III. LES CONDITIONS À REMPLIR POUR QUE CETTE OPPORTUNITÉ NE SE TRANSFORME PAS EN PIÈGE
A. LA PERSISTANCE DE NOMBREUSES PRÉOCCUPATIONS ET INCERTITUDES
1. Des progrès mais une connaissance et une gestion encore imparfaites du patrimoine
En dépit des améliorations enregistrées en termes de connaissance et de gestion du patrimoine immobilier universitaire, d'importants progrès restent à réaliser.
? Dans son rapport sur la modernisation de la gestion publique de 2009 précité, l' IGAENR a constaté, sur la base des audits réalisés en 2007 et 2008, que les universités peinaient à définir une véritable politique immobilière au service de leur politique de formation et de recherche, du fait de la faiblesse du pilotage stratégique par les équipes de direction et de l'absence de schéma directeur immobilier.
Elle indiquait également que la transcription comptable du patrimoine immobilier n'offrait pas encore les garanties nécessaires en termes d'inventaire du patrimoine immobilier, de valorisation des biens immobiliers sur la base de leur valeur réelle et de généralisation de la pratique de l'amortissement du patrimoine.
Elle insistait sur la nécessaire structuration de directions du patrimoine immobilier, dotées de compétences nouvelles en matière de gestion du propriétaire, développant des systèmes d'information « patrimoine » efficaces.
? Les conclusions encore plus récentes de la Cour des comptes et de l' AERES vont dans le même sens.
On estime que seulement 20 % des universités ont mis en place un schéma directeur immobilier.
En outre, la comptabilité patrimoniale est souvent peu fiable, du fait notamment de l'absence de logiciel adapté. Environ 50 % seulement des universités connaîtraient les coûts de fonctionnement de leurs bâtiments.
? De leur côté, les commissaires aux comptes examinent les comptes des établissements passés aux compétences élargies. En effet, le passage aux RCE oblige les établissements à faire certifier leurs comptes par un commissaire aux comptes. Ce dernier doit, à ce titre :
- s'assurer de l'exactitude et de la sincérité de leur bilan ainsi que de leurs charges calculées ;
- inscrire à leur actif une estimation fiable de la valeur de leur patrimoine ;
- prévoir, en cohérence, une dotation aux amortissements dans leur compte de résultat (cf. infra).
Cette action rejoint le chantier de fiabilisation de l'inventaire du patrimoine et d'estimation de sa valeur conduits depuis trois ans par les établissements, à la demande de France Domaine.
Elle induit une meilleure prise de conscience par les établissements des charges mais également des opportunités de valorisation de leur patrimoine immobilier.
Cependant, alors qu'en 2010, dix-huit universités sont tenues de faire certifier leurs comptes 13 ( * ) , les commissaires aux comptes n'ont pu certifier les comptes que de quatre d'entre elles au titre de l'exercice 2009. En effet, dans les autres cas, les établissements verront leurs comptes certifiés avec réserves . Ils relèvent aussi la persistance de faiblesses en termes de compétences et de capacités de gestion.
Toutefois , ils estiment qu'à une exception près, les universités ont réalisé d'importants efforts.
Il est vrai que les universités candidates à la dévolution sont pionnières en la matière. C'est ainsi que certaines, telle que l'université d'Auvergne (Clermont I), se sont dotées d'un vice-président finances-immobilier et d'un service immobilier enrichi de nouvelles compétences.
En outre, il faut relever que, depuis 2007, des réserves en vue de la certification des comptes sont émises pour tous les établissements publics de l'Etat. En effet, les opérateurs de l'Etat doivent se doter des compétences nécessaires et intégrer le changement de culture de nature à leur permettre d'assumer pleinement leurs nouvelles responsabilités.
2. La question épineuse de la traduction comptable, budgétaire et fiscale de la dévolution
En devenant propriétaire à part entière, les universités doivent réellement supporter les obligations du propriétaire : elles doivent amortir les biens reçus et faire face à la contrainte de renouvellement sur ces biens .
