ANNEXES
Examen du rapport par la Délégation, le 28 juin 2011
La délégation procède à l'examen du rapport de M. Edmond Hervé, rapporteur, sur le bilan de la décentralisation.
M. Edmond Hervé, rapporteur. Avant d'entrer dans le vif du sujet, je veux procéder à des remerciements :
- à vous tout d'abord, monsieur le président, qui, non seulement, avez confirmé notre entreprise, mais l'avez favorisée y compris en nous recevant dans votre département et à Jonzac ;
- à tous nos collègues qui nous ont accompagnés et reçus, notamment Yves Détraigne et Antoine Lefèvre ici présents. Nous nous sommes rendus dans dix-sept départements ;
- à toutes les personnes auditionnées, qui ont témoigné de leur compétence et de leur disponibilité.
La présentation de notre rapport se fera en deux parties. Tout d'abord, nous ferons une synthèse du rapport proprement dit, puis, nous vous résumerons nos vingt et une propositions.
Le rapport proprement dit se divise en deux parties : la première est intitulée « la richesse des textes » et la seconde est intitulée « les évidences ».
J'ai choisi, en introduction, de montrer que la décentralisation n'était pas née au début des années 80, mais qu'il s'agit d'un long processus puisque, déjà, en 1789 un débat initié par Mirabeau avait abouti à un équilibre entre le rationalisme départementaliste et le respect des communes. C'est un élément majeur de notre culture et de notre histoire, sans oublier les avancées successives bien avant les lois Defferre : sous la III e République, avec la grande loi de 1884 portant charte des communes ; sous la IV e République, en particulier avec la Constitution de 1946 qui a consacré en son sein le principe de libre administration des collectivités locales ; sous la V e République, qui a notamment vu la création des districts urbains et de la région en tant qu'établissement public, et précisé que l'échec du référendum sur la régionalisation, décidé par général de Gaulle en 1969, n'était pas vraiment dû à la décentralisation.
La première partie de mon rapport est consacrée à la richesse des textes. Pour en effectuer l'analyse, j'ai choisi de m'en tenir aux principaux documents généraux, institutionnels intéressant la métropole de 1982 à 2010. Ces documents, ce sont les textes législatifs, les débats et les rapports divers susceptibles de les éclairer. Dans un souci d'objectivité, j'ai suivi un ordre chronologique. En conclusion de cette première partie, je propose différentes classifications :
- selon une première classification, nous pouvons distinguer une période fondatrice, dans la première moitié des années quatre-vingt, puis une période de consolidation et de stabilisation et, plus récemment, une période de rupture ou d'innovation ;
- on peut aussi distinguer une période pragmatique puis une période doctrinale ;
- une autre classification nous permet de distinguer une période où la décentralisation a mis l'accent sur les élus et les citoyens puis une période, les années 2003-2010, que je qualifierai de globalité et qui a notamment été marquée par la révision de la Constitution (ce qui correspond à une approche nationale) et les réformes de la taxe professionnelle et de décembre 2010 (dans le cadre desquelles l'approche des collectivités territoriales a été mise au service d'une approche nationale, d'ordre économique, liée en particulier à la maîtrise des déficits publics).
Nous tirons un certain nombre d'enseignements de l'examen de ces textes : tout d'abord, leur grande richesse ; ensuite, les limites du droit, car il ne suffit pas de décréter des règles pour qu'elles vivent ; enfin, les périodes marquantes et qui durent sont toujours celles qui s'identifient par l'équilibre, comme sous la période révolutionnaire ou encore lors de l'élaboration des lois Defferre.
Le thème de la seconde partie de ce rapport concerne « les évidences ». Nous en avons relevé sept principales, parmi lesquelles nous opérons une distinction entre les évidences négatives et les évidences positives :
- au nombre des évidences négatives, il y a d'abord un oubli qui me paraît important : la fonction économique et redistributive des collectivités territoriales est trop souvent occultée. Il y a aussi des illusions : je pense à la notion de « blocs de compétences » ; je pense aussi à la constitutionnalisation de certains principes, car il ne suffit pas, par exemple, d'inscrire dans le marbre le principe d'autonomie financière pour que celui-ci soit effectif. Enfin, nous soulignons l'absence de réforme fiscale locale, souvent réclamée mais qui n'a en réalité jamais eu lieu ;
- au nombre des évidences positives, il y a la transformation du paysage territorial avec la coopération intercommunale ou la régionalisation. Il y a aussi les chances de transformations du département. J'ajouterai également la fantastique mutation de la fonction publique territoriale, riche en personnels de qualité et qui s'est dotée de solides dispositifs de formation. Enfin, je citerai les nombreuses contributions à la formation d'un accord qui dépasse les clivages politiques, traduites dans différents rapports (Mauroy, Mercier, Belot, Balladur...) issus de différentes institutions (Assemblée nationale, Sénat, Conseil économique, social et environnemental...).
