VALENTIGNEY - COLLÈGE LES BRUYÈRES 10 JANVIER 2011
RENCONTRE AVEC LES PROFESSEURS
Personnes rencontrées :
- Athmane ANALOU Professeur Mathématiques
- Jean-Pierre BRANDELET Professeur Mathématiques
- Véronique CURTIT Infirmerie
- Mirella DI CINTIO Médiatrice
- Phiippe HEIM Professeur SVT
- Pascale JEHANNE CPE
- Sylvena KOBIEZYCKI Professeur Anglais
- Fouad LAYADI Professeur Histoire-Géographie
- Michel LEHEC Coordinateur Réseau de Réussite Scolaire
- Béatrice LETERTRE Assistante Sociale
- Olivier LOIGET Professeur Sciences-Physiques
- Anne MONTAGUT Professeur Anglais
- Gilbert RAVEY Professeur Allemand
- Dominique ROBARDET Professeur Technologie
- Juliette SORLIN Professeur Français
- Dominique SPIZZO Professeur Histoire-Géographie
Les jeunes collégiens ont une forte identification à leur quartier dont le nom est par exemple tagué sur les cartables ou les tee-shirts. Il n'est pas forcément bien vu de réussir au collège ; c'est évidemment un alibi pour ceux qui ne réussissent pas leurs études. Mais pourtant, la plupart veulent réussir. Il y a une différence très marquée entre les filles, plutôt désireuses de réussir et qui pensent à l'avenir, et les garçons, qui n'ont que peu d'idées sur leur future vie .
Le rêve de tous les collégiens est d'aller au lycée général, et pas au lycée professionnel, mais sans nécessairement savoir pourquoi, et surtout sans nécessairement comprendre qu'il faut y travailler . Les élèves sont moins concentrés à l'école qu'autrefois. C'est surtout l'attrait de la facilité qui compte : « avoir tout, tout de suite ». C'est particulièrement net à l'occasion des stages, car il faut travailler et « c'est fatiguant d'être debout toute la journée ».
Les jeunes disent toujours franchement ce qu'ils pensent . Notamment quand il s'agit de marquer la différence entre le quartier défavorisé et le quartier pavillonnaire. Il y a bien toujours quelques élèves perturbateurs, et, malheureusement la majorité ne réagit pas face à ces perturbateurs. Entre les deux quartiers, les jeunes se craignent parce qu'ils ne se connaissent pas. Ils ne se mélangent pas à la récréation et, si les jeunes de la cité sont éclatés dans différentes classes, ils reconstituent les groupes à la récréation.
Ces différences sont typées par l'urbanisme : les tours miradors qui dominent la ville en bas, l'éloignement et les difficultés des transports en bus (la cité est à plus de 3 kilomètres du collège et le parcours est très long parce que le bus fait de nombreux crochets pour desservir différents quartiers). Les parents ont le sentiment que le collège est très loin de leur lieu de vie. La rénovation contribue à une plus forte paupérisation des populations et un renforcement de la concentration ethnique.
L'école n'est pas perçue comme un facteur de réussite professionnelle . La communauté développe ainsi des facteurs alternatifs de réussite dans le cadre de la famille, par exemple avec la création de petits commerces. C'est le règne de la débrouille. Souvent les parents transmettent à leurs enfants leur propre rancoeur vis-à-vis d'une école dans laquelle ils ont vécu un échec personnel : l'échec de leur vie. L'image des enseignants s'est ainsi dégradée avec le temps, même si les collégiens, dans l'ensemble, apprécient leurs professeurs. Le problème, ce n'est pas le professeur. Le problème, c'est l'école.
La première génération arrivée dans les quartiers sensibles dans les années 50 et 60 avait un grand respect pour l'école qui était symbole d'intégration et de promotion sociale , notamment par l'apprentissage du français. La seconde génération vit dans la rancoeur et la désillusion du fait de l'exemple négatif du père ou des grands frères au chômage ou déclassés. Que sera la troisième génération, celle qui est actuellement en maternelle ?
Le fossé va s'élargir, car il y a déjà une fracture qui ne se referme pas entre l'école et la maison . Pour changer cette spirale négative, il faudrait :
- apprendre aux enfants le respect de l'autre ;
- les ouvrir sur des projets et sur l'avenir ;
- que l'école soit vraiment l'école de la République, l'école des valeurs ;
- arrêter de faire l'éloge de l'argent, de la facilité et parler davantage de l'effort, du goût d'apprendre .
L'école est souvent dépassée, mais les parents aussi, parce que la société change trop vite . Le monde est devenu trop différent de ce qu'il était il y a une génération. Il faut aider les parents à comprendre les nouvelles technologies. Il faut trouver le moyen de faire le lien entre ce qui se passe à l'école et ce que vivent les enfants chez eux, notamment avec la télévision et Internet.
