3. L'instrument d'une ambition retrouvée ?
Dans une perspective « schumpétérienne » 35 ( * ) , il se peut que la survenance d'une vague d'innovations conditionne en partie le terme de la crise économique actuelle , avec de nouvelles productions qui succèderaient ou s'ajouteraient aux anciennes. Au demeurant, les exigences du développement durable et, en particulier, le défi environnemental poussent à développer de nouveaux secteurs ou modes de production ainsi que de nouvelles approches du bien-être.
En conclusion de leur rapport « Recherche et innovation en France » 36 ( * ) , MM. Joseph Kergueris et Claude Saunier notaient : « la recherche constitue une activité déterminante pour l'avenir de l'humanité et son ambition ne peut qu'excéder largement une préoccupation de valorisation à l'échelle de nos territoires. La santé, l'environnement, la sécurité physique et alimentaire, l'énergie sont des biens publics mondiaux et il apparaît clairement que seule la recherche permettra de les fournir durablement. Osons le dire, la recherche est elle-même un bien public mondial . Dans cette perspective, les diverses formes de collaboration internationale et leurs relances périodiques, notamment dans le cadre européen, devraient prendre toute leur dimension (...) ».
Dans la mesure où la recherche et l'innovation pourraient aussi conditionner, pour l'avenir, de nouvelles productions susceptibles d'aider le monde à sortir de l'ornière économique et environnementale dans laquelle il semble aujourd'hui s'enfoncer, la qualification de « bien public mondial » apparaît d'une singulière pertinence.
Or, la dépense française de R&D représente guère plus de 2 % du PIB , bien en deçà de l'objectif de 3 % en 2010 fixé au début de la décennie par la stratégie de Lisbonne, qui s'avère, sous cet angle, un échec : aujourd'hui, cette dépense stagne en Europe autour de 1,8 % du PIB .
Dans le contexte économique actuel, votre Délégation insiste pour que la quête de l'équilibre des comptes publics à moyen terme ne conduise pas à obérer les capacités de recherche, aussi bien publiques (dépenses budgétaires) que privées ( via les dépenses fiscales et sociales), sans préjudice, naturellement, de la nécessaire évaluation de l'efficacité de ces dépenses afin de tendre vers une allocation optimale des ressources.
Elle ne doit pas davantage conduire à faire l'impasse sur le développement des investissements sans lesquels l'avenir serait sacrifié au présent et les générations futures dotées d'un legs invivable. Ainsi, elle estime ici indispensable que la gouvernance budgétaire, particulièrement en France et dans la zone euro, oriente sa stratégie non pas seulement à court et moyen terme, mais aussi à moyen et long terme .
Dès lors, les allocations de fonds du « grand emprunt » à des dépenses destinées à favoriser la recherche et l'innovation , s'inscriraient a priori dans les orientations de votre Délégation, sous la réserve qu'elles se déploient dans la durée et s'articulent à la fois avec les politiques de recherche et les politiques budgétaires de nos principaux partenaires, notamment européens.
Il convient ici d'ouvrir le débat sur l'opportunité de se prémunir, en premier lieu, contre une recherche française insuffisamment coordonnée au niveau européen ou insuffisamment valorisée, qui se révèlerait redondante ou profitables à d'autres et, en second lieu, contre des dépenses budgétaires dont le volume cumulé serait tel que la demande adressée à la France progresserait moins vite que la demande de la France au Reste du monde, ce qui approfondirait nos déséquilibres extérieurs.
Autrement dit, sous le bénéfice d'une coordination européenne approfondie, il se peut que la mise en oeuvre des actions financées par le grand emprunt doive être orientée par le souci d'ancrer une partie substantielle de ses bénéfices sur le territoire , sans « exporter » plus que de raison le supplément de croissance effective (tirée par la demande) ou potentielle (tirée par l'offre) qu'il engendrera.
* 35 Dans l'approche de Schumpeter, la dépression correspond à une période de remise en cause de structures productives devenues surdimensionnées, de désendettement et de gestation de nouvelles innovations. La durée de chaque cycle dépend de l'importance des innovations et de leurs effets d'entraînement.
* 36 Rapport d'information n° 392 du 11 juin 2008, fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification.