PREMIÈRE PARTIE - LE CONTEXTE : UNE COOPÉRATION INTERNATIONALE MARQUÉE PAR UNE DIMINUTION DES MARGES DE MANoeUVRE DE L'AIDE BILATÉRALE

L'adéquation des moyens aux missions de l'AFD ne saurait se comprendre en dehors du contexte global de la politique de coopération internationale menée par la France.

La Caisse Centrale de Coopération Economique (CCCE), née sous la colonisation mais prospérant sous la décolonisation et la guerre froide, était, à l'image d'une coopération essentiellement bilatérale, centrée sur les pays du champ d'Afrique francophone. Une politique de coopération qui avait pour objectif tout autant le développement économique que le maintien d'une relation privilégiée avec la zone CFA considérée, à certains égards, comme une « arrière-cour » économique de la France à travers une aide liée et de grands contrats revenant aux entreprises françaises.

De même, l'AFD des années 2000 est conforme à l'image d'une politique de coopération rénovée qu'elle a par ailleurs largement contribué à définir.

Avec l'extinction progressive des moyens et des crédits de la rue Monsieur et la naissance d'un monde multipolaire est née une politique d'aide au développement partagée entre une aide multilatérale et européenne au poids croissant et une aide bilatérale dont l'AFD est l'opérateur pivot, intervenant aussi bien en Afrique que dans les pays émergents, avec pour ambition d'être un instrument d'atténuation et de régulation des effets pervers de la mondialisation.

Dans cette perspective, comprendre les enjeux du nouveau contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD suppose d'avoir une bonne compréhension des objectifs de la politique de coopération française tels qu'ils ont été formalisés récemment par le Document-cadre de coopération au développement auquel la commission des affaires étrangères avait contribué 1 ( * ) .

I. UNE COOPÉRATION QUI A DIVERSIFIÉ SES OBJECTIFS ET SES ZONES D'INTERVENTION

A. LES OBJECTIFS DE LA POLITIQUE DE COOPÉRATION FRANÇAISE

La coopération française comme celle de ses partenaires de l'OCDE vise naturellement à lutter contre le sous-développement. Derrière ce vaste objectif, il convient de distinguer des objectifs intermédiaires dont l'importance varie selon les catégories de pays.

La lutte contre la pauvreté et les inégalités demeure au premier chef la raison d'être de l'aide au développement. Elle est au coeur des objectifs du millénaire pour le développement. Ces 8 objectifs définis dans le cadre de l'ONU au début du 21 e siècle , traduits en 18 cibles et 47 indicateurs constituent, comme l'a rappelé la conférence des Nations unies sur les objectifs du millénaire pour le développement le 20 septembre dernier, le point de ralliement de l'ensemble des politiques de coopération des pays occidentaux.

L'influence de cet objectif et des OMD sur le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD est perceptible dans l'importance donnée aux secteurs liés au développement humain tels que la santé et l'éducation dans les indicateurs de performance de ce contrat. Elle se traduit également par la difficulté à traiter avec la même importance des thèmes comme le développement urbain ou l'agriculture qui n'ont pas fait l'objet d'une formalisation au sein des OMD.

La promotion d'une croissance durable et partagée dans les pays en développement . L'exemple des pays émergents montre que la croissance économique reste le moyen le plus efficace de tirer les populations hors de la pauvreté. Cet objectif est poursuivi à travers le financement d'infrastructures, le soutien au développement du secteur privé par le biais de mécanismes de marchés comme les garanties bancaires ou encore par des moyens non budgétaires comme le soutien, lors des négociations commerciales internationales, à l'insertion de ces pays dans le commerce mondial.

Cet objectif est évidemment au coeur de l'activité de l'AFD qui a développé une expertise et des instruments en faveur du secteur privé en Afrique et en particulier des PME. Il fait partie des priorités de la politique de coopération française comme en témoignent les engagements pris par le Président de la République en Afrique du Sud en février 2008 en faveur de la croissance en Afrique dont il est fait explicitement référence dans le projet de contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD.

