyens ne s'en rendent compte, à part le changement de dénomination administrative ; cela ne serait pas le cas si l'on supprimait des départements. Les conseils généraux viennent en complément des intercommunalités.
Pour ces raisons, j'estime que dans un territoire comme le mien, les métropoles ne répondent pas à un besoin réel. Les communes en périphérie des grandes villes accepteront peut-être la constitution d'une métropole, mais aucune commune rurale n'acceptera d'être associée à ce type d'organisation qui dessaisira les maires des communes membres de toutes leurs compétences.
Faire des économies et privilégier la proximité n'empêchent pas de renforcer la collaboration entre État et régions en matière de développement économique, d'aménagement du territoire mais il faut savoir que ces actions ne sont pas vraiment visibles pour le citoyen.
M. Claude Belot, président. Le Sénat a beaucoup réfléchi à l'état de la décentralisation et je constate bien des points de convergence entre les conclusions de la Mission que j'avais présidée et les recommandations de l'Institut : sur la nécessité de la péréquation, sur l'organisation des compétences...
Sur les métropoles, il y a deux sujets : d'abord, la question de la coïncidence entre la métropole administrative et la métropole réelle, évidemment nécessaire et qui est pourtant loin de correspondre, aujourd'hui, à la réalité ; ensuite, se pose le problème des compétences que les métropoles exerceront et qui n'est pas simple du tout. À cet égard, nous avions procédé à des simulations sur Lyon, et nous étions arrivés au constat que la création de métropole reviendrait à mettre en place quasiment un département annulaire autour de la ville.
Notre mission, elle aussi, avait montré un grand attachement au département : il n'est pas question de le supprimer. L'appel à des régions puissantes, que nous avions aussi lancé, n'est en rien incompatible avec cela.
Après, il faut passer des propositions à la loi. On le sait, l'État est plus que réservé à l'idée de conférer un pouvoir normatif aux régions. Il ne veut pas d'une décentralisation de la politique de l'emploi : il avait fait un pas en avant avec les maisons de l'emploi, puis il est revenu en arrière, si bien que l'on se retrouve dans la situation absurde d'avoir un pôle emploi qu'il a fallu renforcer et des maisons de l'emploi qui ne savent que faire et coûtent cher ; il faudrait bien un jour rationaliser les choses.
En ce qui concerne les départements, il faut prendre garde à la diversité des situations. Il y a déjà une dizaine d'années, j'avais participé, avec Roland du Luart, à une réflexion du Sénat sur leur situation, qui suscitait déjà des inquiétudes. Nous étions allés voir sur place et nous avions constaté que, même dans des départements dits pauvres comme celui du Lot, au revenu moyen par habitant faible, les infrastructures, par exemple les collèges et les routes, étaient en excellent état. Cela tient, je crois, au fait que l'action publique n'est pas du tout la même selon que l'on soit dans une collectivité riche ou dans une collectivité pauvre : quand le revenu par habitant est faible, on se concentre sur l'essentiel, ce qui, en l'occurrence, permet d'avoir des écoles de qualité. Toute la difficulté est là : définir au niveau national une politique applicable à des collectivités qui correspondent à des réalités très différentes.
M. Jean-Pierre Balligand. Notre pays va connaître des évolutions macro économiques qui s'imposeront de facto aux collectivités : une moindre prospérité économique et des taux de croissance relativement bas... nous serons forcément confrontés à des problèmes.
Je pense que les politiques de l'emploi, qui constituent une priorité pour les acteurs publics, devraient être plus décentralisées. Les collectivités territoriales devraient aller jusqu'à demander à l'État de leur transférer la compétence « politique de l'emploi », afin de l'adapter aux spécificités économiques locales. Les atouts des collectivités varient d'un endroit à l'autre : ceux d'un département du littoral sont évidemment différents de ceux d'un département du nord-est de la France ; il y a donc des potentialités d'emplois elles aussi différentes qui justifieraient des adaptations locales.
Par ailleurs, l'Institut de la décentralisation est en faveur d'un nouvel ordonnancement territorial, qui permettrait de revitaliser l'action publique. En effet, la citoyenneté constituant un sujet essentiel pour notre Institut, nous sommes contre la confusion des fonctions. Autrement dit, nous estimons que les collectivités territoriales doivent exercer plus clairement et lisiblement leurs compétences. C'est la raison pour laquelle, nous sommes plutôt en faveur de la spécialisation des compétences des collectivités, ce qui n'est pas sans conséquences pour le bloc communal.
Je pense qu'il existe une certaine confusion au niveau communal. En effet, avec l'intercommunalité, nous avons inventé un dispositif efficace mais les transferts de compétences vers les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ne se sont pas traduits par une diminution de la fiscalité communale. De très nombreuses communes, toutes couleurs politiques confondues, n'ont jamais diminué leurs impôts après leur adhésion à un EPCI. Les lois Joxe et Chevènement, consacrées à l'intercommunalité, leur ont finalement redonné une certaine marge de manoeuvre : le bloc communal a profité de la montée en puissance des EPCI, et du fait qu'ils assumaient désormais certaines compétences, pour bénéficier d'une manne financière accrue. Certes, une partie de ces revenus a été absorbée par la demande des citoyens, notamment en milieu rural, avec par exemple la réalisation de centres d'accueil pour jeunes enfants. Néanmoins, à niveau constant d'offre de services publics, les communes n'ont pas profité de ces ressources supplémentaires pour réaliser des économies.
Désormais, il faudra aller plus loin dans le respect de la citoyenneté. Des communautés urbaines actuelles comme celles de Lille, Lyon ou Bordeaux, disposent de budgets très importants, comparés à la région, alors que leurs élus ne sont pas élus au suffrage universel direct. Cela sera encore plus frappant si elles deviennent des métropoles. Ces établissements, créés au nom de l'efficacité, doivent donner voix au chapitre au citoyen. À l'avenir, il sera nécessaire d'évoquer la question de la lisibilité citoyenne et lorsqu'il existe un niveau d'intégration tel celui de la communauté urbaine, cela devra se traduire par une élection au suffrage universel. Je ne souhaite pas tuer les communes, mais j'estime nécessaire que les exécutifs des intercommunalités soient élus au suffrage universel direct. Il serait dommage d'inventer un dispositif intercommunal semblable au dispositif européen, c'est-à-dire efficace mais coupé des réalités et des citoyens.
Audition de M. Roland Ries, président du Groupement des autorités responsables du transport, le 8 mars 2011
La Délégation procède à l'audition de M. Roland Ries, président du Groupement des autorités responsables de transport (GART).
M. Roland Ries. Président du GART, maire de Strasbourg et sénateur du Bas-Rhin, je m'intéresse aux questions de transport depuis plus de vingt ans. J'ai été, en particulier avec Mme Catherine Trautmann, à l'époque, à Strasbourg, le porteur politique du projet « tramway ». Quand je dis projet « tramway », c'est un peu un raccourci d'expression. En fait, ce qu'on a essayé de faire à Strasbourg, ce n'est pas seulement un tramway, c'est une politique de mobilité urbaine globale.
C'est donc à plus d'un titre que j'ai pu réfléchir au sujet qui préoccupe la délégation : la pertinence des périmètres de transports entre les différentes autorités organisatrices et les difficultés que cela engendre.
Le GART a été créé en 1980. L'ensemble des régions françaises métropolitaines en font aujourd'hui partie, à peu près les trois quarts des départements et la quasi-totalité des autorités organisatrices urbaines, y compris le syndicat des transports d'Île-de-France (le STIF).
Les fonctions du GART ont évolué depuis l'origine. Au départ, c'était pour l'essentiel une structure de lobbying, destiné à obtenir des cofinancements de la part de l'État, ce qui a assez bien fonctionné jusqu'à une période récente, avant une traversée du désert, entre 2004 et 2009, période au cours de laquelle l'État s'est désengagé. Nous connaissons de nouveau une période de cofinancements, certes insuffisants, mais non négligeables puisque deux récents appels à projets ont permis de dégager respectivement 800 et 500 millions ; l'objectif est de mobiliser 2 milliards d'euros à l'horizon 2020.
La deuxième fonction du GART, qui s'est beaucoup renforcée au fil des années, consiste en un échange de bonnes pratiques, d'expériences.
La troisième fonction du GART consiste à développer la recherche appliquée, en liaison directe avec les laboratoires de recherche et universitaires qui font de la recherche fondamentale.
M. Edmond Hervé. Je souhaiterais connaître les montants des investissements qui ont été réalisés, au cours des dix ou quinze dernières années, en distinguant peut-être le génie civil et les différents types de matériels. Personnellement, je suis intimement convaincu que les investissements que les collectivités organisent en matière de transports sont des ferments de recherche et que la chance de l'industrie française des transports réside dans la capacité d'investissement des collectivités ainsi que dans la fonction de coordination, de médiation que le GART peut jouer. Je pense que c'était très important que vous rappeliez l'évolution du GART, car le GART que j'ai connu au début des années 80 et celui d'aujourd'hui, ce n'est plus tout à fait la même chose.
