B. PERMETTRE LA CRÉATION D'AGENCES DÉPARTEMENTALES
1. Les limites de l'échelon intercommunal
Rappelons que la circulaire du 22 juillet 2008, précitée, prévoyait que les services de l'Etat pourront : « apporter (...) une expertise et une assistance technique pour aider les collectivités à créer les meilleures conditions d'une intervention d'autres acteurs dans les domaines concernés par le redéploiement de l'ingénierie . Un soutien particulier pourra être apporté en faveur d'intercommunalités adaptées aux nouveaux enjeux . Les actions correspondantes devront être décrites dans les plans départementaux de redéploiement . »
Lors du 92 e congrès des maires de France, les intervenants de l'atelier relatif à l'ingénierie ont estimé que les intercommunalités se heurtaient à de réelles difficultés pour recruter des experts et risquaient de ne pas être compétentes sur tous les sujets . Les auditions menées par votre rapporteur dans le cadre de la préparation du présent rapport ont confirmé que les intercommunalités ne pouvaient pas constituer une réponse automatique et généralisée .
Si, dans certains cas, les EPCI sont à même d'assurer une ingénierie publique territoriale, et ne souffrent pas en réalité du désengagement des services de l'Etat, dans de très nombreux départements, notamment ruraux, les intercommunalités ne paraissent pas être l'échelon pertinent à la mise en oeuvre d'une ingénierie publique compensant le retrait de l'Etat . Il a été souligné à de nombreuses reprises que les moyens financiers des intercommunalités pouvaient être limités, que leur attractivité et leur petite taille pouvaient ne pas permettre le recrutement de personnel qualifié de haut niveau, et enfin que les intercommunalités n'avaient pas forcément reçu compétence dans tous les domaines concernés par l'ingénierie publique.
2. Vers des solutions, souples et adaptées, à l'échelon départemental ?
Une autre piste a alors été explorée : celle de l'organisation d'une expertise mutualisée au niveau du département. Cette solution ressortait également de l'enquête de l'AMF du 2 décembre 2009 précitée. Notre collègue Jacques Blanc, sénateur de la Lozère, avait présenté, lors du 92 e congrès des maires de France, l'exemple de son département qui entendait s'appuyer sur une société d'économie mixte existante, dédiée au développement touristique, pour fournir aux communes une aide de premier niveau en matière d'ingénierie publique.
De nombreuses initiatives se multiplient, à l'échelon départemental. Les formes juridiques et les périmètres divergent, et votre rapporteur ne souhaite pas qu'un format unique soit imposé. Il lui semble au contraire essentiel que chaque territoire puisse mettre en oeuvre une solution adaptée à ses spécificités, permettant de mettre en place une ingénierie publique territoriale en dehors du champ concurrentiel.
Lors de ses déplacements et de ses auditions, il a eu connaissance de la création d'une association pour la mutualisation des moyens en matière d'eau 40 ( * ) . Cette association regroupe des syndicats des eaux et le conseil général. Elle a pour objet l'appui méthodologique et technique des adhérents en matière d'alimentation en eau potable, c'est-à-dire l'assistance à maîtrise d'ouvrage, la maîtrise d'ouvrage, et la maîtrise d'oeuvre dans ce secteur. Deux collèges, l'un de conseillers généraux, et l'autre de représentants des collectivités territoriales, composent l'assemblée générale de l'association et déterminent le programme des activités à venir, qui sont financées par des cotisations des syndicats, pondérées par leur population, leurs linéaires de réseaux d'eau et le montant des travaux engagés les trois années précédant l'adhésion à l'association.
De même, au cours de ses auditions et de ses déplacements, votre rapporteur a noté que les agences d'urbanisme peuvent, dans les départements où elles existent 41 ( * ) , associer les petites communes ou groupements d'un territoire qui peinent à faire face au désengagement de l'Etat et leur fournir des prestations d'ingénierie publique.
Il a également observé que le nombre des agences techniques départementales compétentes dans le domaine de l'ingénierie publique se multiplie.
