N° 403
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011
Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 avril 2011 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la mission commune d'information (1) sur la désindustrialisation des territoires ,
Par M. Alain CHATILLON,
Sénateur.
Tome II : COMPTES RENDUS DES DÉPLACEMENTS
ET DES AUDITIONS
(1) Cette mission commune d'information est composée de : M. Martial Bourquin, président ; Mmes Nathalie Goulet, Élisabeth Lamure, M. Jean-Jacques Mirassou, vice-présidents ; MM. Jean-Claude Danglot, Marc Daunis, Mme Esther Sittler, M. Raymond Vall, secrétaires ; M. Alain Chatillon, rapporteur ; MM. Michel Bécot, Claude Biwer, Mme Christiane Demontès, MM. Edmond Hervé, Benoît Huré, Jacques Legendre, Dominique de Legge, Philippe Leroy, Jean Louis Masson, Philippe Nachbar, Mme Isabelle Pasquet, MM. Rémy Pointereau, Christian Poncelet, Daniel Raoul, Paul Raoult, Mme Esther Sittler, MM. Jean-Pierre Sueur, Michel Teston. |
PREMIÈRE PARTIE - LES DÉPLACEMENTS DE LA MISSION
I. DÉPLACEMENT À BRUXELLES (9 SEPTEMBRE 2010)
Composition de la délégation :
M. Martial Bourquin, président ; M. Alain Chatillon, rapporteur ; M. Jean-Jacques Mirassou, vice-président ; M. Raymond Vall, secrétaire, et M. Michel Teston.
____________________
? Entretien avec Mme Emma Udwin, conseiller du cabinet de M. Johannes Hahn, commissaire européen en charge de la politique de cohésion, et M. Lucio Paderi, manager de programmes (Unité France) à la Direction générale de la politique régionale ; ? Déjeuner de travail avec M. Philippe Léglise-Costa, représentant permanent adjoint de la France auprès de l'Union européenne ; ? Entretien avec M. Armindo Silva, directeur en charge du dialogue social, du droit social et des conditions de travail et M. Jean-François Lebrun, chef d'unité conditions de travail et adaptation au changement, à la Direction générale Emploi, affaires sociales et égalité des chances de la Commission européenne ;
? Entretien avec M. Diego Canga Fano, chef adjoint du
cabinet de M. Antonio Tajani, vice-président de la Commission
européenne, commissaire européen à l'industrie.
|
A - ENTRETIEN À LA DIRECTION GÉNÉRALE DE LA POLITIQUE RÉGIONALE
La délégation s'est tout d'abord entretenue avec Mme Emma Udwin , conseiller du cabinet de M. Johannes Hahn, commissaire européen en charge de la politique de cohésion, en présence de M. Lucio Paderi , plus spécifiquement chargé, au sein de la Direction générale de la politique régionale, des programmes concernant la France.
La politique régionale - ou « de cohésion » - de l'Union européenne vise à réduire les écarts de développement entre les régions de l'Union. Ces écarts s'étant accrus avec le dernier élargissement, une nouvelle politique régionale a été définie pour la période de programmation 2007-2013, autour de trois objectifs :
- améliorer la compétitivité régionale ;
- soutenir la création d'emplois ;
- équilibrer le développement harmonieux et durable des zones urbaines et rurales.
Mme Emma Udwin a indiqué que l'accent était aujourd'hui mis sur la promotion des petites et moyennes entreprises ainsi que sur la recherche et l'innovation , afin de faire face aux différents changements affectant le paysage industriel européen. Si la France n'est pas le premier pays utilisateur des fonds de la politique régionale européenne, elle a néanmoins accompli d'importants efforts, notamment pour la recherche et l'innovation.
Le commissaire Johannes Hahn tient à ce que cette politique ne soit pas assimilable à une politique de charité : au contraire, les 350 milliards d'euros de fonds structurels constituent un outil pour investir dans l'ensemble des régions européennes , et pas seulement dans les régions les plus pauvres ou les plus sinistrées. Il s'agit aussi d'aider les régions prospères à ne pas perdre du terrain.