Le développement visé par cet objectif est une croissance dite partagée et durable. Durable parce que le respect de l'environnement est aujourd'hui devenu un impératif planétaire et que les pays en développement risquent d'être les premières victimes du réchauffement climatique. Partagée parce que, comme vos rapporteurs l'ont constaté en Inde, une croissance soutenue peut être enregistrée tout en laissant de côté une grande partie de la population faute de mécanismes suffisants de redistribution et de protection sociale.

La prévention des crises et des conflits qui naissent du sous-développement ou le renforcent. La pauvreté et la fragilité de certains Etats, notamment africains, favorisent l'émergence de crises, de conflits et de tensions migratoires, le développement du terrorisme et des trafics illicites, ainsi que la dissémination des pandémies. Dans ce contexte, une politique de coopération tend à contribuer à la stabilisation des zones de tensions, à la prévention des conflits et peut faciliter l'accompagnement des Etats fragiles ou en transition.

C'est par exemple à ce titre que l'AFD finance au Tchad des projets d'accompagnement de la transhumance afin de prévenir les conflits, dans ces zones frontalières avec le Darfour, entre les nomades et les sédentaires. C'est également au titre de la reconstruction et de l'accompagnement des Etats fragiles que l'AFD intervient en Afghanistan, dans les Territoires palestiniens ou en Haïti.

Cette politique de prévention des crises qui est consubstantielle aux actions menées dans de nombreux pays notamment dans la zone sahélienne fait l'objet dans le COM d'un indicateur particulier qui ne concerne cependant que les pays dits « en crise ou sortie de crise », c'est à dire: Afghanistan, Irak, Territoires palestiniens, Soudan, Yémen, Haïti. Mais, d'une certaine façon, l'action dans les 14 pays prioritaires est également une action en faveur des Etats fragiles, qui donne la priorité à la prévention via le renforcement de l'Etat et le développement des services de base.

La préservation des biens publics mondiaux tels que le climat, la biodiversité et la sécurité sanitaire. Pour atteindre cet objectif, la France cherche à mettre en place des mécanismes de régulations et à pousser à l'adoption de politiques globales à l'échelle planétaire telles que la généralisation, des campagnes de vaccination ou des plans d'appui à la préservation de la biodiversité.

Si les trois premiers objectifs ont été présents dès la mise en place des premières politiques d'aide au développement de manière affichée ou « induite », les biens publics mondiaux constituent un objectif nouveau lié à la prise de conscience des risques, en particulier sanitaires ou environnementaux, qui menacent la planète dans son ensemble et ne peuvent être traités que par une action collective. Ils constituent à la fois une dimension d'arrière-plan de l'ensemble des politiques de coopération et un nouveau champ spécifique de la coopération, notamment dans les relations de la France avec les pays émergents.

Dans le contexte actuel, l'aide au développement est de plus en plus conçue comme un des outils de l'influence française dans les pays du Sud de la planète et au sein de la communauté internationale ainsi qu'un outil de régulation des dérèglements et des inégalités issus de la mondialisation et de prévention contre les facteurs de conflits et de propagation de nouveaux risques aussi bien au Sud qu'au Nord.

La description de ces différents objectifs illustre en partie la mutation de la coopération française qui s'est diversifiée dans ses objectifs, dans ses géographies et dans ses méthodes.

La fin du ministère de la coopération et la montée en puissance de l'AFD ont été un accélérateur et l'illustration de cette mutation qui a vu la fin de la « coopé » des années 60, celle des assistants techniques en nombre, agronomes et professeurs, et la naissance d'un nouveau visage d'une coopération plus complexe où interviennent des partenaires et des instruments de plus en plus variés.


* 1 Rapport d'information n° 566 (2009-2010)  « Pour une mondialisation maîtrisée - contribution au projet de document-cadre de coopération au développement »

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