M. Roland Ries. Il y a d'importants déséquilibres entre les investissements et les aides que l'État réalise pour l'Île-de-France et ceux qu'il consent pour les autorités organisatrices de province. C'est une situation que le GART critique, droite et gauche confondues car, bien sûr, nous sommes une association transpolitique : toutes nos instances sont politiquement paritaires. Je suis le président, maire socialiste de Strasbourg, mais le premier vice-président est M. Louis Nègre, maire UMP de Cagnes-sur-Mer. Deux chiffres vous montreront ce déséquilibre que nous dénonçons : pour la seule région Île-de-France, il est prévu une contribution de l'État au projet du Grand Paris, sur l'exercice 2010, de 4 milliards d'euros ; pour l'ensemble des autorités organisatrices de province, on a une contribution de 2 milliards, à l'horizon 2020. On voit bien quand même que le déséquilibre est considérable, alors que si l'on se réfère à la population, l'ensemble des villes de province ont une population 1,8 fois supérieure à celle de la région parisienne desservie.
M. Claude Belot, président. C'est d'ailleurs une situation qui concerne tous les domaines : plus de la moitié de l'effort de l'État dans le domaine culturel bénéficie à Paris ; il en va de même en matière de santé.
M. Edmond Hervé. Qu'en est-il en ce qui concerne le matériel roulant ?
M. Roland Ries. Le matériel roulant n'est pas subventionné par l'État.
M. Edmond Hervé. Est-ce que vous avez une idée du montant de l'investissement ?
M. Roland Ries. Bon an mal an, un peu moins de 30 % des dépenses d'investissement de transports urbains sont consacrés au matériel roulant. La proportion était de 27 % en 2008, sur un total de 1,86 milliard d'euros, ce qui en fait le premier poste d'investissement des autorités organisatrices de transports urbains.
M. Edmond Hervé. Ce qui est intéressant dans le matériel roulant, c'est de voir la capacité de commande des autorités organisatrices par rapport à la production industrielle, qu'elle soit française ou étrangère.
M. Roland Ries. C'est justement une des difficultés. L'État a tendance à considérer que, comme nous sommes dans un domaine très ouvert à la concurrence internationale, l'argent public qui pourrait être injecté en la matière pourrait en définitive bénéficier à des constructeurs étrangers et les aider à s'implanter sur le marché français. L'argument vaut ce qu'il vaut, mais il n'est pas contestable que des constructeurs étrangers sont présents sur le marché. À Strasbourg, par exemple, notre premier tramway était suédois, italien, anglais ; il n'y avait que les bureaux d'études qui étaient français.
M. Edmond Hervé. Autre question : quel est votre sentiment, votre prise de position, sur le versement transport communautaire, départemental, régional ? Est-ce que le GART, indépendamment de la diversité de ses sensibilités, a une position commune sur cette question ?
M. Roland Ries. La réponse est oui : nous sommes très attachés au versement transport (VT), tel qu'il existe aujourd'hui, c'est-à-dire à l'intérieur des périmètres de transports urbains (PTU). Je rappelle en effet que c'est à l'intérieur des PTU que l'ensemble des autorités organisatrices peuvent percevoir le VT, à la condition qu'elles aient un projet de transport en commun en site propre dans la limite de 1,8 % de la masse salariale des entreprises (publiques et privées). Toutes ne perçoivent pas ce taux, mais c'est le maximum. Il a été augmenté, dans le cadre du Grenelle II, à 2 %, pour les communes dites touristiques.
Maintenant, la question se pose de la perception de l'éventuelle extension du versement transport en dehors des PTU, au profit de la région. L'idée que les régions puissent prendre une partie du produit du VT qui est aujourd'hui attribué aux autorités organisatrices, me semblerait pour le moins très audacieuse et soulèverait sans doute bien des problèmes. Dès lors, deux voies sont envisageables :
- la première, c'est la voie de ce que l'on appelle le « versement transport interstitiel » : le VT serait perçu par les régions, mais uniquement en dehors des périmètres de transports urbains ; en d'autres termes, une région pourrait ponctionner des entreprises qui ne sont pas dans le PTU, mais elle ne percevrait aucun VT à l'intérieur de celui-ci ;
- la deuxième hypothèse, toujours dans le cadre de l'extension du VT, serait d'avoir ce que l'on appelle un « versement transport additionnel » : le VT s'étendrait sur l'ensemble du territoire, y compris dans les périmètres de transports urbains, de sorte que, à l'intérieur de ces périmètres, on pourrait aller au-delà de 1,8 % (ou de 2 % pour les communes touristiques). Les régions auraient alors une ressource relativement importante, en tout cas plus importante que si elles se contentaient de ce qui est à l'extérieur des PTU.
Ce sont les deux voies, aujourd'hui, qui sont ouvertes. Le GART est d'accord pour étendre le versement transport, mais il n'a pas encore fait le choix entre VT interstitiel et VT additionnel.
M. Edmond Hervé. Si le choix était fait d'un versement transport additionnel, avez-vous envisagé l'idée de mettre en place un plafond, avec des parts respectives pour la région, pour le département et pour les intercommunalités ?
M. Roland Ries. On pourrait imaginer que ce versement transport additionnel soit fixé à 0,5 % de la masse salariale, ce qui veut dire qu'on passerait globalement de 1,8 à 2,3 % (ou de 2 à 2,5 %) avec 0,5 % pour l'extérieur du PTU. Cela représente évidemment des sommes très importantes avec des conséquences sur la compétitivité des entreprises, ce qui ne manquera pas de faire réagir le MEDEF dans ce débat.
M. Edmond Hervé. Est-ce que le Gouvernement pourrait y être favorable à condition que cela ne dépasse pas un seuil de 0,8 % par exemple ?
M. Roland Ries. Je ne comprends toujours pas aujourd'hui qu'on ait opéré une distinction, que je ne trouve personnellement pas cohérente, entre la possibilité de percevoir le versement transport dans les entreprises qui sont à l'intérieur d'un PTU et l'impossibilité de le faire à l'extérieur. C'est pour cette raison que certains estiment que si un versement transport est établi à l'extérieur du PTU, son montant doit rester modeste.
Or cela n'a pas de justification, car on observe précisément aujourd'hui des distorsions de concurrence entre les entreprises selon qu'elles sont ou non à l'intérieur d'un PTU, et cela aboutit à des déséquilibres dans l'aménagement du territoire. C'est d'ailleurs ce que je constate à Strasbourg, où des zones d'activités se développent hors des frontières du PTU, dans lesquelles aucun versement transport n'est exigé, mais où paradoxalement on a des difficultés pour les desservir.
Cette situation n'est pas satisfaisante, en termes d'aménagement du territoire, car elle aboutit à créer des ceintures de zones d'activités, mal desservies, en vidant le coeur des agglomérations et en favorisant la prolifération urbaine. C'est pourquoi ma position personnelle est claire : il conviendrait de traiter équitablement toutes les entreprises qu'elles soient ou non à l'intérieur d'un PTU.
M. Edmond Hervé. Quel est l'état actuel des relations entre régions, départements et établissements publics de coopération intercommunale ?
M. Roland Ries. C'est la question de la gouvernance et des périmètres des autorités organisatrices de transport. Il est évident aujourd'hui que les bassins de mobilité s'étendent très au-delà des PTU et que la répartition actuelle, héritée de la loi sur les transports intérieurs (LOTI), mérite sans doute d'être revue ou en tout cas amendée. Cette répartition distingue, en effet, le périmètre des transports urbains, gérés par l'autorité organisatrice urbaine, celui des transports interurbains, à savoir les bus, gérés par le département, et celui des transports ferroviaires, gérés par la région.
Des régions ont essayé de progresser sur ces questions en mettant en place des coordinations informelles, à l'image de celle instaurée entre la région Alsace, les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, la communauté urbaine de Strasbourg et la communauté d'agglomération de Mulhouse, sous la forme d'un comité de coordination des autorités organisatrices de transport. Cela a permis de progresser sur les questions de tarification unique et sur la mise en place d'un schéma cohérent de déplacement dans la région, en évitant ainsi les contradictions.
D'autres hypothèses, qui n'ont à ce jour pas été mises en oeuvre ou partiellement, peuvent être explorées :
- d'abord, la création de syndicats mixtes. Cela peut constituer une réponse intéressante dans les bassins de vie interurbains qui sont interdépendants de zones d'emplois situées en zones urbaines. L'inconvénient, bien sûr, c'est que cette solution ajoute un niveau supplémentaire dans le millefeuille décisionnel, alors même qu'aucune autorité organisatrice n'a d'autorité sur une autre ;
- ensuite, le conventionnement entre plusieurs autorités qui désigneraient une autorité chef de file. Dans cette hypothèse, il paraît évident que la région devrait alors être désignée comme telle ;
- enfin, la mise en place d'un nouvel outil juridique : les sociétés publiques locales, composées à 100 % de capitaux publics. À ma connaissance, cette solution n'a pas encore donné lieu à application, mais il faut dire que la loi qui a créé les sociétés publiques locales n'a même pas un an.
L'État, de son coté, essaye de mettre en place un schéma national des infrastructures de transport, qui reste assez contesté aujourd'hui sur le plan politique. L'État s'est, par ailleurs, réinvesti dans le transport public à travers les appels à projets, comme je l'ai évoqué tout à l'heure.
Pour finir sur cette question, il y a une demande ancienne et « transpolitique » du GART, consistant à permettre aux autorités organisatrices de transport de devenir des « autorités organisatrices de mobilité durable », c'est-à-dire à leur donner des compétences supplémentaires par rapport à la seule compétence de gestion des transports en commun. Cela leur permettrait ainsi de détenir l'ensemble de la « boîte à outil » en matière de transports (plans de déplacement d'entreprise, infrastructures de voirie, vélo, auto-partage, covoiturage, parking relais) et d'assurer l'intermodalité entre les différents types de transports. Or, aujourd'hui, ces compétences sont éclatées entre différentes autorités.
