III. UNE ARCHITECTURE INSTITUTIONNELLE ÉCLATÉE QUI REND LE PILOTAGE DE L'AIDE AU DÉVELOPPEMENT FRANÇAISE COMPLEXE

La responsabilité de la politique de coopération française est aujourd'hui partagée, au niveau politique, entre le Président de la République, son Premier ministre, le ministre de la coopération, le ministre des affaires étrangères et le ministre de l'économie et des finances, et, au niveau administratif, entre la direction de la mondialisation (DGM) du ministère des affaires étrangères, les directions du Trésor du MINEFI et l'Agence française de développement (AFD).

Cet éclatement des centres de décision se traduit, au quotidien, par la nécessité d'une étroite collaboration entre tous les acteurs . Une institutionnalisation de cette collaboration a été recherchée par la création d'instances de cogestion telles que le Comité interministériel de Coopération Internationale au Développement (CICID) présidé par le Premier ministre ou le Conseil d'orientation stratégique (COS) de l'AFD qui réunit l'ensemble des ministres en charge de la tutelle de l'AFD qui sont, par ailleurs, également représentés dans le conseil d'administration.

Ces instances connaissent un succès inégal : le CICID ne s'est réuni que deux fois depuis 2006, le COS, de création récente, a pour l'instant été convoqué plus fréquemment. Aussi, la cohérence de la politique menée est-elle, au quotidien, assurée par une étroite collaboration entre chacune des administrations et cabinets ministériels et, sur le long terme, par l'adoption de documents stratégiques, comme le document-cadre (DCCD), qui permettent de fédérer les différents acteurs autour d'objectifs communs.

La complexité du pilotage de la politique de coopération française implique cependant des délais de concertation qui peuvent être importants. Le présent contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD en est une illustration. Engagée dés juillet 2010, la discussion sur son contenu a abouti à un accord en avril 2010, laissant l'AFD sans véritable budget les trois premiers mois de l'année.

Cette concertation ne permet pas toujours de surmonter les divergences, et impose donc le recours fréquent à des arbitrages du Premier ministre et du Président de la République qui, par ailleurs, incarne la politique d'aide au développement française dans les instances internationales, à l'ONU, au G8 et au G20.

Dans les pays d'intervention de la coopération française, celle-ci est menée sur le terrain par les agences de l'AFD et par les services de coopération et d'action culturelle (SCAC) sous l'autorité des ambassadeurs. Les SCAC gèrent les actions dans le domaine de la gouvernance ainsi que la coopération universitaire, scientifique, culturelle, les autres compétences ayant été transférées aux agences de l'AFD qui financent aujourd'hui environ 80 % des actions bilatérales.

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Pour la commission des affaires étrangères, la politique de coopération sera confrontée dans les années à venir à plusieurs défis dont les suivants :

Le premier des défis est d'accompagner les dynamiques de développement de l'Afrique et de favoriser la stabilité et la croissance des pays du Maghreb. Il s'agit d'enjeux majeurs pour le continent africain comme pour l'avenir de la France et de l'Europe.

L'expérience de plus de soixante ans de succès et d'échecs indique que l'aide au développement ne peut qu'accompagner des dynamiques de développement : l'aide au développement n'est pas en mesure de générer de la croissance économique ex nihilo à l'échelle d'une région, d'un pays ou d'un continent, pas plus qu'elle ne peut se substituer à des politiques nationales inappropriées. Mais l'aide au développement doit être un accélérateur ou un catalyseur de transformations économiques et sociales promues par des acteurs locaux. Lorsque les conditions de la croissance économique ne sont pas réunies, l'aide au développement peut palier l'absence de croissance en finançant des services essentiels en attendant que les finances publiques nationales soient en mesure de prendre le relais. Notre politique de coopération doit contribuer à favoriser l'investissement en Afrique dans l'éducation et la santé, mais aussi dans les infrastructures et dans le secteur privé.

Le défi de l'efficacité est le deuxième enjeu auquel est confrontée la politique de coopération. Le bilan des Objectifs du millénaire pour le développement, en septembre 2010, a montré que l'aide au développement pouvait obtenir des résultats concrets, par exemple, en matière de taux d'alphabétisation, d'accès à l'eau ou de taux de vaccination.

Il reste que les résultats de cette politique ne font pas assez l'objet, en France, d'évaluations approfondies sur la durabilité des impacts des projets et des politiques menées par pays, par secteurs ou par institutions. Or, l'efficacité et la lisibilité de la politique d'aide au développement sont des éléments essentiels de la légitimité de cette politique auprès des contribuables. La coopération française, comme celle de ses partenaires, doit aujourd'hui faire face à une exigence renouvelée en matière de lutte contre la corruption, de qualité de gestion des projets et de redevabilité. Ces questions d'efficacité de l'aide, d'évaluation et de communication des résultats feront, par ailleurs, l'objet d'une conférence internationale en Corée du Sud en novembre prochain.

