2. Une baisse de la charge d'intérêts qui a profité aux actionnaires
En ce qui concerne les intérêts nets versés qui correspondent aux coûts du capital emprunté diminués du rendement des prêts effectués par les entreprises, leur variabilité est très grande. Leur montant dépend du taux de recours à l'endettement et du coût de la dette. Leur poids dans l'EBE varie selon le différentiel d'évolution des charges de l'endettement et de l'EBE.
Ces évolutions peuvent correspondre à des réalités économiques très différentes, l'histoire récente fournissant une illustration de cette diversité des configurations possibles .
Le maximum de la charge des intérêts est atteint en 1983, année où l'EBE est à un niveau relatif particulièrement faible, l'endettement des entreprises et les taux d'intérêt étant élevés. Suit une phase de désendettement et de décrue des taux d'intérêt et la charge des intérêts en proportion de l'EBE recule de 20 point, de 30 à 10 %. Cette évolution est contemporaine d'un redressement de la part de l'EBE dans la VA.
Dans le contexte présumé de stabilité de la part de l'EBE dans la valeur ajoutée qui succède à cette période avec des taux d'intérêt durablement bas, les années 2000 voient la charge des intérêts croître à nouveau plus que l'EBE si bien que le poids des intérêts augmente à nouveau dans des proportions qui restent toutefois mesurées puisqu'il atteint 9,8 % de l'EBE en 2007 contre 7,1 % en 2000.
A l'occasion de ce dernier épisode, une différence majeure intervient avec d'autres phases d'augmentation du poids des intérêts . Cette augmentation est parallèle à une réduction de l'épargne (de 53,8 % de l'EBE en 1998 à 40,6 % en 2007) qui est corrélée avec la hausse des revenus distribués aux détenteurs de capital et non à une baisse de la part de l'EBE dans la valeur ajoutée comme cela avait été le cas dans les années 70 238 ( * ) .
PRÉCISIONS TECHNIQUES SUR LES REVENUS VERSÉS PAR LES ENTREPRISES Les revenus distribués ne correspondent pas strictement aux dividendes versés par les entreprises. En premier lieu, la comptabilité nationale les comptabilise en valeur nette diminuant les versements des perceptions de revenus de même nature. La complexification des structures d'entreprises entraîne une amplification de ces flux dans un sens ou dans l'autre. Il est intéressant de relever que les revenus non distribués, ou réinvestis directement dans l'entreprise de provenance, sont considérés comme s'ils avaient été perçus puis réinvestis. En second lieu, la comptabilité nationale distingue, pour les sociétés : - les dividendes qui constituent un revenu de la propriété pour les actionnaires qui ont mis des capitaux à la disposition d'une société, la comptabilité nationale ayant une définition assez large des dividendes puisqu'il s'agit de tout produit financier lié à une participation dans une entreprise assujettie à l'impôt sur les sociétés (IS). Ainsi, dès lors qu'une filiale d'entreprise assujettie à l'IS distribue un revenu à son entreprise mère, ce flux financier est classé avec les dividendes ; - les autres revenus distribués des sociétés qui correspondent aux revenus distribués par les entreprises assujettis à l'impôt sur le revenu. La comptabilité nationale leur fait distribuer l'ensemble de leur résultat à leur propriétaire. L'essentiel des autres revenus distribués des sociétés est le fait de sociétés en nom collectif (SNC), de sociétés civiles professionnelles (SCP) et de SARL. |
Le supplément d'endettement n'est pas non plus lié à une poussée de l'investissement mais au choix d'augmenter les rémunérations versées aux actionnaires 239 ( * ) sur fond de recours à l'endettement dans le cadre d'une gestion financière recourant à l'effet de levier de la dette.
Comme le montre le graphique ci-dessous, il a existé, au cours des années 2000, une forme de décorrélation entre l'évolution de l'épargne et celle des revenus versés aux propriétaires de l'entreprise.