M. Edmond Hervé. Certes, mais actuellement rien n'empêche de faire cela par voie de conventionnement.
M. Roland Ries . C'est exact.
M. Edmond Hervé. - Existe-t-il des expériences de démarches de « ticket unique » permettant d'utiliser à la fois les transports de la SNCF, les transports interdépartementaux, les transports urbains, les vélos, et les parkings relais par exemple ?
M. Roland Ries. En dehors de l'agglomération parisienne, il n'y a malheureusement pas beaucoup d'expériences de ce type, et ce, pour une raison simple : nous constatons des difficultés à mettre en place des « chambres de compensation », c'est-à-dire de mutualiser et de partager efficacement les recettes des différents réseaux entre les autorités organisatrices. Je suis persuadé que le développement de la billettique nous permettra de nous doter d'instruments scientifiques pour mesurer la fréquentation des différents réseaux et faciliter ainsi la mise en place d'outils de tarification unique.
L'autre frein à ce type d'expériences réside dans la segmentation des territoires gérés par les autorités organisatrices de transport, lesquelles veulent conserver la maîtrise de leurs recettes respectives.
M. Edmond Hervé. Personnellement je crois beaucoup à la négociation, et surtout à la transparence en matière de mutualisation des recettes.
Est-ce que le GART a recensé les difficultés rencontrées dans la mise en place des transports en commun en site propre (TCSP) ? De mon coté, je reste convaincu que les autorités organisatrices de transport n'auraient pas investi si elles s'étaient arrêtées aux oppositions des populations ou aux manifestations de l'opinion.
M. Roland Ries. En effet, il n'existe en France qu'un seul exemple où un référendum local sur la mise en place d'un TSCP s'est avéré positif : celui organisé par le maire de Grenoble en 1983, Alain Carignon. Ce dernier avait précisément fait campagne contre son prédécesseur, Hubert Dubedout, sur le thème du tramway en marquant son opposition à son implantation. Or une fois élu, ce référendum lui a permis de changer de position sans trop de difficultés vis-à-vis des Grenoblois qui se sont exprimés majoritairement en faveur de la mise en place du tramway.
Les autres exemples de consultations se sont, à ma connaissance, traduits par des échecs, en raison des refus exprimés par les populations locales.
Cela étant, la situation est aujourd'hui différente à plusieurs titres.
Tout d'abord, l'état de l'opinion a beaucoup changé en une dizaine d'années. Auparavant, lorsque les élus souhaitaient mettre en place un tramway, l'état de l'opinion constituait la principale difficulté. Je parle en connaissance de cause, car l'implantation du tramway a été une bataille très dure à Strasbourg, troisième ville de France à se doter d'un tramway, après Nantes et Grenoble. À cette époque, nous sentions bien l'inquiétude de la population : les citoyens avaient du mal à circuler et craignaient que le tramway empiète sur leur espace. L'opinion était soit franchement hostile, soit angoissée. Mais cet obstacle est aujourd'hui moindre. Au contraire, pour beaucoup de gens, c'est une fierté que d'avoir un tramway permettant de désenclaver les quartiers et nombreux sont ceux qui en réclament la présence.
En revanche, là où les choses se sont aggravées, c'est au niveau de la capacité d'investissement des collectivités territoriales qui est aujourd'hui beaucoup plus faible et cela constitue un grave problème. En effet, toutes les collectivités qui se sont lancées dans des investissements lourds comme la création d'un tramway, il y a environ une bonne dizaine d'années, se sont, non seulement, endettées pour financer les travaux, mais continuent de s'endetter pour financer le fonctionnement quotidien et les déficits d'exploitation.
En dernier lieu, j'observe que plus on s'éloigne du coeur dense des villes, plus l'exploitation du réseau de transports devient difficile et déficitaire. Le fameux coefficient d'élasticité, qui permet de mesurer la fréquentation supplémentaire générée par un investissement, se détériore au fur et à mesure que le tramway pénètre des zones moins denses. Ainsi, au début, lorsque l'offre « tramway » augmentait de 20 %, sa fréquentation augmentait d'environ 30 %. Aujourd'hui pour le même renforcement de l'offre, la fréquentation ne croît peut-être que de 10 %. Ainsi, l'exploitation devient structurellement déficitaire et les collectivités financent lourdement ce déficit. À Strasbourg, par exemple, la communauté urbaine consacre le quart de son budget aux amortissements et au déficit d'exploitation du tramway.
M. Claude Belot. Il est indéniable que, ces dix ou quinze dernières années, la population a redécouvert les transports collectifs et que l'on a enregistré de véritables succès en ce domaine, par exemple avec des tramways.
Dans mon département, chargé des transports terrestres et des transports scolaires, les choses fonctionnaient plutôt bien. Mais, après la loi Chevènement, les communautés d'agglomération ont mis en place leur propre système, ce qui a débouché sur une situation de concurrence avec des problèmes d'articulation.
En ce qui concerne le billet unique, nous avions, nous élus, réussi à trouver un accord pour le mettre en place, mais la SNCF n'a rien voulu entendre.
M. Roland Ries. C'est, même si cela a un peu changé au cours des dernières années, qu'il n'est pas toujours facile de négocier avec la SNCF. Je note cependant que la SNCF a fait des progrès en matière de négociation.
M. Edmond Hervé. Quelle est l'évolution du personnel affecté au transport ?
M. Roland Ries. Dans l'urbain, l'ensemble des entreprises, hors RATP et SNCF, représentent 44 000 salariés. Ce chiffre est en augmentation depuis 1997, ce qui s'explique par l'importance du développement de l'offre. En 2009, le rythme de croissance augmente après un ralentissement de la croissance depuis 2004 par rapport aux années précédentes. La RATP compte 45 000 personnes, tous métiers confondus et la SNCF, 160 000, avec un effectif en diminution depuis plus de cinq ans. Les transports routiers et interurbains, réguliers et le tourisme, comptent 60 000 salariés.
M. Antoine Lefèvre. Dans mon département, nous disposons d'une zone d'activités, qui a plutôt une vocation industrielle mais dans laquelle plusieurs bâtiments administratifs se sont installés, notamment la nouvelle direction des populations. L'État emploie ainsi des fonctionnaires dans des zones non desservies par des bus, et, du coup, il demande au maire de la ville chef-lieu d'intensifier le réseau des bus. Finalement, pour les élus locaux, c'est la double peine : d'une part, l'État ne verse plus le versement transport sur la ville, puisqu'il s'agit d'une commune hors PTU, et d'autre part, il lui réclame des dépenses supplémentaires pour assurer la desserte du réseau urbain. Le GART a-t-il des préconisations sur ce sujet ?
M. Roland Ries. Je suis d'accord avec votre analyse, dans ces cas précis, les collectivités subissent une double peine : d'un côté, elles n'ont pas les recettes et, de l'autre, leurs dépenses sont lourdes et d'autant plus difficiles à amortir que dans les zones concernées, il est difficile de rendre l'exploitation rentable. Dans ce cas, le GART préconise d'étendre le versement transport au-delà du PTU, avec les deux hypothèses que j'ai présentées tout à l'heure ; d'une part, le versement transport interstitiel, et, d'autre part, le versement transport additionnel.
Audition de M. Henri-Michel Comet, secrétaire général du ministère de l'Intérieur, le 26 avril 2011
Rôle et organisation du corps préfectoral dans l'accompagnement de la décentralisation.
La Délégation procède à l'audition de M. Henri-Michel Comet, secrétaire général du ministère de l'Intérieur.
M. Henri-Michel Comet, secrétaire général du ministère de l'Intérieur. Je suis accompagné de Jean-Benoît Albertini, préfet, actuellement secrétaire général adjoint du ministère de l'Intérieur avec le titre de directeur de la modernisation de l'administration du territoire.
Nous sommes persuadés, au ministère de l'Intérieur, que nous devons faire « respirer » nos territoires : même si une politique d'État est forcément nationale, voire européenne, ses conditions d'application doivent être adaptées aux régions, départements et territoires. En d'autres termes, les objectifs que le pouvoir central fixe au corps préfectoral dans les différentes actions nationales (sécurité, emploi, logement...) doivent être atteints selon des modalités qui requièrent de la souplesse. Il y a donc un équilibre à trouver, auquel nous sommes très attachés.
L'organisation territoriale de l'État a considérablement évolué ces dernières années. Son administration a été réorganisée à partir de quelques principes, parmi lesquels ce que l'on pourrait appeler la régionalisation de l'action nationale : la conduite des politiques publiques passe par le niveau régional même si, bien sûr, cette régionalisation est modérée par des compétences qui restent départementales : la sécurité, le contrôle de légalité, la police des étrangers... Cette réorganisation s'est traduite par des regroupements de services régionaux et par des regroupements de services départementaux, sans qu'il n'y ait plus de reflet avec l'organisation ministérielle. Le choix a été fait de conférer à l'autorité préfectorale une plus grande capacité à agir et à parler au nom de l'État dans sa complétude, avec une tendance croissante à ce que les préfets soient les représentants territoriaux de tous les organismes nationaux, y compris pour ceux à vocation sectorielle comme l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat ou l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. Il y a donc une volonté gouvernementale, depuis 2007, d'avoir une unité de la parole et de l'action de l'État territorial.