J'en viens à présent aux propositions du rapport :
1. Nous nous sommes dotés de principes constitutionnels : principe de décentralisation (art. 1 er ), principe de libre administration (art. 34), principe d'existence (art. 72), principe d'autonomie financière (art. 72-2), principe de non-tutelle (art. 72 alinéa 5), principe d'expérimentation (art. 72 alinéa 4), principe de subsidiarité (art. 72 alinéa 2), droit au pouvoir réglementaire (art. 72 alinéa 3)... Tant qu'ils demeurent, nous devons les rappeler, les faire vivre, en nous y référant et en assurant leur contenu.
A cet égard, je voudrais souligner que nous sommes dans un État unitaire et non pas dans un État fédéral : le contenu de ces principes dépend de la loi. Vouloir, par exemple, inscrire les compétences de l'État ou des collectivités territoriales dans la Constitution n'est pas une solution adaptée à un État unitaire. D'ailleurs, l'observation pratique montre qu'il y a de moins en moins de différences entre ces deux types d'État.
2. Il conviendrait, dans le respect de la vie associative, de mettre en oeuvre l'article 53 de la loi Administration territoriale de la République (ATR) du 6 février 1992 prévoyant la création d'un institut des collectivités territoriales et des services publics locaux.
La multiplication d'organisations représentant nos collectivités territoriales ne facilite pas l'expression de l'unité dans notre pays. Il en est de même au niveau de l'État : les acteurs n'ont pas toujours les mêmes références lorsqu'ils s'intéressent aux collectivités territoriales ; par exemple, l'Observatoire des Finances locales et la Cour des comptes ne donnent pas les mêmes chiffres sur les montants des investissements des collectivités locales.
Un Institut des collectivités territoriales permettrait de disposer de données uniformes. Cela participerait du souci de favoriser la modernisation et la cohérence de la décentralisation, le bon fonctionnement des services publics locaux, de la démocratie locale, et le dialogue des collectivités territoriales entre elles et avec l'État. C'est un besoin qui a souvent été exprimé tout au long de ces trente dernières années, notamment dans des rapports signés par Claude Martinand (janvier 1986), Michel Bernard (juillet 1988), Jean-Louis Langlais (avril 1989), Humbert Battist (juillet 1983) ou moi-même (octobre 1990). Il a été proposé de créer une « agence de la décentralisation » ou un « haut conseil des territoires »... Peu importe le titre, ce sont les fonctions qui comptent. Au service de tous et notamment des associations d'élus (très nombreuses) le travail de cette organisation devrait faciliter leur coopération avec l'État et permettre de rapprocher les points de vue, sans se substituer aux parlementaires.
3. Ensuite, il faut restaurer le dialogue entre l'État et les collectivités territoriales. Nous nous référons sur ce point au rapport de nos collègues Jacqueline Gourault et Didier Guillaume. De nombreuses instances existent : la conférence nationale des exécutifs, le comité des finances locales, la commission consultative d'évaluation des charges (CCEC), la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN), la conférence nationale des finances publiques, le conseil d'orientation des finances publiques...
Mais il convient de s'interroger sur le nombre et la compétence de ces commissions, comités et conférences. On peut par exemple se demander si la grande réforme de la taxe professionnelle à donné lieu au sein de la Conférence nationale des exécutifs à des discussions à la hauteur de l'enjeu.
Les contraintes budgétaires et financières obligent à un dialogue, à la concertation et à la contractualisation. Dans un souci d'efficacité et de coordination, on pourrait imaginer que ces commissions deviennent des instances spécialisées du Comité des Finances locales, comme le sont la CCEN et la CCEC. Cette institution pourrait ainsi « chapeauter » ces différentes commissions.
Au niveau local, la conférence des exécutifs régionaux et départementaux doit être obligatoire et effective.
4. Il faut affirmer la priorité de la relation contractuelle, dans le cadre de la loi, entre l'État et les collectivités territoriales d'une part, et entre les collectivités territoriales et leurs établissements d'autre part.
5. Le département, s'il veut demeurer, doit aussi se moderniser. Il doit ainsi devenir le « Sénat des communautés » en réunissant des élus émanant de circonscriptions communautaires, et en assumant une double mission de solidarité sociale et territoriale.
