2. Croissance potentielle et répartition du revenu national
Dans un rapport consacré à la prospective du pacte social dans l'entreprise, on ne peut ignorer que les perspectives de croissance potentielle ne sont pas particulièrement favorables pour la France 32 ( * ) .
A l'avenir, le rythme de la croissance devrait ralentir du fait d'un essoufflement de la progression de la population active (même avec des hypothèses plutôt favorables : tendance de la population active soutenue par l'immigration ; hausse des taux d'emploi par âge), dans le contexte d'une stabilisation des gains de productivité.
Sur ce point, plusieurs variables doivent être considérées.
Du côté de l'efficacité des facteurs productifs :
le capital accumulé pourrait être devenu de moins en moins source de gains d'efficacité ;
les innovations managériales sont elles-mêmes peut-être en cause ou, plus largement, l'implication des salariés dans l'entreprise, ce que semblent suggérer plusieurs analyses dont rend compte le présent rapport ;
la créativité et l'innovation pourraient être moins fortes que dans la période de rattrapage de l'Après-guerre dont on peut dire que ces processus furent favorisés par un courant d'imitation de modèles disponibles (notamment aux Etats-Unis) ;
la restructuration de l'économie française pourrait avoir épuisé ses effets favorables à une accélération de la productivité globale des facteurs et exercer désormais des effets de freinage dans un contexte de montée de la part des services dans la production totale...
Il faut souligner que les prévisions de croissance potentielle ne sont pas sans admettre une certaine marge d'incertitude. Sous cet angle, les perspectives démographiques sont moins incertaines que celles portant sur la productivité.
Il existe une forme d'inertie des variables démographiques. Par ailleurs, ce n'est pas sur ce point que les prévisions de croissance potentielle semblent affectées d'un biais restrictif (v. ci-dessus).
La variable-clef sera le rythme des gains de productivité . En effet, seul le retour à une croissance soutenue de la productivité globale des facteurs pourra à l'avenir faire le lit de la croissance en France et atténuer à terme les conflits de répartition qu'un faible essor de l'activité risque de rendre particulièrement aigus.
Or, il parait raisonnable de considérer que les gains de productivité ne sont pas indépendants de la répartition du revenu national.
Les gains de productivité ont longtemps été vus comme essentiellement exogènes provenant de l'intervention de changements, ou providentiels ou indépendants de l'équilibre du régime de croissance économique, associés à des innovations de produits ou de processus productifs autonomes.
Cependant, des approches contemporaines laissent entrevoir qu'il est possible de diversifier l'analyse des innovations en endogénéisant leur survenance. Dans ces approches, la relation innovation croissance est complétée par une relation croissance innovation, ce qui ouvre la voie à des enchaînements vertueux. La croissance économique n'est plus seulement dépendante de changements venus d'ailleurs (des laboratoires ou des « génies du conseil aux entreprises » 33 ( * ) par exemple), elle crée ses propres conditions. L'augmentation des revenus résultant de la croissance de la production permet en particulier de hausser le niveau du capital, quantitativement et qualitativement, qu'il soit matériel (l'investissement au sens de la comptabilité nationale) ou immatériel (le capital humain, l'économie de la connaissance...).
Par exemple, de récents travaux ( voir Cahn et Saint-Guilhem de la Banque de France ) ont montré que la productivité globale des facteurs pouvait être mise en relation avec des composantes facilement identifiables du régime de croissance : le taux d'utilisation des capacités de production, le progrès technologique incorporé au capital qui dépend du rythme de l'investissement, le rythme d'accumulation du facteur travail...
Ces études suggèrent qu'il est possible d'agir sur la productivité globale des facteurs en respectant deux principes :
- tendre toujours vers une dynamique soutenue de l'investissement ;
- augmenter le rythme des innovations productives.
Ces deux principes supposent à leur tour que le régime de croissance (tant son rythme que son équilibre) respecte quelques conditions.
Le rythme de la croissance doit être assez élevé pour que l'incitation à investir soit forte et que le produit dégagé permette de financer la hausse du niveau du capital.
L' équilibre du régime de croissance doit être tel que cette première condition soit remplie de façon durable.
Autrement dit, la demande doit être suffisante et compatible avec l'émergence de conditions favorables au financement du capital.
Mais il faut encore, ces conditions étant créées, que le financement disponible soit effectivement consacré à hausser le niveau du capital.
Appliquée à la France, cela suppose que la croissance effective ne soit pas inférieure à la croissance potentielle si bien que des politiques macroéconomiques adaptées doivent intervenir pour rejoindre la croissance potentielle mais aussi que la France puisse financer, et finance effectivement, les efforts nécessaires à l'innovation ce qui renvoie à la question de l'affectation des ressources financières mobilisables à cet effet.
Or, l'ensemble de ces conditions ne sont pas indépendantes du partage de la valeur ajoutée. Comme on l'indique dans la deuxième partie du présent rapport, certaines configurations du partage de la valeur ajoutée sont plus propices que d'autres à l'atteinte d'un objectif de hausse de la croissance potentielle dans des conditions soutenables.
* 32 Dans la Zone euro, la France n'est pas le pays qui devrait subir le plus fort ralentissement de sa croissance potentielle. Ses grands voisins - l'Italie, l'Allemagne - ont des perspectives de croissance encore moins favorables, ce qui n'est d'ailleurs pas une bonne nouvelle pour la France compte tenu de l'importance des relations économiques qu'elle entretient avec ces pays.
* 33 A ce sujet, il serait intéressant de mettre en rapport les performances de croissance économique et le développement du chiffre d'affaires de ces conseils en organisation.