Notre organisation reste néanmoins très départementale : outre les domaines que je citais tout à l'heure et qui restent de la compétence départementale (la sécurité, la police des étrangers et le contrôle de légalité), le préfet de département n'est pas sous l'autorité hiérarchique du préfet de région. C'est un point important, politiquement mais aussi juridiquement, puisque les décisions du préfet de département ne peuvent pas faire l'objet de recours devant le préfet de région. Il s'agit donc d'une organisation qui se veut souple pour répondre aux différentes sollicitations.
M. Claude Belot, président. J'ai connu trois phases dans les relations entre les élus locaux et les préfets. Avant la décentralisation, les élus, sans pour autant être au « garde-à-vous » devant le préfet, devaient prendre en considération le fait qu'il présidait aux destinées départementales et que le budget dont il disposait dans ce cadre était d'autant plus important pour les communes que la région n'existait pas encore en tant que collectivité ; les élus locaux arrivaient néanmoins à mener des actions utiles et efficaces, que les préfectures regardaient avec bienveillance en général. Puis est venu le temps de la complicité entre l'État et les collectivités territoriales, avec un nouvel équilibre des pouvoirs qui a fait d'eux de véritables partenaires dans la conduite des politiques au niveau local. Aujourd'hui, nous sommes entrés dans une troisième période : même si les préfets restent marqués par le sens de l'intérêt général et le souci du dialogue avec les élus, l'administration territoriale de l'État, elle, n'est plus du tout animée par cet esprit de complicité et de partenariat ; elle est devenue une administration de contrôle, de surveillance, une administration dont la raison d'être semble être de tenir à l'oeil les élus. Elle n'hésite pas à nous adresser des lettres comminatoires, voire menaçantes, lorsque nous prenons des initiatives d'intérêt général. Je l'ai personnellement constaté : lorsque, par exemple, j'ai décidé récemment d'aménager une base d'aviron sur un lac, j'ai reçu un courrier d'une virulence qui aurait été inconcevable quelques années auparavant, allant jusqu'à évoquer la perspective de sanctions pénales ; je trouve inacceptable que des fonctionnaires emploient un tel ton à l'égard d'élus. Je dois dire que, lorsque j'ai montré ce courrier à mon préfet, il en a été abasourdi ; il n'en demeure pas moins que de tels comportements existent (peut-être parce que certains fonctionnaires de l'État, avec la disparition des subventions, n'ont plus d'autres moyens d'affirmer leur existence) et qu'ils sont évidemment fort mal vécus par les élus.
M. Éric Doligé. Certains - dont je ne suis pas - font un rapprochement entre la régionalisation au niveau de l'État et une potentielle régionalisation au niveau des collectivités. Ils considèrent ainsi que la régionalisation de l'État devrait conduire à la suppression des départements. C'est un raisonnement que je réfute totalement et je souhaiterais que vous nous confirmiez qu'il ne correspond pas à votre opinion.
Ma seconde observation porte sur les interlocuteurs des collectivités territoriales. Beaucoup moins nombreux que par le passé, leur concentration permet des relations de proximité plus directes avec le préfet. Celui-ci a un rôle de facilitateur ; le traitement des dossiers peut se faire avec plus d'efficacité et dans des délais moindres. Je considère que cette évolution est positive.
M. Henri-Michel Comet. Je confirme que l'organisation de l'État ne cherche pas de miroir dans l'organisation des collectivités territoriales et inversement ; l'État est dans une démarche régionalisée, alors que la logique des collectivités est totalement distincte. Le Président de la République s'est d'ailleurs clairement exprimé sur ce point.
En ce qui concerne les contrôles de l'administration, qui seraient devenus plus pointilleux, il est incontestable qu'une tendance de fond de notre société est la judiciarisation. C'est un état de fait, qu'on le déplore ou non, qui impose aux différents partenaires de marquer le terrain de leurs interventions de manière plus précise aujourd'hui. Il faut néanmoins rappeler que les actes obligatoirement transmis à l'autorité préfectorale dans le cadre du contrôle de légalité ont été réduits, par le législateur, de plus d'un tiers en moins de six ans. La marge de liberté des collectivités territoriales s'en est trouvée considérablement élargie. Aujourd'hui, les parlementaires semblent dans une démarche plutôt hésitante sur les perspectives du contrôle de légalité, comme si un palier avait été atteint. On l'a vu il y a deux ans, lorsqu'ils se sont opposés à une proposition du Gouvernement tendant à réduire le nombre d'actes d'urbanismes obligatoirement transmissibles.
Ma conviction est que l'interlocuteur naturel et privilégié des élus est manifestement l'autorité préfectorale, quelle qu'elle soit (préfet de région, de département, d'arrondissement). En effet, ses membres ont une vision pluridisciplinaire et complète des sujets vis-à-vis des collectivités. Je constate que, quelles que soient les qualités techniques ou les compétences juridiques des directions déconcentrées, l'élu a tendance à s'adresser au corps préfectoral, ce qui compense largement l'éloignement prétendu des services de l'État.
Enfin, il est vrai que l'État dispose de moyens de plus en plus comptés. L'un des ressorts de la réorganisation est la rigueur économique ; le Président de la République a appelé les services de l'État à « faire mieux avec moins ». Pour cela, les doublons sont éradiqués, notamment par la mutualisation des fonctions logistiques. Parallèlement, les services se modernisent : le grand public bénéficie par exemple de l'apport des nouvelles technologies dans la logistique liée aux passeports. Il en va de même pour le contrôle de légalité : cet automne, nous mettrons sur le marché un dispositif totalement dématérialisé et automatisé du contrôle de légalité budgétaire. Cette réorganisation de l'État, si elle est adossée à une baisse assumée de ses moyens, a bien pour ambition d'offrir des services de qualité égale ou supérieure aux citoyens ou aux élus.
M. Yves Détraigne. Je suis élu municipal depuis 1983 et maire depuis 1989. J'ai observé, sur cette période, une évolution du métier de préfet ; auparavant, le préfet et le sous-préfet étaient plus présents sur les affaires gérées au quotidien par une collectivité locale, et moins sur les grands projets structurants. Aujourd'hui, le préfet me semble avoir pris de la hauteur par rapport à la gestion quotidienne et s'occuper davantage de grands dossiers, tels que ceux relatifs à l'aménagement du territoire ou engageant l'avenir du département ou de la région. Du fait de cette moindre implication sur la gestion quotidienne des collectivités locales, il y a un certain décalage entre l'approche du préfet lui-même et l'approche de certains de ses services. Ces derniers réagissent, selon les cas, de deux manières différentes : certains n'osent plus rien faire, gênés par la perspective de devoir intervenir eux-mêmes auprès d'un élu ; à l'inverse, d'autres services se montrent très pointilleux sur les détails. Il en résulte une certaine instabilité pour les collectivités locales : selon le fonctionnaire qui va recevoir votre délibération ou être chargé de votre dossier, deux affaires de même importance pourront être traitées différemment. Ces réactions différentes posent évidemment problème aux élus et nous interpellent quant au positionnement du préfet.
M. Henri-Michel Comet. Le métier préfectoral a connu trois évolutions importantes, ces vingt ou vingt-cinq dernières années :
- il y a d'abord eu la reconnaissance avérée d'une plus grande liberté des collectivités locales avec ses corollaires : une plus grande souplesse dans la décision, une plus grande responsabilité... Ce point est désormais profondément ancré dans l'esprit des membres du corps préfectoral dans leur ensemble ;
- les membres du corps préfectoral se sont ensuite vu demander de s'occuper de plus en plus des affaires de l'État stricto sensu. De ce fait, leur action s'est concentrée sur les deux missions relevant de ces affaires : la gestion de l'État au niveau territorial et la participation à ses politiques (emploi, logement...) ;
- enfin, les membres du corps préfectoral doivent participer pleinement au maintien d'un service de qualité à l'égard de tous les partenaires de l'État, en particulier des élus. À titre d'exemple, il y a deux ou trois ans, la décision a été prise de supprimer l'ingénierie territoriale, reconnaissant l'autonomie de gestion des collectivités. Cette décision a été difficile pour les petites collectivités locales. Nous avons donc corrigé cette décision par des éléments de solidarité de conseil aux élus. Bien entendu, nous avons d'autres partenaires auxquels nous nous efforçons d'apporter les meilleurs services ; par exemple, les années 2008 et 2009 ont révélé que l'autorité préfectorale avait un rôle important à jouer auprès des acteurs économiques.
En ce qui concerne la variété des positions des services de l'État et des collaborateurs des préfets, je reconnais que ces évolutions n'ont pas été assimilées par tout le monde. Il est vrai aussi qu'il faut que les fonctionnaires des services déconcentrés de l'État fassent preuve de discernement. Le comportement du fonctionnaire d'État ne peut pas être le même sur toutes les parties du territoire : il doit savoir s'adapter, c'est bien ce qu'on lui demande. Je continue à revendiquer une certaine adaptation au territoire, même s'il s'agit d'une politique d'État.
