Mardi 5 mai 2010 M. Jean-Bernard Auby, professeur des universités à Sciences Po
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Au cours d'une deuxième séance tenue dans l'après-midi, la mission a tout d'abord entendu M. Jean-Bernard Auby, professeur des universités à Sciences Po.
Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur les liens entre le droit actuellement applicable en matière d'urbanisme et l'objectif de prévention des risques, M. Jean-Bernard Auby a précisé que la question des risques naturels avait, de longue date, été prise en compte par la législation de l'urbanisme, non seulement par le biais du règlement national d'urbanisme, mais aussi à travers des plans spécifiquement conçus pour intégrer les risques naturels ; dès lors, il a estimé que les lacunes révélées par la tempête Xynthia découlaient avant tout des retards dans la mise en place, par les communes, des mécanismes de prévention des risques prévus par le législateur. Ayant marqué son désaccord avec cette opinion et estimé que le retard dans l'approbation des plans de prévention des risques (PPR) était la conséquence de la longueur et de la lourdeur des négociations entre les communes, qui souhaitent urbaniser les zones à risque pour répondre à la pression foncière qu'elles subissent, et les préfectures, M. Bruno Retailleau, président, a relevé qu'il n'y avait pas, en l'état actuel du droit, de lien systématique et évident entre les PPR et les plans locaux d'urbanisme (PLU), les premiers n'étant pas pleinement opposables aux seconds.
M. Jean-Bernard Auby a souligné que les PPR étaient des servitudes d'utilité publique et que, en tant que tels, ils étaient opposables aux demandes d'autorisation d'urbanisme -et notamment aux permis de construire- et qu'ils devaient être pris en compte par les documents d'urbanisme comme le PLU.
M. Bruno Retailleau, président, a observé que l'approbation d'un PPR avait pour seule conséquence d'imposer la « mise à jour » du PLU (c'est-à-dire une simple actualisation des annexes du PLU, dont le PPR fait partie), et non sa révision.
M. Jean-Bernard Auby a expliqué que cette situation était problématique car elle révélait l'existence d'une pluralité excessive de documents -d'où une superposition complexe de plusieurs zonages parfois concurrents-, et non une absence d'autorité juridique de certains d'entre eux, si bien qu'elle pouvait être résolue par une meilleure information des constructeurs. En outre, il a rappelé que le préfet pouvait imposer une révision du PLU, mais qu'il ne faisait que rarement usage de cette faculté ; en conséquence, il a estimé que cette question méritait d'être étudiée. À ce titre, il a exposé que le défaut de liaison formelle entre ces différents documents résultait du principe d'indépendance des législations, qui avait poussé à une distinction stricte entre la législation de l'urbanisme et les dispositions applicables en matière de prévention des risques, celles-ci ayant été totalement séparées jusqu'aux lois de décentralisation de 1982-1983 -c'est-à-dire jusqu'à ce que le législateur impose une indexation des documents relatifs aux risques en annexe des documents locaux d'urbanisme.
M. Alain Anziani, rapporteur, a noté que la mission pourrait envisager de permettre aux préfets de mettre les communes en demeure de réviser leur PLU en cas d'approbation ou de modification d'un PPR.
M. Bruno Retailleau, président, a souligné que la législation actuelle était fragmentée entre le code l'urbanisme, qui vise principalement à garantir la protection des populations, et le code l'environnement qui, quant à lui, a pour objectif majeur la protection des milieux, et que cette « parcellisation » pouvait mener à des incohérences.
En réponse à ces remarques, M. Jean-Bernard Auby a jugé que le code de l'urbanisme était aujourd'hui dénué de ligne directrice claire, si bien qu'un travail de mise en ordre des normes était désormais nécessaire afin de déterminer quelles dispositions avaient vocation à y être intégrées et lesquelles devaient, à l'inverse, en être retranchées. En outre, après avoir marqué son accord avec la mise en place d'une révision obligatoire du PLU en cas d'approbation d'un PPR, il a répété qu'il était essentiel de renforcer l'information des constructeurs, confrontés au manque de lisibilité et de clarté de la législation actuelle, par exemple en modifiant la composition des dossiers de PLU, plutôt que de conforter l'autorité juridique des documents prévus par le code de l'urbanisme. Plus généralement, il a estimé que les impératifs contenus dans des législations extérieures à l'urbanisme (comme la prévention des risques naturels, incarnée par les PPR, ou la préservation des monuments historiques) devaient être davantage pris en compte par les PLU.
Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur la nécessité de clarifier la terminologie employée par la loi « Littoral » du 3 janvier 1986, M. Jean-Bernard Auby a rappelé que les dispositions de cette loi ne prenaient pas en charge les problèmes relatifs aux risques naturels, mais se bornaient à assurer la préservation des sites et l'accueil des activités économiques et touristiques.
En réponse à une question de M. Bruno Retailleau, président, sur la possibilité de mettre en place un maillage plus étroit entre les plans communaux de sauvegarde (PCS) et les PPR, M. Jean-Bernard Auby a jugé que les lacunes constatées dans la législation relative aux risques naturels découlaient d'une insuffisante culture du risque ; ainsi, il a rappelé que, à l'inverse de pays comme la Grande-Bretagne, où la cartographie des risques d'inondation est mise à disposition du public et permet de mettre l'accent sur une définition collective du niveau de risque acceptable, puis sur la responsabilité individuelle des acquéreurs de biens, la France avait développé une « culture du secret » qui poussait le citoyen à compter sur la protection de la puissance publique pour se prémunir contre les risques.
À M. Alain Anziani, rapporteur, qui envisageait qu'un état des lieux des risques d'inondation soit communiqué par le notaire, M. Jean-Bernard Auby a répondu que cette mission pouvait en effet lui échoir dans le cadre de son devoir de conseil, qui l'amène déjà à informer les futurs acquéreurs sur l'existence d'éventuelles servitudes d'urbanisme.
Mme Marie-France Beaufils s'est déclarée surprise de ces débats sur l'information des citoyens en matière de risques naturels, dans la mesure où le droit en vigueur imposait déjà aux communes ou aux groupements de communes soumis à un PPR de communiquer des pièces relatives aux risques aux notaires ; elle a donc estimé que l'état d'esprit des futurs acheteurs au moment de l'achat devait être mis en cause, plutôt que la qualité de l'information qui est portée à leur connaissance à cette occasion.
Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur les causes de la gravité du bilan humain de la tempête Xynthia, M. Jean-Bernard Auby a indiqué que certaines habitations avaient pu être construites sans tenir compte des risques naturels justement parce qu'elles avaient été bâties avant que la législation n'intègre pleinement cette problématique, et notamment avant l'apparition des PPR.
En outre, concernant le double rôle des préfectures de département, qui sont chargées à la fois d'instruire les demandes de permis de construire pour le compte des petites communes et de contrôler la légalité des autorisations d'urbanisme, M. Jean-Bernard Auby s'est déclaré choqué des accusations formulées à l'encontre des maires des communes sinistrées, qui passent sous silence la responsabilité des services de l'État dans la délivrance des permis de construire. À cet égard, il a rappelé que, dans les communes non dotées d'un PLU ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu, les permis étaient délivrés au nom de l'État (et qu'ils étaient même délivrés directement par le préfet en cas de désaccord entre la mairie et les services de l'État) et que, dans ce cas, l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme permettait au préfet de refuser un permis de construire en présence d'un risque d'inondation important et avéré.
De même, M. Jean-Bernard Auby a souligné que, même dans les communes couvertes par un PLU ou un POS, les services préfectoraux étaient généralement amenés à donner un avis sur les demandes de permis de construire soumises aux communes de moins de 10 000 habitants et pouvaient également utiliser l'article R. 111-2 pour marquer leur objection à la délivrance d'un permis, à défaut de pouvoir l'empêcher. Il a donc estimé que les services de l'État disposaient de moyens suffisants pour assurer une gestion efficace et effective des risques naturels.
