4. Les questions posées par l'appréciation de la rentabilité du capital : comment appréhender le rendement des actifs ?
a) Le choix épineux d'un indicateur de rentabilité du capital
Le rapport de M. Jean-Philippe Cotis reconnaît incidemment les problèmes de méthode rencontrés dans le choix d'un indicateur de rendement du capital.
Son rapport fait mention du graphique suivant 43 ( * ) :
REVENUS DISTRIBUÉS BRUTS VERSÉS PAR LES
SNF,
INCLUANT OU NON LES PLUS-VALUES,
EN PROPORTION DES ACTIONS ET DES
AUTRES PARTICIPATIONS À LEUR PASSIF
Source : Insee - Comptabilité nationale en base 2000
On y observe que le rendement du capital appréhendé à partir des revenus courants rapportés aux fonds propres a oscillé entre 3,1 et 7 % ce qui, déjà, n'est pas une variation négligeable.
Mais on peut remarquer surtout que la prise en compte des plus-values augmente beaucoup la volatilité du rendement du capital et débouche sur un rendement structurellement plus élevé . Au point bas, le rendement peut être négatif ; au point haut, il peut atteindre 30 %.
Encore doit-on observer que ce constat est quelque peu minoré par des choix de méthode. La rentabilité financière du capital est difficile à mesurer et les termes de la mesure proposée dans le rapport illustrent cette difficulté puisque le dénominateur du ratio (les fonds propres) varie en fonction du numérateur. Ainsi, mécaniquement, les effets d'une hausse de la profitabilité des entreprises sur l'indicateur de rendement du capital financier se trouvent atténués par la convention qui consiste à recourir aux valeurs du marché pour apprécier les actifs et les passifs .
Cette convention n'est pas arbitraire : à la
valorisation des actifs
- qu'il faut, par définition, prendre
en considération pour apprécier les plus-values -
correspondent des valorisations de passifs en fonds propres. Et, dans
l'hypothèse où la totalité du passif serait
constitué de fonds propres, toute plus-value sur actifs serait
neutralisée par une revalorisation du passif. Il n'y aurait alors qu'une
source de décalage possible avec une éventuelle dissociation
entre les marchés de cotation des actifs et des passifs (par exemple, si
la valorisation des actifs était pour tout ou partie
réalisée sur des marchés différents de ceux
où les passifs sont valorisés). Bien entendu, cette situation se
rencontre souvent mais à cette source de variation du rendement du
capital ainsi calculé, il faut ajouter celle associée au fait que
la totalité des passifs ne sont pas valorisés sur les
marchés financiers. Tel est le cas en particulier des actifs bancaires
(les dettes contractées auprès des intermédiaires
financiers) qui sont pris à leur valeur historique (et ne sont pas
intégrés aux fonds propres qui forment le dénominateur de
l'indicateur figuré dans le graphique ci-dessus). Ainsi, moins les
actifs sont couverts par des fonds propres plus les valorisations de
marché qui influent sur la valeur du numérateur du ratio peuvent
entraîner des variations de la valeur de ce ratio.
Ainsi, l'appréciation de la rentabilité des fonds propres à partir de ce ratio, qui est sensible à la structure de bilan des entreprises 44 ( * ) , n'offre pas tous les enseignements souhaitables quant à la rentabilité du capital .
En outre, même si la valorisation des fonds propres à la valeur du marché n'est pas arbitraire, cette propriété n'empêche pas de considérer qu'une valorisation à la valeur historique offre un point de vue également légitime sur la rentabilité du capital .
La méthode de valorisation au cours du marché décrit le prix auquel peuvent être vendus les actifs à un instant donné en fonction des transactions marginales intervenues sur les marchés financiers. Sauf afflux de ventes, qui à demande constante, sont susceptibles de faire baisser la valeur des actifs, elle aboutit à une vision assez significative de la valeur du patrimoine actif des détenteurs du capital. En revanche, s'agissant des passifs, si cette méthode permet d'évaluer ce qu'il faut débourser à « l'instant t » pour investir dans une entreprise, elle ne restitue pas l'historique de la constitution des passifs qui finalement importe seul quand on veut apprécier les phénomènes de rendement réel attachés à la détention d'un capital. Une méthode de valorisation aux coûts historiques est de ce point de vue préférable.
Autrement dit, cet indicateur ne permet pas, du fait de sa construction, de mesurer avec une précision certaine la rémunération réelle du capital et son évolution.
Cette remarque invite à la recherche d'indicateurs de rendement du capital plus adaptés.
A cet égard, il ne fait pas de doute que la rentabilité du capital mesurée à partir des données de la comptabilité nationale ne décrit pas correctement les phénomènes de rémunération des fonds propres .
Les ratios usuels de la comptabilité nationale indiquent que la rentabilité du capital est installée sur une pente descendante. A en juger par les indicateurs traditionnels qui rapportent, l'un, le revenu net à la valeur nette des capitaux engagés (le rendement des fonds propres plus connu sous le nom anglo-saxon de « return on equity - (ROE) », l'autre, le revenu net d'exploitation au capital net (le rendement du capital employé soit, en anglais, le « return on capital employed - (ROCE) », une diminution du rendement du capital toucherait la France (dans des conditions assez proches de celles observées aux Etats-Unis).