Les modalités de l'amortissement des biens reçus sont l'une des préoccupations majeures de vos rapporteurs. En effet, les différentes auditions ont mis en évidence que :
- d'une part, la détermination de la valeur des biens transférés, qui détermine le montant d'amortissement nécessaire, peut être source de polémique ;
- d'autre part, la rigidité de l'écriture comptable de cet amortissement implique une traduction budgétaire dont le montant et les modalités ne sont pas à ce jour décidés.
a) L'obligation d'amortir les biens reçus
Le transfert du patrimoine immobilier aux universités met fin au dispositif de neutralisation des dotations d'amortissement prévu dans le cadre de l'instruction comptable M93 sur la réglementation budgétaire, financière et comptable des EPSCP.
La neutralisation est applicable aux établissements qui ne supportent pas la charge de renouvellement des biens dont ils disposent : elle permet de constater la dépréciation du bien, sans qu'il soit pour autant nécessaire pour l'établissement de dégager des ressources financières en vue de financer ce renouvellement, qui est à la charge du propriétaire, c'est-à-dire l'Etat. La charge de renouvellement est ainsi neutralisée par la constatation d'un produit exceptionnel de même montant par prélèvement sur l'apport de l'Etat.
Lorsque que la neutralisation ne peut pas s'appliquer, le financement de la charge du renouvellement soulève nécessairement des questions délicates : cela implique de dégager des ressources financières nouvelles dans un contexte budgétaire extrêmement contraint . Le montant des recettes doit être équivalent ou supérieur à la charge ; en effet, le décret n° 2008-618 relatif au budget et au régime financier des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel du 28 juin 2008 impose que le compte de résultat des établissements soit équilibré, ce qui implique un résultat positif ou nul .
Le montant d'amortissement résultant de l'estimation de la valeur des biens, le travail effectué par France Domaine est central.
b) Une valorisation des biens transférés plus qu'incertaine et incomplète par France Domaine
Selon France Domaine, le patrimoine immobilier des opérateurs de l'Etat peut être évalué à 43 milliards d'euros, dont 13,8 milliards pour les universités. Précisons que ce montant correspond aux seuls biens propres de l'Etat ou des universités, à l'exclusion donc d'autres biens tels que ceux mis à disposition par les collectivités territoriales.
Il a été précisé à vos rapporteurs que, fin avril 2010, sur les 543 opérateurs de l'Etat, une centaine, dont 36 universités et autres EPSCP, restaient à évaluer.
France Domaine venant donc de communiquer la valeur vénale du patrimoine d'une partie des établissements, ceux-ci ont vocation à les intégrer dans leur bilan.
Cependant, les réserves susmentionnées émises par les commissaires aux comptes en vue de garantir la sincérité des comptes des universités sont notamment liées à l'évaluation du patrimoine par France Domaine. Les raisons en sont nombreuses et conduisent vos rapporteurs à s'interroger sur la fiabilité de cette évaluation :
- la qualité des estimations semble très variable d'une région à l'autre ;
- la méthode d'évaluation n'est pas toujours précisée, France Domaine ayant cependant indiqué à vos rapporteurs que la méthode la plus utilisée est celle de la comparaison avec des biens de nature comparable et donc par rapport à la valeur d'usage du marché ;
- la distinction entre la valeur des terrains et celles des constructions n'est pas toujours effectuée, ce qui ne permet pas par exemple d'envisager une méthode de valorisation fondée sur la valeur réelle du bien mais diminuée de sa valeur résiduelle, c'est-à-dire de sa valeur foncière étant donné que les biens fonciers ne s'amortissent pas ;
- les estimations sont souvent aléatoires et parfois manifestement sous estimées : des surestimations ont été relevées également. Certains vont jusqu'à reprocher le caractère « fantaisiste » de certaines évaluations. Relevons que les agents de France Domaine n'ont pas toujours visité l'ensemble des bâtiments concernés. Par ailleurs, dans les universités ayant eu également recours à une évaluation par un audit externe, des divergences parfois très sensibles apparaissent. C'est ainsi, par exemple, que le patrimoine de l'université d'Auvergne (Clermont I) a été évalué à 80 millions d'euros par France Domaine, alors que la valeur vénale des biens a été estimée à 400 millions d'euros par un cabinet d'expertise privé;
- certains ont noté des contradictions « inexplicables » entre les évaluations conduites différentes années ;
- des imprécisions ou des erreurs dans le dénombrement des bâtiments ont été aussi relevées. A cet égard, il faut cependant reconnaître la responsabilité des établissements au regard des biens qu'ils ont eux-mêmes déclarés puisque les équipes de France Domaine ont travaillé sur la base du recensement effectué par les établissements ;
- des retards dans la communication des évaluations ont été relevés, certains établissements n'ayant rien reçu fin mai 2010 ;
- enfin, le document est parfois fondé sur des estimations anciennes (de 2008).