Au titre de cette dernière, il faut tirer les conséquences de la RGPP. Le département, en tant que collectivité territoriale, doit pouvoir mettre à disposition des communes et communautés qui le souhaitent une capacité d'expertise et de conseil en lien avec l'État, les collectivités décentralisées et leurs établissements, la chambre régionale des comptes, le tribunal administratif et les organismes privés compétents. En tout état de cause, il y a place au niveau départemental ou régional, pour un organisme « conseil-expert-service » auprès des collectivités et de leurs établissements. Il pourrait prendre la forme d'une « agence territoriale », mais d'autres formes sont tout à fait concevables.
6. Il est absolument nécessaire ensuite de reconnaître la fonction économique et redistributive des collectivités territoriales et de leurs établissements. Il ne faut pas oublier que ces dernières années, la part des collectivités territoriales dans le PIB est passée de 8 % à 11 %. Celles-ci ont donc une capacité d'entraînement notamment en matière de transport, de logement, ou encore de maîtrise de l'énergie.
7. La libre administration des collectivités territoriales suppose également qu'une partie des ressources de celles-ci repose sur le respect du principe de l'autonomie fiscale. L'abandon de ce principe constituerait une rupture car, historiquement, toutes nos collectivités territoriales, depuis le Moyen Age, se sont constituées à partir de l'affirmation d'une liberté fiscale locale.
La justice fiscale commande en outre, et en priorité, la révision des valeurs cadastrales qui doit se faire à un niveau cohérent (celui qui est le plus souvent mentionné étant le territoire intercommunal).
La taxe d'habitation devrait également avoir une assiette incluant les revenus et retrouver une progressivité tenant compte de la capacité contributive des intéressés.
8. La région doit, pour sa part, retrouver une autonomie fiscale.
En tant qu'autorité organisatrice des transports, il serait logique qu'elle puisse percevoir une part du versement transport, le montant total de celui-ci étant encadré. Dans ce même souci d'autonomie fiscale, la région pourrait percevoir une part de la TVA, sous réserve d'euro-compatibilité de la mesure.
9. Le département doit, quant à lui, être en charge d'une mission de solidarité sociale, mais le financement des allocations de solidarité individuelle définies par la loi doit bien relever de l'impôt national (avec, cependant, un « ticket modérateur » à la charge du département).
10. La crise politique et la crise fiscale étant liées, il est ensuite proposé, tout en respectant le principe de la capacité contributive des personnes, de limiter au maximum les exonérations fiscales.
Le divorce citoyen-contribuable fait en effet courir des dangers à notre société et à la démocratie. Je suis d'ailleurs très inquiet de l'évolution de la citoyenneté, notamment de la progression de l'abstentionnisme en France. C'est pourquoi je suis d'avis que toutes les personnes s'acquittent, même symboliquement, d'un impôt.
11. Nous devons créer de véritables dispositifs de péréquation.
La commission des Finances du Sénat travaille actuellement sur ce point.
Il y a un préalable à une péréquation juste et efficace : le calcul de la richesse des collectivités territoriales. Ce préalable renvoie, lui aussi, à la révision des valeurs cadastrales.
Par ailleurs, je suis d'avis que le niveau de base de la péréquation verticale doit être les communautés.
12. Nous devons favoriser l'application du titre III de la loi du 16 décembre 2010 relatif au « développement et à la simplification de l'intercommunalité ». Nous devons ainsi veiller à la cohérence entre les différents schémas, projets ou plans ; favoriser la coopération entre collectivités ; favoriser la coopération transfrontalière en désignant une autorité déconcentrée unique.
13. Il convient de conjuguer critères quantitatifs et qualitatifs pour définir les métropoles.
La loi du 16 décembre 2010 a retenu des critères quantitatifs (seuils de population) pour la constitution de métropoles. Cette logique purement arithmétique doit être complétée par la prise en compte de paramètres qualitatifs (recherche, développement technologique...), de nature à donner du sens à une initiative tendant à créer une métropole.
14. Il faut renforcer la fonction stratégique de la région en donnant un caractère réglementaire à ses différents schémas territoriaux, devenant ainsi opposables. Bien entendu, cela doit se faire sans préjudice du pouvoir règlementaire du Premier ministre.
15. Nous devons impérativement valoriser et renforcer la fonction publique territoriale et le service public local : en sensibilisant les jeunes diplômés au service public territorial ; en favorisant la préparation aux concours de la FPT ; en assurant un niveau de financement satisfaisant du CNFPT ; en favorisant la fluidité entre les filières de la FPT, entre les trois fonctions publiques ; en développant les collaborations INET-ENA pour la formation initiale et continue des hauts fonctionnaires de l'État et des collectivités territoriales ; en ouvrant l'enseignement supérieur aux cadres territoriaux et aux élus ; en enrichissant la maîtrise d'ouvrage publique.