La question de la redevabilité est au coeur des préoccupations de votre commission lorsqu'elle examine un contrat comme le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD qui doit contenir des objectifs ambitieux en matière d'évaluation et inscrire résolument l'AFD dans une logique de résultats et d'impacts constatés.

Le troisième défi est sans doute celui de l'articulation entre les politiques bilatérales, communautaires et multilatérales .

Un consensus se dégage pour dire qu'il y aurait des gains d'efficacité manifestes dans une meilleure coordination des différents bailleurs, ne serait-ce qu'au niveau européen, et dans une meilleure gouvernance mondiale dans de nombreux domaines et en particulier dans la santé, l'éducation et le réchauffement climatique. Dans certains secteurs, une créativité institutionnelle débordante conduit à une multiplication des acteurs et aboutit à une augmentation considérable du nombre de projets pour des montants globaux en diminution et des coûts de coordination sans cesse plus élevés. La jungle institutionnelle qu'est devenue la coopération internationale conduit à faire des partenariats entre acteurs un élément essentiel des politiques de coopération.

C'est pourquoi votre commission se félicite d'initiatives comme l'accord passé le 12 février 2010 entre l'AFD, la BEI et la KfW sur la reconnaissance mutuelle des procédures. Cet accord devrait permettre une application réciproque des procédures et normes utilisées dans chaque institution, dans un souci de déléguer, dans toute la mesure du possible, les tâches liées à l'élaboration, la réalisation et le suivi des projets à l'une des trois institutions, laquelle intervient ensuite en qualité de bailleur chef de file dans le cas des projets pilotes cofinancés. On ne peut qu'encourager ces initiatives qui sont des éléments concrets d'une meilleure division du travail et d'une complémentarité des activités des bailleurs de fonds. Elles s'inscrivent pleinement dans l'esprit des engagements pris dans le cadre de la Déclaration de Paris, du Programme d'Action d'Accra sur l'efficacité de l'aide, et du Code de conduite européen.

Cette question rejoint également celle relative au partenariat avec les acteurs infra-étatiques que sont les ONG, les collectivités territoriales et les fondations privées, dont certaines ont aujourd'hui un poids considérable. S'il est illusoire d'espérer une rationalisation significative du nombre des acteurs et des niveaux d'intervention, l'enjeu porte également sur la mise en place de dispositifs assurant une meilleure division du travail et mise en cohérence des actions menées.

Le quatrième défi est celui de la crédibilité de la France dans ce domaine où elle a longtemps fait figure de leader. Au-delà de la présidence du G8 et du G20, l'ambition de la France de participer à la résolution de grands défis internationaux et de construire les politiques globales de demain ne peut pas être décorrélée de la mobilisation de ressources budgétaires.

Or, la situation des finances publiques françaises ne permet pas de tenir un certain nombre d'engagements. Le rôle de la France en Afrique subsaharienne ou dans les instances des Nations unies est aujourd'hui affaibli par la diminution des crédits à consacrer à l'aide au développement. Une partie de la capacité d'entraînement de la France sur ces sujets provient de l'expertise qu'elle tirait de son aide bilatérale et du niveau de ses contributions multilatérales. D'autres pays comme la Grande-Bretagne ont sanctuarisé le budget de la coopération et se sont engagés, depuis plusieurs années, sur une feuille de route budgétaire qui devrait notamment leur permettre d'atteindre les 0,7 % en 2015.

La difficulté pour la France, aujourd'hui, est notamment de trouver dans un budget contraint les moyens de redonner à l'aide bilatérale la capacité d'agir sur le terrain et de mobiliser des ressources en dons dans les géographies et sur les sujets qui le nécessitent.

De ce point de vue, votre commission a souhaité examiner le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD à l'aune de la cohérence entre les objectifs et les moyens fixés à l'AFD.

Cette situation financière explique l'importance accordée par la France, dans les instances internationales, à la question des financements innovants, qui pourraient permettre de dégager des sommes importantes pour financer non seulement les OMD, mais également les actions d'atténuation et d'adaptation en vue du réchauffement climatique. Cette question a été au coeur de l'agenda de la présidence française du G20.

Toutefois, les longues négociations internationales prévisibles pour la mise en place de financements innovants, et les engagements en cours sur le plan multilatéral font qu'il ne faut guère attendre des financements innovants de nouvelles marges de manoeuvre avant 2014. D'ici là, une levée de la contrainte pesant sur l'appareil bilatéral ne pourra venir que d'un effort budgétaire supplémentaire ou d'une réallocation des crédits existants entre le bilatéral et le multilatéral.

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