Dans ces conditions, les commissaires aux comptes ont demandé le report du dépôt des comptes financiers pour permettre la certification de cette intégration au bilan. Le MESR a indiqué à vos rapporteurs qu'il répondrait positivement à cette demande.
Vos rapporteurs s'interrogent sur l'assiette du calcul de l'amortissement, ou du prix de cession d'un bien, dont la valeur pourrait être par trop approximative. Dans certains cas manifestement problématiques, ils suggèrent que les services de France Domaine puissent affiner leur première estimation.
En effet, même si la valeur vénale du patrimoine immobilier ne devrait pas être prioritairement retenue pour calculer la contribution de l'Etat aux nouvelles charges immobilières des universités compte tenu de l'état de ce patrimoine ( cf. infra ), il est indispensable que le travail de valorisation effectué par France Domaine soit fiabilisé .
Il s'agit d'une nécessité aussi bien dans l'intérêt de l'État, que dans celui des universités, qui doivent pouvoir disposer d'une évaluation correcte dans le cadre de la rationalisation à venir de leur parc immobilier. En outre, cette valorisation permettra d'apprécier le calibrage de la contribution de l'Etat, qui doit a minima couvrir les charges comptables d'amortissement.
c) Quelle contribution aux charges de la part de l'Etat ?
La participation de l'Etat aux charges de l'établissement devenu propriétaire est une question épineuse. Plusieurs interrogations se posent :
- comment sera calculée la contribution de l'Etat ? En fonction des charges comptables d'amortissement ? En fonction des besoins de renouvellement des établissements ? En fonction des crédits budgétaires disponibles ? Cette dernière option est protectrice des intérêts budgétaires de l'Etat et de la crédibilité de ses engagements, mais permet-elle d'amorcer une dynamique vertueuse de la gestion immobilière par des établissements ayant de très faibles capacité d'autofinancement ?
- comment sera financée cette contribution de l'Etat ? Selon les informations communiquées à vos rapporteurs, le coût de la contribution versée par l'Etat, si le transfert du patrimoine était généralisé, serait de l'ordre de 750 millions d'euros par an. Cette contribution viendra-t-elle se substituer à une partie des crédits en faveur de l'immobilier versés par exemple au titre des CPER, dont une part des opérations est dédiée à la rénovation ? Ou, pour financer cette opération, devra-t-on procéder à des arbitrages plus délicats ? Le contexte actuel des finances publiques françaises appelle vos rapporteurs à faire preuve de prudence ;
- comment éviter les contradictions ? Comment prendre en compte le fait que le besoin de renouvellement n'est pas corrélé à la capacité d'autofinancement dégagée grâce à l'amortissement ? Si la contribution est fonction de la valeur des biens transférée, une université qui possède un patrimoine dégradé bénéficiera d'une contribution reflétant cette dégradation, alors que son besoin de renouvellement est plus important. A l'inverse, une université dont le patrimoine vient de faire l'objet d'une remise à niveau sera destinataire d'une contribution plus élevée alors que ses besoins sont moindres compte tenu des travaux effectués. Dès lors que le processus de dévolution coexiste avec les opérations Campus, les opérations du plan de relance et les opérations des CPER, vos rapporteurs s'interrogent sur la capacité du ministère à évaluer correctement la charge de renouvellement pesant sur les établissements.
d) Le transfert du patrimoine a-t-il un impact sur la fiscalité des établissements ? la question des droits de mutation
Aux termes de l'article 32 de la loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, le transfert du patrimoine immobilier aux universités « s'effectue à titre gratuit . Il s'accompagne, le cas échéant, d'une convention visant à la mise en sécurité du patrimoine, après expertise contradictoire. Il ne donne lieu ni à un versement de salaires ou honoraires au profit de l'Etat ni à aucune indemnité ou perception de droits ou de taxes au profit de l'Etat . »
Le législateur a donc explicitement prévu que les droits de mutation à titre gratuit ne sont pas exigibles auprès des établissements publics à caractère scientifique professionnel et culturel en cas de transfert par l'Etat du patrimoine immobilier.
Il convient de rappeler que si les droits de mutation à titre onéreux sont perçus au profit des collectivités territoriales, les droits de mutation à titre gratuit bénéficient à l'Etat.