16. Il convient d'assurer les autorités déconcentrées (tout spécialement l'autorité préfectorale) d'une certaine stabilité utile, à la représentation de l'État, à la connaissance, au dialogue et à l'action. Les élus locaux sont très attachés à la décentralisation, mais aussi à la présence de l'État et à la stabilité de ses représentants : il n'est pas admissible qu'un préfet reste à peine six mois dans un département.
17. Il appartient aux responsables administratifs et politiques, dans le respect de leur statut, de s'investir dans une pédagogie civique fondée sur la proximité. Cette proposition est en lien direct avec la dérive que je constate en matière de citoyenneté : les acteurs publics peuvent contribuer à inverser les choses et il est de leur devoir de le faire.
18. Nous devons faire vivre pleinement les politiques d'information, de consultation, de participation et d'orientation pour redonner du dynamisme à la société civique.
J'ai constaté avec une grande satisfaction que le dernier rapport du Conseil d'État portait en partie sur les rapports au public, les politiques participatives, les consultations délibératives. J'estime que les textes existants dans ces domaines sont de bons textes ; il faut simplement les mettre en oeuvre.
Dans mon rapport, je fais état d'analyses quantitatives et des différentes propositions qui ont été faites. Et je ne vois pas pourquoi il a fallu attendre une loi pour mettre en place des comités consultatifs dans les villes de plus de 80 000 habitants.
19. Il faut faire participer les tribunaux administratifs et les chambres régionales des comptes à une fonction conseil dans le champ de la décentralisation.
Je reprends ici l'une des propositions de M. Mauroy. J'estime que les tribunaux administratifs et les chambres régionales des comptes doivent avoir une fonction de conseil dans le champ de décentralisation. Ce n'est pas une fonction de conseil particulière sur un projet ou une délibération, mais un avis général. Le Conseil d'État est le conseiller du Gouvernement et du Parlement. Je trouverais tout à fait normal que les chambres régionales des comptes et les tribunaux administratifs aient cette fonction de conseil pour les collectivités territoriales. Reste à déterminer qui pourrait les saisir. Concernant les chambres régionales des comptes, j'ai été très heureux de constater que, au départ critiquées, elles sont aujourd'hui plébiscitées.
20. Il nous faut ouvrir plus largement les corps d'inspection générale aux administrations territoriales et leur donner des missions de conseils aux collectivités territoriales.
21. Enfin, il faut reprendre l'initiative législative parlementaire pour des textes à thème unique.
En matière de décentralisation, les lois doivent être spécifiques, thématiques. Je pense par exemple qu'il faudrait une loi spécifique sur la formation professionnelle et la décentralisation, ou encore sur la décentralisation et la santé. Je suis frappé de voir les critiques adressées aux agences régionales de santé (ARS) comme éléments de centralisation. Et bien évidemment, sur un territoire marqué par une extrême diversité, il faut avoir suffisamment de confiance pour laisser une certaine respiration dans l'application des lois. Voilà, monsieur le président, un résumé de mon rapport.
M. Claude Belot, président. Monsieur Hervé, vous êtes riche d'une longue expérience publique. Vous vous êtes d'abord impliqué dans l'évolution de l'un des territoires de notre pays puis dans celle de notre pays dans son ensemble. Vous nous avez fait part de vos convictions, sur le rôle fort que doivent jouer les collectivités territoriales - une conception que je partage - et sur la nécessité d'un État fort. Ce qui n'empêche pas pour autant une grande liberté d'action des collectivités territoriales.
Je tiens à dire que je souscris à la quasi-totalité des propositions et qu'aucune ne me choque.
Le débat s'ouvrira dans quelques instants et va honorer notre délégation et le Sénat. Je parle sous le contrôle de nos collègues : depuis un certain temps, on voit arriver à maturité au sein de la délégation toute une réflexion, conduite par les uns ou par les autres. Tout cela représente une belle moisson d'intelligence et de volonté d'action. Ce travail s'inscrit dans cet esprit. Je tiens à vous remercier pour ce travail de 300 pages. J'ai le souvenir de rapports tirés à 500 exemplaires, dont 400 prenaient la poussière dans la bibliothèque, ici ou là. Aujourd'hui, avec internet, les rapports ont un énorme écho, et souvent dans des endroits où l'on ne s'y attendait pas. Ce que nous faisons est très important. Par ailleurs, la réflexion que mène la délégation montre également que le Sénat sait anticiper de quinze ans, vingt ans les débats futurs.
M. Yves Détraigne. Tout d'abord, quelques mots de félicitations pour notre collègue Edmond Hervé qui a fait un énorme travail. Dix-sept départements visités, c'est considérable.