En réponse à une remarque de M. Alain Anziani, rapporteur, qui s'interrogeait sur la possibilité de confier l'instruction des demandes de permis de construire aux intercommunalités afin de distinguer clairement l'autorité chargée de la délivrance des autorisations d'urbanisme de l'autorité en charge de leur contrôle, M. Jean-Bernard Auby a estimé opportun de séparer strictement ces compétences, mais aussi d'éviter les conflits d'intérêts dans d'autres champs, notamment en confiant à deux entités distinctes la mission d'élaborer les documents d'urbanisme (comme le PLU, qui est actuellement défini par les conseils municipaux) et la charge de la délivrance des autorisations individuelles ; il a ainsi cité l'exemple du Québec, où le PLU est voté par des élus locaux, mais où les permis de construire sont délivrés par des fonctionnaires qui se bornent à appliquer les documents locaux d'urbanisme.
Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur les réformes permettant de rendre le contrôle de légalité plus opérant en matière d'urbanisme, M. Jean-Bernard Auby a estimé que la faiblesse du taux d'actes déférés au juge administratif (0,024 %), optiquement impressionnante, devait être nuancée, ce taux devant en réalité être rapporté au nombre d'autorisations d'urbanisme non instruites par les services préfectoraux.
Par ailleurs, M. Jean-Bernard Auby a jugé que la création d'une agence indépendante, soustraite à l'influence des autres services de l'État et des acteurs locaux et jouant le rôle d'un « ministère public » dans le cadre du contrôle de légalité poserait d'importants problèmes pratiques, notamment pour la détermination de sa politique de contrôle. Il a d'ailleurs souligné que la mise en place d'une politique de déféré systématique irait à l'encontre de la jurisprudence actuelle -qui considère que la responsabilité de l'État pour les carences commises à l'occasion du contrôle de légalité ne peut être engagée qu'à condition que celles-ci soient constitutives d'une faute lourde-, mais qu'il était souhaitable que les préfectures défèrent tous les actes pour lesquels elles suspectent une irrégularité traduisant une mauvaise prise en compte des risques naturels.
En réponse à M. Bruno Retailleau, président, qui relevait que les règles contenues dans le code de l'urbanisme ne parvenaient pas à protéger les citoyens des risques graves auxquels ils sont exposés, M. Jean-Bernard Auby a fait valoir que la relative inefficacité de la législation actuelle découlait du fait que le code n'était pas un ensemble cohérent et hiérarchisé, mais un empilement de normes accumulées avec le temps. À cet égard, il a souligné que ce code exprimait un manque d'acceptation de la décentralisation de l'urbanisme et de confiance aux élus locaux. De ce fait, le code de l'urbanisme est devenu un entassement de mécanismes décentralisateurs et de « contre-mécanismes » visant à encadrer l'action des communes. Dès lors, il a émis le souhait que la décentralisation de l'urbanisme soit menée à terme, qu'elle soit placée au niveau intercommunal et soumise à un contrôle de légalité effectif.
M. Alain Anziani, rapporteur, a envisagé que le code fixe clairement la liste des documents auxquels les autorisations individuelles d'urbanisme doivent se conformer et qu'un contrôle de légalité systémique soit mis en oeuvre dans des zones exposées à des risques majeurs. En outre, ayant jugé nécessaire de clarifier le code de l'urbanisme, il a souhaité savoir si cette clarification pourrait passer par une intégration des acquis jurisprudentiels ou par un allègement de la législation.
M. Jean-Bernard Auby a estimé qu'un allègement des normes serait en effet nécessaire pour garantir que la législation de l'urbanisme soit recentrée sur ses priorités, dont la protection des populations contre les risques naturels devait faire partie.
Enfin, en réponse aux interrogations de M. Bruno Retailleau, président, M. Jean-Bernard Auby a jugé que le mécanisme d'expropriation pour risque naturel majeur mis en place par la loi « Barnier » du 2 février 1995 pourrait utilement être utilisé pour sanctuariser les « zones d'acquisition amiable », et que le code de l'urbanisme, dans sa rédaction actuelle, ne prévoyait aucun outil susceptible de garantir le relogement sur place des sinistrés de la tempête Xynthia, si bien qu'un « droit de préférence » ad hoc devrait être créé par le législateur.