M. Jean-Benoît Albertini, secrétaire général adjoint du ministère de l'Intérieur. Nous pourrions ajouter une quatrième dimension sur les tendances longues qui viennent d'être identifiées : celle de l'affirmation du pouvoir de direction du préfet sur les services, spécialement au niveau départemental. L'un des points saillants de la réforme de l'administration territoriale (REAT) est la création de structures interministérielles au niveau départemental avec les directions départementales interministérielles (DDI). Leur caractéristique est précisément d'être modelée sur une forme qui n'est plus la transposition locale du découpage ministériel : cette forme de découpage reste assez largement présente au niveau régional, mais non au niveau départemental. Certes, nous étions déjà juridiquement dans un régime où le préfet était le « patron » des services déconcentrés de l'État. Ça l'est plus encore aujourd'hui, puisque ces structures sont réellement interministérielles et, par conséquent, décloisonnées de leurs rattachements verticaux. Elles sont dans une animation et dans un positionnement territorial qui les mettent de plus en plus en relation avec les besoins locaux et l'interlocuteur de proximité qu'est le préfet par rapport aux élus.
Le volet organique de cette réforme est aujourd'hui largement avancé, même achevé : les structures sont en place. Nous en sommes à présent au stade d'un second souffle (qui peut expliquer les remarques faites sur le temps d'ajustement ou sur la réactivité différenciée selon les services) : bâtir une référence stratégique en définissant les priorités pour notre territoire dans une vision qui sera mieux partagée, plus interministérielle, plus simple et plus accessible pour les élus, à partir d'une impulsion qui sera celle qui naîtra de la relation entre le préfet, les élus et les services de l'État (en nombre plus réduit, plus concentré, plus interministériel et plus transversaux).
M. Antoine Lefèvre. Durant mon premier mandat de maire, j'ai connu cinq préfets en sept ans. Ceci interpelle les élus. Quelle est votre réflexion sur la relation de confiance qui peut s'instaurer entre des préfets et des collectivités, avec une telle durée moyenne de séjour ?
M. Henri-Michel Comet. Avant les années 1985-1986, les préfets restaient à leur poste beaucoup plus longtemps, parfois une dizaine ou une vingtaine d'années. Depuis lors, aucun préfet n'a été en poste plus de dix ans. Au secrétariat général du ministère de l'Intérieur, nous estimons que, en termes de bonne gestion du corps préfectoral, une bonne moyenne de durée de poste est de l'ordre de trois ans. Aujourd'hui, nous constatons statistiquement une durée égale à deux ans et deux ou trois mois. Dans la gestion du corps, nous sommes donc dans la partie basse de ce que l'on estime être la période « idéale ». Nous faisons la même analyse, avec des nuances selon les fonctions ou la taille des arrondissements, pour le corps des sous-préfets.
M. Éric Doligé. J'ai battu un record en faisant exploser les statistiques, puisque dans le département du Loiret, j'ai eu trois préfets durant l'année 2010. Je prends cet exemple afin d'indiquer qu'il est extrêmement difficile pour des élus locaux de gérer de telles situations. À mon sens, sauf cas exceptionnel, une durée de trois ans répondrait correctement à une exigence de bonne adaptation et de traitement correct des dossiers.
M. Jacques Mézard. Comme le rappelle notre collègue et ami François Fortassin : « Tous les préfets sont excellents mais il y a des degrés dans l'excellence ». Sur le plan de la durée en poste, j'ai observé, en qualité de président d'une communauté d'agglomération, une réalité de terrain : six préfets en neuf ans. Cela me semble tout de même trop rapide.
Sur le fond, il me semble qu'il y a eu une dilution des pouvoirs des préfets, surtout lorsqu'ils ne sont pas préfets de région. D'une manière générale, on constate ainsi que de nombreux dossiers relèvent de la décision du préfet de région. Il en est ainsi, notamment, pour le dossier des programmes de développement et de modernisation des itinéraires routiers (PDMI), que j'ai vécu avec un décisionnel qui était manifestement le préfet de région. Ceci n'est qu'un exemple parmi d'autres.
On observe ainsi le siphonage par le haut, puisque les dossiers remontent à la préfecture de région, et une dilution par le bas, avec la diminution de la voilure des services de l'État. Sur le terrain, je constate que dans certains cas, on se demande où est passée la compétence -au 1er sens du terme- des services de l'État. Je prendrai pour exemple le dossier de la santé, avec la création des agences régionales de santé (ARS), qui ignorent superbement tant les élus que les préfets.
Enfin, je considère que la diversité et la variété ne peuvent pas s'appliquer sur des points fondamentaux comme l'appréciation de la légalité. Elle devrait être la même sur l'ensemble des territoires de la République, or ce n'est pas le cas. Ainsi, en matière de contrôle de légalité, toute une série de contrôles ne sont plus du tout exercés et, quand ils le sont encore parfois, ils le sont avec des critères qui demeurent mystérieux.
M. Henri-Michel Comet. En ce qui concerne votre commentaire sur le degré d'excellence des préfets, je n'ai pas grand chose à ajouter, sauf à vous indiquer que nous avons mis en place un dispositif de formation et d'évaluation du corps préfectoral pour hausser encore le niveau. On a spécialisé des préfets pour évaluer les sous-préfets, et un préfet pour évaluer les préfets, le tout avec l'appui de cabinets spécialisés.
En ce qui concerne la relation entre le préfet de région et le préfet de département, le choix a été fait de régionaliser l'action publique de l'État, même si le ministère de l'Intérieur est historiquement attaché à la notion de département. Néanmoins, il ne s'agit pas d'une dilution, car la question porte juste sur l'organisation de l'État. Notre dispositif repose sur une répartition claire des compétences, que l'on veut bien identifiées, avec une porte d'entrée préfectorale unique pour les élus. Pour autant, il n'y a pas de pouvoir hiérarchique entre préfet de département et préfet de région.
Au demeurant, si risque il y a de voir les représentants de l'État disposer d'une moindre latitude, il réside moins dans les relations entre l'échelon départemental et l'échelon régional que dans les relations avec l'échelon central. Le risque vient moins de l'administration territoriale de l'État - où un équilibre de fait est trouvé - que d'une tendance de l'administration centrale de l'État à happer trop de compétences. Le ministère de l'Intérieur reste d'ailleurs très vigilant face à la tendance naturelle de certaines administrations centrales, renforcée par les contraintes budgétaires, à centraliser leur gestion, voire leurs actions.
A propos du contrôle de légalité, je ferai observer que l'appréciation du droit est « une » sur le territoire national : c'est celle du juge. L'autorité préfectorale ne fait que solliciter le tribunal administratif, même si certains de ses membres sont plus zélés sur certains sujets que d'autres. Une harmonisation est cependant recherchée au niveau national, puisqu'il a été demandé aux membres du corps préfectoral de porter particulièrement leur attention sur quatre secteurs : les marchés publics, l'urbanisme, l'environnement et, à certains égards, la fonction publique territoriale. Les modalités d'exercice peuvent être, certes, variables selon les territoires mais, si un préfet était trop zélé, le juge en tirerait quelques conséquences. L'unité du contrôle de légalité ne se fait donc pas par le préfet mais bien par le contrôle du juge.
M. Jacques Mézard. Certes, l'unicité relève de la jurisprudence administrative. Néanmoins, selon qu'un membre du corps préfectoral est plus ou moins zélé, selon qu'il saisisse ou non le juge, il y aura, à tel endroit, un contrôle et, à tel autre endroit, une absence de contrôle : ici, les délibérations des collectivités territoriales s'appliqueront sans délai ni difficulté ; là, elles pourront être annulées par le juge administratif. C'est un fait : selon la taille des collectivités, les préfectures exercent plus ou moins de contrôle.
M. Henri-Michel Comet. Il existe cependant toute une batterie d'indicateurs et de détecteurs qui permettent au ministère de l'Intérieur de mesurer l'excès vers le bas et, par conséquent, de réagir s'il n'y avait plus du tout de contrôle.
M. Jean-Benoît Albertini. La réforme récente a conduit à concentrer l'expertise du contrôle de légalité dans les préfectures des départements, alors qu'auparavant elle intervenait également dans les sous-préfectures. Il en résulte une plus grande homogénéité, qui réduit considérablement les risques de discordances.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Maire d'une commune depuis 1985, j'ai vécu diverses situations avec les différents préfets que j'ai pu côtoyer : très bonnes avec certains, beaucoup plus tendues avec l'un d'eux. Par ailleurs, on a le sentiment que nous voyons surtout le préfet lorsque les choses vont mal, lorsqu'il y a un problème. Au fruit de mon expérience et en ce qui concerne le temps de séjour d'un préfet, je considère que quatre ans serait une bonne durée.
M. Henri-Michel Comet. Dans le métier préfectoral, l'équation humaine est déterminante. En ce qui concerne la durée en poste, le ressort principal des préfets est d'être à la disposition de l'État et du Gouvernement. Pour le reste, ils ont aussi pour rôle d'être présents auprès des élus quand cela va mal ou, plus simplement, lorsqu'il y a des problèmes. Cette capacité de réaction dans des situations difficiles est dans l' « ADN » préfectoral. Je pense en particulier à des situations extrêmes de sécurité civile, mais aussi à des situations moins dramatiques, par exemple lorsqu'il s'agit de régler des questions liées à l'intercommunalité.
M. Claude Belot. J'ai connu beaucoup de préfets depuis que je suis élu et cela me permet de constater une tendance lourde : beaucoup d'entre eux habitent à Paris, où demeurent leurs familles. Le fait est qu'un fonctionnaire ne peut pas élire domicile dans une ville où il n'est pas certain de rester plus de six mois. Il y a donc beaucoup de préfets qui, dès qu'ils le peuvent, sautent dans un train ou un avion pour retourner à Paris ce qui, évidemment, ne peut que nuire à un bon ancrage territorial.