Il faut aussi privilégier les sujets qui rapprochent, créer des passerelles entre les cultures, réapprendre la langue d'origine pour pouvoir s'exprimer dans une autre langue, y compris le français, maintenir les valeurs républicaines au quotidien, en particulier le sens de la fraternité et de la solidarité, travailler les problèmes le plus en amont possible et motiver les jeunes dès la 6 ème .
Les jeunes collégiens n'ont malheureusement pas beaucoup de modèles autour d'eux . Ceux qui ont réussi ont quitté la cité. Le seul modèle qui leur permet encore de rêver, c'est celui « du caïd ». Le but c'est arriver à faire vivre ensemble des jeunes venant d'horizons différents et qui apprendraient à se tolérer et à se respecter. Il faudrait aussi donner le sens de l'effort en liant réussite scolaire et offres de loisirs, qui, souvent sont déconnectées.
Il faut surtout repenser l'école en tant que lieu stratégique pour retrouver les valeurs du respect de l'autre . Mais il faut pour cela plus d'adultes présents à l'école et plus d'éducateurs dans les cités, avec le retour de volontaires désintéressés au service des jeunes.
Le fossé s'élargit toujours entre les exigences de l'école et le fonctionnement quotidien d'une société marquée par l'argent et la vie facile . L'école devient alors une centrifugeuse qui exclut plus qu'elle ne rassemble. Il faut rassembler toutes les structures qui travaillent sur les adolescents, à l'intérieur comme à l'extérieur de l'école, dans une même démarche pour développer la connaissance de l'autre, pour favoriser l'apprentissage de la langue, la compréhension des droits et devoirs de la citoyenneté, l'intérêt de la pratique des disciplines sportives ou artistiques. Tous les adultes, -parents comme éducateurs ou professeurs- devraient faire corps pour repousser les attraits d'un monde facile véhiculé par les médias.
L'école est actuellement une forme de sanctuaire pour les valeurs . En dehors de l'école, ces valeurs ne sont plus défendues, notamment dans la famille ou les médias. Les parents sont devenus, eux-aussi, des consommateurs, souvent agressifs et revendiquant. L'école ne peut pas toute seule faire le travail qui incombe à la société dans son ensemble. Il faut une bonne dose d'optimisme pour penser que l'évolution des prochaines générations ira dans le bon sens.
RENCONTRE AVEC LES COLLÉGIENS
La plupart des collégiens n'ont qu'une vague idée de leur avenir . Pourtant quelques uns ont des idées très précises : professeur, médecin, assistante sociale (pour aider les gens), pilote de course. Khadel qui est en 3 ème est intéressé par l'environnement. L'important pour lui c'est pour l'instant le travail à l'école. Autres métiers évoqués : s'occuper des enfants, travailler dans l'informatique, collaborer à un journal de mode.
L'ambiance est différente entre le quartier des Buis et le quartier des Bruyères. C'est surtout une question de mentalités. Il y a beaucoup de choses qui font la différence, notamment l'aspect du quartier. Il y a aussi un grand écart dans la manière de vivre. Myriam (3 ème ) pense que, plus tard, elle n'habitera plus aux Buis. « Il n'y a pas beaucoup de commerces et les grandes villes offrent plus d'opportunités, surtout pour découvrir des choses et pour trouver du travail ». Il n'y a pour tout le quartier qu'une boulangerie et un bar. Une jeune collégienne, qui voudrait devenir ophtalmologiste, souhaite poursuivre ses études à Strasbourg. Une autre jeune, qui voudrait devenir professeur d'anglais, souhaite aussi s'éloigner pour découvrir un autre univers. Une minorité souhaite quand même rester aux Buis parce qu'ils y sont bien.
Certains estiment qu'il y a beaucoup de violence au quartier des Buis . Mais d'autres pensent qu'on invente, par exemple en parlant de vols à l'arraché. Il y a eu, c'est vrai, une émeute récemment suite à une altercation entre la police et un habitant.
Saïd, qui intervient beaucoup dans la discussion, explique que les jeunes sont obligés de recourir à la violence pour attirer l'attention sur leurs demandes . « Il faut tout casser pour se faire entendre ». Mais dans l'ensemble, il y a moins de violence qu'en Seine-Saint-Denis. Sabrina souhaiterait poursuivre des études générales pour faire médecine. Elle voudrait s'éloigner du quartier car, quand elle compare avec ses cousins et cousines, elle constate qu'ils ont de meilleures conditions de travail.
Certains ont peur de l'avenir. Surtout peur de rater leurs études et de terminer au chômage. Peur d'avoir une mauvaise orientation et d'obtenir un travail qui ne plait pas. Une jeune collégienne espère « être à la hauteur pour subvenir plus tard aux besoins de la famille », « pour donner assez d'argent à ses parents et les rembourser des efforts qu'ils font pour elle », « pour pouvoir envoyer les parents en pèlerinage à la Mecque ». Ce qu'il faut, c'est arriver à avoir confiance en soi.
