4. Audition de PAUL CHEMETOV, Urbaniste et architecte
La ville, la forme la plus productive de la société
La croissance exponentielle de la population mondiale n'est pas certaine . Avec les progrès de l'hygiène et de l'instruction, celle-ci tend à ralentir. Mais les hommes ont besoin de se nourrir. Le modèle productiviste de l'agriculture industrielle n'a pas permis jusqu'à présent de fixer les paysans sur leurs terres. C'est cet exode rural de la misère qui a contribué à faire exploser les structures des villes dans le monde.
Pour autant, le monde ne manque pas de terres pour nourrir les hommes. La panique qui monte ne vient pas d'un manque de terre, mais des inquiétudes sur la manière dont l'agriculture va pouvoir à l'avenir nourrir l'humanité.
La ville est la forme la plus productive de la société . Elle est l'équivalent de ce qu'a été le charbon au XIXème siècle. On ne peut pas se passer de la ville pour créer et innover. La question des limites de la ville doit être rapprochée de celle du temps souhaitable que les habitants peuvent passer dans leur journée dans les transports : de l'ordre d'une heure par jour pour les activités quotidiennes serait l'idéal.
Si tant de gens veulent vivre dans les villes, notamment dans les pays du Sud, c'est parce que les villes sont une source de richesse . Une ville riche génère une grande quantité de déchets réutilisables et pas seulement pour les mouettes ou les goélands. La surconsommation des villes attire les pauvres ; ce sont les glaneuses des campagnes du XIXème siècle. Les villes assurent les services (santé-transports), les villes assurent du travail, voire du petit travail et à l'extrême la mendicité. Pour remédier à cette situation d'inégalité, il faudrait une autre répartition des richesses dans le monde. On assiste surtout à une polarisation des contraires.
L'urbanisme consiste en premier à établir la trame viaire et sanitaire d'une aire urbaine . C'est ce que firent les grandes villes européennes au XIXème siècle. A partir de cette découpe de desserte, il faut assumer la découpe des terrains. C'est le rôle du cadastre, mais le parcellaire ne suffit pas pour structurer un ensemble urbain surtout dans les phénomènes d'étalement légalisés ou sauvages. Pour tenter de transformer ces magmas, l'étude des cartes de l'aire urbaine dans le temps permet d'identifier les leviers de structuration d'un ensemble informel dans une nappe urbaine et d'y porter remède.
C'est la réaction du mouvement hygiéniste du XIXème siècle qui est à l'origine de la séparation des fonctions dans la ville , en éloignant les industries des lieux d'habitation. N'oublions pas, la tuberculose est aussi mortelle que le sida et surtout maladie urbaine. L'automobile, le rythme de la construction après la première mondiale ont distendu ces fonctions qui restaient avant dans une certaine proximité du fait des déplacements qui continuaient à se faire à pied. C'est la diversité des fonctions qui permet la mixité sociale.
Les hypermarchés périphériques des zones commerciales sont des prédateurs du commerce de centre ville . C'est une spécialité française. Mais il serait possible de réintroduire une certaine diversité fonctionnelle en introduisant des espaces culturels ou sportifs dans les zones commerciales. Il faut mettre du gratuit ou du quasi-gratuit - comme des bibliothèques - à côté du marchand. Une ville, c'est un réseau d'infrastructures publiques, stable dans le temps, et d'événements privés par nature changeants. Cette mixité public-privé est la condition du déchiffrement urbain. Le domaine public doit rester préservé et ne pas être cessible.
La nappe urbaine et l'écologie sont incompatibles . Ce qui est le plus frappant dans les dernières décennies, c'est la brutalité de la mutation qui, en trois générations, a fait basculer les populations du rural à l'urbain. Dans ce phénomène, nous n'avons pas encore de retour d'expérience. Avant de pouvoir gérer écologiquement cette mutation, il faut d'abord pouvoir gérer politiquement ces nouvelles ères urbaines qui ne sont pas actuellement gérées démocratiquement. Il faut aussi tenir compte du fait que, dans l'extrême pauvreté des villes du Sud, les modèles européens ne fonctionnent pas.
De plus l'approvisionnement des nappes urbaines est énergivore. Il faudrait annexer entre les pôles urbanisés des lambeaux de champs ou de zones maraichères qui subsistent et des réserves forestières. En matière d'énergie, il faut renoncer le plus possible à la consommation des énergies fossiles par le recours aux énergies renouvelables : atomiser les lieux de production est désormais possible avec les outils de maîtrise informatique des réseaux, notamment en matière d'électricité.