M. Edmond Hervé. Le magistrat a certes une fonction essentielle de respect du droit mais le droit doit pouvoir vivre de manière ordinaire, sans forcément donner lieu à saisine judiciaire. J'observe d'ailleurs que, au niveau central, l'État peut s'appuyer sur la fonction consultative conférée à des institutions juridictionnelles comme le Conseil d'État. Lorsque vous êtes titulaire d'une fonction exécutive territoriale décentralisée, vous n'avez pas le même rapport avec les institutions juridictionnelles locales, que ce soit le tribunal administratif ou la chambre régionale des comptes. Je crois donc que la question de la sécurité juridique, notamment à la suite de la révision générale des politiques publiques, peut légitimement inquiéter les élus.
Cela étant, il faut que les couples préfet de région/président de conseil régional, préfet de département/maire fonctionnent de manière continue. J'ai été élu pour la première fois conseiller général en 1973, puis maire en 1977. Je dois une partie de mon expérience et de ma culture aux relations que j'ai eues avec les préfets.
Je suis frappé de constater le déclin de la culture générale civique, y compris chez des décideurs du secteur public. Quel type de contacts, de rapports peut-on selon vous imaginer pour renforcer ce que j'appellerai la société civique ?
M. Henri-Michel Comet. Le célibat géographique se développe dans le corps préfectoral. C'est un fait, sans doute regrettable, mais c'est aussi le reflet d'un phénomène de société qui dépasse largement le seul cadre préfectoral et qui est donc largement déconnecté de la question du rythme des mutations.
En ce qui concerne la sécurité juridique, le souci est en effet devenu majeur chez les élus. J'ai bien noté l'observation de M. Edmond Hervé sur l'éventualité d'une saisine pour avis de diverses institutions par des exécutifs locaux : cette faculté, c'est vrai, n'existe pas directement, sauf à passer par l'intermédiaire du préfet, ce qui n'est pas interdit. En outre, j'observe aujourd'hui que des demandes d'avis auprès de cabinets privés croissent fortement.
M. Edmond Hervé. La commission présidée par Pierre Mauroy avait proposé, dans ses 130 propositions, la possibilité pour une collectivité territoriale de saisir un tribunal administratif dans sa fonction consultative.
M. Henri-Michel Comet. Oui, mais cette saisine directe pour avis n'est pas aujourd'hui prévue par notre droit. Les conseils demeurent dès lors officieux. Si l'État s'engageait dans cette voie, ce serait une réorganisation complète de toute la filière de la justice administrative à laquelle il faudrait faire face.
En ce qui concerne les rapports entre les préfets et les élus locaux, les relations se développent de deux manières : tout d'abord institutionnellement, avec la possibilité pour un représentant de l'État de s'exprimer devant une assemblée territoriale ; ensuite humainement, avec la nécessité de se montrer assez souvent ensemble (préfet/élus) dans des manifestations publiques, et en évitant de transformer ces rencontres en débats d'opposition.
En ce qui concerne le civisme, un sondage récent a montré le scepticisme croissant des Français à l'égard des autorités d'élites, dont les maires, ce qui est nouveau et doit nous interpeller. D'autre part, comme l'a révélé une étude commandée l'an dernier par le ministère de l'Intérieur à Marcel Gaucher sur l'évolution à venir de l'administration territoriale de l'État à vingt ans, la parole de celle-ci est jugée crédible. En définitive, un des moyens les plus sûrs pour lutter contre le déficit civique réside dans la faculté de l'autorité de l'État et de l'autorité porteuse du suffrage universel de parler ensemble, en public.
Enfin, le ministère de l'Intérieur n'a de cesse de rappeler à tous les services territoriaux de l'État que c'est au niveau régional que les choses se passent et que, dès lors, les services déconcentrés doivent s'imposer face aux administrations centrales. Je reconnais que, si les préfets le font effectivement, les directeurs sont souvent plus hésitants.
Audition de M. Daniel Canepa, président de l'Association des membres du corps préfectoral, le 24 mai 2011
Rôle et organisation du corps préfectoral dans l'accompagnement de la décentralisation - Audition de M. Daniel Canepa, président de l'Association des membres du corps préfectoral
La Délégation procède à l'audition de M. Daniel Canepa, président de l'Association des membres du corps préfectoral.
M. Claude Belot, président. Les relations entre les préfets et les collectivités ont très largement évolué au cours des dernières décennies. Nos collègues Mme Jacqueline Gourault et M. Didier Guillaume y ont d'ailleurs récemment consacré un rapport portant sur le dialogue entre l'État et les collectivités territoriales. Est-ce que vous pourriez nous donner, d'abord, votre sentiment sur l'état de ces relations ?
M. Daniel Canepa, président de l'Association des membres du corps préfectoral. Sur le dialogue entre l'État et les collectivités, j'ai lu avec étonnement dans le rapport de Mme Gourault et de M. Guillaume que les rapports étaient empreints de « défiance ». Il me semble pourtant que la meilleure façon d'aborder un dialogue reste la confiance réciproque, même si dans des cas très limités, il arrive en effet qu'une collectivité puisse exprimer une certaine défiance à l'égard d'un préfet, notamment lorsque celui-ci est présumé avoir une étiquette politique marquée.
La défiance ne devrait pas, en principe, se manifester, car les préfets sont dans un rapport de dialogue continu avec l'ensemble des collectivités territoriales. Ce dialogue ne s'inscrit pas toujours dans un cadre institutionnalisé, c'est vrai, et varie souvent d'une région ou d'un département à l'autre. En pratique il est toujours prévu une rencontre, au moins annuelle, entre le préfet et le conseil régional pour la région et le conseil général pour le département, qui permet d'expliquer l'action de l'État et de répondre aux questions des élus. Il est également prévu des rencontres avec les maires, notamment à travers les associations départementales de maires, ainsi que dans le cadre des nombreuses commissions, plus institutionnalisées cette fois.
Au total, la fonction de dialogue est une nécessité, qui, d'ailleurs, se poursuit en dehors des cadres institutionnalisés à la demande des élus locaux. Je retire de mon expérience, dans les départements ruraux notamment, que l'ampleur de ce dialogue est souvent inversement proportionnée à la taille de la commune, puisque les petites collectivités disposant de moins de moyens sont les plus demandeuses de conseils et d'expertise des préfectures ou des sous-préfectures. Dans ces conditions, le terme de « défiance » ne me paraît pas approprié et, s'il l'était, cela viendrait contrarier l'essence même du travail des préfets.
Effectivement, il peut exister des difficultés, comme le suggère le rapport que vous mentionnez et qui pointe, je cite, des transferts de charges insuffisamment compensés, ou encore des évolutions problématiques de la masse salariale de certaines collectivités territoriales. Ce qui est mis en évidence est intéressant, car cela montre le coté dual de notre fonction : nous sommes à la fois représentants de l'État et représentants du Gouvernement ; à ce second titre, nous sommes sujets aux critiques politiques, à l'image de celles que nous avions essuyées à l'occasion du transfert de la gestion du revenu minimum d'insertion (RMI) aux départements. Nous sommes également en charge de la bonne administration d'un territoire et, sur ce point, l'entente avec les élus locaux, qui ont une mission analogue, est souvent excellente.
M. Claude Belot. Il y a tout de même parfois des cas dans lesquels l'entente que vous décrivez ne se vérifie pas sur le terrain.
M. Daniel Canepa. C'est vrai : il peut y avoir, rarement heureusement, des excès de part et d'autre. Quand il y a des excès dans le langage, il faut faire preuve de la retenue et de la distance nécessaires pour relativiser. Lorsqu'il y a des excès dans l'action, cela s'avère effectivement plus compliqué à gérer. Au fond, j'ai la conviction que la pire des choses c'est l'intolérance. J'ai exercé mes fonctions dans divers départements depuis 1978 ; avec le recul, je puis dire qu'il y a un dialogue plus constructif avec les collectivités territoriales, notamment en raison du rééquilibrage opéré par la décentralisation et à la suite de l'évolution vers un partage des politiques publiques, aujourd'hui, davantage contractuelles et négociées qu'imposées, ce qui, évidemment, nécessite un dialogue et un échange permanent. Dans ce nouveau contexte, il n'est plus possible d'ignorer les politiques suivies au sein des autres niveaux de collectivités. Au total, on est bien dans une démarche d'échange et de contractualisation et, malgré les différences, on parvient toujours, en définitive, à trouver des points de rapprochement.
M. Claude Belot. Il y a un sujet qui pose aujourd'hui problème, c'est celui de la carrière des membres du corps préfectoral : nous avons le sentiment, dans les collectivités, que les préfets et les sous préfets sont devenus, avec leur turn over incessant, de véritables passants qui n'ont pas le temps de s'imprégner des dossiers en profondeur.
M. Éric Doligé. Je regrette, moi aussi, le turnover excessif des membres du corps préfectoral, qui conduit parfois jusqu'à voir se succéder trois à quatre préfets la même année dans le département. À cet égard, je souhaiterais que vous puissiez réfléchir, au sein de votre association, à l'établissement d'une règle de passage minimum en poste, car une telle situation devient insupportable, surtout dans les périodes de réforme des collectivités. Cela ne donne pas une bonne image, ni pour l'État, à travers le corps préfectoral, ni pour les collectivités, dont les élus ont alors du mal à avancer.