Un groupe de jeunes au collège «Les Bruyères » à Valentigney (Doubs)
RENCONTRE AVEC LES ÉLUS, LES SERVICES MUNICIPAUX
ET LES PARTENAIRES DE LA VILLE
Personnes rencontrées :
- Salina BECAOUNI Directrice CCAS
- Pascale BERTHET Responsable espace action médico-sociale -Conseil généraral du Doubs
- Elisabeth BISOT Inspectrice d'Académie
- Stéphane BOICHARD Coordinateur PRE/GUP à Valentigney
- Bernard BONNAGUE Adjoint Prévention Sécurité et Insertion à Valentigney
- Alain BORES Directeur général des services à la Mairie de Valentigney.
- Guy BRANAT Délégué du Préfet à la sous préfecture de Montbéliard.
- Brigitte BURCEZ Responsable service urbanisme à Valentigney
- Martial CROTET Major, Adjoint au chef des unités territorialisées à la Police Nationale.
- Jean-Luc DOMIER Représentant Jeunesse/Sports à Valentigney
- Zakaria ELOUARDI Responsable Politique de la ville à la Communauté d'agglomération Pays de Montbéliard.
- Martine FEVRE - PRUDOT Principale Collège des Bruyères.
- Aline GRANDI Adjointe au maire à l'éducation à Valentigney.
- Jean-Luc HAVEZ Directeur Centre Social de Valentigney
- Claudine HEITMANN Responsable Agence NEOLIA
- Christine LEBOCQ - CESTANT Directrice service politiques urbaines à la communauté d'agglomération Pays de Montbéliard.
- Jean-Luc MICHAUD Centre ressources ville - Bourgogne
- Pierre MOSSINA 1er adjoint au Maire chargé de la politique de la ville à Valentigney
- Cécile NOBLET Coordinatrice Territoriale Jeunesse, Les Francas du Doubs
- Marlène Oliva Adjointe actions sociétales, Vice Présidente CCAS
- Christian PERTUISET Conseiller Municipal à la ville de Valentigney.
- Daniel PETITJEAN Maire de Valentigney
- Danièle RÉBERT Elue ville et déléguée agglomération Pays de Montbéliard, présidente de la Maison de l'Emploi
- GEOFFOI SCHALLER Chef de projet Politique de la ville de Valentigney.
- Patrice SCHNEIDER Délégué des Francas du Doubs à Valentigney
- Jean-Claude VETLER Directeur Keolis Pays de Montbéliard
La ville est très présente sur l'accompagnement des jeunes collégiens . Elle a signé notamment un partenariat avec le centre de formation par l'apprentissage qui donne de bons résultats. L'enjeu essentiel est la mixité sociale. Mais cette mixité ne se décrète pas et il est très difficile de parvenir à se faire rencontrer les jeunes issus des deux quartiers. On peut craindre que le fossé qui s'est créé dans le passé ne se reproduise à l'avenir.
Or, le quartier difficile est le quartier de la jeunesse , même si la population diminue et si elle tend à vieillir. C'est dans ce quartier que vivent 42 % des jeunes de la ville. Le collège est de ce fait le seul endroit de la mixité obligée. Pour les services de sécurité, le quartier ANRU est bien le quartier le plus difficile de la ville. La question est étudiée régulièrement avec l'Agence et dans le cadre du groupe de régulation sociale du quartier (GRSQ). La délinquance tend à survenir de plus en plus tôt, dès l'âge de 12 ans. C'est à la fin de la rénovation urbaine qu'il va falloir être le plus vigilant avec un accompagnement permanent du quartier.
Il ne faudra pas abandonner l'accompagnement associatif de proximité. L'emploi est bien sûr le facteur essentiel de la stabilité de ces quartiers. Mais la rénovation urbaine, qui renchérit le coût du logement, a malheureusement aussi comme conséquence la montée du surendettement des familles modestes . Pour autant elle a fait aussi la preuve de son efficacité. Les quartiers explosent moins qu'avant. Un désengagement de l'Etat sur les politiques de réussite éducative (PRE) présenterait des risques graves pour la tranquillité de ces ensembles. D'autant que ces politiques sont lentes à se mettre en route.
Le fondamentalisme religieux serait un obstacle à l'apprentissage des connaissances . Différents travaux (rapport Obin) semblent le prouver. On constate aussi des signaux de régression de la laïcité du fait de ce fondamentalisme : retour des femmes voilées, identification de lieux de distraction culturelle « non fréquentables » par les femmes etc.
Le centre social doit aussi permettre l'apprentissage de la langue française par les parents parallèlement à l'alphabétisation des enfants. L'école doit être ouverte aux parents. L'école doit aussi être un tremplin pour les associations dont le rôle est d'élargir le champ de découverte et d'investigation des jeunes collégiens. La clé de la réussite passe par le partenariat entre l'école et les associations. Il faut d'ailleurs aller au-delà des dispositifs connus pour répondre aux demandes des habitants, par exemple en les faisant venir à des causeries qui leur permettent d'exprimer leurs problèmes.
Visite de la zone de rénovation urbaine des Buis à Valentigney