Je crois que ce travail, à travers les vingt et une propositions qui sont faites, montre, d'une certaine manière, que les collectivités n'ont pas si mal travaillé jusqu'à présent, que ce soit les communes, les intercommunalités, les départements ou les régions. Car, en fait, les propositions sont pour l'essentiel un rappel. En effet, ce ne sont pas forcément des principes nouveaux qui sont affirmés ici mais c'est la réaffirmation de principes qui, depuis une trentaine d'années, ont porté leurs fruits.
Le paysage local a beaucoup changé et les collectivités territoriales ont contribué à faire évoluer notre territoire. Il n'y a rien de révolutionnaire dans ce qui est proposé. On peut adhérer à l'essentiel.
Il y a peut-être un point sur lequel j'appelle à une certaine prudence : c'est la proposition 18, « faire vivre pleinement les politiques d'information, de consultation, de participation et d'orientation pour redonner du dynamisme à la société civique ». Je suis tout à fait d'accord sur la nécessité de faire vivre pleinement les politiques d'information et de redonner du dynamisme à la société civique. Je suis néanmoins plus prudent sur les politiques de consultation, car la multiplication des différents conseils de quartier, des référendums locaux, ont fini par faire croire à nos concitoyens que la démocratie directe a remplacé la démocratie représentative. Au bout du compte, dans de nombreux cas aujourd'hui, l'autorité des conseils élus, qui ont la légitimité du suffrage universel pour exercer leurs fonctions, est remise en cause par un petit groupe de mécontents regroupés en association. Ainsi aujourd'hui, il est parfois plus difficile qu'il y a une dizaine d'années de mener à bien un projet. Il faut mettre l'accent sur la politique d'information, car il ne faut pas que nos concitoyens se désintéressent de la politique. Mais il faut trouver le juste milieu pour que les conseils élus disposent d'un pouvoir de décision, éclairée certes, mais un pouvoir de décision.
Votre proposition 5 en appelle à la mise en place, par exemple sous la forme d'une agence, à un organisme local de « conseil-expert-service » auprès des collectivités et de leurs établissements. C'est quelque chose de tout à fait important et innovant. Nous devons en effet tirer les conséquences d'un désengagement de l'État : pendant vingt ans, la décentralisation a été mise en oeuvre sans que l'État en ait tiré toutes les conséquences. Par exemple, l'État a continué à assurer l'essentiel de l'instruction des documents en matière d'urbanisme, alors que depuis trente ans, les autorisations de l'urbanisme sont délivrées au nom de la commune et pas au nom de l'État. Aujourd'hui, l'État se retire du fait du déficit de la prestation de services qu'il fournissait et les communes doivent se prendre en main, alors qu'elles profitaient de manière assez confortable d'un service gratuit de l'État. Or, je ne suis pas sûr que toutes les collectivités territoriales soient prêtes.
A cela s'ajoute mon expérience d'élu marnais : on a eu une perte de compétence. C'est certain du côté de l'État, car il n'y a plus, localement, les services pour assurer le conseil ; le contrôle de légalité a été fortement réduit.
C'est pourquoi il est important que les collectivités territoriales s'organisent pour mettre en place un service ou un organisme de conseil, d'expertise et d'assistance. Les formes envisageables peuvent être diverses : cela peut passer, comme dans le département de la Marne, par un conseil dispensé par l'Association des maires ; cela peut être confié à une agence, départementale ou régionale... L'essentiel est que cela soit fait. Il est nécessaire de le mettre en place du fait du recul de l'État, qui assurait jusque là une surveillance, au bon sens du terme, de ce que faisaient les collectivités territoriales. Cela ne va pas coûter des millions, mais c'est fondamental pour continuer à travailler en évitant des écueils juridiques. Ce rapport a le mérite de rappeler certains principes qui ont fait leur preuve.
M. Claude Belot. Rien ne nous empêche de faire ce qui est proposé. Il suffit que quelqu'un, au département ou ailleurs, prenne cette initiative. Je l'ai fait dans mon département. Cela se passe très bien, très simplement et ne coûte pas cher. À titre d'exemple, nous avons un syndicat qui s'occupe depuis longtemps de la voirie pour l'ensemble du département ; quand l'État s'est retiré du conseil à la voirie pour les communes, nous avons embauché les meilleurs de ses employés et, aujourd'hui, dans un département assez vaste, nous réalisons avec cinq ou six personnes le travail que faisait l'État. Le montant des prestations n'a pas été augmenté, et la marge du syndicat n'a pas diminué. Le travail est effectué par des personnes de qualité, qui savent ce qu'est le service public. Le droit français est ainsi conçu que si l'on veut prendre des responsabilités, on peut le faire.