On peut l'interpréter comme une option d'affecter les ressources de l'entreprise à la rémunération des épargnants plutôt qu'à la préservation des ressources financières des entreprises, choix qui aurait pu répondre au souhait de conserver des capacités d'autofinancement et, avec elles, une structure financière solide.
Mais, l'option inverse choisie est pleinement compatible avec ce que la plupart des études décrivent en soulignant les excès du recours au « levier d'endettement ».
ÉPARGNE ET REVENUS FINANCIERS VERSÉS PAR LES ENTREPRISES
Ainsi, la rentabilité du capital a été optimisée à travers un ensemble d'actions visant, les unes, à améliorer la rentabilité économique du capital, les autres, par des stratégies purement financières, à maximiser les revenus des capitaux propres.
Cependant, si le partage de la valeur ajoutée semble pouvoir subir des pressions durables (pas infinies malgré tout), le recours à des stratégies d'optimisation financière pose plus rapidement un problème de soutenabilité.
Or, celui-ci risque bien d'aggraver les pressions pesant sur la part de la valeur ajoutée consacrée aux salaires sauf à ce que les propriétaires du capital des entreprises acceptent de supporter la charge du rétablissement de conditions financières plus saines .
C'est là un enjeu important de la sortie de crise, à court terme, mais aussi pour le plus long terme, un défi majeur si l'on souhaite que s'instaure un équilibre plus durable du modèle de croissance.
L'augmentation des dividendes versés aux actionnaires a porté le prélèvement sur le profit des entreprises destiné à ceux-ci à un niveau historique : le quart de l'EBE en 2006-2007 soit plus de deux fois plus qu'en 1981 et un niveau jamais atteint depuis 1949 .
ÉVOLUTION DES REVENUS FINANCIERS NETS VERSÉS PAR LES ENTREPRISES (EN POINTS DE VA)
L'augmentation du poids des dividendes versés peut correspondre à plusieurs phénomènes.
Les premiers peuvent être internes à la sphère de l'EBE. La modification de la répartition de l'EBE en faveur des dividendes peut être liée :
- à l'extension des opérations de répartition de la valeur ajoutée dans les groupes complexes où les flux croisés de dividendes sont logiques et peuvent correspondre à des spécialisations financières au sein des groupes. Ainsi, quand certaines entités supportent l'endettement du groupe et son abondées en ressources via des flux de revenus en provenance des autres composantes du groupe ;
- à un accroissement de la part des fonds propres dans le financement des entreprises ;
- à une amélioration de la rentabilité du capital empruntant la voie de la distribution des profits plutôt que celle de l'augmentation des valeurs d'actifs.
Mais, l'augmentation des dividendes peut aussi refléter une modification du partage global de la valeur ajoutée liée à une augmentation de la part des profits dans la valeur ajoutée indépendamment du déroulement des processus décrits ci-dessus.
Cette dernière hypothèse, si elle ne ressort pas comme validée par les récents rapports consacrés au partage de la valeur ajoutée pour toute la période considérée (1981-2007) l'est évidemment pour la première phase de cette période (entre 1981 et 1990).
Quant à la seconde phase, on a mentionné dans la première partie du présent rapport les incertitudes de méthode concernant les indicateurs de rentabilité du capital et la dimension contradictoire des conclusions sur les évolutions de cette rentabilité selon l'indicateur choisi.
Il n'est pas possible dans ces conditions de faire sien le constat parfois dressé que, rapportés au passif des firmes, les revenus versés (auxquels on ajoute les plus-values) n'extérioriseraient pas de modification sensible du niveau du rendement du capital .
Ce n'est pas le lieu ici d'entrer dans la question délicate et particulièrement débattue depuis le déclenchement de la crise globale en cours de la mesure de la valeur intrinsèque d'une entreprise.
Toutefois, un constat s'impose : la stabilité du partage global de la valeur ajoutée s'est accompagné d'une hausse des revenus versés aux détenteurs du capital des entreprises qui ont absorbé les bénéfices de la baisse des charges d'endettement externes.