Pour revenir aux relations entre l'État et les collectivités, je constate qu'elles ont considérablement évolué : elles sont désormais beaucoup plus régulières, pacifiées et surtout plus équilibrées qu'elles ne l'étaient dans le passé. D'ailleurs, et j'en témoigne, les rencontres entre le préfet et l'exécutif du département sont très régulières, davantage même que les réunions entre l'État et la région qui, si elles sont fréquentes, restent plus souvent fixées dans le cadre contractuel. Je pense également qu'il y a des à-coups au fur et à mesure des grandes lois de décentralisation, comme récemment avec la réforme des collectivités territoriales et aujourd'hui avec l'intercommunalité. Dans ce dernier exemple, les préfets se sont retrouvés, de nouveau, au centre du processus de réforme, avec une autorité et une responsabilité fortes à l'égard des collectivités, ce qui a pu faire renaître des frictions avec les élus locaux. C'est donc dans ces périodes, précisément, qu'il convient de se prémunir contre le turn over excessif que nous évoquions. Et c'est là que nous retrouvons la problématique de l'établissement de règles de durée minimale.
A cet égard, quelle est, pour vous, la durée minimale pour bien connaître un territoire et être pleinement opérationnel ?
M. Daniel Canepa. Je vous rejoins tout à fait pour dire que, selon l'actualité des processus de réforme législatifs, il y a une intensité plus ou moins grande des relations entre le corps préfectoral et les élus locaux. Toutefois, je tiens à faire remarquer qu'à bien d'autres moments, au-delà de ces temps forts, se nouent aussi des rapprochements qui permettent de se retrouver avec les élus.
La question du turnover des membres du corps préfectoral est un sujet régulièrement évoqué et c'est pourquoi j'ai tenté d'analyser si on constatait ou non un raccourcissement de la durée des « mandats ». En réalité, il n'y a pas eu de raccourcissement et, d'une manière générale, la durée moyenne dans un poste est restée la même sur le long terme. La question est donc finalement de savoir si cette durée est trop courte. Pour ma part, et ma conviction n'a pas changé du temps où j'étais secrétaire général du ministère de l'intérieur, je pense que les fonctions dans un poste doivent être occupées pendant une période de trois à quatre ans. Cela me paraît une bonne périodicité : ni trop longue, pour éviter les habitudes routinières et être suffisamment inventif dans un territoire ; ni trop courte, pour être pleinement opérationnel et avoir une bonne connaissance du terrain.
Dès lors, pour répondre à votre question sur le délai minimum pour être opérationnel, il faut, selon moi, distinguer les dossiers, d'une part, et les hommes, d'autre part. Pour la gestion des dossiers, nous sommes opérationnels presque immédiatement. Il faut en général moins de six mois pour s'imprégner des dossiers. En revanche, pour appréhender les hommes, c'est effectivement plus complexe et il faut davantage de temps, entre douze et dix-huit mois selon les cas.
J'avais essayé de faire avancer ces questions au ministère de l'intérieur, sans succès notable. À mon arrivée, on constatait une moyenne en poste de deux ans et trois mois, et j'ai péniblement réussi à faire augmenter cette moyenne à deux ans et neuf mois. La moyenne a un peu baissé ces dernières années, en raison d'un phénomène mécanique difficile à contrôler. En effet, le corps préfectoral possède un effectif limité et la modification de la situation d'un de ses membres entraîne des réactions en chaîne pour l'ensemble du corps. Ainsi en est-il des sorties vers l'extérieur : en cabinets ministériels, dans les directions d'administration centrales et ailleurs.
M. Jacques Mézard. Sur trente ans, vous avez occupé seize fonctions dans douze territoires différents. Or, vous nous avez dit qu'il faut six mois pour prendre connaissance des dossiers et un an - à un an et demi - pour avoir une approche des hommes, ce qui nous conduit finalement à avoir le sentiment que vous connaissez les dossiers et les hommes quand vous êtes amenés à quitter vos fonctions. Pour ma part, à la présidence d'une communauté d'agglomération depuis une dizaine d'années, j'ai connu six préfets. Je n'en déduis pas pour autant qu'il s'agit de confiance ou de défiance, mais plutôt d'indifférence. Avec la décentralisation, j'ai le sentiment qu'on est progressivement passé d'une période où le préfet avait un rôle d'impulsion important à un rôle de contre-pouvoir basé sur le contrôle.
M. Daniel Canepa. Pour être plus nuancé, vous serez d'accord avec moi qu'il est plus facile de connaître en un temps limité les hommes du département du Cantal, où une durée de fonction préfectorale de dix-huit mois peut suffire, que ceux de la région Île-de-France.
J'ai la conviction que l'exercice de la fonction préfectorale doit donner une part beaucoup plus large à la dynamique, et donc à l'impulsion, afin d'être proactif et non réactif, et afin d'être une force de suggestion et de partage pour recueillir ici ou là des projets et essaimer de bonnes pratiques. La fonction de contrôle est une fonction inévitable, constitutionnellement exigée, qui finalement doit être conçue de deux manières : soit comme un échec, dans la mesure où une décision était illégale ou inacceptable, soit, au contraire, comme une façon de dire le droit sur un sujet peu évident, nécessitant une intervention clarificatrice du juge. Quelle que soit la durée du mandat préfectoral, je pense qu'il est plus nécessaire de privilégier l'impulsion au contrôle.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Vous évoquiez deux paramètres, les hommes et les dossiers, auxquels j'ajouterais volontiers un troisième paramètre, à savoir le lieu d'implantation, puisque les manières de réagir peuvent varier selon les territoires. J'observe que les choses vont nettement mieux quand un préfet - ou un sous-préfet - reste assez longtemps en fonction afin de comprendre véritablement les situations locales et leurs particularités. Je constate, en outre, que les préfets doivent disposer de qualités personnelles importantes afin de pouvoir s'imposer entre l'État et les élus.
M. Edmond Hervé. Sur le couple confiance-défiance, je crois qu'il y a une éthique à respecter : s'adresser à un préfet n'est pas la même chose que s'adresser à un ministre ou à un parlementaire. Il est important de ne pas mélanger les genres et de ne pas privilégier telle ou telle personne en fonction de ses appartenances politiques. Pour ma part, en trente-huit ans de mandat, j'ai eu la chance de rencontrer des préfets de grande qualité. Par ailleurs, je pense important d'insister sur deux points. Tout d'abord, les préfets ont, comme tout responsable public, une fonction pédagogique et explicative. Ensuite, je suis frappé d'observer les différences entre les préfectures, dont certaines sont des « bunkers » alors que d'autres s'apparentent plus facilement à nos mairies. Même si des problèmes de sécurité peuvent se présenter, je crois que nos préfectures ne doivent pas être des « bunkers ».
J'ai enfin deux questions à vous poser : Avez-vous une idée du nombre de membres du corps préfectoral qui l'ont quitté afin de rejoindre l'administration territoriale ? En votre qualité de président européen des représentants territoriaux, quels enseignements tirez-vous de cette présidence européenne ?
M. Claude Bérit-Débat. Élu local depuis plusieurs années et président d'agglomération depuis 2001, j'observe, qu'à cette époque, l'État disposait du pouvoir d'imposer l'entrée d'une commune au sein d'une intercommunalité. Aujourd'hui, on dispose du schéma de coopération intercommunale qui peut ainsi être présenté par un autre préfet, dix ans après, avec une même problématique. Avec le turn over des membres du corps préfectoral, le représentant de l'État aura-t-il une vision identique du sujet dans quelques mois ?
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Dans le même esprit, en 2001, nous avons été forcés d'entrer dans une intercommunalité, dessinée par un préfet et dont le tracé était guidé par le président de région. Aujourd'hui, par un amendement puis une décision de justice nous ayant donné raison, nous avons pu sortir de ce mariage non consenti et construire une nouvelle intercommunalité où tout se passe désormais au mieux.
M. Jean-Claude Peyronnet. Il y a une idée reçue qui n'est pas forcément une idée juste, selon laquelle, par principe, les préfets seraient objectifs parce qu'ils représentent l'État, par opposition aux élus, politiques par principe. Pour ma part, pendant vingt-deux ans de mandat à la présidence d'un conseil général, je demandais une seule chose aux préfets successifs, à savoir d'être objectifs, afin que l'État ne perde pas sa crédibilité. J'avais quelques raisons de dire cela dans la mesure où, dans mon département, j'ai connu des préfets et des sous-préfets, certes de qualité, mais dont un est devenu député et un autre avait dépassé les bornes en privilégiant ouvertement le département de la Corrèze ainsi que les communes de droite pour faire de la préfecture le lieu habituel des réunions d'un parti politique.
Par ailleurs, je souhaiterais connaître votre sentiment sur l'évolution des sous-préfets, qui me semblent de moins bonne qualité qu'auparavant.
M. Jacques Mézard. J'ai le même sentiment que M. Jean-Claude Peyronnet quant à la qualité du corps préfectoral - en dehors des préfets qui sont issus de formations d'excellence et qui ont de l'expérience. Nous faisons souvent, en France, le « procès » de l'ENA, mais il y a trente ans, le directeur de cabinet du préfet du Cantal sortait directement de cette école. Depuis une trentaine d'années, le niveau, tant des préfets que des sous préfets, n'est plus le même.