3. La question du périmètre et de la date de la dévolution
a) Le transfert du patrimoine immobilier doit-il être généralisé à moyen terme ?
Ainsi qu'il a été dit précédemment, en vertu de l'article 32 de la LRU le transfert de propriété est optionnel.
Toutefois la Cour des comptes dans son rapport de 2009 sur l'immobilier universitaire précise « qu'il n'y aura de véritable autonomie que lorsque les établissements exerceront toutes les prérogatives du propriétaire, y compris celle d'acquérir ou d'aliéner des terrains et des bâtiments, et pourront développer une politique patrimoniale au service de leurs ambitions scientifiques et pédagogiques ».
Elle relève, à juste titre, que la coexistence de deux situations distinctes en matière immobilière, avec une tutelle, des systèmes de financement et des régimes juridiques distincts, rendra le système peu lisible et complexe à gérer.
Elle juge même que le transfert du patrimoine devrait être rendu obligatoire à moyen terme , une fois que les universités auront toutes acquis les autres compétences. Comme pour ces dernières, la dévolution resterait optionnelle pour les autres EPSCP.
b) La question des éventuelles cessions d'immeubles à l'aune de l'équité : avant ou après la dévolution et dans quelles conditions ?
Une analyse intelligente et stratégique du patrimoine, doit conduire à s'interroger sur sa rationalisation en vue d'une utilisation optimale des bâtiments, qui soit adaptée à l'évolution des besoins réels des établissements et leur permette de remplir au mieux leurs missions.
Dans un certain nombre de cas, des cessions d'immeubles s'imposeront, d'autant plus qu'il conviendra de prendre en compte à la fois la stagnation - voire la baisse - des effectifs étudiants et la course aux mètres carrés qui a parfois caractérisé la politique immobilière passée.
Dans ces conditions, vos rapporteurs se sont légitimement demandé si ces cessions devaient être réalisées avant ou après la dévolution des immeubles concernés :
- dans le premier cas, l'Etat - et donc les finances publiques - en serait le bénéficiaire. Rappelons qu'en application des règles de mutualisation de l'emploi des produits de cession immobilière des bâtiments dont l'Etat est propriétaire 14 ( * ) , le droit de retour de l'administration concernée est de 65 % du produit de la cession , 20 % étant mutualisés pour abonder un budget globalisé destiné aux opérations immobilières de l'Etat, les 15 % de produits restant étant affectés au désendettement de l'Etat ;
- dans le second cas, l'université concernée garderait l'intégralité du produit de la cession. En effet, le ministère a indiqué à vos rapporteurs qu'un arbitrage interministériel des 13 et 20 janvier 2010, avait permis un arbitrage en ce sens, en faveur des universités pour lesquelles la dévolution est effective. Précisons que sera considérée comme effective la dévolution en faveur de laquelle un engagement irrévocable de l'université concernée aura été pris (délibération adoptée par le conseil d'administration de l'université et convention signée entre l'université et l'Etat).
Par ailleurs, le recours à la SOVAFIM 15 ( * ) semble être possible pour la valorisation des biens cessibles aussi bien dans le cadre actuel des biens de l'Etat sous convention avec les établissements que dans le cadre futur issu de la dévolution, en faisant précéder systématiquement ces opérations par la désaffectation et le déclassement.
La plupart des interlocuteurs auditionnés ont prôné cette seconde solution. En effet, ainsi qu'il a été dit précédemment, cette capacité à dégager des ressources propres constitue le principal attrait financier du choix, par l'université, de la dévolution du patrimoine et de la rationalisation de ses locaux. Elle y trouverait là un complément, parfois substantiel, à la contribution de l'Etat, leur permettant le cas échéant de rénover et de contribuer à l'entretien et au renouvellement d'autres biens, voire de contribuer au financement d'autres projets, de recherche par exemple.
Cependant, compte tenu des inégalités entre établissements , liées aux bâtiments eux-mêmes, à leur localisation ou au nombre d'usagers, les possibilités de cession varient fortement d'un établissement à l'autre.
Cette situation a conduit l'IGAENR à proposer, dans son rapport de 2007, « un mécanisme compensatoire permettant de redistribuer une partie des produits de cession, sans désinciter les établissements bien dotés à céder leur patrimoine inutile. » Il s'agirait en quelque sorte d'un prélèvement de solidarité à taux réduit.