RATIOS USUELS DE RENTABILITÉ DU CAPITAL
Source : « Asset price changes and the macroeconomic measurement of corporate profitability », par Gilbert Cette, Dominique Durant et Jean-Pierre Villetelle. Novembre 2009
Or, ces résultats ne sont pas totalement conformes à l'intuition et posent notamment un problème de compréhension de l'expansion des opérations financières et de la valeur des sociétés.
En réalité, la construction des indicateurs traditionnels de la comptabilité nationale destinés à suivre la rentabilité du capital n'est pas exempte de biais qui peuvent donner de celle-ci une image trompeuse, l'appréciation usuelle du rendement du capital à partir des données de la comptabilité nationale étant dépendante de conventions qui, sans être injustifiables, ne sont pas les seules possibles et aboutissent à des résultats problématiques par divers aspects.
Le choix principalement concerné par cette observation est celui qui consiste à traiter de façon hétérogène les gains en capital des deux termes des ratios de rentabilité 45 ( * ) .
Les deux dénominateurs de ces ratios sont évalués en tenant compte des gains (ou des pertes en capital). Autrement dit, ils sont estimés à leur valeur de marché . De leur côté, les numérateurs sont pris sans tenir compte des plus ou des moins-values 46 ( * ) , réalisées ou non, sur les éléments d'actifs des entreprises.
Cette convention n'est pas arbitraire mais elle procède d'une conception de revenu des firmes qui peut être jugée comme exagérément restrictive.
Quant à l'absence de prise en compte des gains (ou pertes) en capital pour évaluer le profit de l'entreprise, si elle est conforme à une tradition de la comptabilité nationale selon laquelle ces sources de richesse (ou d'appauvrissement) ne sont pas des revenus comme les autres, du fait, en particulier, de leur non-reproductibilité (ainsi qu'on l'a souligné, cette conception remonte aux pères fondateurs de la comptabilité nationale), elle peut, aujourd'hui que les opérations financières se sont considérablement développées, sembler « datée ».
Elle pose, en outre, des problèmes techniques puisqu'elle peut introduire un biais dans le traitement d'un même revenu selon qu'il est, ou non, versé. Même si, théoriquement, les dividendes non versés sont enregistrés comme des revenus 47 ( * ) (dans le ratio de ROE, pas dans celui du ROCE), la détermination du montant de tels revenus ne va pas de soi.
Enfin, rapportée à la règle de valorisation retenue pour apprécier le dénominateur des ratios de rentabilité, cette convention aboutit à un paradoxe : de son fait, la rentabilité du capital peut baisser sous l'effet d'une amélioration des perspectives de rentabilité des actifs de l'entreprise . En effet, celle-ci peut provoquer une revalorisation immédiate du capital (mais pas des actifs qui la justifient), avec pour conséquence une réduction de la rentabilité apparente de la firme.
En bref, la comptabilité nationale propose des données qui ne permettent pas d'apprécier correctement la rentabilité du capital et, partant, l'impact des conditions économiques du partage de la valeur ajoutée .
Il est donc utile, et légitime, de recourir à des instruments proposant un élargissement du concept de revenu du capital en complément des indicateurs habituels. On peut notamment proposer d'ajouter aux revenus du numérateur des ratios de rentabilité du capital les gains en capital nets ajustés selon la nature des capitaux figurant au dénominateur .
Ces indicateurs ajustés se rapprochent des développements en cours dans les principes de comptabilité privée, l'IASB (International Accounting Standards Board) préconisant une conception élargie du profit, nuancée par quelques réserves visant à ne retenir des plus values que celles susceptibles d'une certaine récurrence.
Ces ratios ajustés donnent une image sensiblement différente du revenu et de l'évolution de la rentabilité du capital tant en France qu'aux Etats-Unis.
RATIOS ÉLARGIS DE RENTABILITÉ DU CAPITAL
Source : « Asset price changes and the macroeconomic measurement of corporate profitability », par Gilbert Cette, Dominique Durant et Jean-Pierre Villetelle. Novembre 2009
* 43 Ceci afin d'étayer l'idée que la très forte hausse des revenus financiers provient essentiellement d'une augmentation des fonds propres et que le diagnostic de stabilité de rendement du capital n'est pas perturbé lorsqu'en plus des revenus courants on inclut les plus-values au numérateur du ratio de rendement.
* 44 Et, en particulier, au sens et à l'ampleur de l'effet de levier (qui rapporte l'endettement à la valeur des actifs).
* 45 C'est ainsi un problème inverse de celui mentionné plus haut qui se pose ici.
* 46 En outre, le ROCE ne comprend que le revenu d'exploitation à l'exclusion des revenus financiers courants.
* 47 Cette règle ne semble pas appliquée sur les revenus d'actifs non financiers.