Il semble qu'il faille même dépasser ce constat et remarquer que, dans les dernières années, la baisse théorique du coût du capital emprunté (financé par la création monétaire) n'a pas diminué le coût réel du capital productif, non seulement parce que les dividendes ont augmenté mais encore parce que des entreprises ont choisi de supporter des charges financières supplémentaires en s'endettant pour améliorer les revenus des propriétaires des entreprises .
Dans cet arbitrage, la réduction des taux d'intérêt n'a pas été accompagnée d'une relance de l'investissement. Manifestement, les détenteurs du capital ont fait le choix d'augmenter leurs rémunérations immédiates plutôt que de parier sur un enrichissement différé, et plus hypothétique, tiré du développement de leurs actifs.
EXCÉDENT BRUT D'EXPLOITATION, ÉPARGNE ET
INVESTISEMENT
DES SOCIÉTÉS NON FINANCIÈRES
Source : Insee - Comptabilité nationale en base 2000
Ainsi que le montre le graphique ci-dessus, si le taux d'investissement (rapport de l'investissement à la valeur ajoutée) a bien régressé avec le taux de marge des entreprises (rapport de l'EBE à la valeur ajoutée) entre 1974 et 1982, le redressement du taux de marge à partir de cette date ne s'est pas accompagné d'un essor de l'investissement à due proportion.
Depuis 1992, le taux d'investissement est en deçà de 20 %, étiage où il se trouvait quand le taux de marge a touché son point bas au début des années 80 .
La faiblesse du taux d'investissement, mesuré ici en fonction de la valeur ajoutée, apparaîtrait encore plus si on l'estimait à partir de l'EBE puisque la place de celui-ci dans la valeur ajoutée a augmenté de 8 points entre son point bas et son point de « régime de croisière ».
Autrement dit, l'augmentation de la profitabilité des entreprises n'a pas suscité d'effort d'investissement accru contrairement aux prédictions des théories classiques de l'investissement .
L'augmentation des profits des entreprises a été principalement consacrée à accroître les revenus versés aux propriétaires du capital.
TAUX D'INVESTISSEMENT / REVENUS DISTRIBUÉS
Dans ces conditions, le taux d'épargne des entreprises a pu bénéficier d'un rétablissement de même ampleur que celui du taux de marge.
L'augmentation des profits des entreprises n'a pas été consacrée à l'investissement si bien que la distribution qui en a été faite sous forme de dividendes n'a pas entamé l'épargne des entreprises .
Sans doute, ce constat doit-il être nuancé à partir de la fin des années 90 où le décrochage de l'épargne des entreprises, venant de l'augmentation des revenus financiers versés par elles (dans un contexte de poursuite d'une politique des dividendes et de recours au levier d'endettement), combiné avec un maintien de l'effort d'investissement s'est soldé par une baisse du taux d'autofinancement (ici mesuré par l'inverse du ratio épargne/investissement). Cependant, celui-ci, ne doit pas être exagéré. Malgré une forte diminution 240 ( * ) , il est à un niveau proche de son niveau historique des Trente glorieuses, période marquée par un rigoureux effort d'investissement.
* 238 La concomitance entre l'augmentation des dividendes versés aux actionnaires et celle des changes d'intérêts traduit un choix financier des entreprises qui ont privilégié l'endettement et, compte tenu du constat sur la stabilité du taux d'investissement, ce afin, non d'investir, mais d'augmenter les revenus financiers versés aux détenteurs de leur capital. Ce choix a pu être favorisé par l'existence de taux d'intérêt de bas niveaux permettant de contenir la charge d'une dette grandissante. Il faut ajouter que l'impact de l'accroissement de la dette sur les bilans a pu être neutralisé par les effets d'une liquidité abondante sur la valeur des actifs.
* 239 Arbitrage qui provoque une baisse de l'épargne des entreprises.
* 240 A la fin des années 90, les entreprises non financières se trouvaient très près de dégager une capacité de financement c'est-à-dire de disposer d'une épargne supérieure à leurs besoins d'investissement, situation économique inédite.