La Commission européenne doit présenter, le 10 novembre 2010, le 5 ème rapport de cohésion. Ce dernier constitue un catalogue de propositions qui seront discutées au Conseil et au Parlement européen : la nouvelle politique industrielle qui en découle doit permettre de soutenir le développement des régions en transition et de rendre ce passage plus rationnel et harmonieux. L'accent sera également mis sur des régions qui n'ont pas forcément connu des difficultés importantes, mais qui se situent toujours dans une position intermédiaire, ce qui pourrait profiter à huit régions françaises .
Les procédures de la politique de cohésion seront simplifiées, mais cette nouvelle politique conservera les mêmes objectifs. Il n'y aura pas de révolution.
Mme Emma Udwin a ensuite formulé un certain nombre de remarques :
- le déploiement du budget doit être aligné sur les priorités déclinées dans la communication de la commission « Europe 2020 » et il doit y avoir une grande flexibilité dans l'utilisation des fonds ;
- il est important de garder un niveau important pour la part du budget revenant à la politique de cohésion ;
- M. Hahn n'est pas favorable à la sectorisation des fonds et privilégie une approche intégrée.
M. Martial Bourquin, président, a souligné un certain nombre de points :
- l'importance du socle industriel en France et en Europe ;
- une politique volontariste doit être menée afin d'avoir une industrie solide et moderne ;
- bien que la politique de cohésion s'adresse à toutes les régions, il ne faut pas perdre de vue la nécessité de la péréquation.
Il a également souhaité avoir des précisions sur les solutions prévues au niveau européen en cas de délocalisations, sur la question de l'alignement progressif des conditions sociales par le haut ainsi que sur la difficulté rencontrée aujourd'hui par les régions à utiliser les différents fonds.
Mme Emma Udwin a indiqué qu'en dépit des pressions qui pouvaient exister pour se concentrer sur un certain nombre de grands projets visibles, le commissaire Hahn ne perdait pas de vue l'importance des PME, créatrices d'emplois.
Concernant les aspects sociaux, l'action du FEDER vise à favoriser le développement d'autres activités en cas de délocalisations. Les aides sont également conditionnées au maintien de l'entreprise sur le territoire.
M. Michel Teston a constaté que les fonds structurels ont depuis toujours servi à lutter contre la désindustrialisation. Or le phénomène s'est aujourd'hui amplifié et on doit y consacrer davantage de crédits.
M. Jean-Jacques Mirassou a considéré que les crédits des fonds structurels bénéficiaient principalement aux nouveaux pays européens, ce qui se répercute négativement sur les emplois français. Il a souhaité savoir pourquoi les fonds structurels n'intervenaient pas davantage pour les régions qui ne sont ni sinistrées, ni spécialisées dans des technologies de pointe, mais qui sont juste situées entre deux paliers.
Mme Emma Udwin a indiqué que le commissaire Hahn souhaitait effectivement insister sur plusieurs points : améliorer le climat pour les entrepreneurs, favoriser les activités, soutenir une croissance basée sur le développement durable et sur l'inclusion sociale notamment. A ces fins, il s'agit de trouver un équilibre entre « focus and flexibility » : à savoir des objectifs européens à traduire en actions locales.
M. Lucio Paderi a indiqué que les aides n'avaient pas vocation à être permanentes mais devaient aider certaines régions à franchir un palier et les pousser vers l'innovation.
B - DÉJEUNER DE TRAVAIL AVEC M. PHILIPPE LÉGLISE-COSTA, REPRÉSENTANT PERMANENT ADJOINT DE LA FRANCE AUPRÈS DE L'UNION EUROPÉENNE
M. Philippe Léglise-Costa, représentant permanent adjoint de la France, a indiqué que l'enjeu des négociations des dix prochaines années porterait sur la croissance et l'emploi.