M. Antoine Lefèvre. Je voulais, à mon tour, remercier et féliciter notre collègue pour son rapport. J'ai eu la chance et le plaisir de le recevoir dans l'Aisne avec notre collègue Yves Daudigny et de l'accompagner dans certains déplacements. Ce rapport est une bonne bouffée d'oxygène, très optimiste dans les pouvoirs locaux. Je crois que l'on a besoin, notamment après tous les débats qui ont été tenus pendant la récente réforme territoriale, de voir ce qui marche bien et ce qui peut être amélioré.
Il y a deux propositions sur lesquelles je tenais particulièrement à exprimer mon plein accord.
D'abord, sur la stabilité du personnel préfectoral : on a en effet besoin de représentants de l'État disponibles et stables.
Ensuite, je trouve intéressant et original de proposer que les chambres régionales des comptes et les tribunaux administratifs ne soient pas réduits à des fonctions de juge et de censeur, ou de sanction de nos gestions. On se rend d'ailleurs compte qu'ils n'ont pas toujours de connaissances précises sur notre mode de gestion dans les collectivités. Cette expertise que propose le rapporteur éviterait bien des soucis. Par ailleurs, cela permettrait une compréhension réciproque : nous, élus, pourrions utiliser de leurs compétences et eux, par une implication renforcée, auraient une meilleure connaissance de nos pratiques locales.
J'espère que ces propositions pourront être suivies dans les faits.
M. Philippe Dallier. Je partage également beaucoup des propositions qui sont faites.
Cependant, la proposition numéro 2 me gêne un peu. On parle d'un institut des collectivités territoriales, d'un haut conseil des territoires, peu importe l'appellation : il est dit que seul le contenu compte.
J'ai envie de poser la question : « et le Sénat dans tout cela ? » Nous avons déjà évoqué en termes plus généraux « l'agenciation » de l'État. On crée de plus en plus de comités, d'agences, de commissions. On dit qu'il faut rationaliser, mais il ne se passe pas une session parlementaire sans que l'on ne crée un comité de quelque chose.
Lorsque l'on parle des collectivités locales, il me semble que c'est d'abord le Sénat qui doit être le lieu de débats privilégiés. Or, j'ai parfois l'impression que ce rôle qui doit être le sien s'efface peu à peu. C'est particulièrement vrai en matière de finances locales, avec le poids pris par le comité des finances locales. Je le regrette. Ce type de débat devrait être organisé au Sénat. Cela ne veut pas dire qu'il aurait un monopole sur les thèmes concernant les collectivités territoriales, mais cela vaut le coût de s'interroger sur le rôle du Sénat. Peut être est-ce la prochaine question à se poser afin de faire vivre au mieux la décentralisation. Je souhaiterais pouvoir récupérer au Sénat une partie du pouvoir qui a peut-être été dans cette maison autrefois. Il y a les communes, les intercommunalités, les associations, les régions, les départements, les comités des finances locales... Et au bout du compte, le rôle fédérateur du Sénat semble s'effilocher au fil du temps.
M. Claude Belot. J'ai un long vécu du Sénat. Je ne partage pas ce sentiment. Pendant longtemps, il n'y a pas eu au Sénat les débats de fond qui s'y tiennent depuis quelques années sur ces sujets. Le Sénat est le fruit d'une alchimie complexe entre les collectivités locales de France, la vie politique, et les réalités des unes et des autres
Le Sénat est un des acteurs de l'élaboration du droit français, mais il n'est bien sûr pas tout seul en piste.
Il n'est pas contestable que le Sénat doit être très actif sur le sujet des collectivités territoriales, qu'il doit être force de propositions. C'est ce que nous sommes aujourd'hui : on a quand même sorti des choses qui reçoivent un véritable écho, depuis deux ou trois mois ; nous avons traité de questions qui ont eu un certain retentissement, dont on nous parle, et qui inspirent aussi la prose des élus locaux, parce que tout ce qui se dit ici se retrouve dans les différentes revues.
Le Sénat existe grâce à des individus, et ce depuis un certain nombre d'années. Avec la Délégation, il existe de façon plus institutionnalisée : demain, avec le président du Sénat, nous tenons une conférence de presse sur les nouveaux contours de l'intercommunalité ; nous sommes en pleine actualité, puisqu'on fait l'état des réflexions qui se déroulent, au moment où nous parlons, dans les départements.
Parallèlement, je crois qu'il faut un organisme, qui ne peut pas malheureusement être le Sénat, qui puisse parler au nom de toutes les collectivités et au sein duquel nous n'ayons pas les départements contre les régions, les maires ruraux contre les maires des villes... et dont l'expertise irait beaucoup plus loin que celle dont disposent actuellement les associations d'élus.
