II. RESTAURER UN ESPACE DE PILOTAGE DU SYSTÈME ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

Dans ce contexte, les Etats tendent à devenir transparents aux intérêts des entreprises ; de plus, ils sont peu armés pour faire face à la complexification des structures productives et à ses effets .

Ces deux obstacles, de nature et d'ampleurs différentes, doivent être surmontés.

Ceci suppose tout particulièrement que l'Etat renouvelle ses modes d'intervention.

Au préalable, il faut souligner que les critiques du fonctionnement de l'économie de marché, du capitalisme et de ses effets sur le pacte social dans l'entreprise relèvent de démarches plus ou moins radicales. Or, les analyses proposées dans le présent rapport, si elles se sont efforcées de mentionner les points de désaccords sur tel ou tel point controversé, se situent dans une perspective générale approuvée par les Etats européens qui, avec l'objectif de fonder une économie sociale de marché, pour ne pas mésestimer les conflits potentiels entre les mécaniques de l'économie de marché - et leurs contradictions - et le progrès social, ne leur dénient pas pour autant par principe toute efficacité sur ce plan-là.

Dans le scénario (ou le modèle) du pire, où ont été extrapolées 258 ( * ) les tendances récentes du capitalisme contemporain, ce sont souvent les perversions de l'économie de marché qui ont été vues comme susceptibles de réunir ce qui reste du pacte social dans l'entreprise notamment. C'est pourquoi les traits de ce qui pourrait constituer un scénario alternatif de relance du progrès social passe par la correction des dysfonctionnements actuels du capitalisme et de l'économie du marché. Pour autant, « on ne peut être plus libéral que les libéraux » et ignorer que pour les pères fondateurs de l'économie, certains dysfonctionnements de l'économie de marché sont structurels, c'est-à-dire indépendants des contingences du moment.

En outre, à supposer même que les mécanismes de marché produisent des effets économiques supérieurs à toute autre forme d'organisation, il ne faut pas négliger que leurs aboutissements sociaux ont toujours été indéterminés, pouvant, en particulier, déboucher sur des situations sociales peu supportables aux hommes d'aujourd'hui et qui, économiquement, posent les problèmes qu'on a exposés au cours de ce rapport.

Ces considérations obligent à admettre la grande complexité des problèmes à résoudre aujourd'hui, ce qui nous semble représenter en soi un progrès dans un contexte trop souvent marqué par la simplification excessive des solutions proposées. Dans cet esprit, il convient de ne pas confondre les pathologies d'un système et les évolutions nécessaires qui conditionnent sa capacité à nourrir le progrès. Moins que jamais l'histoire économique n'est finie sinon pour ceux qui feraient l'erreur historique de le croire. L'émergence de grands pays, les perspectives du changement démographique, le rythme rapide de l'innovation dans certaines zones économiques... invitent à tourner le dos au rêve d'un avenir mort, d'une et simple prolongation des structures du passé.

Mais il faut prendre conscience que cette histoire accélérée ne s'accommode pas des pathologies économiques actuelles et qu'aux difficultés de conception s'ajoutent les difficultés pratiques (qui peuvent interférer avec les premières) que suscite un monde de plus en plus global.

A cet égard, vos rapporteurs pensent que l'Europe, qui ne part pas de rien pour affronter l'histoire en marche, est un projet cohérent à condition qu'on le prenne au sérieux .

Par son existence même, le projet européen leur paraît montrer que les Etats d'Europe ont refusé de céder à la crise actuelle des Etats.

De quoi s'agit-il ?

Aujourd'hui, l'autonomie des Etats est d'autant plus réduite qu'ils se perçoivent comme les simples adjudicateurs de contextes politico-juridiques favorables aux intérêts de leurs entreprises, de leurs champions nationaux. Dans ces conditions, ils ont tendance à reproduire entre eux la compétition que ces acteurs économiques se livrent. Ils deviennent les agents d'un système économique qui les englobent et qu'ils ne contrôlent plus, comme acteurs souverains .