Vos rapporteurs partagent ce point de vue. En effet, il ne faudrait pas que seules les universités les mieux dotées en locaux sollicitent leur dévolution, tandis que celles qui seraient à l'étroit n'y trouveraient aucun intérêt financier, surtout en période de finances publiques durablement contraintes. Pourquoi, dans un souci d'équité, ne pas mutualiser une part réduite des produits des cessions, dans le cas où l'Etat ne procèderait pas lui-même à ces dernières ? Au-delà, ou à défaut, pourquoi ces universités ne contribueraient-elles pas a minima à la réduction du déficit de l'Etat ?
Enfin, et en tout état de cause, pour vos rapporteurs , le schéma immobilier de l'université devra faire apparaître très clairement sa stratégie à moyen et long terme sur ce point. En outre, toute dévolution devrait bien entendu donner lieu à une convention entre l'Etat et l'établissement. En effet, alors que la loi n'exige pas une telle convention, sauf nécessité liée à la mise en sécurité des bâtiments, vos rapporteurs la jugent indispensable, afin de fixer les engagements réciproques et modalités de l'opération.
c) Une dévolution totale ou partielle du patrimoine ?
Par ailleurs, et au-delà des hypothèses liées aux bénéficiaires des cessions immobilières, la question du périmètre de la dévolution, pose celle d'une éventuelle dévolution partielle du patrimoine.
? Elle peut se poser, par exemple, dans le cas où une partie du patrimoine exigerait de tels efforts de mise en sécurité que cette dernière risquerait de reporter à l'excès la date de la dévolution. Dans ce cas, on pourrait imaginer que la convention entre l'Etat et l'université prévoit un échelonnement de la dévolution.
? Dans le cas où une université bénéficie de la mise à disposition de bâtiments dont certains appartiennent à une collectivité territoriale , la décision relève bien entendu de la collectivité territoriale concernée.
Ce sujet recouvre notamment le cas de certains instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). En effet, en 1990, les biens meubles et immeubles utilisés par les écoles normales primaires et leurs écoles annexes ont été affectés aux nouveaux établissements pour l'accomplissement de leur mission (article L. 722-1 du code de l'éducation). Ces biens pouvaient appartenir soit à l'Etat, soit aux départements. Dans le premier cas, l'Etat les mettait directement à la disposition de l'IUFM ; dans le second, le département avait le choix entre continuer à exercer les droits et les obligations du propriétaire sur les biens utilisés par l'IUFM conformément à l'article L. 722-2 du même code (qui prévoit que le département passe une convention avec l'Etat afin de continuer d'exercer les responsabilités sur les biens) ou mettre ses biens à la disposition de l'Etat pour les besoins de l'IUFM selon les modalités prévues par l'article L. 722-5 (qui prévoit un transfert des charges à l'Etat). Selon la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, qui régit l'intégration des IUFM aux universités, les droits et obligations de chaque IUFM ont été transférés à l'université dans laquelle il est intégré, à compter de la date de son intégration.
La dévolution du patrimoine de l'Etat aux universités n'impliquant pas que les biens immobiliers des IUFM appartenant aux conseils généraux soient transférés aux établissements, la décision revient donc à ces conseils.
d) La situation spécifique de l'immobilier universitaire parisien
Le patrimoine immobilier des établissements parisiens est particulièrement éclaté, intriqué et inadapté aux besoins.
En février 2010, M. Bernard Larrouturou a remis à Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, un rapport sur l'enseignement supérieur parisien 16 ( * ) .
Ce rapport préconise des actions de nature à rationaliser la gestion du patrimoine immobilier parisien, notamment par le biais de mutualisations, de coordination des établissements et de plans de regroupement des implantations.
Le ministère a précisé à vos rapporteurs que plusieurs recommandations étaient d'ores et déjà à l'étude ou en phase de démarrage :
- la mise en place de structures pour piloter l'évolution du dispositif et accompagner les établissements, avec l'établissement public d'aménagement universitaire de la région Ile-de-France (Epaurif), créé par extension de l'établissement public du campus de Jussieu (EPCJ) ;
- les opérations immobilières concernant la création d'universités confédérales, qui seront réalisées en priorité. Un premier PRES « Université Paris Cité » a été constitué le 9 février 2010. Trois autres projets de PRES ou campus sont à l'étude :
. le projet de PRES « Paris 2/Paris 4/Paris 6 » ;
. le projet de PRES « HESAM » (Hautes études - Sorbonne - Arts et Métiers) ;
. le projet de Campus « Paris Sciences et Lettres - Quartier Latin » ;
- un certain nombre de chantiers dont la réalisation est impérative mais parfois complexe du fait des interlocuteurs multiples (création de logements étudiants, d'installations sportives...). Elle fait l'objet d'études plus approfondies.
