B. LE POIDS DE LA GÉOGRAPHIE HUMAINE
Les pays riverains de la Méditerranée représentent :
- 5,7 % des terres immergées,
- 7 % de la population mondiale,
- 13 % du PIB mondial,
- et 31 % du tourisme international 1 ( * ) .
La diversité des éléments de géographie physique que nous avons soulignée précédemment se retrouve dans les données de la géographie humaine.
Pour simplifier, entre le « Nord » d'une part, et le « Sud » et l'« Est », d'autre part, il existe des différences importantes d'héritages culturels, de régimes politiques, de gradients de développement économique, d'évolutions démographiques et de dotations en ressources naturelles, en particulier hydrographiques.
Mais dans chacune de ces grandes zones, il n'y a pas nécessairement de convergence entre les pays : sur chacun des points évoqués, la situation de la Tunisie n'est pas celle de l'Egypte, et celle de la Syrie pas celle de la Turquie.
Il convient également de garder à l'esprit qu'au-delà de ces différences, dont certaines peuvent avoir beaucoup d'importance dans l'organisation et l'intensité de la lutte contre la pollution, un fait demeure : le poids prévalent des activités humaines, terrestres et maritimes, sur le milieu naturel marin.
Cette ingérence trouve une traduction dans tous domaines, de la démographie au trafic maritime.
1. La démographie
Les dernières données d'ensemble dont on dispose dans ce domaine sont fournies par un fascicule du « Plan Bleu » datant de 2005 (« La démographie en Méditerranée » - Isabelle Atamé et Youssef Courbage).
Si ces données font apparaître que, sur 30 ans, de 1970 à 2000, la population d'ensemble des pays riverains a crû fortement , de 285 millions à 427 millions d'habitants, soit 50 % au total dont 14 % pour les pays de la rive Nord et 101 % pour les pays des rives Est 2 ( * ) et Sud, ils mettent en évidence deux phénomènes : la littoralisation et l'urbanisation .
a) La littoralisation
Cette grandeur traduit la réalité de l'occupation humaine des régions côtières.
Sur la période de référence (1970-2000), les populations côtières de chaque grand ensemble ont connu des taux d'accroissement proches de ceux de l'ensemble de la population des pays considérés.
Au total, ces populations sont passées de 96 millions d'habitants à 145 millions, soit 51 % d'augmentation dont 17,2 % pour la rive Nord et 84 % pour les rives Est et Sud.
Mais cette convergence d'évolution entre la démographie d'ensemble des Etats riverains et leur démographie côtière ne doit pas abuser car les zones littorales sont beaucoup plus restreintes en étendue . De même, beaucoup de cette croissance s'effectue sur les grandes agglomérations comme nous le verrons après. La concentration des activités humaines y pèse donc plus sur l'environnement.
Ceci, d'autant plus que dans ces régions côtières, l'arrière-pays se dépeuple relativement au profit de la bande littorale.
On observe, par exemple, cette tendance sur une très longue période (1901-1999) dans la région Languedoc-Roussillon.
Population des communes en Languedoc-Roussillon, France, 1901-1999
Source : Plan Bleu : Données INSEE
Au surplus, ces données ne concernent que les populations permanentes et non l'apport touristique qui, outre les augmentations provisoires de population qu'il génère, pousse à l'implantation d'équipements susceptibles de dégrader les milieux côtiers et accroître la consommation en eau dans des pays souvent dépourvus :
Infrastructures routières et aéroportuaires le long du littoral
Source : Plan Bleu, Organisation de l'aviation civile internationale, Instituts nationaux de statistique
b) L'urbanisation
• Le développement des villes
Ce mouvement de littoralisation s'est accompagné d'une croissance des implantations urbaines.
Suivant les sources précitées, la population urbaine côtière - mesurée par les agglomérations de plus de 10 000 habitants a également progressé :
- de 41 millions en 1970 à 51,1 millions en 2000 pour la rive Nord ;
- et de 19 millions à 48,5 millions pour les rives Sud et Est.
Au total, en 2000, la population urbaine des régions côtières atteignait 99,5 millions sur 145 millions, soit 68 %.
Un autre trait de ce développement urbain est la constitution progressive de mégapoles de dimension européenne (Barcelone, Marseille, Rome, Athènes, Gênes, Naples, Alexandrie) ou mondiale (Le Caire/15-16 millions d'habitants, Istanbul/13-14 millions d'habitants).
