b) La modification du rapport à l'entreprise

Les salariés du secteur privé travaillent aujourd'hui dans des entreprises plus grandes qu'il y a trente ans. Cette évolution s'est faite au détriment des entreprises de taille moyenne, alors que les petites entreprises concentrent toujours autant de salariés.

Cet accroissement de la concentration de l'emploi s'est accompagné d'une diminution moyenne de la taille des lieux de travail (établissements).

Les principaux déterminants de cette situation sont à rechercher dans la modification de la nature des emplois :

- d'une part, l'emploi a fortement diminué dans les grands sites industriels ;

- d'autre part, il a progressé dans le secteur des services, au sein de petits établissements 157 ( * ) appartenant souvent à de grandes entreprises.

RÉPARTITION DE L'EMPLOI EN FONCTION DE LA TAILLE DES ÉTABLISSEMENTS
ET DES ENTREPRISES

en %

Nombre de salariés

Établissement

Entreprise

1985

2006

1985

2006

Effectifs en 2006
(milliers)

1-9

24

26

22

21

3 300

10-19

10

12

9

9

1 450

20-49

18

18

15

13

2 000

50-250

25

26

18

15

2 350

250-1 000

15

14

10

8

1 250

1 000-5 000

6

4

10

12

1 900

5 000 et +

2

1

17

21

3 300

Total

100

100

100

100

15 550

Lecture : en 2006, 21 % des salariés du secteur privé travaillaient dans une entreprise de moins de 10 salariés, ce qui représente environ 3,3 millions de salariés.

Champ : salariés des entreprises privés hors agriculture et ex-GEN (encadré) de France métropolitaine.

Source : UNEDIC, traitement Insee

Les salariés travaillent aujourd'hui, en moyenne, dans des lieux de production plus petits, mais dépendant de structures plus grandes (société ou groupe). La taille moyenne des établissements tertiaires est en effet, en moyenne, plus petite que celle des établissements industriels.

Ces évolutions ont conduit progressivement à une modification du rapport des parties prenantes, notamment les salariés, à l'entreprise. L'éloignement des sièges sociaux , combiné au contrôle accru d'un actionnariat anonyme , précédemment évoqué, a créé un fossé entre l'entreprise et ses salariés, contribuant à la crise du pacte social .

L'entreprise peine de plus en plus à fournir repères et identité à ses salariés. Le trio actionnaires-dirigeants-salariés semble davantage marqué par les conflits d'intérêts qui le traversent, que par la communauté qui devrait l'animer.

Les repères traditionnels ne permettent pas de répondre au défi ainsi posé, dans la mesure où la référence aux classes sociales ne répond que très imparfaitement à la question de la définition des parties prenantes : par exemple, l'actionnariat s'est dilué au point de concerner, non seulement les dirigeants et les salariés d'une entreprise, mais plus largement l'ensemble des ménages.

Le trio actionnaires-dirigeants-salariés n'est, au demeurant, pas un cadre d'analyse exhaustif , en conséquence de multiples évolutions, notamment l'émergence de problématiques mondiales, telles que l'environnement, auxquelles les États ne peuvent apporter, seuls, de réponse satisfaisante. Il existe à l'évidence des niveaux de responsabilité multiples, dont la désignation, problème par problème, est lourde d'enjeux.

Par ailleurs, ces constats militent pour une réflexion renouvelée sur la gouvernance des entreprises.

Le préambule de la Constitution de 1946, qui dispose que « tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises », a été mis en oeuvre, en France, en développant les mécanismes de représentation collective, d'information et de consultation des salariés dans l'entreprise , plutôt que par association de ceux-ci aux instances de gouvernement de l'entreprise.

S'agissant de la gouvernance, la doctrine a oscillé depuis un siècle entre :

- une vision « contractuelle » , qui fait prévaloir l'hétérogénéité des intérêts des acteurs de l'entreprise ;

- et une vision « institutionnelle », considérant l'entreprise comme une entité autonome, poursuivant des finalités partagées par l'ensemble des parties prenantes.

La première approche , insistant sur l'antagonisme des intérêts entre apporteurs de capital et de travail, fut longtemps et demeure pour une large part celle des organisations professionnelles tant patronales que syndicales .

La seconde approche , dont les racines sont à rechercher dans le courant personnaliste chrétien, est plutôt de nature doctrinale et politique. Elle préconise en quelque sorte une « troisième voie » associant l'ensemble des acteurs dans un projet commun , sans remise en cause de la propriété privée 158 ( * ) .

Les auditions effectuées par vos rapporteurs ont témoigné de la persistance de cette ligne de partage.

Pour l'avenir, il est tentant de penser que la chute des régimes communistes d'une part, et la mise en évidence des excès du capitalisme financier d'autre part, pourraient conduire à privilégier un retour de balancier vers une conception plus solidaire de l'entreprise , impliquant une certaine « démocratisation » de son fonctionnement. Cette démocratisation n'entrerait pas nécessairement en contradiction avec les objectifs de productivité et de compétitivité de l'entreprise.


* 157 Source : « Depuis trente ans, les grandes entreprises concentrent de plus en plus d'emplois », Vincent Cottet, INSEE Première (avril 2010).

* 158 « Le rôle des salariés dans la gouvernance des entreprises en France : un débat ancien, une légitimité en devenir », Catherine Sauviat, Document de travail n° 06.02, IRES (avril 2006).

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