B. VALEUR AJOUTÉE ET FINANCIARISATION DE L'ÉCONOMIE
La financiarisation de l'économie, qui se déploie dans un cadre qui va se mondialisant, a des effets sur la création et le partage des richesses qui sont presque totalement occultés par le suivi de la répartition de la valeur ajoutée effectué selon les méthodes de la comptabilité nationale.
Mais, avant de développer ce point, il convient d'exposer les difficultés posées par le traitement de la production des services financiers et de leur utilisation par les autres secteurs de l'économie.
1. Une question technique aux conséquences pratiques importantes : la consommation de services financiers par les entreprises non financières
La question de la valorisation des services rendus par les intermédiaires financiers est une vieille question de la comptabilité nationale. Symétriquement, se pose la question du traitement des productions de ce secteur quand elles sont utilisées par les autres secteurs économiques.
L'évaluation de la production des intermédiaires financiers est problématique en ce sens que seule une partie de leurs activités donne lieu à facturation.
Leurs autres sources de revenu ne sont pas facturées puisqu'elles consistent en des produits financiers divers.
Les comptables nationaux se sont attachés à résoudre ce problème pour les seules opérations d'intermédiation bancaire (à l'exclusion donc de l'intermédiation financière pour compte propre).
Ils calculent des « services d'intermédiation financière indirectement mesurables » (les SIFIM).
Les SIFIM sont appréciés à partir des marges réalisées par les institutions financières sur leurs opérations d'intermédiation bancaire . On considère ainsi implicitement que ces marges représentent la rémunération de ces services et qu'elles sont une composante de la valeur ajoutée des sociétés financières.
On distingue deux types de marges : celles réalisées sur les crédits qu'octroient les institutions financières et celles obtenues sur les dépôts bancaires qu'elles collectent.
Les marges sur crédits des établissements financiers sont liées à l'octroi de crédits à un taux d'intérêt supérieur à celui auquel ils se refinancent, tandis qu'il y a marge sur dépôts s'ils rémunèrent les dépôts au dessous du taux auquel ils peuvent placer ces liquidités sans risque.
Au total, les SIFIM sont égaux à ces marges.
Il faut souligner que les SIFIM sont appréciés à partir des marges sur intérêts et non de l'ensemble des intérêts reçus par les établissements (voir ci-dessous)
Longtemps, la comptabilisation de la valeur ajoutée des établissements financiers a été résolue par l'imputation à une branche fictive de la production des services financiers attribuée aux sociétés financières. Cette solution revenait à déduire de la valeur ajoutée nationale une consommation intermédiaire de services financiers correspondant à la valeur ajoutée du secteur financier.
Mais, une réforme comptable est intervenue qui consiste, d'une part, à considérer qu'une partie des services financiers n'est pas consommée mais est rattachable à un investissement, d'autre part, à imputer à chaque secteur l'utilisation des services financiers qui lui est propre.
Pour les entreprises non financières, cette réforme conduit à diminuer leur valeur ajoutée puisqu'on ajoute à leurs consommations intermédiaires une nouvelle consommation intermédiaire : celle correspondant aux services financiers utilisés par elles.
Le tableau ci-dessous récapitule l'équilibre ressources-emplois des SIFIM en 2000.
ÉQUILIBRE RESSOURCES-EMPLOIS DES SIFIM EN 2000 (en millions d'euros)
Production |
34 240 |
Importations |
5 079 |
Total ressources |
39 319 |
Consommations intermédiaires |
24 078 |
dont : Entreprises non financières 1 |
17 255 |
Ménages 2 |
3 556 |
Administrations 3 |
3 267 |
Consommation finale |
12 868 |
Exportations |
2 373 |
Total emplois |
39 319 |
1
Sociétés et entreprises
individuelles
2
Ménages (hors El) : accédants
à la propriété
3
Administrations publiques
et Institutions sans but lucratif au service des ménages (ISBLsm)
Source : Comptes nationaux base 2000, Insee
On remarque que, par rapport à l'ancienne méthode de comptabilisation, la valeur ajoutée des entreprises non financières se trouve amputée de 17,2 milliards d'euros.
Ainsi, la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises non financières ressort comme mécaniquement plus élevée que lorsque les SIFIM n'étaient pas imputés en consommations intermédiaires à ce niveau .
Normalement, ce ressaut est neutralisé quand on procède à des comparaisons, que ce soit dans le temps (les données sont alors rétropolées) ou entre pays (si la méthode est d'application générale). Il n'en reste pas moins que les relations entre entreprises non financières et établissements financiers peuvent changer dans le temps et varier selon les pays et, de même, les marges d'intermédiation bancaire ne sont pas nécessairement stables :
- la structure de financement des entreprises peut varier selon qu'elles recourent plus ou moins à l'intermédiation des banques ;
- les écarts de taux peuvent évoluer dans le temps.
On a indiqué plus haut que seules les marges d'intermédiation bancaire étaient prises en compte dans les SIFIM et déduites à ce titre comme consommations intermédiaires de la valeur ajoutée des entreprises non financières. Les autres charges financières sont déduites de l'EBE des entreprises et considérées ainsi comme une affectation de leur profit.
Il ne serait pas illogique de suivre la même méthode pour les SIFIM plutôt que de les déduire de la valeur ajoutée des firmes.
Cette dernière convention aboutit à traiter différemment des réalités financières semblables, à savoir les écarts de taux supportés par les entreprises. Il peut en résulter des biais de comparaison de leur valeur ajoutée (dans le temps ou entre pays) sans autres causes qu'organisationnelles.
On peut considérer qu'il n'est pas satisfaisant de faire varier la part des salaires dans la valeur ajoutée des sociétés non financières en fonction du niveau plus ou moins élevé de consommations intermédiaires qui s'apparentent à des charges calculées (et non observées).
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Mais, les problèmes posés par la financiarisation de l'économie vont au-delà de cette question.
Un hiatus entre les richesses au sens de la comptabilité nationale (la valeur ajoutée) et les richesses au sens commun existe et va en s'élargissant à mesure que les opérations financières se développent. Il résulte de plusieurs choix, de principe et de méthode, de la comptabilité nationale.