2. La loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements et les régions de l'État
La loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 commence par l'affirmation de principes fondamentaux qui vont constituer la charte de référence de la décentralisation. Symboliquement, les premiers articles du titre I concernent les pouvoirs des collectivités territoriales :
- les communes, les départements, les régions « règlent par leurs délibérations les affaires de leur compétence » ;
- les collectivités territoriales « concourent avec l'État à l'administration et à l'aménagement du territoire, au développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique, ainsi qu'à la protection de l'environnement et à l'amélioration du cadre de vie ». De ce fait, l'État perd le monopole de l'intérêt général ;
- les communes, les départements, les régions sont naturellement des cadres de participation des citoyens à la vie locale et la garantie de l'expression de la diversité de celle-ci. Il y a là reconnaissance de la dimension politique des collectivités territoriales, même si la notion de citoyenneté locale n'est pas précisée ;
- le principe de non-tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre demeure, même lorsqu'il y a transfert de compétence ;
- les transferts de compétences et de ressources sont concomitants après évaluation préalable. L'article 5 acte le principe de compensation concomitante, précisant : « toute nouvelle charge incombant aux collectivités territoriales du fait de la modification par l'État, par voie réglementaire, des règles relatives à l'exercice des compétences transférées est compensée dans les conditions prévues à l'article 94 » ;
- pour exercer leurs compétences, les collectivités territoriales peuvent s'associer et « conclure entre elles des conventions par lesquelles l'une d'elles s'engage à mettre à la disposition d'une autre collectivité ses services et moyens afin de lui faciliter l'exercice de ses compétences ». Selon l'article 12, « les services de l'État, des régions et des départements peuvent apporter leur concours aux communes qui le demandent pour l'exercice de leurs compétences dans les conditions définies par convention passée, selon le cas, entre les représentants de l'État, le président du conseil régional ou le président du conseil général et le maire de la commune concernée » ;
- dans un souci de rationalisation, « tout transfert de compétences de l'État au profit des départements et des régions s'accompagne du transfert des services correspondants » et d'une réorganisation des services extérieurs de l'État ou d'une partie. Le transfert de compétences de l'État aux collectivités locales ne peut amoindrir les services nécessaires à l'exercice des compétences relevant des communes ;
- la convention préside à ces transferts ;
- esprit de coopération encore : le président du conseil régional ou le président du conseil général peut disposer « en tant que de besoin des services extérieurs de l'État » ; des conférences d'harmonisation des investissements se tiennent au niveau départemental et régional ;
- les articles 19 et suivants règlent le régime des biens meubles et immeubles accompagnant le transfert de compétences.
Ces principes posés, le titre II traite « des compétences nouvelles des communes, des départements et des régions » :
- les communes peuvent élaborer et approuver des chartes intercommunales de développement et d'aménagement définissant à moyen terme les perspectives de leur développement économique, social et culturel et déterminant les programmes d'action correspondants, précisant les conditions d'organisation et de fonctionnement des équipements et services publics. Le périmètre de ces chartes est arrêté, sur proposition des communes intéressées, et après avis du conseil général, par le représentant de l'État. Si l'agglomération compte plus de 100 000 habitants ou si les communes appartiennent à plusieurs départements, le représentant de l'État dans la région décide après avis du conseil régional et des conseils généraux concernés ;
- le territoire français étant « le patrimoine commun de la Nation », chaque collectivité publique en est le gestionnaire et le garant dans le cadre de ses compétences. Les collectivités publiques harmonisent leurs documents d'urbanisme « dans le respect réciproque de leur autonomie, leurs prévisions et leurs décisions d'utilisation de l'espace » ;
- l'article 35 de la loi fait appel à l'aménagement du cadre de vie, à la gestion économe du sol, à la protection des milieux naturels et des paysages, à la promotion de l'équilibre entre les populations des zones rurales et urbaines.
Ces différents objectifs doivent se retrouver dans les schémas directeurs 13 ( * ) , les schémas de secteur intercommunaux. Le représentant de l'État, après avis, en arrête le périmètre et l'élaboration du schéma relève d'un EPCI compétent ou d'un syndicat intercommunal créé à cet effet dans la concertation. Le schéma est définitivement approuvé par l'organe délibérant ou dans certaines conditions par le représentant de l'État.
La mise en oeuvre de ces schémas relève des plans d'occupation des sols « élaborés à l'initiative et sous la responsabilité de la commune », des « schémas de mise en valeur de la mer » (élaborés par l'État, en concertation avec les collectivités intéressées, approuvées par décret en Conseil d'État), des permis de construire, de lotir, de démolir et autres actes relatifs à l'utilisation du sol.