J'ai le sentiment que la capacité d'expertise est beaucoup plus grande à la direction générale des collectivités locales (DGCL) qu'elle ne l'est dans les associations d'élus. J'ai essayé de comprendre la situation sur les transferts liés à la disparition de la taxe professionnelle - il y a des choses qui m'interpellaient : les associations d'élus que j'ai interrogées n'ont pas pu me donner un seul élément d'explication, parce qu'elles n'avaient pas la matière nécessaire. Il a donc fallu que je me tourne vers le directeur général des collectivités locales en personne. Cela veut dire qu'il n'y a, dans le dispositif institutionnel français tel qu'il fonctionne aujourd'hui, aucun lieu où l'on puisse mener, avec la capacité d'expertise voulue, un travail d'inspection et de compréhension comme le fait la DGCL.
M. Philippe Dallier. Pourquoi est-ce que cela ne pourrait pas être le Sénat qui tiendrait ce rôle-là ? Ou la délégation ? Ou quelque chose à créer ? On avait essayé, avec Jean Arthuis, effectivement, de doter la commission des Finances, et l'Observatoire de la décentralisation, à l'époque, des moyens informatiques qui permettraient d'être un tant soit peu indépendants de la DGCL. On l'a bien vu avec la réforme de la TP : si les associations d'élus ont été incapables d'y voir clair, nous nous sommes, nous aussi, heurtés à la nécessité de recourir aux simulations de la DGCL, sans lesquelles nous sommes complètement aveugles.
Nous n'avons pas les moyens aujourd'hui, mais est-ce qu'il est vraiment impossible de les avoir ? Je pense que non. Et pourquoi un institut indépendant, quel que soit son nom, y arriverait, alors que le Parlement - et plus précisément la chambre qui est censée représenter les collectivités territoriales - ne pourrait pas se doter de cet outil ? Franchement, je pense que cela « regonflerait » le Sénat, si vraiment on avait cet outil-là et on serait, là, un vrai centre de conseil pour les collectivités.
M. Claude Belot. Il serait, en effet, dans son rôle de contrôle parlementaire.
M. Edmond Hervé. Tout travail sur les collectivités territoriales doit pouvoir être connu, évalué, critiqué... C'est aussi vrai pour les travaux du sénat, en particulier de notre délégation, et le meilleur moyen pour y parvenir c'est d'avoir un organisme qui permette au président de la délégation d'aller présenter les travaux de celle-ci et de les faire connaître.
Néanmoins, rien n'empêche effectivement la délégation d'avoir ses propres systèmes d'investigation. Je suis, à cet égard, favorable à ce que le Parlement français dispose d'un pouvoir d'investigation équivalent à celui du Parlement américain. C'est d'ailleurs un moyen d'enrichir les débats. Comment les différentes associations d'élus prennent-elles connaissance de nos travaux ? Quelle utilisation en font-elles ?
Ces associations doivent avoir un vrai pouvoir d'impulsion. Par exemple, sur la péréquation, je rêve d'un texte précis, détaillé, technique émanant des grandes associations d'élus, déposé devant le Gouvernement, déposé devant la délégation, devant la commission des Finances, et sur lequel on discuterait.
M. Claude Belot. Le problème, c'est qu'elles peuvent avoir beaucoup de mal à se mettre d'accord entre elles. L'État en joue très habilement.
Je me suis intéressé, il y a vingt ans, au thème de la péréquation : c'était évident qu'il y avait des injustices, fabuleuses, entre la région parisienne et beaucoup de régions, et à l'intérieur même de la région parisienne. Dès qu'on commençait à évoquer ce sujet, même ceux qu'on pouvait penser intéressés pour trouver une solution se défaussaient, parce qu'à l'intérieur du parti ce n'était pas le sujet : on se débrouillait, on arrivait à donner des gages aux situations les plus flagrantes de manière à faire taire les revendications.
Il y a une vingtaine d'années, nous avions, avec Jean Arthuis, à la commission des Finances, fait une proposition de loi sur le financement des transports parisiens - le contribuable en payant une grande partie. Nous avions voulu faire évoluer le système. Le lendemain, lors d'un petit déjeuner organisé à l'initiative de Charles Pasqua, qui avait réuni tout « l'arc-en-ciel » politique du Sénat, et avait fait une contre-proposition, notre amendement, qui revenait sur les équilibres en cours, a été renvoyé dans ses filets à la quasi-unanimité.