Alors que pour l'actuelle période de programmation 2007-2013, les fonds structurels interviennent au profit de toutes les régions européennes mais avec un accent sur la recherche et l'innovation, pour l'après 2013, l'enjeu porte davantage sur la couverture géographique des fonds structurels que sur leurs priorités d'intervention thématiques.
En effet, dans un contexte budgétaire tendu, de nombreuses voix s'élèvent pour réduire la part actuelle de la politique de cohésion dans le budget communautaire (36 %) et supprimer l'objectif « Compétitivité régionale et emploi », ce qui aurait pour conséquence de rendre inéligible au FEDER et au FSE l'ensemble des régions françaises à l'exception des ultramarines et qui constitue l'enjeu des actuelles et prochaines négociations budgétaires.
Dès lors que les régions françaises restent éligibles aux fonds structurels après 2013, il conviendra alors de s'assurer que ceux-ci resteront mobilisables au profit de la lutte contre la désindustrialisation des territoires.
M. Jean-Jacques Mirassou s'est interrogé sur l'arbitrage relatif à la répartition des aides allouées aux différentes régions.
M. Philippe Léglise-Costa a indiqué qu'en application de la règle « d'earnmarking » , les régions ont l'obligation de consacrer 75% des fonds structurels qui leur sont alloués à des projets relevant de thématiques considérées comme prioritaires au niveau communautaire. Il faudra ainsi veiller à ce que les thématiques liées à la désindustrialisation soient mieux fléchées dans les différentes catégories de dépenses.
C - ENTRETIEN À LA DIRECTION GÉNÉRALE EMPLOI, AFFAIRES SOCIALES ET ÉGALITÉ DES CHANCES DE LA COMMISSION EUROPÉENNE
Puis la délégation s'est entretenue avec M. Armindo Silva , directeur en charge du dialogue social, du droit social et des conditions de travail et M. Jean-François Lebrun , chef d'unité conditions de travail et adaptation au changement.
M. Armindo Silva a formulé un certain nombre de remarques :
- la reprise économique européenne passe par la reprise de la production industrielle ;
- en octobre 2010, la commission doit faire une communication sur la nouvelle politique industrielle européenne qui doit marquer les grandes orientations pour l'Europe 2020. Cette nouvelle stratégie a pour but de créer un cadre législatif destiné à favoriser le redressement industriel par le biais : du développement des PME, d'un meilleur accès au crédit bancaire, d'un renforcement du marché intérieur, d'un développement des services aux entreprises, d'une protection de la propriété intellectuelle ;
- l'anticipation et la gestion « socialement responsable » des restructurations d'entreprises doivent guider la politique européenne : la Commission européenne a, à ce titre, encouragé le dialogue entre les partenaires sociaux et défini un ensemble de principes et de règles de conduites ;
- la promotion des compétences de l'avenir passe par une meilleure identification et une meilleure préparation dans la formation ;
- le FSE a financé des projets à hauteur de 4,5 milliards d'euros pour la France métropolitaine en réponse aux mutations économiques et l'application concrète de ces ressources dépendent des autorités nationales ;
- en 2007 a été créé le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation (FEAM), plafonné à 500 millions d'euros : deux projets français ont été approuvés dans le secteur automobile ; en 2009, les conditions du programme ont changé afin de rendre le fonds plus facilement utilisable car seuls 360 millions d'euros ont été consommés en 4 ans ;
- le FEAM est un fonds complémentaire ; d'autres instruments - d'autres fonds - existent et le FEAM ne s'inscrit qu'en fin de processus ; par ailleurs ce fonds ne prend pas en charge les dépenses dites « passives » (comme les allocations chômage par exemple)
- concernant le fonctionnement du FSE, la clause permettant d'utiliser une réserve dans les situations d'urgence n'est jamais utilisée ;
- le délai moyen de traitement des dossiers devant le FEAM est d'environ 300 jours.
M. Martial Bourquin, président, a insisté sur l'importance d'un traitement social de transition intervenant plus en amont afin de lisser des situations parfois critiques et de permettre la mise en place d'un filet de sécurité de prévention.