Afin de sauvegarder le patrimoine et les sites, des zones de protection du patrimoine architectural et urbain peuvent être instituées par le représentant de l'État dans la région.
L'article 76 invite les communes, les départements, les régions à définir « dans le cadre de leurs compétences respectives, leurs priorités en matière d'habitat ».
En charge du développement économique et social, de l'aménagement du territoire, la région, après consultation des départements, doit définir ses priorités. Elle peut compléter l'aide financière de l'État pour favoriser la réalisation d'opérations sociales proposées par les collectivités territoriales, faciliter l'acquisition, l'équipement et l'aménagement de terrains à bâtir, améliorer les quartiers et les logements existants, encourager l'innovation, les économies d'énergie et l'utilisation des énergies renouvelables.
Afin de développer le logement, les communes et les EPCI peuvent définir un programme local de l'habitat.
A la région revient la mise en oeuvre des actions d'apprentissage et de formation professionnelle continue. Comme toute compétence, il s'agit d'une compétence partagée avec l'État qui reste maître des actions de portée générale. Pour l'exercice de cette attribution, la région peut passer convention avec les collectivités territoriales, les établissements publics, consulaires, les organisations professionnelles, les associations... Chaque année, la région arrête un programme régional d'apprentissage et de formation professionnelle continue après avis de divers comités spécialisés. Les communes ou groupements de communes qui ont arrêté un programme de formation sont associés, à leur demande, à l'élaboration du programme régional. Un comité de coordination des programmes régionaux d'apprentissage et de formation professionnelle continue siège auprès du Premier ministre. Un fonds, géré par la région, finance la formation.
La section V du titre II comprend un article 87 ainsi libellé : « A compter du 1 er janvier 1984, l'État prend en charge l'ensemble des dépenses de personnel, de matériel, de loyer et d'équipement du service public de la justice ».
L'article 88 traite de la police : « L'institution du régime de police d'État est de droit, à compter du 1 er janvier 1985, si le conseil municipal le demande, dans les communes dotées d'un corps de police municipale, lorsque sont réunies les conditions soit d'effectifs et de qualification professionnelle, soit de seuil démographique, définies par décret en Conseil d'État ».
Le titre III traite de la compensation des transferts de compétences et de la dotation globale d'équipement.
L'article 94 précise que la compensation est évaluée « à la date du transfert », mais l'alinéa 3 rassure : « Pendant la période de trois ans prévue à l'article 4 de la présente loi, le montant des dépenses résultant des accroissements et diminutions de charges est constaté pour chaque collectivité par arrêté conjoint du ministre chargé de l'intérieur et du ministre chargé du budget, après avis d'une commission présidée par un magistrat de la Cour des comptes et comprenant des représentants de chaque catégorie de collectivité concernée ».
La compensation intégrale (article 98) peut prendre deux formes : transfert d'impôt d'État et attribution d'une dotation générale de décentralisation 14 ( * ) . Dans un souci de simplification, il est créé une dotation globale d'équipement.
Hardiesse et prudence encore !
Gaston Defferre s'en tient à « un équilibre harmonieux entre les trois étages : les communes, le département, la région ».
Il refuse de se ranger aux côtés des régionalistes ou des départementalistes. Il entend « donner du temps au temps 15 ( * ) ».
Hardiesse, prudence et diplomatie : rappel du principe de non-tutelle d'une collectivité sur une autre, simultanéité des transferts de compétences et des ressources...
Le pragmatisme du ministre d'État apparaît une nouvelle fois lorsqu'il précise que, pour exercer leurs nouvelles compétences, les communes peuvent « soit créer leur propre service, soit recourir à des organismes spécialisés, publics ou privés, agences départementales ou bureaux d'études, soit enfin solliciter le concours de l'État. Toute autre solution qui exclurait pour les communes le libre choix, risquerait de créer une forme ou une autre de tutelle ».
* 13 Le schéma directeur remplace l'ancienne dénomination schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme. L'article 40, dernier alinéa, précise que « les services extérieurs de l'État peuvent être mis gratuitement et en tant que de besoin à la disposition des communes ou des groupements de communes compétents, pour élaborer, modifier ou réviser les schémas directeurs, les schémas de secteur, les plans d'occupation des sols ou tout autre document d'urbanisme élaboré par la commune ».
* 14 L'article 99 cite les impôts transférés : certificats d'immatriculation des véhicules à moteur pour la région ; droit d'enregistrement, de taxe de publicité foncière sur les mutations d'immeubles au profit des départements.
* 15 Les transferts seront étalés sur trois ans : 1983 : transfert des compétences en urbanisme, logement, formation professionnelle et aménagement du territoire ; 1984 : transfert action sociale, santé et transport ; 1985 : transfert éducation, culture, environnement. D'où l'existence de deux lois successives.