M. Takanori Isogai, Premier secrétaire de l'ambassade du Japon, M. Yasushi Masaki, Ministre en charge des affaires politiques auprès de l'ambassade du Japon

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M. Bruno Retailleau, président. - Au nom de la mission d'information, je remercie M. le premier secrétaire de l'ambassade du Japon, ainsi que M. le ministre en charge des affaires politiques auprès de cette ambassade.

Comme vous le savez, la tempête Xynthia a causé la mort de 53 personnes. Notre mission s'est constituée très vite pour tirer les leçons de ce drame, tout en sachant que nous ne pourrons pas échapper totalement aux risques climatiques. Hier encore, nous avons déploré 11 à 15 décès dans le Var.

Le Japon a une vaste culture du risque sismique, mais il a aussi subi des submersions marines. Vous avez donc beaucoup à nous apprendre.

M. Yasushi Masaki, ministre en charge des affaires politiques auprès de l'ambassade du Japon. - Nous sommes très honorés d'être aujourd'hui devant vous.

J'exprime nos condoléances sincères à toutes les familles endeuillées, dont nous partageons la souffrance.

Nous formulons les meilleurs voeux pour vos efforts de reconstruction. J'éprouve une énorme sympathie pour les habitants de la région, car j'ai effectué un stage à la préfecture de la Roche-sur-Yon il y a 24 ans, dans le cadre de mon stage à l'ENA.

Malheureusement, notre pays a subi de nombreuses catastrophes naturelles. Espérons que notre expérience en ce domaine vous sera utile. Si vous le souhaitez, notre coopération pourra se prolonger à l'avenir.

M. Bruno Retailleau, président. - Je suis très heureux d'apprendre que vous avez fait un stage à la Roche-sur-Yon. J'espère que vous avez pu aller sur le terrain.

M. Takanori Isogai, premier secrétaire de l'ambassade du Japon. - Plus particulièrement chargé de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme et du logement, je vous présenterai le système japonais de gestion des risques naturels. La première partie de cette présentation sera très globale.

Commençons par le bilan des catastrophes naturelles au Japon, un pays touché par des tremblements de terre, des tsunamis, des éruptions volcaniques, des typhons, des pluies diluviennes et même des avalanches de neige.

Les tremblements de terre représentent un risque majeur, puisqu'au cours des dix dernières années, un événement sismique sur cinq s'est déroulé au Japon. D'autre part, des typhons traversent chaque année notre pays, avec un record historique de dix typhons en 2004. De nombreux décès sont imputables aux glissements de terrain dus à la pluie.

Depuis 1945, le nombre de morts tend à décroître, sauf en 1995, année marquée par le terrible séisme de Kobé. Pour l'essentiel, l'amélioration est due au perfectionnement des prévisions et des communications. Après le typhon de 1959, une loi a été votée en 1961 pour organiser la gestion des risques naturels, depuis la prévention jusqu'à l'aide aux sinistrés, en passant par les secours. Nous avons ensuite tiré les leçons amères des 5000 morts et disparus déplorés en 1995. Depuis cette date, la politique de gestion des risques naturels a été renforcée. Avec plus de 300 morts et disparus, l'année 2004 est exceptionnelle en raison du très grand nombre de typhons.

En mémoire du grand séisme du 1er septembre 1923, qui a fait plus de 140 000 morts à Koto, dans la région de Tokyo, le 1er septembre est devenu « jour de gestion des risques ». Des exercices d'évacuation sont organisés dans le Japon à grande échelle.

La région de Sanriku a subi deux tsunamis majeurs en 1896 et 1933.

Pourquoi y a-t-il tant de catastrophes naturelles au Japon ? Les régions montagneuses couvrent 70 % du territoire. La surface inondable, soit 10 % du total, concentre 60 % de la population et 75 % des biens. Les pluies diluviennes provoquent des inondations même dans les centres des villes. On constate l'accroissement tendanciel des grosses précipitations, mais j'ignore s'il y a un lien avec le changement climatique.

Le Japon comporte trois niveaux d'administration : l'État, les départements et les communes. Les ministères comportent des services déconcentrés, mais il n'y a pas d'équivalent du préfet. On dénombre 47 départements et 1 700 communes qui ont à leur tête respectivement un gouverneur et un maire élus. Pour conforter la gestion des risques, un ministre est spécifiquement chargé de cette mission depuis 2001. Un service permanent assure cette mission sous son autorité, en liaison avec les ministères via le « Secrétariat de cabinet ». S'ajoute un organisme interministériel : le Conseil national de gestion des risques, présidé par le Premier ministre et associant tous les ministres, la Banque centrale du Japon, la télévision, les télécommunications et la Croix-Rouge japonaise.

M. Bruno Retailleau, président. - Des élus siègent-ils à ce conseil ?

M. Takanori Isogai. - Non, mais des experts et des chercheurs. La gestion des risques naturels concerne de vastes domaines et beaucoup d'administrations. De nombreuses coordinations horizontales et verticales sont donc nécessaires.

