C. LA RÉPARTITION DE LA VALEUR AJOUTÉE AU CONFLUENT D'INFLUENCES DIVERSES QUI, À L'AVENIR, RISQUENT DE PROLONGER LA BAISSE DE LA PART SALARIALE DANS LA VALEUR AJOUTÉE
On évoque parfois une « loi d'airain » du partage de la valeur ajoutée au terme de laquelle les parts respectives des revenus du travail et du capital atteindraient un niveau invariant.
Or, cette référence nous paraît moins exacte que celle qui voit dans la répartition de la valeur ajoutée et son évolution une forme d'énigme dont la résolution passe par un effort patient d'élucidation.
De « loi d'airain » il n'y aurait qu'à la condition, ou que les relations sociales soient entièrement dominées par les entrepreneurs (le salaire de subsistance serait alors la règle), ou que les conditions régnant sur les marchés soient de concurrence pure et parfaite (les revenus des facteurs de production seraient alors déterminés par leur productivité).
Alors seulement, il pourrait y avoir, à la limite, stabilité de la répartition de la valeur ajoutée. L'histoire récente montre que tel n'a pas été le cas et elle invite à comprendre les ressorts du partage tels qu'ils ont fonctionné.
On trouvera en annexe la présentation technique des principales explications avancées dans les études réalisées sur ce thème. Chacune d'entre elles a suscité des objections.
Vos rapporteurs retirent de cet entrelacs d'explications que la détermination du partage de la valeur ajoutée est multifactorielle .
Surtout, il leur apparaît improbable que ces facteurs s'inversent de façon spontanée suffisamment pour limiter la décrue de la part salariale dans la valeur ajoutée .
Si les explications par le coût des facteurs de production ne suffisent pas, elles sont partiellement éclairantes. Mais, elles ne sont guère rassurantes dans un monde où la constitution de segments mondialisés du marché du travail et les écarts de rendement du capital sont un défi pour les pays les plus développés.
A cet égard, si la rigidité salariale n'est évidemment pas une solution adaptée, la flexibilité des salaires ne le serait qu'à la condition d'accepter des baisses de rémunération qui ne correspondent pas à la vocation des salariés et ruineraient la cohésion sociale .
Mais, à son tour, la mondialisation n'explique pas tout, la capacité des Nations économiques à s'y adapter comptant sans doute beaucoup plus comme en témoigne le niveau relativement élevé de la part salariale aux Etats-Unis. De ce point de vue aussi, il y a une source d'inquiétudes si l'on considère que ni le travail, ni le capital mis en oeuvre en Europe n'ont suffisamment atteint la frontière technologique , qui permet les performances de productivité nécessaires à la perspective d'une forte rétribution des facteurs de production. La probabilité importante de transitions difficiles pour s'adapter à l'économie mondialisée s'ajoute à ce panorama, alors même que le besoin d'investissement pour rejoindre la frontière technologique est grand.
Enfin, la financiarisation des économies a certainement joué mais plus comme une contrainte que comme une opportunité. Le redressement de la rentabilité du capital qu'elle a favorisé n'a pas été suivi des investissements productifs que cette forme de prélèvement sur les revenus du travail aurait dû financer.
Face à ces phénomènes très puissants, le risque encouru est qu'une attrition plus ou moins rapide de la base productive de Nations dominées par des facteurs de production et des revenus mobiles se produise .
Au total, de ce que l'équilibre de la répartition de la valeur ajoutée est, sans aucun doute, un état obéissant à des déterminations multifactorielles qui peuvent être lues comme résultant les unes les autres d'un système (qui les englobe), on peut tirer plusieurs conséquences :
- les chances de succès de mesures qui ne modifieraient pas le contexte du système lui-même et se contenteraient d'agir à l'intérieur de celui-ci sont faibles ;
- en outre, comme ce contexte est international, les marges de manoeuvre strictement nationales sont des plus réduites ; à cet égard, les politiques salariales conduites au coeur de l'Europe dont, au premier rang, celle de notre voisin allemand pose un problème majeur à toute politique refusant de pratiquer la déflation des salaires à des fins compétitives ;
- enfin, à supposer qu'il reste des marges de manoeuvre dans le système économique qui s'est mis en place, il est douteux que promouvoir une orientation donnée, isolément d'autres éléments, permette d'agir efficacement sur le partage de la valeur ajoutée. L'action publique appelle, en ce domaine aussi, la mobilisation d'une diversité de leviers d'action : enrichissement du capital humain à travers l'objectif d'employabilité, négociations salariales de bon niveau qui n'est plus toujours celui de l'entreprise ou de la branche mais plutôt de la chaîne de production, affectation de l'épargne prélevée sur la valeur ajoutée pour accroître le potentiel de croissance, redistribution secondaire du revenu dans la mesure d'une identification fine des externalités qu'elle permet...