Relevons que la candidature de Paris 6 à la dévolution du patrimoine immobilier pose la question de l'articulation avec le PRES dont il sera membre.
Par ailleurs, l'immobilier universitaire parisien est caractérisé par le fait qu'une partie du parc appartient à la Ville de Paris. Tel est notamment le cas de la Sorbonne. La coordination des actions s'en trouve complexifiée.
4. Les incertitudes relatives au rôle des PRES en matière patrimoniale
Vos rapporteurs s'interrogent, par ailleurs, sur ce que devrait être l'évolution de la compétence des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) en matière de patrimoine immobilier.
La question est double : quel rôle peuvent-ils jouer à l'heure actuelle ? Quelles responsabilités est-il souhaitable de leur confier ?
a) Quel pourrait-il être compte tenu des textes en vigueur ?
Ainsi que le relève fort justement le document de travail provisoire de la Conférence des présidents d'université (CPU) et de la Caisse des Dépôts : « l'état actuel des textes ne permet pas de définir précisément le rôle et les moyens dont disposeront les PRES pour participer à la rénovation de la politique immobilière des universités ».
(1) Le scénario d'une éventuelle dévolution patrimoniale
La plupart des PRES se sont constitués sous la forme d'établissement public de coopération scientifique (EPCS) 17 ( * ) , seule forme juridique permettant la délivrance de diplômes. Pour autant, il n'est pas certain qu'ils remplissent les conditions fixées par le décret n° 2008-606 du 26 juin 2008 et puissent donc bénéficier des responsabilités et compétences élargies, comme l'impose l'article L. 711-9 du code de l'éducation, cité dans la deuxième partie du présent rapport.
Et, ainsi que l'indique le document de travail susmentionné, quand bien même ces conditions seraient remplies, « les PRES devraient en outre être affectataires de bâtiments pour pouvoir en demander la dévolution, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. »
(2) D'autres modes d'intervention apparaissent possibles
La rédaction de l'article L. 344-1 du code de la recherche, qui définit les missions des EPCS semble, en revanche, suffisamment large pour couvrir la mission de rénovation et de gestion du patrimoine immobilier des membres d'un PRES, la liste des missions au titre desquelles le PRES peut assurer la mise en commun des moyens que les établissements membres lui consacrent n'étant pas limitative.
Article L. 344-1 du code de la recherche « L'établissement public de coopération scientifique assure la mise en commun des moyens que les établissements et organismes fondateurs et associés consacrent au pôle de recherche et d'enseignement supérieur mentionné à l'article L. 344-1. « À cet effet, il assure notamment : « 1° La mise en place et la gestion des équipements partagés entre les membres fondateurs et associés participant au pôle ; « 2° La coordination des activités des écoles doctorales ; « 3° La valorisation des activités de recherche menées en commun ; « 4° La promotion internationale du pôle. » |
Dès lors, dans l'hypothèse où les textes reconnaîtraient expressément la compétence des PRES pour gérer le patrimoine de leurs membres, le document de travail de la CPU relève que leur intervention pourrait s'inscrire dans l'un des mécanismes suivants :
« - soit les universités membres du PRES sont propriétaires de leur patrimoine immobilier en application de l'article L.719-14 du code de l'éducation, alors rien ne s'oppose à ce qu'elles puissent en confier la gestion à un tiers auxquels elles pourraient même reconnaitre le droit d'octroyer des droits réels. Dans ce cas, une convention pourrait être conclue entre le PRES et les universités propriétaires pour définir les modalités de cette mise à disposition ;
« - soit les universités membres du PRES sont uniquement gestionnaires de leur patrimoine dont l'Etat serait propriétaire et elles donnent au PRES pour mission de valoriser ce domaine dans le cadre d'une convention particulière.