Quant à la réflexion de M. Jean-Claude Peyronnet sur l'impartialité de l'État, il est, en effet, indiscutable qu'elle varie selon les préfets. Le siège de l'UMP, je l'ai quasiment connu dans mon département. Il y a des moments où nous nous demandons si nous sommes des parlementaires ou des sous-parlementaires.
M. Daniel Canepa. Un certain nombre de vos réflexions ont finalement porté sur des points majeurs pour le corps préfectoral et le président de l'association. Au fond, la question est de savoir comment obtenir un préfet qui soit de « qualité » ? Je pense que trois composantes sont essentielles : la personnalité, le parcours, et les conditions de choix dans le recrutement ou dans la nomination.
La personnalité est fondamentale. Avant de nommer une personne préfet, il faut s'assurer qu'elle ait au moins trois qualités : le courage, le respect de l'interlocuteur (écouter, comprendre et analyser les arguments avancés, etc.) et le sens de la pédagogie. Ces qualités ne sont pas les seules, mais elles me paraissent essentielles lorsque l'on procède à une nomination.
La deuxième composante d'un préfet de « qualité » est le parcours. C'est d'ailleurs assez curieux : dans tous les métiers, nous demandons une certaine expérience, alors que dans celui-ci, à un certain moment, nous estimons que ce n'est pas nécessaire. Or, je m'inscris en décalage par rapport aux habitudes, de droite et de gauche, consistant à nommer, parfois, des personnes pour des raisons autres que leur parcours précédent. Lorsque nous détectons des gens de qualité, susceptibles de devenir préfet, j'estime qu'il faut les placer dans un sas de responsabilités, en tant que sous-préfet, et à des postes exposés, pour vérifier s'ils correspondent aux critères de qualité que je viens de développer. Or, ce n'est pas toujours le cas, et je le regrette en tant que président de l'association.
Concernant la neutralité, je pense que le préfet ne doit pas être sans « odeur » ni « saveur ». Il faut avoir du caractère pour endosser de telles responsabilités : c'est un métier où nous sommes seuls, solitaires, et où nous avons une totale liberté - malgré les apparences - en tout cas, celle que l'on veut bien se donner ou prendre. Et effectivement, il y a un risque, comme dans toutes responsabilités, celui d'apprendre sa mutation soudaine un mercredi, jour de nomination des préfets. Avoir du caractère est une nécessité pour traiter les gens comme ils doivent l'être, c'est-à-dire avec équilibre et intelligence, en fonction de ce qu'ils portent comme projet et non en fonction de leurs étiquettes. C'est ma déontologie du métier.
Après, vous me direz que vous avez rencontré M. X et Mme Y qui ne correspondent pas à cette description. Bien sûr, mais dans tous les métiers il existe des différences, il y a des bons et des moins bons. J'entends bien qu'il faudrait qu'il n'y ait que des bons et être plus attentif au moment du recrutement. Je peux vous assurer que, durant les trois années où j'ai exercé mes fonctions de secrétaire général au sein du ministère de l'Intérieur, je n'ai jamais proposé quelqu'un de médiocre. Je n'ai jamais transformé mon bureau en officine de qui que ce soit. Ma conviction, c'est qu'à partir du moment où vous donnez une certaine image, vous avez en retour le respect qui fait que l'on ne vous sollicite pas de manière excessive et anormale.
Quant au nombre de préfets ou de membres du corps préfectoral qui ont intégré des collectivités territoriales, je ne peux pas vous le renseigner. Il y en a eu beaucoup en 1982/1983, il y en a peu aujourd'hui. C'est une bonne chose qu'il y en ait moins, mais il en faut. Nous assistons à une amélioration très nette de la qualité des administrateurs territoriaux. Cela n'empêche pas les turn-over, et, d'ailleurs, certains administrateurs territoriaux viennent dans le corps préfectoral pour y travailler quelques années, voire y demeurer.
Dans le corps des sous-préfets, vous avez parlé d'une dégradation. Vous avez, en partie, raison. C'est un sujet extrêmement lourd. J'ai la conviction, partagée au niveau de l'association - et elle va à l'encontre de ce que vous pensez vraisemblablement - que la carte des arrondissements n'est plus adaptée, actuellement, à un bon recrutement. Aujourd'hui, il est extrêmement difficile de dire à son époux ou son épouse que vous partez dans une ville à faible population, que vous allez y rester un peu plus longtemps que la durée habituelle - trois à quatre ans, le turn-over ayant ralenti. Or, comme votre conjoint(e) a une autre profession, vous vivrez séparés. Lorsque j'étais sergent recruteur à la sortie de l'ENA en tant que membre du corps préfectoral, j'ai entendu des jeunes femmes me confier qu'elles aimeraient exercer ce métier, mais qu'elles ne pourraient pas parce qu'elles avaient envie d'avoir une vie de famille. C'est la réalité. Nous ne pouvons pas vouloir une chose et son contraire. En clair, nous voulons améliorer la qualité du métier en diminuant le nombre de postes et en fermant des sous-préfectures. C'est un sujet qui nous oppose avec le ministère, car modifier la carte des arrondissements n'est pas très populaire. Je le comprends et le conçoit, mais si nous ne le faisons pas, la situation continuera à se dégrader.
M. Claude Belot. Qu'en est-il de l'hypothèse de la suppression de la carte des arrondissements ?
M. Daniel Canepa. Je pense que ce serait une erreur de la supprimer, à la fois pour l'État et pour vous, élus. L'avantage du corps préfectoral, c'est justement d'être au niveau le plus proche et d'avoir ce lien avec le territoire. Nous sommes la dernière administration à avoir ce lien, suite aux regroupements effectués dans le cadre de la réforme de l'administration territoriale de l'État. Les fonctionnaires s'éloignent du territoire ou, du moins, se recoupent au niveau départemental ou régional. Je pense que c'est une qualité qu'il faut conserver, mais, pour cela, il faut que les hommes soient de qualité, et pour qu'ils soient de qualité, il faut avoir une réflexion de fond. Il faut également leur donner un certain nombre d'assurances sur le métier qu'ils vont exercer demain, sur sa richesse et sur leur évolution de carrière.
Concernant l'association des représentants territoriaux de l'État, je ne resterai pas longtemps président puisque c'est un turn-over encore plus rapide que pour les préfets. Nous en avons généralement la présidence lorsque nous invitons l'ensemble des représentants territoriaux de l'État. Je les ai invités pour parler du fait métropolitain les 14 et 15 mars 2012. Cette association nous permet de voir la diversité des organisations territoriales de l'État (État fédéral, État unitaire, représentants de l'État élus et représentants de l'État nommés, etc.). Et pourtant, sur les thèmes que nous traitons, il y a des convergences tout à fait intéressantes. C'est passionnant. Au fond, dans chacun des pays membres de l'association, il y a la volonté de se réformer pour essayer d'avoir une organisation la plus optimale possible. Cela démontre que personne ne détient la vérité et qu'il y a une sorte de rapprochement, en quelque sorte, entre des États jacobins, comme la France, et des États extrêmement décentralisés, voire des États fédéraux. Au travers de cette approche totalement différente, il y existe de réelles recherches de convergence. L'État fédéral s'interroge à un moment donné sur son existence et sur le risque majeur que cela représente pour son existence même, au niveau de l'État, mais aussi au niveau de la gestion des personnes dont il a la charge ; et dans un État centralisé, il y a une nécessité de laisser s'exprimer les forces de la nation.
Concernant l'intercommunalité, je souhaite rappeler qu'au sein du Comité Balladur, dans lequel je siégeais, il y avait unanimité entre la droite et la gauche pour dire, premièrement, qu'il fallait revisiter l'intercommunalité et faire en sorte qu'elle soit viable et, deuxièmement, qu'il n'y aurait jamais d'accord absolu sur l'ensemble du territoire pour couvrir ce dernier d'intercommunalités en totalité. In fine, il faudra donner le dernier mot au préfet, puisqu'il y aura des territoires où aucun accord n'aura été trouvé.
M. Claude Belot. Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions avec votre expérience et votre sagesse. Pour avoir connu, dans mon département, une douzaine de préfets, j'ai reconnu, dans ce que vous avez dit, les gens avec lesquels j'ai eu l'occasion de travailler et que je rencontre encore aujourd'hui. Je n'ai connu qu'un préfet, qui a fait une école prestigieuse, et qui, dans la vie, était intelligent mais « trouillard ». Les dossiers « dormaient », et, en tant que président de conseil général, j'étais là pour le réveiller de temps en temps. Mais dans l'ensemble, les choses se passent bien et nous travaillons avec des gens de qualité.
Vous avez évoqué les problèmes des sous-préfets, concernant les carrières et les exils. Je ne suis pas convaincu que ce soit vécu avec autant de tristesse. En revanche, ce qui me frappe, c'est le développement des « turbos préfets » dans le corps préfectoral des régions mais aussi des départements : les préfets ne s'installent plus avec leur famille dans le département ou la région. Avec le TGV, ils rentrent chez eux plus facilement, et les familles restent donc à Paris. À ce moment-là, le préfet n'étant plus installé sur le territoire, il est souvent absent. C'est un phénomène sociologique lourd, que nous retrouvons dans les plus hautes fonctions préfectorales, mais aussi au niveau des sous-préfets.