b) Une politique qui ne prend pas suffisamment en considération la dimension historique et symbolique du patrimoine de l'État
Les monuments historiques sont répertoriés dans une base du ministère de la culture tandis que le système Chorus utilisé par France Domaine ne permet pas de les identifier séparément. Ces monuments sont donc considérés comme d'autres immeubles et fondus dans la masse des biens de l'État. Il est ainsi impossible de dénombrer les monuments historiques concernés par le programme des opérations de cession de 1 700 biens que l'État compte vendre entre 2010 et 2013, et que le ministre du budget, des comptes publics, et de la réforme de l'État a présenté 42 ( * ) le 9 juin 2010. La mention du caractère de monument historique apparaît tout au plus dans le descriptif du bien à vendre, comme l'illustre la fiche de vente du Pavillon de la Muette (ancien pavillon de chasse royal construit par Gabriel au XVIII e siècle en forêt de Saint-Germain) figurant dans le dossier de presse de la direction générale des finances publiques relatif aux ventes de l'État.
L'audition de M. Daniel Dubost, chef du service France Domaine, n'a pas davantage rassuré le groupe de travail . Interrogé par votre rapporteur au sujet de l'action de l'agence qu'il dirige et des conditions dans lesquelles une relance de la dévolution pourrait se faire, ce dernier a tout d'abord rappelé que le coeur de métier de France Domaine est l'immobilier de bureau de l'État. Sa vente est autorisée depuis la réforme de la domanialité publique dont les règles sont précisées, depuis le 1 er juillet 2006, dans le code général de la propriété des personnes publiques (CG3P). Il a ensuite rappelé que les transferts à titre gratuit, tels qu'envisagés dans l'article 52 du projet de loi de finances pour 2010, faisaient référence à la fonction plus traditionnelle de « notaire de l'État » de France Domaine dont le rôle n'est certainement pas de se prononcer sur des critères de transfert réussis.
Pourtant, cette agence de l'État était très largement concernée par le texte du projet de loi de finances, repris dans la proposition de loi de Mme Marland-Militello à l'Assemblée nationale. En effet, le texte initial prévoyait que la décision de transfert se fasse après avis du ministre en charge du domaine, au même titre que l'avis du ministre en charge des monuments historiques. En outre, c'est France Domaine qui avait adressé les conventions types que l'État avait passées avec les collectivités dans le dispositif de 2004. Enfin, l'immobilier de bureau n'exclut aucunement le caractère de monument historique, les ministères autres que celui de la culture ayant été affectataires de bâtiments classés qui étaient donc propriété de l'État sans pour autant avoir d'utilisation culturelle. Les réponses de M. Dubost, qui laissent à penser que le sujet des monuments historiques était un faux sujet pour France Domaine, ont donc suscité des interrogations chez les membres du groupe de travail.
La polémique développée autour de l'avenir de l'Hôtel de la Marine 43 ( * ) illustre parfaitement les problèmes inhérents à une telle approche du patrimoine immobilier de l'État . La vente de cet ancien Garde-meuble de la Couronne, dont la façade de Jacques-Ange Gabriel et le mobilier constituent une richesse patrimoniale exceptionnelle, a d'abord été envisagée. Puis, compte tenu des vives réactions critiquant la volonté de l'État de « brader » son patrimoine, le gouvernement a renoncé à la vente pour rechercher une utilisation qui permettrait le maintien de sa propriété. Lors des débats déjà évoqués à l'Assemblée nationale, le ministre du budget a d'ailleurs mentionné ce cas : « En ce qui concerne les bâtiments à grande valeur historique, qui sont souvent l'objet de légitimes débats et questionnements, comme par exemple, à Paris, l'Hôtel de la Marine, nous poursuivons nos travaux. Nous examinons une piste (...) dans une logique de bail emphytéotique ». Poursuivant, il ajoute que « l'emphytéose est probablement la meilleure solution pour que l'État conserve ses biens et que la restauration soit effectuée dans que cela coûte trop d'argent au contribuable ».
Votre commission est cependant consciente des nouvelles polémiques qui peuvent encore naître : tout d'abord parce qu'il existe d'autres monuments historiques dont la mise en vente ne manquera de susciter des inquiétudes similaires (c'est déjà le cas pour le château de Bridoire en Dordogne ou l'Hôtel-Dieu à Lyon), ensuite parce qu'un bail emphytéotique ne peut être une solution alternative satisfaisante que dans la mesure où les conditions qu'il impose au preneur prennent en compte la vocation historique ou culturelle de l'immeuble. En effet, le caractère classé ou inscrit d'un immeuble impose certes des obligations à tout propriétaire quel qu'il soit (autorisation de travaux allant au-delà du simple entretien, intervention d'un architecte spécialisé dans le cas des monuments classés, contrôle scientifique et technique des travaux), mais il ne conditionne en aucun cas le type d'utilisation qui peut être fait de ce monument historique. Or, c'est bien son utilisation et la valorisation de la richesse historique, symbolique et culturelle dont il est question dans ces polémiques.
Forte de ces constats, votre commission regrette qu'une approche plus globale et soucieuse de la dimension patrimoniale ne soit pas mise en oeuvre pour tous les monuments historiques appartenant à l'État. En effet, ces situations ont deux conséquences :
- elles donnent le sentiment que l'État veut brader son patrimoine ;
- elles jettent l'opprobre sur l'ensemble de la politique immobilière de l'État qui est pourtant aujourd'hui indispensable pour l'amélioration des finances publiques.
Votre commission estime donc indispensable qu'une analyse systématique de la vocation des monuments historiques soit menée en amont de tout projet de vente ou de transfert, selon un principe de précaution appliqué au patrimoine monumental de l'État.
* 42 Après en avoir annoncé le principe au Conseil des ministres du 27 avril 2010.
* 43 La commission des affaires étrangères du Sénat a d'ailleurs fait part de ses inquiétudes dans l'avis n° 102 (2009-2010) du 19 novembre sur le projet de loi de finances pour 2010, par Didier Boulaud.