On pourrait penser que la compétition entre les Etats doive être d'autant moins forte que les niveaux atteints dans leurs développements économique sont proches et élevés, notamment parce que de tels Etats auront pour fondation des Nations aux préférences analogues et parce que la compétition met aux prises des agents de force comparable, laissant entrevoir l'hypothèse de devoir supporter des coûts élevés dans une compétition frontale entre eux. Mais, dans une large mesure, c'est l'inverse qui semble advenir.

Or, la situation européenne est, de ce point de vue, particulièrement déconcertante puisque les Etats semblent se livrer au coeur de l'Europe à une compétition exacerbée 259 ( * ) alors même que la construction européenne peut être analysée comme un profit qui n'est pas exclusivement destiné à mettre aux prises les entités productives les unes avec les autres dans un marché élargi par rapport aux marchés nationaux fragmentés. Autrement dit, ce qui est devenu une « économie sociale de marché » par le récent traité de Lisbonne a toujours été pensé comme un projet libéral mais mitigé des doses nécessaires à l'élaboration d'une Europe puissance et d'une Europe sociale.

Or, dans le processus, les Etats européens semblent avoir mis entre parenthèses ces deux derniers piliers. Ils adoptent des politiques économiques, sociales, fiscales..., qui tendent toutes 260 ( * ) à favoriser l'attractivité de leurs espaces pour les entreprises. Les possibilités de compensation des excès des mécanismes de marché s'en trouvent réduites (v. la concurrence fiscale notamment), si tant est que cette volonté de compensation ne disparaisse pas plus ou moins entièrement (v. la course à la réduction du coût du travail).

Il faut ajouter à cette logique de retrait de la puissance organisatrice des Etats dans un environnement économique où les grandes firmes peuvent poursuivre leurs intérêts économiques en dominant les autres firmes mais aussi les Etats eux-mêmes, les difficultés pratiques de toute régulation macroéconomique, macrosociale, macrofinancière... dans un contexte de dualisation de plus en plus complète.

Dans le contexte de l'économie contemporaine, les règles générales non seulement deviennent difficiles à adopter mais encore à concevoir étant donné la diversité des situations des agents économiques .

A chaque règle générale, risquent d'être associés des coûts qui peuvent être plus élevés au total que les gains attendus de la règle. Et, pourtant, il est pratiquement impossible de moduler les règles en fonction de chaque situation singulière.


* 258 Ce parti pris d'extrapolation ne recouvre pas les convictions de vos rapporteurs qui imaginent qu'un mauvais scénario passerait plutôt par une accumulation de tensions se succédant avec des pauses plus ou moins salvatrices. Mais, l'extrapolation permet de simplifier l'exposé des difficultés rencontrées et d'explorer les variables à modifier pour aboutir à un système plus souhaitable.

* 259 Voir notamment les deux rapports consacrés à ce sujet par la délégation à la planification : « la coordination des politiques économiques en Europe : le malaise avant la crise ? », rapport d'information n° 113 (2007-2008) du 5 décembre 2007 (tome I), et « la coordination des politiques économiques en Europe (tome II) : surmonter le désordre économique en Europe », rapport d'information n° 342 (2008-2009) du 8 avril 2009, par MM. Joël Bourdin et Yvon Collin.

* 260 Si cette tendance structure la vie économique et les changements sociaux en Europe, il faut observer que les Etats européens ont suivi des trajectoires différentes par rapport à elle. Le rythme des restructurations productives a été inégal ainsi que les voies empruntées par ces restructurations. Cette arythmie a favorisé l'ampleur des restructurations effectuées par les pays les plus avancés dans cette voie (l'Allemagne) en soutenant leur activité économique qui, sans elle, aurait été sensiblement ralentie et elle a provoqué une amplification insoutenable des déséquilibres commerciaux et financiers au sein de l'Europe, notamment dans la zone euro.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page