II. ... MAIS, UN ORDONNANCEMENT QUI S'EST TROUVÉ REMIS EN CAUSE
A. DES CHANGEMENTS DONT TÉMOIGNE L'ÉVOLUTION RÉCENTE DU PAYSAGE CONVENTIONNEL FRANÇAIS
1. Un système particulier
Chaque année, la Direction générale du travail (Bureau des relations collectives du travail) du Ministère du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité de la Ville, dresse un bilan de la négociation collective en France, par niveau et par thèmes, en prenant en considération le point de vue des différentes organisations professionnelles et le rôle de l'Etat.
Le rapport pour 2008 rappelle que « le système français de relations professionnelles présente la particularité d'articuler trois niveaux actifs de négociation collective, celui de l'entreprise, celui de la branche et celui de l'interprofession ».
Notre système se caractérise également, d'après la lecture de ce document, par une intervention importante de l'Etat, non seulement en tant que législateur et à travers l'extension et l'élargissement des textes conventionnels, mais aussi dans le processus de négociation lui-même : sur des thèmes importants, la loi oblige en effet les partenaires sociaux à négocier ou les y invite de façon pressante 204 ( * ) ; les négociations nationales interprofessionnelles se déroulent, note la CGT, « sous une pression constante du pouvoir politique, tant sur les objectifs assignés que sur les échéances », avec le recours à des « lettres d'orientation » 205 ( * ) . Enfin, en cas de difficulté ou de blocage, des commissions mixtes paritaires présidées par un représentant de l'Etat sont constituées, avec le concours du Ministère chargé du Travail 206 ( * ) .
Le système français de relations professionnelles est également celui d'un pays centralisé . Pourtant, le rapport du Ministère du Travail semble se féliciter d'une évolution tendant à renforcer, au niveau surtout de la branche, le dialogue social territorial , notamment dans le bâtiment, les travaux publics, la métallurgie ou les industries des carrières et matériaux et les entreprises d'architecture. Cependant, deux textes sur trois environ sont conclus au niveau national. En outre, une large majorité de conventions régionales (et a fortiori départementales ou locales) ne sont pas actualisées par la conclusion d'accords ou d'avenants 207 ( * ) . Des textes nationaux viennent ainsi suppléer ou compléter les textes locaux, même sur les questions salariales que ces derniers ont vocation à préciser. Ainsi, la négociation nationale apparaît comme un élément essentiel de régulation susceptible de compenser une certaine tendance à l'« émiettement conventionnel » au niveau de la branche.
Un autre enseignement qu'il est possible de tirer de la lecture de ce rapport concerne les carences du dialogue social dans les petites entreprises :
Plus la proportion de petites entreprises dans un secteur est grande, plus le dialogue social y est réduit 208 ( * ) .
La loi du 4 mai 2004 209 ( * ) qui permet, en l'absence de délégués syndicaux, la négociation avec des élus (dans les entreprises de moins de 200 salariés) ou avec des salariés mandatés (dans celles de moins de 50 salariés, dépourvues de comités d'entreprise), sur d'autres sujets que l'épargne salariale, « ne semble avoir qu'une application réduite », selon les rédacteurs du rapport.
Une autre innovation institutionnelle importante et récente tarde elle aussi à être mise en pratique. Il s'agit de la possibilité offerte aux accords d'entreprise de déroger aux accords de branche en ce qui concerne l'organisation et l'aménagement du temps de travail 210 ( * ) . Cette priorité, désormais conférée aux accords d'entreprise, est regrettée par les syndicats. La CFTC observe la faible utilisation actuelle des nouvelles possibilités de dérogation en question. Elle émet l'hypothèse que ce pourrait être la conséquence d'un manque de légitimité des nouveaux interlocuteurs qui sont, à présent, habilités à intervenir dans les négociations concernées.
Pourtant les délégués syndicaux demeurent les négociateurs légitimes au sein de l'entreprise dans le cadre rénové de la négociation collective. En outre, un nouvel acteur syndical non représentatif, le représentant de la section syndicale, peut négocier et conclure des accords, à condition qu'ils soient validés par les suffrages des salariés, lorsqu'aucun autre mode de négociation ne trouve à s'appliquer. Enfin, la loi récemment promulguée sur la démocratie sociale 211 ( * ) , envisage la mesure de l'audience des syndicats dans les très petites entreprises (moins de onze salariés) en vue de leur participation à des commissions paritaires tendant à concourir à l'élaboration et à l'application, dans ces entreprises, d'accords collectifs.
* 204 cf. Lois Auroux d'octobre 1982 (obligation annuelle concernant les salaires et le temps de travail) + emplois de séniors (2003) + handicapés (2005) + égalité salariale entre les femmes et les hommes (2006) + consultation du comité d'entreprise sur les conséquences de la stratégie de l'entreprise (GPEC), selon des modalités à négocier tous les trois ans (loi de cohésion sociale de janvier 2003), etc. L'obligation de négocier peut aussi découler d'un accord national interprofessionnel conclu sous l'égide de l'Etat.
* 205 Par exemple, une impulsion a été donnée par les pouvoirs publics en matière de revalorisation des bas salaires conventionnels (négociations de branche).
* 206 Le rapport évoque le cas des transports publics urbains. Selon ses termes, l'implication, particulièrement forte dans ce secteur, de l'Etat dans la négociation sociale « laisse planer un doute » sur la qualité bilatérale de celle-ci.
* 207 Les accords et avenants représentent environ 95 % des textes conventionnels conclus chaque année. Les branches dont les effectifs salariés sont les plus nombreuses sont celles qui ont l'activité conventionnelle la plus régulière. L'industrie est particulièrement dynamique : alors qu'elle ne représente que 20 % des salariés, 40 % des accords d'entreprise y sont conclus.
* 208 14 % seulement des entreprises de 10 salariés ou plus ont ouvert au moins une négociation en 2007, cette proportion passe à 50 % dans les entreprises d'au moins 50 salariés. Les conventions de branches compensent en partie les inconvénients de la rareté des négociations d'entreprises dans les secteurs les plus atomisés.
* 209 Loi relative à la formation professionnelle et au dialogue social.
* 210 Cf. rapport précité de 2007 sur l'application du volet « dialogue social : de la loi Fillon susvisée du 4 mai 2004.
* 211 Loi complétant des dispositions relatives à la démocratie sociale issues de la loi du 20 août 2008.