E. DISPOSER D'UNE PALETTE LARGE D'OUTILS POUR PRENDRE EN CHARGE LES MALADES MENTAUX AYANT COMMIS DES INFRACTIONS
Le nombre considérable des travaux et rapports consacrés directement ou indirectement à la prise en charge des auteurs d'infractions atteints de troubles mentaux depuis des décennies démontre qu'il n'existe pas de solution simple à ce problème. Il serait illusoire de vouloir établir une séparation étanche parmi les auteurs d'infractions entre ceux qui relèveraient exclusivement des soins et ceux qui ne relèveraient que de l'exécution d'une peine. La notion même d'altération du discernement, que le groupe de travail propose de conserver, montre qu'il existe un grand nombre de situations dans lesquelles peine et soin, incarcération et traitement doivent être conjugués.
Les déplacements en Suisse et en Belgique ont conduit le groupe de travail à constater que la distinction entre peines et mesures qui prévaut dans ces pays est associée à un grand pragmatisme, qui peut conduire à incarcérer en établissement pénitentiaire des personnes reconnues irresponsables et faisant l'objet d'un internement...
Dans ces conditions, le groupe de travail considère qu'il est souhaitable de disposer d'une palette d'outils de prise en charge permettant de faire face aux différentes situations.
Conforter les SMPR
Les SMPR ont depuis longtemps prouvé leur efficacité mais ne remplissent qu'imparfaitement leur mission régionale tout en n'étant implantés, pour l'essentiel, qu'en maison d'arrêt, alors que les maisons centrales hébergent parfois des détenus atteints de troubles particulièrement graves. La création de SMPR dans certaines d'entre elles présenterait un intérêt évident pour améliorer les prises en charge.
Par ailleurs, il apparaît désormais souhaitable que les implantations des futurs établissements pénitentiaires ne soient arrêtées qu'après avoir pris en compte la démographie médicale, et notamment psychiatrique, des zones dans lesquelles des constructions sont envisagées.
- Envisager la création de SMPR supplémentaires en maison centrale (Ensisheim, Saint-Maur, Moulins...).
- Choisir les implantations des futurs
établissements pénitentiaires en tenant compte de la
démographie médicale, notamment en psychiatrie.
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Accroître le nombre d'UMD
Il est plus que temps de développer le nombre de places en UMD, permettant la prise en charge des malades les plus difficiles représentant un danger pour eux-mêmes et pour autrui, qu'ils aient ou non commis des infractions.
Il existe actuellement cinq UMD en activité en Ile-de-France, en Aquitaine, en Paca et en Bretagne. Une sixième est en cours de réalisation en Rhône-Alpes, sur le site de l'hôpital du Vinatier. A la suite du plan de sécurisation des établissements psychiatriques annoncé par le Président de la République en décembre 2008, la création de quatre nouvelles UMD est programmée dans les établissements suivants :
- CHS du Rouvray à Sotteville-lès-Rouen ;
- établissement public de santé départemental de la Marne à Chalons-en-Champagne ;
- centre hospitalier du pays d'Eygurande à Monestier-Merlines ;
- CHS Pierre Jamet à Albi.
- Réaliser et mettre en service à
brève échéance les nouvelles UMD programmées, afin
de réduire les délais d'attente nécessaires pour
accéder à ces structures.
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Valoriser l'expérience acquise à Château-Thierry
Le groupe de travail s'est demandé s'il ne serait pas utile de créer d'autres établissements sur le modèle du centre pénitentiaire de Château-Thierry. Il constate d'abord que des expériences menées au sein de ce centre pénitentiaire demeurent méconnues et que l'administration pénitentiaire n'en a pas tiré tous les enseignements.
Une plus grande diffusion des pratiques observées dans cet établissement implique cependant le dépassement d'une approche purement empirique et un effort de formalisation. Les initiatives tendant à renforcer la formation des personnels ainsi que les modalités de partage d'expériences entre surveillants bénéficiant d'une certaine ancienneté et nouveaux arrivants s'inscrivent dans cette perspective.
La prison de Château-Thierry ne constitue pas un lieu de soins. Elle n'en offre pas moins, grâce à une présence humaine renforcée et l'organisation de relations très différentes de celles observées habituellement en prison, un traitement individualisé des personnes atteintes de graves troubles mentaux.
