B. DES CONSÉQUENCES IMPORTANTES SUR LA VIE POLITIQUE, UN NÉCESSAIRE ENCADREMENT JURIDIQUE

La prolifération des sondages en France, phénomène décrit précédemment, n'est pas sans influence sur la vie politique et électorale, ce qui explique que le législateur ait cherché, dès le milieu des années 1970, à encadrer la publication de certains sondages d'opinion .

1. Des conséquences importantes sur la vie politique

Dès leur apparition massive en France dans les années 1960, les sondages suscitent des débats quant à leurs effets sur la vie politique en général, et électorale en particulier.

Certains mettent en avant l'absence d'effets ou, à tout le moins, des effets qui s'annulent . Ainsi, en réponse à une question orale du sénateur Edouard Bonnefous en 1970, le ministre de l'intérieur Raymond Marcellin explique que ces nouveaux outils n'ont pas d'impact sur la vie politique : « nous pouvons faire confiance à la maturité et au scepticisme inné des Français » estime-t-il 6 ( * ) . En conséquence, il se déclare défavorable à tout encadrement juridique de la pratique des sondages. En outre, d'autres soulignent à la même époque que, si effets il doit y avoir, ils se neutralisent. Ils s'appuient en cela sur les travaux menés par des spécialistes de science politique, en particulier aux Etats-Unis, qui démontrent que les sondages créent des effets contraires qui s'annulent :

- un effet dit « underdog » qui joue en faveur du candidat en retard dans les sondages, non seulement parce que le sondage suscite un mouvement de compassion à son égard mais également parce que les partisans de l'autre candidat, donné vainqueur, ont tendance à se démobiliser et, partant, à s'abstenir ;

- un effet dit « bandwagon » qui crée une mobilisation pour le favori ;

Autrement dit, les sondages pousseraient des électeurs soit à « voler au secours de la victoire », soit à craindre, au contraire, qu'elle ne soit trop forte.

Pourtant, un consensus apparaît au fil des ans pour reconnaître que les sondages produisent bel et bien, selon les contextes et les calendriers, des effets particuliers et sont d'ailleurs exploités comme tels par les clients des instituts et leurs conseillers en communication (qu'on appelle aux Etats-Unis les « spin doctors »).

A cet égard, on peut noter la déclaration solennelle du Conseil Constitutionnel qui, juste après le second tour de l'élection présidentielle de 1974, estime de (son) devoir, pour la première fois de son histoire, de suggérer une réforme, à savoir « l'élaboration d'un code de déontologie de nature à éviter que le choix des citoyens ne soit influencé par une appréciation qui peut être erronée des chances respectives des candidats » 7 ( * ) .

De même, saisie de la proposition de loi précitée de MM. Etienne Dailly et Gaston Pams, la commission des lois du Sénat approuve le principe d'interdire la publication de certains sondages d'opinion en période électorale , considérant qu'il est nécessaire de « conserver au débat de conscience collectif de l'électorat français un maximum de sérénité, sans que les pressions et les courants d'intentions n'aient trop d'influence sur la libre détermination du corps électoral » 8 ( * ) .

La question de l'influence des sondages sur la vie politique et électorale ne s'est jamais éteinte depuis , en dépit de la double intervention du législateur, en 1977 et 2002, qui sera présentée plus loin. Elle se pose même avec une acuité particulière compte tenu de l'essor des moyens d'information qui donnent aux sondages une visibilité accrue .

Plusieurs polémiques ont relancé ce débat au cours de la dernière décennie ; trois d'entre elles peuvent être ici rappelées.

En premier lieu, beaucoup ont considéré que les sondages étaient pour partie responsables de la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles de 2002 . Cette présence tiendrait à la dispersion des voix parmi les candidats de gauche, qui pourrait elle-même s'expliquer largement par la certitude de voir Lionel Jospin accéder au second tour, compte tenu des sondages qui le mettaient loin devant Jean-Marie Le Pen, sauf les deux derniers jours avant l'interdiction de publication des sondages électoraux. Autrement dit, certains observateurs politiques considèrent que les sondages ont biaisé le processus électoral et qu'en leur absence, Lionel Jospin aurait recueilli davantage de voix que le candidat du Front national.

En second lieu, comme l'ont souligné les représentants de la commission des sondages lors de leur audition, les sondages ont joué un rôle déterminant en 2005 au moment de la campagne sur le référendum portant sur l'approbation du projet de loi autorisant la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe . Le premier sondage donnant le « non » vainqueur, bien que ne présentant pas, selon la commission, un caractère statistiquement significatif, aurait créé un effet d'entrainement auto-réalisateur : à partir du moment où la victoire du « non » étant présentée comme possible, on peut penser qu'elle a « décomplexé » ses partisans et entrainé un mouvement de confirmation irréversible. Là encore, on peut estimer que le « non » ne l'aurait peut-être pas emporté en l'absence de sondages.

Enfin, on a pu observer un phénomène similaire, en 2006-2007, lorsque les sondages ont, pour la première fois, révélé que la candidature de Ségolène Royal à l'élection présidentielle était jugée parfaitement crédible par l'opinion . Ces premiers sondages ont probablement, comme pour le référendum européen de 2005, déclenché un mouvement mobilisateur qui a joué en faveur de cette candidate, lors des élections primaires organisées au sein du parti socialiste.

On pourrait multiplier les exemples. Il apparaît dans ce contexte nécessaire de veiller, dans le respect de la liberté d'expression, à ce que les sondages n'altèrent pas la sincérité du débat électoral.

Ce souci d'équilibre a guidé le législateur dans ses interventions en 1977 et 2002.


* 6 JO Sénat du 20 octobre 1970, page 1515.

* 7 Déclaration en date du 24 mai 1974.

* 8 Rapport n° 150 (1972-1973), fait au nom de la commission des lois, de M. Pierre Marcilhacy, page 2.

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