C. LE PROJET PRÉSIDENTIEL DE MAISON DE L'HISTOIRE DE FRANCE : HISTORIQUE, RÉFLEXION ET CALENDRIER
1. Les grands projets muséaux d'envergure nationale sont en général portés par une volonté politique au sommet de l'État
a) Les tentatives de Louis-Philippe Ier et de Napoléon III
La France se distingue d'un certain nombre de ses partenaires européens par l'absence d'un grand musée examinant son histoire nationale. Les deux principales tentatives, au XIX e siècle, de mise en place d'un musée d'histoire nationale unifié se sont soldées par un échec, dans le cas du musée d'histoire installé à Versailles par Louis-Philippe I er , et par une mise sous silence, dans le cas du musée d'histoire installé aux Archives nationales par Napoléon III.
Depuis 1837, le château de Versailles abrite un musée de l'Histoire de France, initialement dédié par Louis-Philippe I er « à toutes les gloires de la France ». Comme l'a rappelé au cours de son audition M. Jean-Jacques Aillagon, président de l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles, c'est à Louis-Philippe I er que l'on doit la transformation radicale du château à cet effet, via la construction de vastes galeries d'oeuvres à caractère historique. Celle-ci comporte une collection d'oeuvres qui racontent l'histoire de France telle qu'elle était conçue en 1837, donc nécessairement de façon très subjective et directement influencée par la volonté du pouvoir en place à l'époque.
Louis-Philippe I er entendait démontrer que l'histoire nationale glorieuse aboutissait naturellement à la branche des Orléans qui en opérait la synthèse parfaite entre réunissant le meilleur de l'Ancien Régime, de la Révolution française et de l'Empire. Mme Ariane James-Sarazin souligne ainsi que « de fait, l'histoire de France selon Louis-Philippe s'apparente plus aux récits fantaisistes transmis par la tradition qu'aux chroniques des grands historiens du moment, Jules Michelet, Augustin Thierry, François Guizot » 22 ( * ) . Dès le Second Empire, ce musée est devenu suspect, l'histoire, telle qu'elle y était présentée, ne correspondant plus à la vision qu'en avait Napoléon III.
Pour mémoire, le musée de l'Histoire de France voulu par Louis-Philippe I er faisait symboliquement débuter l'histoire de l'État français par la bataille de Tolbiac et l'enracinait donc dans l'ère Mérovingienne. Sous le Second Empire, la dynastie napoléonienne a cherché à s'inventer une généalogie bien antérieure. C'est pour cela que Napoléon III a créé le musée historique de Saint-Germain-en-Laye afin d'enraciner l'histoire de France dans l'Antiquité et l'histoire celtique.
Par décret du 15 février 1852 fut également créé, à l'initiative du prince-président Louis-Napoléon, le musée des souverains , installé à l'étage de la colonnade du palais du Louvre, « destiné à recevoir tous les objets ayant appartenu authentiquement aux souverains qui ont régné sur la France » 23 ( * ) . Il offrait initialement une présentation des souvenirs des dynasties régnantes, de Childéric à Napoléon, pour exposer progressivement de plus en plus de collections de beaux-arts. Il marque le début de la transformation du château du Louvre en musée.
Sous l'impulsion de Napoléon III et sous la direction du marquis Léon de Laborde, est créé, en 1867, un musée de l'histoire de France au sein des Archives nationales, ayant vocation à exposer, au sein de l'hôtel de Soubise dans le Marais, les grands documents qui ont fait l'histoire de France. La capacité de l'institution des Archives nationales à valoriser des documents d'une très haute valeur scientifique et symbolique, permettant d'examiner la formation de l'État-nation en France aussi bien sous l'Ancien Régime que sous la Révolution française et l'Empire, explique la pérennité de ce musée de l'histoire de France, malgré son manque de visibilité et sa mise sous silence depuis un certain nombre d'années.
b) Les exemples étrangers
Aux États-Unis, au Mexique et en Allemagne, de grandes institutions muséales ont été chargées de présenter l'histoire nationale et connaissent un succès certain. Toutefois, il faut garder à l'esprit que la conception de ces musées est indissociable du contexte historique, social et politique particulier qui caractérise le pays concerné. En effet, aucun de ces trois pays fédéraux n'a été soumis à la puissante tradition centralisatrice qui a présidé à la construction de l'État-nation en France .