Les formes juridiques varient, allant de l'association dans certains cas à l'établissement public dans d'autres. Les modalités d'adhésion sont en revanche identiques : il s'agit d'une adhésion volontaire d'un conseil général, des communes, ainsi que des établissements publics de ce territoire (avec ou sans limitation de population dans le cas des EPCI). Le champ d'action de ces agences se décline selon leur ancienneté, les particularités de leur territoire, et le projet politique initial. Dans certains cas, seule l'assistance à maîtrise d'ouvrage est proposée dans les domaines où d'autres acteurs parapublics, tels que les centres d'architecture et d'urbanisme (CAUE), les agences d'urbanisme, les sociétés d'économie mixte locales, les sociétés publiques locales d'aménagement, etc. n'interviennent pas. Dans d'autres départements, tous les domaines de l'ingénierie publique sont couverts, du simple conseil en passant par l'assistance à maîtrise d'ouvrage et en allant jusqu'à la maîtrise d'oeuvre. Enfin les modalités de financement de ces agences sont variées : cotisation forfaitaire lors de l'adhésion basée sur la population par exemple, complétée ou non selon les cas par une facturation à l'acte pour chaque opération d'ingénierie publique menée au-delà d'un certain coût.
Votre rapporteur souligne la nécessité de mettre en place une solution stable sur moyen terme et de calibrer en conséquence la participation financière du conseil général et des communes et EPCI.
Dans tous les cas, le but est de mettre en place une ingénierie publique territoriale face au désengagement de l'ingénierie publique étatique . Il s'agit de satisfaire les besoins des collectivités territoriales, souvent confrontées à la carence de l'initiative privée, et plus simplement ignorantes des procédures, et ne sachant même pas par quelle étape elles doivent débuter leur projet d'aménagement.
Ces structures visent à exercer une mission de service public dans un domaine concurrentiel tout en respectant les règles communautaires relatives à la concurrence . Un nouvel outil juridique a d'ailleurs été créé dans ce but, la société publique locale, présentée dans l'encadré suivant.
Les sociétés publiques locales Définitivement adoptée le 19 mai 2010, la loi n° 2010-559 du 28 mai 2010 pour le développement des sociétés publiques locales a été publiée au Journal officiel du 29 mai. Ce texte crée les sociétés publiques locales (SPL), un nouvel outil juridique à la disposition des collectivités territoriales et de leurs groupements pour l'exercice de leurs compétences. Cet outil vient s'ajouter au nombre des entreprises publiques locales jusqu'alors composées des sociétés d'économie mixte (SEM) et des sociétés publiques locales d'aménagement (SPLA). Le régime des SPL A l'instar des SEM et des SPLA, les SPL revêtent la forme de société anonyme régie pour l'essentiel par le code de commerce . Leur création relève d'une délibération des collectivités locales ou de leurs groupements actionnaires. Le capital des SPL est composé exclusivement d'actionnaires publics (contrairement à celui des SEM). Ce capital doit être détenu par au moins deux collectivités locales (ou leurs groupements). Les SPL disposent d'un champ de compétence assez large puisqu'elles sont compétentes pour : réaliser des opérations d'aménagement au sens de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, réaliser des opérations de construction, exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial, ou toutes autres activités d'intérêt général. Autrement dit, les SPL peuvent intervenir sur tout type d'activité dès lors que cette activité a un caractère d'intérêt général et qu'elle entre dans l'éventail des compétences de ses actionnaires . D'ailleurs, à la différence des SEM, les SPL ne peuvent intervenir que pour leurs actionnaires publics et sur leurs seuls territoires. Enfin, les SPL sont dotées d'une comptabilité privée et leurs salariés relèvent du droit du travail, mais les mises à disposition et les détachements de fonctionnaires territoriaux sont possibles. Les atouts des SPL Le premier atout des SPL est la maîtrise politique dont disposent les collectivités locales sur ce type de structure puisqu'elles en sont les seuls actionnaires. Elles détiennent donc la totalité du capital et des sièges au conseil d'administration, lequel nomme et révoque le directeur général. Cette maîtrise totale fait des SPL un véritable bras armé de ces collectivités , soumis entièrement à leurs orientations