N° 649
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011
Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 juin 2011 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la mission commune d'information (1) sur l' organisation territoriale du système scolaire et sur l' évaluation des expérimentations locales en matière d' éducation ,
Par M. Jean-Claude CARLE,
Sénateur.
Tome I : Rapport
(1) Cette mission commune d'information est composée de : M. Serge Lagauche, président ; M. Alain Dufaut, Mme Françoise Férat, M. Yannick Bodin, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, M. Jean-François Humbert et Mme Françoise Cartron, vice-présidents ; Mmes Colette Mélot, Maryvonne Blondin et Sophie Joissains, secrétaires ; M. Jean-Claude Carle, rapporteur ; MM. René Beaumont, Claude Bérit-Débat, Pierre Bordier, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, MM. Philippe Darniche, Christian Demuynck, Daniel Dubois, Jean-Luc Fichet, Mme Fabienne Keller, M. Ronan Kerdraon, Mmes Françoise Laborde, Catherine Procaccia et M. Jean-François Voguet. |
INTRODUCTION
Jean Monnet : « Il ne s'agit pas d'être optimiste ou pessimiste, mais déterminé ».
Socrate : « Le savoir est la seule chose qui augmente quand on le partage »
Mesdames, Messieurs,
Constituée le mardi 14 décembre 2010, sur décision de la Conférence des Présidents prise à l'initiative du groupe UMP 1 ( * ) , la mission commune d'information sur l'organisation territoriale du système scolaire et sur l'évaluation des expérimentations locales en matière d'éducation, illustre une nouvelle fois l'importance que le Sénat et son président attachent à l'efficience du système scolaire et à la réussite de tous les élèves.
Cette démarche résulte des diagnostics, tout à la fois sévères et inquiétants sur l'organisation et sur les résultats de notre système scolaire, posés à la fois par la Cour des comptes, le Haut conseil de l'éducation, les inspections générales de l'éducation nationale et l'OCDE par le biais des enquêtes PISA.
? L'ambition de la mission d'information
Votre mission souhaite contribuer à la réflexion collective sur ce sujet essentiel pour l'avenir de notre pays : il s'agit de permettre la réalisation d'une nouvelle ambition en faveur de la réussite scolaire de nos enfants, dans une société qui a considérablement évolué. A cette fin, le présent rapport, au-delà des constats - le plus souvent partagés et à bien des égards alarmants - trace les contours d'un nouveau cadre décisionnel et organisationnel au service de cette ambition.
Ainsi que l'a inlassablement indiqué votre rapporteur, ce rapport n'a pas vocation à enrichir les bibliothèques d'un Nième rapport sur l'éducation - lesquelles n'en manquent pas - mais d'avancer des propositions concrètes, souvent novatrices, sans doute dérangeantes pour certaines, dans le souci de l'intérêt général. Car telle est aussi la vocation du Parlement : regarder la réalité en face, avoir le courage d'affronter certains corporatismes, d'enfreindre certains tabous, de sortir de certains sentiers battus, parfois arpentés sans illusion mais avec plus de facilité...
? Les travaux de la mission
Pendant six mois, votre mission d'information a pu avoir des échanges instructifs et constructifs avec près de 300 personnes . Elle a ainsi :
- auditionné 80 personnes au Sénat , au cours de 21 auditions et 5 tables rondes (dont 2 ouvertes au public dans le cadre du colloque du 4 mai 2011) ;
- entendu environ 120 personnes dans différentes régions françaises, lors de ses déplacements successifs dans le Val-de-Marne, en Haute-Savoie, dans la Somme, à Cambrai, Marseille et dans l'agglomération de Rennes ;
- et rencontré plus de 70 interlocuteurs à l'étranger, à l'occasion de ses déplacements en Europe : aux Pays-Bas, en Belgique, au Portugal, en Suisse et en Pologne.
Votre mission a souhaité, en effet, multiplier les échanges avec les acteurs de terrain, qu'il s'agisse de représentants ou de membres du système éducatif (recteurs, inspecteurs d'académie, directeurs d'école et chefs d'établissement, enseignants...) ou d'élus, de parents et d'élèves. En outre, ses membres ont bien souvent rencontré des acteurs du système éducatif dans leur propre département.
Jugeant qu'il ne suffisait pas d'examiner la situation sur notre territoire, car les exemples étrangers sont toujours instructifs en nous permettant d'enrichir le regard que nous portons sur nous-mêmes, elle a souhaité, outre les déplacements précités, demander une étude de législation comparée à la Direction de l'Initiative parlementaire et des Délégations du Sénat. Elle tient à remercier cette dernière pour la qualité de cette étude, qui porte sur l'Australie (Nouvelles Galles du Sud), l'Italie, la Pologne et la Grande-Bretagne, et est annexée au présent rapport. Enfin, on rappellera les intéressants rapports de la commission de la culture et de l'éducation, présidée par notre collègue Jacques Legendre, élaborés à la suite de ses missions au Canada (en 2010) 2 ( * ) et en Finlande 3 ( * ) (en 2009), qui sont également venus enrichir les réflexions de la mission.
Ceci étant, la diversité des systèmes éducatifs sur la planète montre qu'il est nécessaire de tenir compte des particularités de notre histoire, de notre société et de nos territoires, si nous voulons assurer la réussite de nos enfants. Ceci n'empêche pas, bien au contraire, de nécessaires évolutions dans le cadre d'une vision partagée des conditions et moyens de cette réussite.
En tout état de cause, le présent rapport s'appuie largement sur les travaux préalables de diverses institutions ainsi que sur l'ensemble des auditions et déplacements auxquels a procédé la mission. Il reflète la diversité des témoignages recueillis. Le rapport se nourrit aussi des réponses des rectorats au questionnaire envoyé par votre rapporteur, et auquel il les remercie d'avoir répondu dans les délais impartis, afin de l'aider ainsi à préciser les données nécessaires à une mise en perspective.
? Des constats largement partagés
Les membres de votre mission partagent pour l'essentiel les éléments de constat suivants :
- l'Éducation nationale a fait face à la « massification » du système et a globalement réussi la démocratisation de l'enseignement , ceci en l'espace d'une génération. Ainsi, 100 % d'une classe d'âge est désormais scolarisée jusqu'à 16 ans et 65 % parvient jusqu'au baccalauréat, ce qui est trois fois plus qu'au début des années 1980 ;
- les enseignants sont les piliers du système éducatif et, si la mission n'avait pas vocation à traiter la question de leur formation, elle relève néanmoins que cette dernière ainsi que les conditions d'entrée dans le métier sont fondamentales. Votre mission a rencontré des enseignants extrêmement impliqués et motivés, y compris dans les établissements les plus difficiles. A l'inverse, nombre d'entre eux sont lassés et souffrent de certains dysfonctionnements du système ;
- mais ce système ne répond plus aux nouvelles exigences de l'idéal républicain , qui demande de conduire au succès l'ensemble des élèves et non plus, comme autrefois, de se consacrer pour l'essentiel aux meilleurs d'entre eux. En outre, l'école se trouve non seulement témoin mais aussi partie prenante d'évolutions de la société qui la dépassent et dont, par certains aspects, elle subit les conséquences ;
- la réussite scolaire est donc mitigée : elle existe mais pas pour tous les élèves. Ainsi, les chiffres illustrent une réalité qui n'est pas admissible, tant pour les jeunes concernés que pour notre société dans son ensemble :
. un certain nombre d'élèves, à l'entrée en sixième, ne savent ni lire, ni écrire, ni compter comme ils le devraient à l'âge de 11 ans, le noeud se situant bien souvent au niveau de la grande section de maternelle, du CP (cours préparatoire) et du CE1 (cours élémentaire 1 er niveau), classe dans laquelle ils devraient terminer ces apprentissages ;
. nombre d'entre eux connaissent des difficultés dans l'évolution de leur scolarité, souvent en raison des ruptures : entrée en sixième, en seconde, puis à l'université, ou d'un mal être à l'école qui peut avoir des incidences sur leurs parcours et leurs résultats ;
. près de 140 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans diplôme, sans compter que moins de 50 % des étudiants de première année d'université poursuivent en deuxième année des études choisies ;
. en résumé, comme l'avait relayé la commission Thélot 4 ( * ) fin 2004 : « notre école va bien pour les enfants qui vont bien » ;
. en effet, le système « patine » et ses résultats se dégradent , comme le montrent tant l'enquête PISA de l'OCDE que les évaluations nationales. Alors qu'il nous faut développer ce que l'on appelle une « économie de la connaissance », entre 2000 et 2009, la France est restée dans un groupe de pays moyens (à la 15 e place sur les 26 pays régulièrement examinés). Pire encore, la dernière enquête de 2009 montre que la part des élèves en difficulté s'accroît, de même que le poids de l'origine sociale dans les inégalités scolaires, alors que notre pays était dans la moyenne en 2000. En dix ans, le creusement des inégalités scolaires d'origine sociale est indéniable. Parallèlement, le nombre de bacheliers stagne depuis 15 ans tandis que le système entretient notre double « handicap culturel » : nous valorisons insuffisamment les aptitudes et points forts de nos jeunes et nous n'arrivons pas à promouvoir une orientation positive et la réussite de tous les élèves, quel que soit leur parcours ;
- si certains pays ont vécu les enquêtes PISA comme un « choc » presque salutaire les conduisant à prendre les mesures leur permettant d'améliorer les résultats de leurs élèves, la France peine à trouver sa voie : nous ne manquons pourtant ni de réformes, ni d'expérimentations - puisque ce thème est au coeur de la mission - ni de ministres. La multiplication des unes et la succession des autres ne semble d'ailleurs pas faciliter une évolution harmonieuse de notre système éducatif ;
- à cela s'ajoutent des disparités territoriales , comme votre mission a pu le constater sur le terrain ;
