C. LOUIS MOUTARD , ARCHITECTE , URBANISTE , DIRECTEUR DE L'AMÉNAGEMENT URBAIN DE L'AREP : QUELLE VIE DANS LES FUTURES MÉGAPOLES ?
Après avoir écouté tout ce qu'on vient de dire, je constate que nos villes, comme toutes les villes, ont été transformées au début du XXème siècle par la mécanisation des transports et la mobilité. On voit aussi à quel point ces villes ont été rêvées avant de devenir aujourd'hui pour certains d'entre nous des cauchemars.
Un des sujets qui nous préoccupent aujourd'hui, en fonction de ces énormes populations qui arrivent dans les villes, que ce soit en Europe ou en d'Asie, c'est précisément cette mobilité et cette mécanisation des transports qui ont créé d'énormes conflits et un vrai problème pour nous qui vivons maintenant en ville.
A force d'avoir des territoires qui se sont fragmentés, séparés en de multiples zones isolées, les habitants de nos villes se retrouvent maintenant isolés dans des espaces d'une complexité inouïe où il faut en permanence avoir des signaux pour se repérer dans ces territoires. Les urbanistes ont effectivement fabriqué cette complexité, cette mécanisation des transports et créé finalement un environnement incroyablement complexe pour les habitants, en isolant complètement les circuits, les réseaux et en individualisant les différentes exploitations de cette mécanisation de la ville. Aujourd'hui, le sujet de la ville en mouvement est un nomade qui a de plus en plus de difficultés à se représenter dans les plans d'une ville qui a pourtant été rêvée.
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Les plans que je vous montre ne sont pas si vieux. Ils datent de la seconde moitié du XXème siècle. Ce sont des plans d'une ville, d'une mégapole, dans laquelle les circuits de déplacement sont totalement isolés des territoires . De ce fait, les habitants des villes modernes sont complètement perdus. Et c'est là où le cauchemar arrive, parce que, sans les codes pour se repérer dans la ville et sans les moyens pour pouvoir habiter les lieux privilégiés de cette ville, l'individu est complètement rejeté, isolé, il est à côté, il est en dessous de la ville. Et comme on le disait tout à l'heure, à partir du moment où on n'est plus relié, alors il faut une, deux, trois voitures ; les coûts de transport vont devenir et sont déjà de plus en plus importants. On a pourtant rêvé ces villes...
On a même été jusqu'à séparer le piéton, la voiture et les transports en commun sur ces territoires urbains qui ont eu pourtant des prix d'urbanisme et d'architecture. L'urbanisme a complètement séparé spatialement le territoire. Il a réalisé ce rêve des villes que nous voyons maintenant et on découvre maintenant les énormes problèmes d'exploitation et de vie collective dans ces villes. On a superposé des territoires, on a superposé les infrastructures individuelles du territoire et on voit le territoire de la ville du XIXème en dessous. On a superposé les réseaux et on a composé de nouveaux lieux de vie, de travail, etc. en superposition de la ville traditionnelle.
On voit bien qu'isoler l'entreprise, isoler l'habitat a été un drame urbain, car on a isolé les gens qui habitaient des petites maisons, les gens qui habitaient des immeubles. On connaît tous ça par coeur. On a utilisé les chemins de grues pour faire des espaces verts entre les immeubles et on a ainsi provoqué un isolement des gens dans leur ville, isolement qui pose maintenant d'énormes problèmes sociaux. Le commerce - M. Jean-Pierre Sueur l'évoquait au début de cet atelier -, avec la grande distribution des années cinquante, a remodelé la périphérie des villes sur les territoires agricoles et il a relié les grandes surfaces aux infrastructures routières de l'époque, contribuant ainsi à rendre plus difficile l'accès aux territoires des villages et des villes existantes.
