(4) Les risques accrus d'une augmentation du salariat pauvre
Il existe une montée de la pauvreté dans le salariat .
A ce sujet, il faut au préalable relever que la pauvreté est principalement liée à l'exclusion du marché du travail. Dans l'ensemble des pauvres (en 1997), 53 % sont sans emploi.
NOMBRE DE MÉNAGES ET DE PERSONNES
PAUVRES
SELON L'OCCUPATION DE LA PERSONNE DE RÉFÉRENCE EN
1997
Source : Enquête « Revenus fiscaux » 1997, INSEE-DGI. Inégalités économiques.
Le taux de pauvreté est nettement plus élevé dans les populations à l'écart du travail tandis qu'il est particulièrement bas chez les salariés stables à temps plein. Cette situation ne fait que confirmer l'hétérogénéité de la population française qui comporte une première césure nette entre les chômeurs et ceux qui exercent une activité mais qui, au sein même du salariat, est caractérisée par une diversité des situations où les salariés stables à temps plein (eux-mêmes très différenciés) occupent la meilleure position.
Le niveau assez élevé du taux de pauvreté des indépendants ayant été souligné, on doit aussi remarquer que pour les salariés stables, le taux de pauvreté atteint malgré tout 2 % (contre 7 % pour la population en moyenne en 1997), ce qui montre que l'emploi à temps plein n'immunise pas contre la pauvreté.
Il faut insister sur le fait que les modalités atypiques d'emploi s'accompagnent d'un taux de pauvreté relativement élevé que ce soit pour les « salariés peu stables » ou les « temps partiels ». Leur taux de pauvreté est inférieur à celui des chômeurs mais il est remarquablement élevé.
En outre, le taux de pauvreté des ménages salariés 21 ( * ) , pour être relativement bas, a augmenté au cours du temps, passant de 4 % en 1970 à 6,6 % en 1997.
Ce processus correspond à une augmentation du taux de pauvreté dans le salariat qui est passé de 9,5 % à 13,6 % entre 1970 et 1997 (+ 4,1 points) .
TAUX DE PAUVRETÉ DES MÉNAGES DE 1970
À 1997
SELON L'OCCUPATION DE LA PERSONNE DE
RÉFÉRENCE
Source : Enquête « Revenus fiscaux » 1997, INSEE-DGI. Inégalités économiques.
On peut souligner que la montée de la pauvreté dans le salariat, qui contraste, en particulier, avec la situation des ménages retraités dont le taux de pauvreté a considérablement reculé, a été particulièrement forte après 1984, soit au cours de la période de réduction de la part des salaires dans la valeur ajoutée .
PROPORTION DE MÉNAGES À BAS
REVENU
AVANT ET APRÈS PRISE EN COMPTE DES PRESTATIONS
(EN %)
Source : INSEE-DGI, Enquête « Revenus fiscaux » 1970, 1975, 1979, 1984, 1990 et 1997
Dans cette période, il ne semble pas que l'augmentation du taux de pauvreté chez les salariés ait résulté d'une concentration accrue de la masse salariale au profit des salariés les mieux rémunérés .
PART DES 10 % DES SALARIÉS LES MIEUX PAYÉS DANS LA MASSE SALARIALE TOTALE EN FRANCE DE 1919 À 1938, EN 1947 ET DE 1950 À 1998
Source : Piketty, 2001, colonnes P90-100 des tableaux D7 et D16, annexe D
Si quelques salariés ont perçu des rémunérations qui leur ont permis d'entrer dans la catégorie des super-riches, les 10 % les mieux payés ont absorbé une part constante (environ le quart) de la masse salariale totale dans les années 80 et 90. Autrement dit, les gains des quelques très riches ont été compensés dans la strate des riches par une certaine modération des gains des autres salariés du décile de salaires le plus élevé.
Par ailleurs, le salaire minimum a augmenté ce qui a permis de rapprocher la situation du bas de la distribution des salaires de celle de l'échelon supérieur.
C'est donc la dégradation des conditions d'emploi (en termes de stabilité et de durée) qui explique la montée de la pauvreté chez les salariés ce que confirment les données détaillées par type d'emploi mentionnées plus haut .
Au demeurant, historiquement, la concentration des salaires a eu tendance à baisser puis à se stabiliser en France où, finalement, la hiérarchie des salaires n'est pas souvent remise en cause (au contraire de la dynamique salariale).
PART DES 5 % DES SALARIÉS LES MIEUX PAYÉS DANS LA MASSE SALARIALE TOTALE EN FRANCE DE 1919 À 1938, EN 1947 ET DE 1950 À 1998
Source : Piketty, 2001, colonnes P90-100 des tableaux D7 et D16, annexe D
PART DES 1 % DES SALARIÉS LES MIEUX PAYÉS DANS LA MASSE SALARIALE TOTALE EN FRANCE DE 1919 À 1938, EN 1947 ET DE 1950 À 1998
Source : Piketty, 2001, colonnes P90-100 des tableaux D7 et D16, annexe D
Evidemment, les évolutions plus récentes ainsi que les observations suscitées par les nouvelles pratiques salariales concernant le « haut management » ou, au contraire, les salariés les plus précaires (temps partiels subis, stagiaires, employés par intermittence) devraient conduire à remettre en cause ces tendances et le consensus sur la hiérarchie des salaires.
Ainsi, on peut constater qu'au-delà du panorama plutôt neutre donné par certaines données, il existe d'indéniables fondements empiriques à la perception d'un maintien voire d'un accroissement des inégalités salariales 22 ( * ) .
L'impression d'un partage primaire inégal des revenus versés à raison de la participation à la création de valeur ajoutée ne peut qu'être renforcée quand on prend en considération les revenus non salariaux (les revenus du capital) pour apprécier la situation globale des individus parties prenantes à la création de valeur ajoutée par les entreprises (v. plus loin) 23 ( * ) .
Au total, la concentration des revenus auprès du centième de la population la plus riche, après avoir beaucoup régressé entre 1930 et 1975, a entamé au-delà un processus de reconstitution dans la plupart des pays développés.
PART DES REVENUS AVANT IMPÔTS PERÇUS PAR LES 1 % LES PLUS RICHES
Source : Insee (OCDE, 2008, d'après Leigh, 2007)
Pour l'heure toutefois, tout comme la Suède, la France paraît échapper assez largement à ce mouvement qui est très accusé aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.
* 21 L'écart entre le taux de pauvreté des salariés - relativement élevé - et des ménages salariés - comparativement faible - vient de ce qu'un salarié pauvre peut appartenir à un foyer où l'autre (ou les autres) membre(s) n'est pas pauvre.
* 22 Quand on considère que les chômeurs de longue durée sont hors du raisonnement, on prend conscience que le fonctionnement du marché du travail aboutit à une grande variété de situations individuelles.
* 23 De fait, les revenus du patrimoine accentuent les inégalités.