« Toutefois, cette solution rencontre un obstacle relatif au fait que les universités ne pourront donner plus de droits au PRES qu'elles n'en possèdent elles-mêmes sur le domaine dont elles sont affectataires. Or, (...) les universités ne peuvent pas consentir de droits réels sur le domaine de l'Etat. En conséquence, le PRES ne pourra pas octroyer des AOT constitutives de droits réels sur ce domaine. En revanche, il pourra recourir à tout autre montage qui ne suppose pas de droit réels (comme le contrat de partenariat ou les AOT simples) ;
« - soit l'Etat met directement le patrimoine immobilier des établissements publics d'enseignement supérieurs à disposition du PRES. Une convention de mise à disposition sera conclue entre l'Etat et le PRES conformément à l'article R.128-12 du Code du Domaine de l'Etat. »
b) Que devrait-il être ?
(1) Privilégier le pragmatisme, le pilotage immobilier du PRES n'étant vraiment légitime qu'en cas de gouvernance unique
Vos rapporteurs estiment que la rationalisation de l'utilisation du patrimoine ne doit pas être limitée à l'échelle d'un établissement, mais doit être, dans la mesure du possible, appréhendée à l'échelle globale d'un site et encourager les mutualisations, ce qui favoriserait d'ailleurs le renforcement des compétences.
Cependant, pour vos rapporteurs, il importe de privilégier le pragmatisme. Il leur semble légitime qu'un PRES dit fusionnel - c'est-à-dire doté d'une gouvernance unique - conduise les affaires immobilières et bénéficie de la dévolution des biens immobiliers ; en revanche, tel ne devrait pas être le cas pour les autres types de PRES.
La question se pose aussi dans le cadre de l'opération Campus, conditionnée à la constitution d'un PRES - même non fusionnel, alors que la mise en place d'un partenariat public-privé entre deux universités n'opérant pas les mêmes choix stratégiques s'avère compliquée.
Pour vos rapporteurs, en l'absence de PRES fusionnel, la compétence immobilière doit rester de la responsabilité de chaque université. En fait, il convient de partir du projet et non pas du périmètre administratif.
(2) Ne pas soumettre la dévolution à un regroupement préalable des établissements sous forme de PRES
Pour autant, par souci de pragmatisme, vos rapporteurs estiment qu'il ne faut pas conditionner la dévolution du patrimoine d'une université à son préalable regroupement avec d'autres établissements sous forme de PRES.
En effet, une telle logique ne répondrait pas à toutes les réalités locales. A l'inverse, elle risquerait de créer un empilement de contraintes de nature à décourager les bonnes volontés...
5. Permettre des autorisations d'occupation temporaire constitutives de droits réels indépendamment de la dévolution
En devenant pleinement propriétaire de leur patrimoine, les universités obtiennent le droit de disposer de ce patrimoine dans les limites toutefois prévue par l'article L. 719-14 du code de l'éducation issu de l'article 32 de la loi du 11 aout 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités : « Les biens qui sont utilisés par l'établissement pour l'accomplissement de ses missions de service public peuvent faire l'objet d'un contrat conférant des droits réels à un tiers, sous réserve de l'accord préalable de l'autorité administrative compétente et de clauses permettant d'assurer la continuité du service public. ». A ce titre le transfert du patrimoine ouvre de nouvelles possibilités aux universités qui leur permettront d'affirmer leur stratégie.
Soucieux de favoriser les progrès en matière de gestion immobilière, vos rapporteurs souhaitent qu'une partie des dispositions de la loi LRU concernant le patrimoine dévolu puisse profiter à l'ensemble des établissements qui s'engagent dans des travaux de valorisation de leur patrimoine, via notamment les opérations Campus. Afin que ces opérations se déroulent au mieux, il apparaît impératif de permettre aux universités de disposer des bâtiments que l'Etat leur a affectés, même si elles n'ont pas encore demandé le transfert de ce patrimoine.
Dans le cadre de l'article L. 762-2 du code de l'éducation qui interdit aux établissements d'enseignement supérieur de disposer et d'affecter les biens mis à leur disposition par l'Etat, les établissements peuvent conclure des contrats de partenariat qui stipulent que le partenaire privé ne bénéficie pas de droits réels sur les ouvrages qu'il construit, étend ou rénove. Cette restriction ne pose aucune difficulté tant que le contrat ne comporte pas d'éléments ouvrant la perception de recettes annexes. C'est le cas, par exemple, du contrat de partenariat conclu en juillet 2009 par l'Université Paris Diderot pour achever son implantation sur le campus de Tolbiac.