Nous arrivons ainsi au plan de gestion des catastrophes. Lorsqu'elles établissent ou modifient leur plan, les collectivités territoriales doivent en discuter avec l'État pour que soit maintenue la cohérence d'ensemble. Juridiquement, la commune est responsable au premier chef, le département et l'État n'intervenant qu'en fonction des nécessités. Nous retrouvons une sorte de principe de subsidiarité. En pratique, les communes jouent un rôle majeur.

J'en viens à la deuxième partie de mon exposé, qui porte sur la gestion des risques dans la zone littorale.

Le Japon comporte 35 000 kilomètres de côtes et 9 000 kilomètres de digues.

Les conditions naturelles à risque sont aggravées par la concentration de la population et des biens sur la zone littorale. Ainsi, les grandes agglomérations de Tokyo, Osaka et Isé abritent 4 millions de personnes vivant au-dessous du niveau de la mer. Les digues sont donc nécessaires. Hélas, elles sont vétustes : beaucoup ont été construites avant 1965. J'ajoute qu'entre 1978 et 1993, l'érosion marine s'est poursuivie à un rythme deux fois plus élevé qu'auparavant. Plus de 1300 hectares de plage ont ainsi disparu pendant cette période, une surface supérieure à celle du XVIe arrondissement de Paris.

Il faut donc aménager en urgence les côtes, alors que les budgets sont insuffisants : les crédits destinés aux travaux publics ont fondu des deux tiers depuis 1991. Nous sommes contraints de fixer des priorités, mais aussi d'innover pour mettre en oeuvre des protections moins coûteuses.

En principe, les côtes sont gérées par les départements, mais cette tâche peut être ponctuellement déléguée aux communes, aux ports ou à un gestionnaire spécifique. L'État intervient dans deux cas : pour les îles frontalières et lorsque des travaux exceptionnels sont nécessaires.

Je passe au système d'alerte. En cas de lames déferlantes ou de tempête, l'agence de météorologie informe les communes, qui organisent l'évacuation de la population. Bien entendu, l'information est aussi transmise aux départements, à l'État, à la police, à la presse et à la télévision. Les critères d'alerte sont convenus d'avance. Je précise que, dans six zones, l'alerte est directement transmise à l'État, les départements étant les destinataires premiers dans 120 cas. Depuis le mois de mai, nous disposons d'un nouveau système d'alerte permettant de prévoir la hauteur de la mer.

Nous abordons maintenant le lien entre risques naturels et occupations du sol. Les communes peuvent restreindre la construction dans les zones à risque, dont 30 % sont menacées par l'eau.

Pour informer la population, les administrations établissent une cartographie dénommée « hazard map », où figurent les zones à risques et les routes d'évacuation. Cette carte des risques d'inondations n'est pas opposable aux tiers.

En 2008, une lame déferlante a tué deux personnes à Toyama, où 16 habitants ont été blessés. À la suite de cette catastrophe, le ministère de l'aménagement du territoire et des infrastructures a créé un comité d'étude consacré aux lames déferlantes. Leur cause se situe en haute mer, lorsqu'une basse pression atmosphérique est combinée à de forts vents. En 2008, la hauteur exceptionnelle de cette vague a été supérieure à celle des digues ! En outre, celles-ci avait subi une importante érosion. Le rapport a formellement recommandé de reconstruire les digues et tous les ouvrages d'art. Il a aussi réclamé une enquête d'urgence sur l'érosion des côtes.

Les critères d'alerte ont été clarifiés. Une force d'assistance technique face à l'urgence, dénommée « Technical emergency control force », a été créée. En cas de catastrophe majeure, une équipe disposant des équipements adéquats apporte aux collectivités territoriales les conseils techniques portant sur les travaux à réaliser en urgence, mais aussi sur les moyens de rétablir la vie économique.

J'en suis parvenu à la troisième partie de mon intervention, qui porte sur l'indemnisation des victimes. Je mentionnerai tout d'abord le versement d'allocations décès, les exonérations d'impôts et l'attribution de prêts à des conditions préférentielles.

L'assurance privée intervient aussi, mais les risques sismiques et volcaniques ne sont pas assurables, non plus que les tsunamis ou les incendies liés aux séismes. Une assurance publique a été créée en 1968 pour couvrir tous ces risques.

Enfin, la loi relative à l'aide à la reconstruction permet de verser des allocations personnelles pouvant atteindre 3 millions de yens, soit l'équivalent de 27 000 euros pour reconstruire une maison.

M. Bruno Retailleau, président. - Cela peut suffire ?

M. Takanori Isogai. - Oui.

Cette allocation a été créée en 1999, car le séisme de Kobé avait détruit de nombreux logements, alors que seuls 10 % des ménages étaient assurés contre les tremblements de terre. Initialement, il s'agissait de couvrir les dépenses de première nécessité ; la reconstruction de logements n'a été introduite qu'en 2004. Depuis, le dispositif a été simplifié. En outre, ses destinataires potentiels sont devenus plus nombreux, puisque les critères d'âge et de revenus ont disparu. Ainsi, l'allocation est versée dès lors qu'une catastrophe importante a détruit plus de dix maisons individuelles dans une commune ou plus de 100 dans un département.