Mais ceci ne doit pas occulter le fait que les rives de la Méditerranée comprennent également 85 villes dont la population évolue entre 300 000 et un million d'habitants et 601 villes de plus de 10 000 habitants .
Pour la seule Turquie, on dénombre 12 villes de plus d'un million d'habitant s.
Cette dernière tendance peut être visualisée de façon plus spectaculaire par les figures qui suivent, qui matérialisent le développement de l'urbanisation autour du Bassin entre 1950 et 1995.
• Le cas d'Istanbul
Le cas d'Istanbul offre un exemple assez spectaculaire de cette poussée urbaine sur le dernier demi-siècle.
Au début des années 1950, la ville, était à peine plus étendue qu'au temps de Justinien (VI e siècle). Depuis elle a enregistré une extension spectaculaire.
Actuellement, le syndicat de la mer de Marmara regroupe 22 millions d'habitants dans 11 grandes villes et 232 municipalités 3 ( * ) .
• Une croissance urbaine spontanée
Dans le cas d'Istanbul, (mais ceux du Caire et d'Alexandrie (le cadastre n'existe pas en Égypte et, au Caire, même les cimetières sont aujourd'hui colonisés) sont proches), la fixation urbaine du développement démographique s'est effectuée de façon anarchique.
Du fait d'une tradition ottomane de propriété publique des sols non contrôlée, l'extension urbaine s'est déroulée de façon spontanée. On estime que 60 % du bâti d'Istanbul depuis une quarantaine d'années est illégal 4 ( * ) .
Cet habitat spontané a pris la forme de bidonvilles mais également de résidences plus huppées.
Cette absence de maîtrise de développement urbain a eu plusieurs conséquences :
- le raccordement a posteriori et donc plus coûteux aux réseaux d'eau et d'assainissement,
- et l'absence de planification urbaine couplée avec une extension excessive de la ville qui a été la cause d'implantations de décharges sauvages dont les lixiviats se sont longtemps déversés en mer de Marmara.
• Des structures locales sous-dimensionnées
Un des problèmes qui avait été pointé par les études du « Plan Bleu » était la faiblesse des collectivités locales, qui sont, en principe, les premières à être incitées à agir dans le domaine de l'environnement.
Les missions effectuées par votre rapporteur en Tunisie, en Égypte et en Turquie montrent que ce constat doit être tempéré .
Tant sur la représentation démocratique qui peut susciter l'intérêt pour agir des édiles que sur les compétences des collectivités locales, une ligne de crête très nette sépare la Turquie des pays de la rive Sud et Est :
- en Tunisie (jusqu'à maintenant), les responsables des mairies n'étaient pas élus ; en Égypte, ils l'étaient dans des conditions qui laissaient peu place à l'éventualité d'une alternance.
- alors qu'en Turquie, les élections locales sont démocratiques.
S'agissant des compétences municipales :
- les municipalités égyptiennes et tunisiennes ont peu de compétences en matière de gestion de l'environnement quotidien, à l'exception de l'enlèvement des ordures ;
- les municipalités turques ont des compétences élargies dans le domaine de l'eau, de la gestion des ordures ménagères et des transports qu'elles mettent en oeuvre par l'intermédiaire de régies municipales puissantes (à Istanbul, l'ISKI qui gère l'accès de l'eau et l'assainissement dispose d'un budget supérieur à 2 milliards d'euros par an).
Mais les municipalités turques ont peu d'autonomie de recettes. Elles sont alimentées par un pourcentage du budget de l'Etat en fonction de leur population, et le Trésor turc surveille leur capacité d'endettement [Ce constat peut être relativisé dans le cas d'Istanbul, ville à laquelle son poids politique confère une capacité de négociation non négligeable].
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Il va de soi que cette double poussée démographique, de littoralisation et d'urbanisation non contrôlée, couplée avec des structures municipales souvent insuffisantes, aboutit à surcharger les milieux côtiers et marins en contaminants de toutes sortes.
Ces pollutions telluriques qui seraient déjà préoccupantes sur l'océan Atlantique, prennent une dimension plus inquiétante dans une mer semi-fermée dont les eaux ne se renouvellent en moyenne qu'en un siècle.
* 1 Ces données générales concernent l'ensemble des territoires concernés, et non pas la seule partie méditerranéenne des états du pourtour du Bassin.
* 2 Dans ces statistiques, la Turquie est comprise dans les pays de la rive Est.
* 3 Ce qui correspond, sur une surface de terres à peu près équivalente, au double de la population de la région Ile-de-France.
* 4 Même si le statut de beaucoup de ces constructions a été régularisé ultérieurement.