M. Pierre-Yves Collombat. En écoutant Edmond Hervé, qui a fait une revue du paysage français, puis en comparant ce qui a été mes préoccupations, finalement, on s'aperçoit, pour qu'un système fonctionne à peu près efficacement, qu'il faut qu'il y ait une communauté de politiques entre l'État et les collectivités territoriales. En matière de pilotage économique ou en matière d'aménagement ou d'investissement, par exemple, si on veut vraiment que cela marche, il ne faut pas que les uns fassent une chose et les autres le contraire. Il ne faut pas que le jeu consiste, pour équilibrer ses finances, à « pomper » celles des autres, parce que les effets deviennent complètement contre-productifs. Or, j'ai un peu l'impression qu'on a eu une période où c'était à peu près cela qui se passait et ce n'est pas un hasard si, effectivement, on a vu augmenter l'investissement des collectivités territoriales, alors qu'on semble plutôt rentrer dans une période où la grande défausse a commencé. Et si j'en juge par ce qu'il se passe aux États-Unis, on aboutit finalement au contraire de ce que l'on veut faire. Même la situation allemande n'est pas extraordinaire. Là où cela semblerait marcher le mieux, c'est-à-dire au Danemark, on s'aperçoit que les collectivités se plaignent de ce que l'État a une politique de stop and go et change d'avis toutes les années, et que cela n'a pas donné de résultats extraordinaires. Donc, c'est cela qui me paraît extrêmement préoccupant. Je ne dis pas qu'il ne faut pas essayer de bien gérer, de faire des économies là où on peut les faire, mais si c'est faire des économies sur le dos des collectivités, qui ne peuvent plus être des relais locaux de la politique nationale, on aboutit à des effets tout à fait contre-productifs.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Je voudrais ajouter mes félicitations à celles qui ont déjà été adressées au rapporteur.
A propos du département, vous parlez de solidarité sociale et territoriale : vous évoquez l'idée de créer une agence territoriale. Le serait-elle à partir du département, en relation avec les collectivités et les élus, qui siégeraient ou qui seraient appelés à être des relais auprès des autres élus ? Cette proposition me paraît très intéressante parce que, c'est vrai, le tribunal administratif ou la chambre régionale des comptes assurent surtout des couperets qui tombent beaucoup plus que des conseils.
M. Yves Détraigne. À l'époque où je travaillais dans le milieu des chambres régionales des comptes, ces dernières étaient très prudentes par rapport à la fonction de conseil, de crainte d'être à la fois juge et partie. Mais c'était aussi une époque où les contrôles étaient beaucoup plus techniques qu'aujourd'hui. De nos jours, les contrôles constituent, de fait, des aides à la gestion, davantage que par le passé. Les observations concernent surtout la manière d'appréhender les différentes questions que rencontre la collectivité, alors qu'elles se concentraient auparavant sur le contrôle réglementaire et comptable. D'une certaine manière, l'évolution naturelle des chambres régionales des comptes les a conduites à faire du conseil sans qu'elles en soient forcément conscientes. Mais cela a posé des difficultés au début.
M. Claude Belot. C'est un peu du conseil a posteriori .
M. Yves Détraigne. C'est du conseil a posteriori , et c'est l'un des défauts du système.
M. Claude Belot. Nous vivons tous ce genre de situation : nous sommes aux manettes, nous avons une décision à prendre, nous n'arrivons pas à savoir si elle est parfaite en droit, par exemple parce que le sujet n'a tout simplement pas été exploré, et nous aimerions avoir un avis, qui n'engage pas automatiquement le magistrat, mais qui soit donné en amont. C'est ce que fait l'État à chaque fois qu'il élabore une loi : il demande l'avis du Conseil d'État. Aujourd'hui les collectivités sont amenées à traiter un nombre important de sujets, dont des matières nouvelles telles que le haut débit par exemple, et le droit n'est pas limpide. Donc ce serait une bonne chose que les chambres expliquent en amont comment les choses peuvent se passer. Mais je comprends qu'elles aient des difficultés déontologiques et redoutent de se retrouver à a fois juge et partie.
Je voudrais, en votre nom à tous, remercier M. Edmond Hervé, dont j'apprécie beaucoup la hauteur de vue. Les sages sont faits pour cela : l'expérience que nous tirons de la vie doit à un moment être transmise à ceux qui vont encore courir longtemps. Il y a un autre aspect des choses, que j'ai vécu dans ma ville, mais qui a également dû être remarqué dans la Marne et lors des autres déplacements : lorsque M. Edmond Hervé a rencontré les élus, ces derniers étaient tous très honorés, en raison de sa personnalité, de son action, de son passé, qui sont connus, et aussi en tant qu'il représentait le Sénat venu à leur rencontre recueillir leurs points de vue. Il a pris le temps de visiter dix-sept départements, or il est important que le département soit connu. Cela va dans le sens de ce que disait M. Philippe Dallier : le Sénat est mieux identifié s'il vient débattre avec les individus. Il faut évidemment que nous ayons le temps de le faire, c'est important. M. Edmond Hervé a pris ce temps et je l'en remercie. Je suis persuadé que ce rapport marquera et qu'il en ressortira à l'avenir des propositions.