- notre système est caractérisé par une organisation extrêmement réglementée, pyramidale et répondant le plus souvent à des injonctions hiérarchiques ( via les nombreuses circulaires et bulletins officiels). La centralisation est toujours forte malgré les lois de décentralisation et les déconcentrations, comme nous avons pu le constater ;
- votre mission a relevé que les expérimentations imposées du haut, généralement sans grande concertation ni évaluation, peinaient souvent à se mettre en place et à produire des résultats, contrairement à nombre d'initiatives locales, adaptées aux spécificités du terrain et à la réalité des élèves concernés ;
- il est difficile d'obtenir une évaluation de l'ensemble des politiques et expérimentations conduites, tant sur le plan budgétaire que sur celui des pratiques pédagogiques ou des contenus ;
- un certain nombre d'actions menées par les collectivités locales sont très souvent isolées et n'interviennent pas toujours dans le cadre d'un partenariat bien compris, alors même qu'elles sont des acteurs utiles et incontournables ;
- enfin, et c'est essentiel, ces constats nous accablent alors même que notre pays consacre des moyens croissants à la politique éducative . Multipliée par 1,8 depuis 1980, la dépense intérieure d'éducation (DIE) 5 ( * ) représentait 6,9 % du PIB en 2009, soit 132,1 milliards d'euros, ce qui représente 7 990 euros par élève ou étudiant et 2 050 euros par habitant. À cet égard, la France se situe dans la moyenne des pays de l'OCDE ; en revanche, la ventilation de ces ressources entre les différentes catégories d'enseignement est atypique - dans la mesure où elle fait la part belle à l'enseignement secondaire - et suscite des interrogations. En effet, en 2007, la dépense annuelle de la France par élève du primaire était en moyenne de 11,5 % supérieure à celle des pays de l'OCDE, tandis que la dépense annuelle par élève dans l'enseignement secondaire était inférieure de 9,5 % à celle de ces pays.
L'État est bien sûr le premier contributeur : la mission « Enseignement scolaire » regroupe plus de 60 milliards d'euros, soit 21,6 % des crédits de paiement du budget général ; les collectivités territoriales étant le deuxième contributeur.
Mais une information lacunaire des autorités décisionnaires au niveau national, notamment liée aux faiblesses intrinsèques de l'architecture et des documents budgétaires, favorisent l'absence du politique. En réalité, force est de constater que les arbitrages en termes de politiques éducatives sont réduits à une « peau de chagrin », compte tenu notamment d'une faible lisibilité des projets de loi de finances, dont la première et presque unique fonction serait, avant toute considération d'efficience - et donc d'arbitrage qualitatif sur les politiques éducatives - d'assurer la rémunération des personnels qui représentent 49 % des emplois autorisés de l'État.
En résumé, les incessantes réformes, l'opacité budgétaire, la gestion « de masse » des personnels, ne sont compréhensibles que des seuls initiés et tendent à reléguer les élus au rôle de contemplatifs du système, qui, en outre, demeurent étrangers à une culture de l'évaluation qui est la règle dans les pays étudiés.
Or, ainsi que Socrate en était convaincu : « le savoir est la seule chose qui augmente quand on le partage ». Ce rapport a vocation à partager et à diffuser du « savoir » sur notre système éducatif.
? Quinze propositions
Par ailleurs, il avance quinze propositions articulées autour de quatre grands axes politiques, afin de répondre au double défi de l'efficience et de l'équité , et de créer les conditions d'une école « qui aille bien » pour tous les enfants :
- donner au Parlement la capacité d'arbitrer la politique nationale d'éducation ;
- déployer une offre éducative territoriale fondée sur la complémentarité des réseaux et le dynamisme des partenariats ;
- acter la responsabilité collective des équipes des établissements dans la réussite des élèves ;
- tirer les conséquences de la spécificité du métier d'enseignant en éducation prioritaire.
* 1 en application de l'article 6 bis du Règlement du Sénat, introduit à la suite de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
* 2 « De l'éducation au jeu vidéo, pourquoi le Canada est-il parmi les premiers de la classe ? » - Rapport d'information n° 183 (2010-2011) du 15 décembre 2010 - par MM. Jacques LEGENDRE, Jean-Léonce DUPONT, David ASSOULINE, Jean-Pierre LELEUX, Claude DOMEIZEL et Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN.
* 3 « Finlande : le bon élève des systèmes éducatifs occidentaux peut-il être un modèle ? » - Rapport d'information n° 399 (2009-2010) du 7 avril 2010 présenté au nom de la commission par Mme Colette MÉLOT, M. Pierre MARTIN, Mme Françoise CARTRON, M. Claude DOMEIZEL et Mme Lucienne MALOVRY.
* 4 Commission du débat national sur l'avenir de l'école, présidée par M. Claude Thélot.
* 5 La dépense intérieure d'éducation représente toutes les dépenses effectuées, sur le territoire national, par l'ensemble des agents économiques, administrations publiques centrales et locales, entreprises et ménages, pour les activités d'éducation.