Comme l'a souligné au cours de son audition M. Éric Lucas, directeur de la mémoire, de la défense, du patrimoine et des archives au ministère de la défense, le musée de l'histoire américaine de Washington D.C., d'accès gratuit, est situé sur la voie sacrée du Mall . Il offre un mélange d'histoire civile et militaire, bien que très marqué par l'empreinte de l'histoire militaire américaine. Une partie du musée est consacrée aux Native Americans (populations autochtones). On peut y voir des maisons d'immigrants, destinées à mettre en scène une partie du processus de conquête de l'Ouest. Il s'agit d'un musée assez complet sur le plan muséographique. Son format et ses choix scénographiques conviennent pour une nation dont l'histoire est encore relativement « jeune ». À l'évidence, le musée est placé au service d'une perspective historique, en suggérant une continuité du peuplement remontant aux Native Americans . Placé au coeur du parcours des institutions du Smithsonian, ce musée de la civilisation américaine est une véritable « piqûre de fédéralisme américain » .
Dans le cas de l'Allemagne, le musée historique allemand ( Deutsches Historisches Museum ) de Berlin s'emploie à opérer une réconciliation de la nation allemande avec l'intégralité de son histoire. La collection permanente du Deutsches Historisches Museum a fait l'objet d'un important travail de préparation scientifique pendant six ans, qui a notamment mis l'accent sur la constitution d'une bibliothèque virtuelle permettant de mettre à la disposition des visiteurs, à partir d'installations multimédias innovantes, des documents anciens numérisés. La galerie chronologique, qui s'étend sur près de 8 000 m², est constituée d'une allée principale, segmentée par des bornes chronologiques. Chaque séquence chronologique est, ensuite, déclinée dans des enclaves thématiques qui permettent d'illustrer la vie quotidienne pendant l'époque considérée (vie religieuse, militaire, place des femmes, etc.).
Votre rapporteur a été particulièrement admiratif de la place consentie aux supports numériques didactiques qui permettent de développer une interactivité optimale avec le visiteur et de maximiser la diffusion du message véhiculé par un objet. Le Deutsches Historisches Museum s'appuie sur une commission scientifique composée de 18 membres, qui a été récemment renouvelée et rajeunie. Afin de constituer le fonds de départ de la collection permanente, la direction du musée s'est vu attribuer une somme initiale de six millions d'euros. Le renouvellement annuel de la collection permanente dispose d'une enveloppe évaluée à 1,5 million d'euros en 2011. Un certain nombre des objets n'ont pas été acquis pour leur haute valeur artistique mais pour le message historique qu'il est possible d'en dégager.
Le musée historique allemand constitue, à l'évidence, une très belle réussite culturelle en Allemagne , compte tenu des 500 à 600 000 visiteurs qui le parcourent en moyenne chaque année. Toutefois, votre rapporteur a pu constater que l'histoire de la construction européenne n'y a fait l'objet que d'un traitement minimaliste, frisant la simple évocation.
Le Deutsches Historisches Museum de Berlin I. Rappel historique : En 1987, le Deutsches Historisches Museum a été fondé par la République fédérale d'Allemagne et par le land de Berlin. À l'occasion des 750 ans de la ville, le bourgmestre de Berlin, M. Eberhard Diepgen, et le chancelier fédéral, M. Helmut Kohl, signèrent les accords de fondation, le 28 octobre 1987 dans l'enceinte du Reichstag. À l'origine, le Deutsches Historisches Museum devait se trouver près du Reichstag. Le concours fut gagné par l'architecte italien M. Aldo Rossi, en 1988. Ce projet fut abandonné lors de la réunification en 1990. Le 3 octobre 1990, le jour de la réunification allemande, le gouvernement fédéral transmit les collections et les immeubles du Museum für Deutsche Geschichte , musée de l'histoire allemande fondé par la République démocratique d'Allemagne et siégeant à l'arsenal, au Deutsches Historisches Museum . Le musée a pour objectif principal d'expliquer et de faire connaître l'histoire allemande et européenne. Toutefois, les références au processus de construction européenne demeurent très limitées dans le cadre du parcours permanent du musée. II. Les expositions du Deutches Historisches Museum : Le Deutsches Historisches Museum commença immédiatement à constituer des collections variées. Depuis le mois de décembre 1994, l'exposition permanente « Illustrations et témoignages de l'histoire allemande » montre un choix d'objets provenant de différentes collections. A. L'exposition permanente : L'exposition permanente a lieu dans le Zeughaus , l'édifice le plus ancien de l'avenue Unter den Linden . Créée en 1695 par Frédéric III de Brandenburg, Johann Arnold Nering en fut le premier architecte, suivi de Martin Grünberg puis d'Andreas Schlüter de 1688 à 1699. L'extérieur de la bâtisse fut terminé