L'allocation comporte deux parties : la première est attribuée en fonction des dégâts, la seconde dépend des moyens de l'allocataire. Le versement de base, soit 1 million de yens, est attribuée lorsque le logement est totalement ou très largement détruit, ou encore lorsqu'il doit être évacué pour une longue période, par exemple en raison d'émanations de gaz toxique provoqué par une éruption. La partie supplémentaire s'échelonne entre 500 000 yens et 2 millions, selon qu'il faut louer ou reconstruire une maison.

Au nom de la solidarité, tous les départements financent le fonds d'aide à la reconstruction, qui verse ces allocations via les collectivités territoriales. J'ajoute que l'État rembourse au fonds la moitié des sommes remises aux sinistrés. En 2009, 850 millions de yens ont été distribués. En dix ans, l'équivalent de 205 millions d'euros ont été alloués aux victimes des catastrophes naturelles.

M. Bruno Retailleau, président. - Je vous remercie, d'autant plus que nous avions dû reporter votre audition.

Votre présentation qui a correspondu à ce que nous attendions nous sera très utile. Je pense que vous nous aiderez à améliorer notre système, car votre pays connaît toute la palette des risques naturels.

Le niveau de la mer est-il monté au cours du XXe siècle ? Avez-vous des prévisions pour le XXIe ?

M. Takanori Isogai. - Je ne dispose pas de chiffres, mais je vous les communiquerai.

M. Bruno Retailleau, président. - Pensez-vous pouvoir prévoir les conséquences d'une surcote de l'eau en mer ?

M. Takanori Isogai. - L'agence météorologique communique des prévisions de niveau de la mer pour chaque commune.

M. Bruno Retailleau, président. - Vous êtes en avance sur nous.

Pourquoi la vitesse de l'érosion a-t-elle doublé en dix ans ?

M. Takanori Isogai. - C'est le résultat d'un ensemble de causes associant l'affaissement des terrains, l'incidence des séismes et le tassement des sols artificiels.

M. Bruno Retailleau, président. - Avez-vous constaté une accélération des événements climatiques exceptionnels ? Sont-ils favorisés par le changement climatique ?

M. Takanori Isogai. - Nous ignorons les causes du changement climatique, mais il va relever le niveau de la mer.

M. Bruno Retailleau, président. - Quels critères président au choix des digues à restaurer ? Certaines communes sont-elles abandonnées au risque de submersion ?

M. Takanori Isogai. - Je ne connais pas tous les critères, qui sont nombreux et techniques. Je me renseignerai auprès des services concernés.

M. Bruno Retailleau, président. - Les défenses contre la mer sont elles toujours des ouvrages construits par l'homme ?

M. Takanori Isogai. - Il me semble que oui.

M. Bruno Retailleau, président. - Quelle est la part de la population vivant sur le littoral ?

M. Takanori Isogai. - Comme je vous l'ai dit, 10 % du territoire japonais est inondable, soit en raison du littoral, soit en raison des rivières. Environ 620 communes sont situées le long du littoral. Ce sont probablement les plus peuplées, car le Japon est montagneux à 70 %.

M. Bruno Retailleau, président. - Votre expérience vous inspire-t-elle des leçons à tirer de Xynthia ? En 2008, vous avez déploré deux morts. Pourquoi y en a-t-il eu 53 en France cette année ?

M. Takanori Isogai. - Ma réponse n'engage que moi, mais je vois deux raisons. La première tient au meilleur état des digues japonaises, malgré leur vétusté. La deuxième est que notre population est mieux informée. Sa sensibilisation et son éducation sont problématiques, mais les résultats sont plus poussés qu'en France.

M. Bruno Retailleau, président. - Vous êtes sans doute plus disciplinés que nous. Comment entretenir la conscience du risque ?

M. Takanori Isogai. - Outre la hazard map, la conduite en cas de catastrophe naturelle est enseignée à l'école.

M. Bruno Retailleau, président. - Comment la hazard map est-elle diffusée au public ?

M. Takanori Isogai. - Cet outil destiné au grand public est distribué à la population. Il est à sa disposition dans les mairies, mais aussi sur Internet.

M. Bruno Retailleau, président. - Je vous remercie au nom de mes collègues.

Nous sommes sensibles aux condoléances que vous avez exprimées envers les familles endeuillées par Xynthia et les pluies d'hier.

M. Michel Boutant. - Après une catastrophe naturelle, qui participe aux opérations de secours ? Les forces armées, la réserve ? Le Japon possède-t-il une force de sécurité civile ?

M. Takanori Isogai. - Tout dépend de l'ampleur de la catastrophe. Dans les cas les plus graves, l'armée d'autodéfense peut intervenir aux côtés des policiers et des pompiers.

M. Yasushi Masaki. - Pour des raisons historiques, il existe une forte réticence au Japon envers l'appel aux forces armées, mais elles ont dû intervenir lors du séisme de Kobé. Depuis, les maires hésitent de moins en moins à solliciter les militaires.

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