IV. UNE MOINDRE AMBITION EN MATIÈRE DE PRODUCTION INTELLECTUELLE, DE STRATÉGIE ET D'ÉVALUATION

L'activité de production intellectuelle est devenue en dix ans l'une des activités majeures de l'AFD aux côtés de son activité de financement du développement. A l'instar de la Banque mondiale, le développement des activités bancaires de l'AFD s'est accompagné d'un fort investissement dans une réflexion de fonds sur les problématiques du financement du développement et la production de stratégies sectorielles géographiques et thématiques. Cette activité a pour vocation une meilleure connaissance structurelle et macroéconomique des pays d'intervention, en formalisant et transmettant l'expérience opérationnelle. Elle doit également contribuer, en appui aux tutelles de l'Agence, à l'élaboration et au positionnement international de la politique d'aide au développement de la France.

Elle a, dans ce domaine, effectué ces dernières années une montée en puissance quantitative et qualitative qui mérite d'être soulignée.

La production de l'agence a, au niveau national, renversé le schéma selon lequel l'AFD ne serait que l'opérateur d'une stratégie élaborée par ses tutelles. Non seulement l'AFD n'est pas « les jambes » d'un corps dont les tutelles seraient la « tête », mais son niveau d'expertise lui a permis d'inspirer largement la stratégie que lui ont fixée ses tutelles.

La montée en puissance de l'activité de production intellectuelle et d'organisation de séminaires et de conférences de haut niveau a également permis à l'AFD de se faire une place parmi les acteurs européens et internationaux de l'aide au développement. Progressivement l'AFD est devenu en quelque sorte le bureau d'études des pouvoirs publics en matière de relation Nord-Sud ou de lutte contre le réchauffement climatique au niveau mondial.

A. DES AMBITIONS LIMITÉES EN MATIÈRE DE RECHERCE ET D'ANALYSE POUR UN BUDGET DE LA PRODUCTION INTELLECTUELLE EN FORTE DIMINUTION

Dans ce contexte, le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD pour 2010-2013 prévoit que « l'AFD développe une activité de production de connaissances, de formation et de conseil en vue de promouvoir la place de la France dans le débat international sur le développement, d'accroître sa connaissance des géographies d'intervention et de devenir un partenaire des centres de recherche de haut niveau en sciences économiques et sociales. ».

Il insiste sur la nécessaire synergie avec les autres acteurs français de la recherche sur le développement (IRD, CIRAD) dans le but de mutualiser et de maîtriser les moyens consacrés à ces activités, à tel point que le seul indicateur de performance dans ce domaine concerne la part du budget de production intellectuelle de l'AFD consacrée aux actions réalisées avec les autres instituts de recherche français pour le développement (IRD, CIRAD, etc.) dans le budget de production intellectuelle de l'AFD, qui doit passer de 14 % en 2009 à 20 % en 2013.

Ainsi le contrat contient une Section 1.14 consacrée à la valorisation de l'expertise de la France en Europe et dans le Monde dont l'objectif 1 est de : « renforcer la position de l'Agence dans le débat d'idées en France et à l'international par la production et la diffusion de connaissances en matière de développement » dont le seul indicateur est la part du budget consacrée à des opérations communes avec IRD et le CIRAD.

Sans doute des objectifs chiffrés dans ce domaine, où seule compte la qualité de travaux par ailleurs difficiles à estimer, auraient été peu pertinents. On peut quand même se demander s'il n'y avait pas d'indicateur qui soit plus en rapport avec l'objectif qui est, in fine, la capacité des travaux d'influer sur la vision collective des enjeux du développement et des réponses à y apporter.

On peut, en outre, se demander si le cofinancement est le bon indicateur d'une complémentarité des programmations.

Le deuxième projet d'orientation stratégique de l'AFD prévoyait de consacrer à cette activité 10 % du produit net bancaire (PNB) de l'Agence en 2011. L'expansion des activités et des productions a été en mesure d'utiliser 6,5 % du PNB en 2008 et 8,3 % en 2009. Cet objectif de dépenses avait sans doute vocation à définir dans un premier temps le dimensionnement souhaité de l'activité. Compte tenu de la croissance du PNB qui est passé de 381 millions d'euros à 465,8 millions d'euros de 2005 à 2009, on peut imaginer les réticences à maintenir un indicateur qui ne dit rien de la programmation, ni de la qualité de la production intellectuelle.

On pourrait attendre du contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD qu'il fixe en matière de programmation des axes de réflexion un peu plus précis que la production de connaissances, de formation et de conseil en vue de promouvoir la place de la France dans le débat international sur le développement. Il est vrai que le contrat renvoie à une instance ad hoc le soin de définir cette programmation.

Il est souhaitable que cette programmation fasse l'objet d'une réflexion approfondie et d'un soutien administratif et politique. En effet, la réflexion sur l'aide au développement constitue un enjeu stratégique à plusieurs égards.

On peut regretter que le Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui est un contributeur majeur à la création d'APD avec 1 milliard d'euros et assure la cotutelle de la recherche au développement soit si peu impliqué dans la gestion de la politique française de coopération, alors que son rôle dans le dispositif est probablement plus significatif que celui du Ministère de l'intérieur, qui est représenté au CICID, au COS et au conseil d'administration de l'AFD.

D'une part, dans ce domaine comme dans l'ensemble des sujets ayant trait aux relations internationales, la bataille des idées est aujourd'hui essentielle à l'influence de la France dans les négociations internationales. Aujourd'hui plus qu'hier, l'agenda international intègre des mécanismes de concertation entre experts qui mobilisent des ressources de plus en plus importantes et exercent une contrainte de plus en plus forte sur les grandes décisions. Cette situation implique que les pouvoirs publics puissent mobiliser la production intellectuelle de l'AFD sur les grands enjeux des conférences internationales à venir.