M. Jean-Jacques Mirassou a regretté que des incompréhensions, voire des obstacles au niveau local perturbent le bon fonctionnement de ce fonds et que les procédures ne puissent pas être accélérées.
M. Michel Teston a constaté que la désindustrialisation de la partie occidentale de l'Union européenne s'expliquait en partie par la mondialisation de l'économie et par la concurrence au sein même de l'Union, les entreprises étant attirées par l'Europe orientale en raison du coût de production inférieur et s'est interrogé sur l'opportunité d'approfondir une réflexion sur l'harmonisation.
M. Jean-Jacques Mirassou a estimé que les pays non-vertueux en termes de conditions du travail devraient être mis devant leurs responsabilités.
M. Armindo Silva a rappelé que l'Union européenne ne pouvait intervenir ni sur le niveau des salaires - et notamment sur la fixation d'un salaire minimum - ni sur les systèmes de sécurité sociale des différents États membres : on ne peut donc pas parler d'harmonisation des conditions sociales.
M. Alain Chatillon, rapporteur, a fait valoir que des aides différentielles pourraient peut-être alors être envisagées.
M. Armindo Silva a conclu en soulignant le fait que le montant des aides était soumis au contrôle de la direction générale de la concurrence, qui vérifie également que les entreprises qui reçoivent des aides ne quittent pas le territoire.
Enfin, la création d'un fonds d'aide au micro-crédit est à l'ordre du jour.
D - ENTRETIEN AVEC M. DIEGO CANGA FANO, CHEF ADJOINT DU CABINET DE M. ANTONIO TAJANI, VICE-PRÉSIDENT DE LA COMMISSION EUROPÉENNE, COMMISSAIRE EUROPÉEN À L'INDUSTRIE
Le chef adjoint du cabinet du commissaire européen à l'industrie a évoqué devant la délégation les points suivants :
- le commissaire européen à l'industrie, vice-président de la commission européenne, M. Antonio Tajani, souhaite que l'industrie revienne au centre de l'économie et que soit effacée la « mauvaise réputation » attachée à cette dernière dans le passé ; il s'agit aujourd'hui, de manière consensuelle, de remettre au coeur de l'économie une industrie moderne, nouvelle, plus verte et plus innovante ;
- signe de ce « vent » favorable dont bénéficie la politique industrielle en Europe, les amendements de la direction générale Industrie au document « Europe 2020 » ont été acceptés relativement facilement ;
- la qualité est un des objectifs phares de cette nouvelle politique avec une mise en avant de l'innovation au plus haut niveau ;
- un équilibre raisonnable doit être trouvé entre environnement et industrie, entre commerce et industrie ainsi qu'entre concurrence et industrie.
M. Alain Chatillon, rapporteur, a regretté que l'Union européenne ne mène pas - vis-à-vis des États-Unis notamment - une politique industrielle plus cohérente, plus audacieuse et plus « forte ». Il s'est par ailleurs demandé si l'Europe était prête à financer des mesures de stockage pour lutter contre la spéculation qui touche certaines productions agricoles.
M. Michel Teston a considéré qu'elle gagnerait à être basée sur la réciprocité, pour éviter notamment la spéculation sur les matières premières et qu'il fallait une vraie politique industrielle à l'extérieur et en interne.
M. Martial Bourquin, président, a indiqué que la définition d'une politique industrielle européenne butait sur la réalité de l'harmonisation des conditions sociales. Il a indiqué que les crédits des fonds structurels ne devaient pas avoir pour effet d'accentuer les délocalisations, en constituant une sorte d'effet d'aubaine.
M. Jean-Jacques Mirassou a considéré qu'il n'y avait pas de véritable politique industrielle européenne aujourd'hui alors que les territoires ont besoin d'outils concrets pour lutter contre la désindustrialisation.
M. Diego Canga Fano a indiqué que la nouvelle politique industrielle de l'Union européenne avait vocation à trouver un équilibre entre une approche horizontale et une approche par secteur.