en 1706 par Jean de Bodt et ne fut définitivement achevé qu'en 1730. Le Zeughaus compte aujourd'hui parmi les plus beaux bâtiments d'Allemagne et tient une place particulière dans l'histoire de l'architecture grâce à ses sculptures exceptionnelles, surtout les masques des « Guerriers mourants » d'Andreas Schlüter situés dans la cour intérieure. Depuis 2006 (date de l'ouverture du Zeughaus au public), l'édifice a accueilli plus d'un million et demi de visiteurs. L'exposition permanente s'étend sur trois étages du Zeughaus , ce qui représente une superficie d'environ 8 000 m². Dans ce cadre, des objets historiques sont présentés dans des contextes variés. Depuis les grandes invasions jusqu'à l'époque contemporaine, les aspects politiques, sociaux et économiques sont traités, suivant un fil conducteur qui relie les périodes-clés de l'histoire allemande et les principales phases de bouleversement de l'évolution en Europe. Ce cheminement à travers le passé comprend les sept étapes suivantes : « vers 1200 », « vers 1500 », « vers 1800 », « vers 1914 », « vers 1933 », « vers 1945 », et « vers 1989-1990 ». Dans les salles thématiques sont présentées les structures sociales correspondantes ainsi que des aspects de l'histoire quotidienne et de l'évolution des mentalités. B. Les expositions temporaires : Le Deutsches Historisches Museum propose également des expositions temporaires qui sont présentées dans le bâtiment construit par l'architecte Loeh Ming Pei, et qui ont lieu une fois tous les trois mois. À la fin de l'année 2009, deux expositions temporaires ont été proposées par le musée : « Le calvinisme, les réformés en Allemagne et en Europe » et « La langue allemande ». Chaque exposition temporaire accueille en moyenne entre 30 000 et 220 000 visiteurs. À l'heure actuelle, le musée propose une exposition temporaire intitulée « Hitler et les Allemands, le peuple et le crime » qui a connu un succès majeur, avec plus de 100 000 visiteurs en seulement trois mois, depuis son inauguration le 15 octobre 2010. C. Portée : Depuis sa création, ce sont ainsi près de 150 expositions qui ont été organisées par le Deutsches Historische Museum , à Berlin mais aussi dans d'autres villes allemandes. Le Deutsches Historisches Museum bénéficie ainsi d'une renommée nationale et internationale importante. En particulier, la scénographie des expositions et les coopérations avec les grands musées européens ont attiré plus d'un demi-million de visiteurs par an. Parmi les expositions qui ont rencontré un succès considérable, on peut mentionner les suivantes : - les flux migratoires en Allemagne avec les deux expositions « Migrations 1500-2005 » et « Les Huguenots », qui ont été montées en coopération avec le département de la Moselle et ont également été exposées à Metz ; - « 1945 - La guerre et ses conséquences ; la fin de la guerre et la politique de la commémoration en Allemagne », exposition conçue pour le 60 e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale ; - « Bismarck : Prusse, Allemagne et Europe » ; - « L'art dégénéré - l'avenir de l'avant-garde dans l'Allemagne nazie », une reprise de l'exposition du musée d'art du Los Angeles County a reconstruit l'exposition organisée par les nationaux-socialistes de 1937 dans la Maison munichoise de l'art et rappelle l'histoire des artistes persécutés et leurs oeuvres ; - « L'Elbe - un CV » présente à Dresde, Hambourg et Prague, biographie d'un fleuve européen et de ses affluents ; - « L'art et le pouvoir », une exposition du Conseil de l'Europe, née en 1996 en coopération avec la Barbican Art Gallery de Londres ; - les deux expositions « La famille de coeur » ( Wahlverwandschaft ), une coopération avec les musées nationaux de Suède et de Norvège, Victoria & Albert, Vicky et les Kaiser, avec des prêts sensationnels de la collection royale britannique, et « Les mythes de la Nation » été dédiées à la dimension européenne de l'histoire allemande. Avec les expositions « Commande Art ! » et « Commande du parti : une nouvelle Allemagne », « La construction Ouest - la Construction Est » et « Bohème et dictature », qui ont attiré de nombreux visiteurs, les curateurs ont participé aux discussions actuelles et au dialogue public sur le passé de la RDA. |
Source : Note de l'ambassade de France en Allemagne.
* 22 JAMES-SARAZIN, Ariane, « La création du musée de l'Histoire de France aux Archives nationales au XIX e siècle » in Quel musée d'histoire pour la France ? , sous la direction de J.-P. BABELON, I. BACKOUCHE, V. DUCLERT et A. JAMES-SARAZIN, Paris, Armand Colin, Collection « Éléments de réponse », 2011.
* 23 Henry Barbet de Jouy, cité in JAMES-SARAZIN, Ariane, « La création du musée de l'Histoire de France aux Archives nationales au XIX e siècle » in Quel musée d'histoire pour la France ? , sous la direction de J.-P. BABELON, I. BACKOUCHE, V. DUCLERT et A. JAMES-SARAZIN, Paris, Armand Colin, Collection « Éléments de réponse », 2011.