On l'a constaté lors des dernières conférences sur le réchauffement climatique ou sur les financements innovants, la position de la France est d'autant plus écoutée qu'elle a sur ces sujets une expertise reconnue. Mais ce ne fut pas toujours le cas. Parmi les grandes thématiques depuis la fin des années 1990, la France a dû, selon nombre d'observateurs, « courir après le train » sur de nombreux sujets tels que le débat prêts/dons, le débat aide budgétaire/aide projet, la réflexion sécurité/développement, celle sur les critères et les méthodes d'allocation de l'aide. La réflexion sur les taxes internationales, que la France a su mener tambour battant sous le patronage du Président de la République Jacques Chirac et de la commission présidée par Jean-Pierre Landau, constitue de ce point de vue une exception.

L'insistance du contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD sur la nécessaire coordination des acteurs dans ce domaine est, à cet égard, bienvenue. Mais elle relève moins d'un indicateur budgétaire que d'une volonté politique de faire travailler ensemble les institutions de recherche sur les questions de développement.

Le budget consacré à la recherche dans le domaine de l'aide au développement serait, toutes institutions confondues, de 300 millions d'euros. Il serait souhaitable que ce budget fasse l'objet d'une véritable stratégie et qu'une partie de cette programmation soit pensée et évaluée en fonction des échéances diplomatiques.

D'autre part, le développement de la production intellectuelle de l'AFD doit permettre d'approfondir la connaissance des pays et des problématiques de leur développement, fournir un outil de présence dans le débat local et d'appui à l'élaboration des politiques, mais aussi faire remonter les demandes, les visions et les attentes de nos partenaires. L'AFD dispose aujourd'hui d'un large réseau d'agence qui, avec celui des SCAC et des agences du trésor, pourrait constituer un instrument de connaissance et d'anticipation performant donnant un véritable avantage comparatif à la diplomatie et à la coopération françaises. Or il semble que cette dimension de l'activité des agences de l'AFD soit peu coordonnée avec celles des autres acteurs et ne fasse pas l'objet d'objectifs lisibles.

Au regard des moyens en présence, le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD aurait pu être l'occasion de dire ce que les pouvoirs publics attendent précisément de son réseau en matière de suivi des politiques de coopération menées dans les pays partenaires et de connaissance des processus de développement et d'indiquer comment devrait être réparties les tâches entre les agences de l'AFD, les représentants du trésor et le réseau diplomatique.

Vos rapporteurs s'étonnent que le contrat n'évoque aucune de ces questions, ni la nécessité de construire dans ce domaine des partenariats avec les universités, des « think-tanks » extérieurs ou des acteurs étrangers.

En conclusion sur ce point, votre commission aurait sans doute préféré que, sur ce thème, le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD fixe des axes de réflexion et des objectifs, comme ce fut la cas du précédent contrat entre l'AFD et le ministère des finances qui mentionnait par exemple qu'un effort particulier devait être maintenu sur l'analyse des économies de la Zone franc, ou sur l'intégration économique régionale et les négociations en cours des Accords de Partenariat Economique entre les pays ACP et l'Union européenne.

L'absence d'ambition dans ce domaine doit être rapprochée du souhait de la nouvelle direction générale de faire porter la réduction des charges de fonctionnement de l'AFD en partie sur le budget consacré à la production intellectuelle.

En effet, celui-ci, après des années de croissance, connaîtra en 2011 une diminution significative de 18 % par rapport à 2010, l'effort portant sur l'activité d'études, de recherche, sur l'organisation de conférences et sur les partenariats. Cette diminution s'accompagne également de celle des activités d'appui et conseil aux pouvoirs publics français qui devrait connaître une baisse de 33 %. Dans le même temps, les métiers de production financière et d'intermédiation bancaire voient leur budget augmenter de 8 %.

Ces évolutions inspirent deux séries de réflexions.

La première concerne la crainte que les choix auxquels est contrainte l'AFD en matière de coûts de fonctionnement ne viennent réduire l'avantage comparatif reconnu à l'AFD qui a, en quelque sorte, complété son activité bancaire par une intense réflexion stratégique sur le développement. Cette crainte est doublée du constat que, si l'AFD diminue sa production intellectuelle et son action de conseil auprès des tutelles, aucune autre institution n'est en mesure de prendre le relais.

Sans doute un excès de réflexions théoriques et de documents stratégiques n'est-il pas souhaitable pour un établissement qui est avant tout une agence de projet. Mais, à l'inverse, une réduction trop drastique des outils de pilotages stratégiques et de réflexion sur le sens de l'action de l'AFD risque de réduire l'AFD à sa seule activité bancaire et lui faire perdre son cap.

Il convient de veiller à ce que du « tout stratégique » l'AFD ne bascule pas dans une surréaction par rapport à la période précédente pour tomber dans le « tout opérationnel ».

La seconde concerne les relations financières entre l'AFD et l'Etat. L'AFD, à travers l'activité d'appui et de conseil aux pouvoirs publics, mais aussi par le biais des partenariats et des opérations de communication, est amenée à financer sur ses fonds propres des activités auparavant exercées par les services de l'Etat.

Dans un contexte où l'Etat demande à l'AFD de réduire ses coûts de fonctionnement, une clarification des relations budgétaires Etat/AFD passe sans doute par un chiffrage explicite et partagé avec les tutelles de ses prestations et la mise en place d'un financement équilibré.

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