En revanche, cette rédaction s'oppose à ce que les établissements porteurs des Opérations Campus puissent réaliser les opérations les plus innovantes, dont l'équilibre économique repose sur la perception de recettes annexes significatives par le partenaire privé.
Elle empêche également le recours par des universités telles que celle de Strasbourg, au montage promu par la Caisse des dépôts et consignations (CDC). En effet, ce dernier se place dans le cadre de la loi n° 94-631 du 25 juillet 1994 relative à la constitution de droits réels sur le domaine public, intervenue notamment dans le but d'offrir un cadre juridique adapté à des opérateurs privés venant développer une activité économique sur le domaine public.
L'autorisation d'occupation temporaire (AOT) constitutive de droits réels est accordée à un acteur économique pour qu'il développe une activité en synergie avec la mission de service public exercée par le gestionnaire du domaine public. Elle permet le développement de partenariats public-privé sous la forme de montage dits « aller-retour » dans lesquels l'Etat, ou l'un de ses établissements publics, confie à un opérateur privé la construction, sur le domaine public, d'un bâtiment à son usage que le bénéficiaire de l'AOT lui loue pendant toute la durée de son titre, avec retour du bien en pleine propriété à l'Etat en fin de bail.
Les droits réels constituent un démembrement du droit de propriété qui assoit :
- la capacité de l'opérateur partenaire à emprunter pour financer la construction de l'ouvrage en permettant la constitution d'hypothèques au bénéfice des prêteurs ;
- le droit de l'opérateur partenaire à louer le bien immobilier qu'il a construit à la personne publique qui lui a confié l'AOT en cas de montage « aller-retour ».
La délivrance de droits réels relevant du droit de disposition, cette possibilité n'est pas ouverte aux établissements d'enseignement supérieur.
Or, la Caisse des dépôts et consignations a proposé un montage alternatif au contrat de partenariat public privé qui en préserve les qualités. Ce montage repose sur :
- la création d'une filiale de l'établissement porteur de projet d'une opération Campus (PRES ou université). La nécessité d'une relation de quasi-régie (« in-house ») entre le porteur de projet et sa filiale ne permet qu'une ouverture minoritaire de son capital à d'autres acteurs publics : CDC et collectivités territoriales ;
- la passation, entre le porteur de projet et sa filiale, d'une autorisation d'occupation du domaine publique assortie d'une convention de mise à disposition non détachable (dite AOT/CMD) dans le cadre des dispositions des articles L. 2122-6 à L. 2122-14 du code général de la propriété des personnes publiques ; l'Etat ne peut délivrer à la place de l'université ou du PRES cette AOT constitutive de droits réels au risque de mettre en péril la relation « in house » que l'université ou le PRES doit avoir avec la filiale ;
- la passation par la filiale d'un contrat global conception - réalisation - exploitation - maintenance, sur la base d'un cahier des charges établi par le porteur de projet, dans le cadre de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 sur les pouvoirs adjudicateurs non soumis au code des marchés publics.
La mise en oeuvre d'un tel montage n'est possible que si l'établissement d'enseignement supérieur porteur de projet est mis en situation de délivrer lui-même à sa filiale les autorisations d'occupation temporaire constitutives de droits réels sur le domaine public concerné.
C'est pourquoi vos rapporteurs estiment qu'il convient d'ouvrir cette faculté aux établissements souhaitant conduire des partenariats public-privé ou public-public, sans attendre qu'ils soient propriétaires de leur patrimoine.
Ils déposeront prochainement une proposition de loi en ce sens.
* 13 Ce sera le cas de trente-trois autres universités en 2011.
* 14 Voir les circulaires du Premier ministre du 16 janvier 2009 et la charte de gestion du compte d'affectation spéciale immobilier de l'Etat ainsi que la deuxième partie du présent rapport.
* 15 La SOVAFIM est une société foncière publique, qui a pour objet de valoriser des biens immobiliers représentant un enjeu pour l'État ou les organismes publics, c'est-à-dire d'en assurer une gestion dynamique destinée à en optimiser la valeur patrimoniale et/ou l'utilisation.
* 16 Rapport de M. Bernard Larrouturou : « Pour rénover l'enseignement supérieur parisien » (février 2010).
* 17 Tel est notamment le cas à Lyon, Grenoble, Bordeaux et Strasbourg.