Bref, je passe sur tous ces rêves qui ne sont pas si vieux. On a bien rêvé la ville au XXème siècle, mais en réalité le rêve a conduit à créer cet isolement qui pose maintenant un problème de société et qui doit nous conduire à réfléchir. A réfléchir à quoi ? A réfléchir à nous, qui sommes des piétons, nous qui sommes les utilisateurs de cette ville. C'est à nous, avec nos moyens d'aujourd'hui, c'est à nous de reconquérir l'espace, de le recomposer pour pouvoir partout nous sentir bien dans la ville. Nous savons maintenant que les modèles et les systèmes ont mené à cette situation où l'urbain se sent mal dans sa ville. Il faut en sortir.
La plupart des gens sont mal dans ces systèmes . Les systèmes qui marchent sont les systèmes où on a envie de se retrouver ensemble. On voit qu'aujourd'hui les commerces, les bureaux sont des lieux qui changent dans la manière dont ils s'établissent. Les lieux de travail et de transformation sont essentiels. On doit pouvoir commercer, on doit pouvoir travailler, on doit pouvoir habiter l'ancienne usine ou la friche industrielle. Le commerce change lui aussi énormément. Il avait été implanté en périphérie pour des raisons foncières et on revient à ce que vous venez de dire sur le foncier : les politiques foncières qui sont le nerf de la guerre de la fabrication de la ville. Aujourd'hui, le commerce revient d'une autre manière en ville avec des heures d'ouverture, avec des services qui ne sont pas les mêmes et il refait la ville.
L'idée est de revenir ensemble dans des lieux d'échange et dans des lieux de rencontre , dans des lieux où on a aussi besoin de retrouver la nature en ville. On a donc envie de transformer ce qui avant était mis en place par ces systèmes d'isolement de la mobilité pour inventer une nouvelle mobilité, une nouvelle manière d'échanger. Il n'y a plus ce rapport ville-campagne qu'on évoquait tout à l'heure. Il faut dépasser ce stade là, au moins en Europe. Mais c'est aussi vrai aussi en Asie où les transports et la mobilité font l'objet d'une réflexion plus commune et parfois plus que chez nous. On a envie de pouvoir se retrouver dans ces lieux d'échange qui nous emmènent parfois très loin, qui nous emmènent parfois à côté, des lieux où on trouve des commerces, des bureaux, des espaces et où, petit à petit, ces espaces deviennent des lieux qui nous réenchantent, nous permettant de retravailler et de revivre ensemble.
Je crois que le sujet de la ville d'aujourd'hui - c'est là où on a peut-être une chance-, c'est de pouvoir se retrouver par le re-travail sur l'espace public, le re-travail de l'espace où on est ensemble à mettre en oeuvre des fonctions multiples, différentes et à pouvoir échanger très rapidement dans la ville, dans le territoire, dans l'aménagement, dans la planification que vous évoquiez tout à l'heure. On doit pouvoir se retrouver sur ce que nous, nous appelons ces nouvelles places de la mégapole, qui sont ces lieux à inventer, qui sont à faire, qui seront ces grands lieux d'échange où on va se retrouver sur des mobilités et à des vitesses différentes parce que la vitesse de la mobilité a, elle aussi, complètement changé.
Les mobilités urbaines, les mobilités interurbaines, les mobilités qui vont chercher les gens dans les quartiers, doivent maintenant pouvoir être regroupées autour de ces nouveaux espaces - qu'on pourrait appeler ces nouvelles places de la mégapole -, ces nouveaux lieux de rencontre dont on a besoin puisque, encore une fois, on a systématisé des isolements par des réseaux et des espaces complètement individualisés. Aujourd'hui, les gens ont besoin de se retrouver. Les systèmes de mobilité que nous avons le permettent. Les systèmes de travail le permettent également. On doit aussi pouvoir habiter ces nouvelles places. L'essentiel de notre intervention ce matin, c'est en définitive de vous dire que les nouvelles places de la mégapole, ce sont en fait les grandes places de la nouvelle mobilité d'aujourd'hui, les nouveaux lieux d'échange de la ville aujourd'hui.