De l'avis des personnels soignants comme des personnels pénitentiaires interrogés par le groupe de travail, elle contribue ainsi incontestablement à la stabilisation de ces condamnés. A ce titre, elle apparait adaptée pour accueillir des personnes qui, sans justifier d'une hospitalisation dans une structure de soins stricto sensu , restent néanmoins inadaptées à une détention normale.
Or, aujourd'hui, Château-Thierry accueille des détenus pour une durée qui va en moyenne de six mois à moins d'un an conformément à la note de l'administration pénitentiaire du 5 mars 2001 qui fixe à l'établissement l'objectif de « restaurer des liens sociaux et de réadapter [la personne] à la détention ordinaire après un séjour temporaire dans cet établissement ».
Le principe d'une durée limitée peut certes se justifier par le nombre important de demandes d'affectation pour cet établissement. Il apparait peut-être plus contestable au regard du profil des intéressés dont la réadaptation dans une détention normale demeure parfois bien improbable.
Au demeurant, comme les personnels de surveillance l'ont indiqué aux rapporteurs, d'anciens détenus de Château-Thierry, après des transferts successifs d'établissements en établissements, finissent par revenir au centre pénitentiaire.
Le groupe de travail préconise une approche plus souple de la durée de séjour au sein du centre afin d'accueillir des personnes pour une longue période susceptible de courir jusqu'au terme de la peine d'emprisonnement. Compte tenu de la saturation possible des capacités qui pourrait en résulter, le groupe de travail suggère que les pratiques mises en oeuvre à Château-Thierry puissent être reprises au sein d'unités dans d'autres établissements pénitentiaires. Il serait souhaitable que le nouveau programme de construction 76 ( * ) intègre la conception de telles unités, voire la réalisation de nouvelles structures entièrement spécialisées.
- Favoriser la mise en place, au sein de plusieurs établissements pénitentiaires, d'unités pour la prise en charge de long séjour de personnes stabilisées mais fragiles où, d'une part, les pratiques pénitentiaires s'inspireraient de celles mises en oeuvre à Château-Thierry et, d'autre part, l'encadrement médical serait renforcé.
- Envisager, dans le cadre du nouveau programme
de construction, des établissements qui répondraient à ces
caractéristiques.
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Le groupe de travail estime par ailleurs indispensable une rénovation de l'infrastructure de Château-Thierry - étroitesse des cellules et des espaces collectifs - a fortiori si de long séjours devaient concerner un nombre plus important de personnes.
la sortie de prison
Prendre en charge dans les meilleures conditions possibles les auteurs d'infractions atteints de troubles mentaux est indispensable, mais il est également nécessaire d'assurer qu'une prise en charge adaptée pourra être réalisée à l'issue de l'exécution de la peine si cela s'avère nécessaire. Certes, dans de nombreux cas, les condamnés font l'objet de mesures de suivi après l'incarcération, par exemple dans le cadre du suivi socio-judiciaire, mais ces dispositifs ne concernent pas tous les condamnés.
Or, le lien entre les SMPR et les secteurs de psychiatrie générale paraît assuré de manière très variable alors même qu'il représente un enjeu considérable pour assurer un suivi de la prise en charge. Le groupe de travail estime qu'aucun détenu ayant séjourné en SMPR ne devrait quitter un établissement pénitentiaire sans qu'un contact véritable soit établi avec le secteur psychiatrique pour envisager la poursuite de la prise en charge.
A cet égard, les agences régionales de santé pourraient jouer un rôle dans l'établissement de ce lien qui peut permettre d'éviter des ruptures de soins.
Par ailleurs, il serait souhaitable, comme l'a souligné le professeur Jean-Louis Terra, chef de service au centre hospitalier du Vinatier, que les sortants de prison atteints de troubles mentaux puissent être accueillis dans des structures d'hébergement intermédiaires entre la prison et le suivi strictement ambulatoire. Une augmentation significative du nombre d'appartements thérapeutiques, certains d'entre eux étant réservés prioritairement aux sortants de prison, pourrait permettre d'atteindre cet objectif.
- Mettre en place les outils nécessaires, sous l'égide des agences régionales de santé, pour que tout détenu ayant séjourné en SMPR puisse être suivi dans le cadre du secteur de psychiatrie générale à sa sortie de prison.
- Prévoir des possibilités
d'hébergement dans des structures intermédiaires, telles que les
appartements thérapeutiques, pour les détenus atteints de
troubles mentaux sortant de prison avant d'envisager une prise en charge
ambulatoire.