stratégiques et politiques. A noter que les élus administrateurs des SPL disposent d'un régime de protection de leur responsabilité individuelle puisque la responsabilité civile relève de la collectivité et non de l'élu mandataire. Le second atout est la possibilité de bénéficier de la dérogation « in house » . Considérées comme des opérateurs internes, les SPL n'ont pas à être mises en concurrence par leurs actionnaires publics , et ce en conformité avec la jurisprudence communautaire relative aux contrats « in house » ou « prestations intégrées ». L'absence de telles procédures permet un gain de temps et d'argent important dans la conduite des projets * mais ne signifie pas pour autant absence de cadre juridique. Toute mission confiée à la SPL doit donner lieu à un contrat limité dans le temps visant à régir les rapports entre les collectivités locales et leurs SPL, et l'obligation de mise en concurrence se reporte sur les SPL elles-mêmes , qui doivent respecter les règles de la commande publique pour répondre à leurs besoins propres et à l'exécution de leurs missions. *Pour une ville de plus de 150 000 habitants, on évalue entre 70 000 et 100 000 euros le coût par projet urbain des appels d'offres dont les SPL permettent de se dispenser. Le gain de temps est compris entre 3 et 6 mois pour chaque projet. |
Ainsi les différentes formules que les collectivités territoriales mettent en place visent à pallier le désengagement de l'Etat dans le domaine de l'ingénierie publique, et à se placer dans une situation non concurrentielle puisqu'elles créent un opérateur qui bénéficie de la dérogation « in house » au droit communautaire de la concurrence .
En la matière, la CJCE a dégagé plusieurs critères sur les relations « in house ». Depuis l'arrêt Teckal 42 ( * ) , deux conditions doivent être réunies pour qu'un contrat puisse être qualifié de « in house » : il est nécessaire que la collectivité « exerce sur son cocontractant un contrôle analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services » et que ce cocontractant « réalise l'essentiel de son activité » avec la ou les collectivités qui le détiennent. Dans ce cadre, l'arrêt Stadt Halle 43 ( * ) précise que la participation, fût-elle minoritaire, d'une entreprise privée dans le capital d'une société à laquelle participe également le pouvoir adjudicateur en cause exclut que ce pouvoir adjudicateur puisse exercer sur cette société un contrôle analogue à celui qu'il exerce sur ses propres services. A contrario , l'arrêt Asemfo 44 ( * ) pose pour principe que, sous réserve du respect des deux conditions fixées par l'arrêt Teckal , les sociétés dont le capital est entièrement détenu par des collectivités sont, vis-à-vis de ces dernières, dans une situation de « in house ».
Recommandation de votre rapporteur : Votre rapporteur recommande donc que les expérimentations en cours, visant à permettre l'exercice par les collectivités territoriales, dans le cadre départemental notamment, d'une nouvelle forme d'ingénierie publique territoriale, soient soutenues . Il souhaite que l'Etat puisse le cas échéant garantir la sécurité des montages juridiques et ne s'y oppose pas, ou n'impose pas de modèle particulier. L'initiative locale permettra une réelle adéquation avec les besoins et les particularités des territoires concernés. Il s'agit de permettre l'exercice d'une mission de service public, par des collectivités territoriales et pour elles seules, sans mise en concurrence mais dans le strict respect des règles communautaires . Enfin, votre rapporteur suggère la mise en place d'un réseau de ces agences techniques départementales et autres formes d'ingénierie publique territoriale afin que les bonnes pratiques puissent être recensées. Ses déplacements l'ont convaincu que dans chaque département des idées émergeaient et pourraient permettre de répondre aux questions soulevées dans d'autres territoires. |
* 40 La Gazette des communes avait mis en exergue, dans son numéro 2025 du 12 avril 2010, cette association dans son article intitulé « Ingénierie publique : combler le vide créé par le désengagement de l'Etat ».
* 41 Il existe à ce jour 52 agences d'urbanisme en France, ayant, pour la plupart, le statut d'association. Tous les départements n'en sont donc pas pourvus et les agences n'ont pas nécessairement compétence dans tous les domaines de l'ingénierie publique.
* 42 CJCE, 18 nov. 1999, aff. C-107/98.
* 43 CJCE, 11 janv. 2005, aff. C-26/03.
* 44 CJCE, 19 avr. 2007, aff. C-295/05.