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Les UHSA
Il est encore difficile de se prononcer sur les UHSA puisque leur construction a pris du retard et que la première vient seulement d'entrer en service. L'UHSA constituera un véritable progrès si elle permet une prise en charge complète, dans un cadre exclusivement médical, de détenus qui ont besoin de soins intensifs, sans que la file d'attente ou les conditions d'accueil ne poussent à un retour précipité en établissement pénitentiaire.
Cependant, ces structures ne devraient en aucun cas conduire à responsabiliser davantage les auteurs d'infractions souffrant de maladie mentale en prenant prétexte du fait que la reconnaissance de l'altération de leur discernement permettra une prise en charge médicale sécurisée de bonne qualité.
Dans ces conditions, le groupe de travail souhaite que des statistiques très précises soient établies dès l'entrée en vigueur de chaque UHSA, recensant notamment le type de pathologies rencontrées, le type de condamnations des patients accueillis, leur parcours pénitentiaire, la durée du séjour dans l'unité, les retours éventuels, afin qu'une évaluation régulière de ces structures puisse être réalisée.
- Etablir des statistiques précises et
détaillées sur les profils des détenus accueillis en UHSA
(pathologie, condamnations, parcours pénitentiaire, séjours
multiples dans la structure...) afin de permettre une évaluation
régulière de ces unités.
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La situation des personnes ayant commis des infractions et reconnues irresponsables en raison d'une abolition du discernement
Par ailleurs, le groupe de travail a débattu de la situation des personnes ayant commis des infractions et reconnues irresponsables en raison d'une abolition du discernement. Il a envisagé deux pistes alternatives avec la volonté de rechercher les moyens d'assurer la prise en charge dans les meilleures conditions possibles de ces malades auteurs d'infractions pénales.
Il s'est interrogé sur la possibilité de créer au sein des UHSA des secteurs séparés qui seraient ouverts aux personnes déclarées irresponsables faisant l'objet d'une hospitalisation d'office. Dès lors que ces unités sont hospitalières, qu'elles répondent à un besoin différent des UMD (n'étant pas prévues pour des malades difficiles mais pour des malades justifiant des soins en hospitalisation complète avec ou sans leur consentement), qu'elles respectent des normes de sécurité que beaucoup d'hôpitaux psychiatriques ne sont pas en situation d'assurer, une telle perspective ne paraîtrait pas critiquable et aurait l'avantage d'éviter le risque d'une responsabilisation encore accrue des auteurs d'infraction atteints de troubles mentaux précédemment évoqué.
Il est cependant clair qu'une telle évolution, outre qu'elle pourrait perturber l'entrée en vigueur d'un dispositif dont le dimensionnement a été calculé au regard de la population carcérale actuelle, serait susceptible d'entraîner une confusion croissante entre hôpital et prison, entre justice et santé. L'éventualité d'une affectation en UHSA de personnes n'ayant pas fait l'objet d'une condamnation pénale soulève des questions juridiques essentielles sur lesquelles une réflexion complémentaire est nécessaire . Quel pourrait être le rôle de l'administration pénitentiaire à l'égard de ces personnes ? Qui déciderait de l'entrée dans les UHSA et de la sortie pour les personnes reconnues pénalement irresponsables ?
Aussi le groupe de travail a-t-il également envisagé un autre dispositif tendant à instituer au sein des UMD un quartier bénéficiant d'une sécurité renforcée, et en conséquence particulièrement adapté pour accueillir les personnes ayant commis des infractions et reconnues irresponsables.
- Envisager la possibilité de créer au sein des UHSA des secteurs séparés qui seraient ouverts aux auteurs d'infractions reconnus irresponsables et hospitalisés d'office lorsque le type de prise en charge qu'elles permettent et le niveau de sécurité qu'elles assurent est adapté à la situation de ces malades.
- Envisager la création au sein des UMD de
quartiers plus particulièrement sécurisés permettant
d'accueillir les personnes ayant commis des infractions et reconnues
irresponsables.
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* 76 Ce nouveau programme qui prendra le relais du « programme 13 200 places » sur la période 2012-2018 devrait permettre, d'une part, la réalisation de 12 300 places en remplacement de places vétustes, d'autre part, la création de 5 000 places. Les premières ouvertures interviendraient en 2014.