CHAPITRE I - CRISE CONJONCTURELLE OU CRISE DES RÉGIMES DE CROISSANCE ?
Nulle présentation des perspectives à long terme de l'économie française ne peut éluder une réflexion sur le contexte international qui prévaut à son départ.
L'économie française est immergée dans la mondialisation et elle n'a pas échappé aux effets de la crise globale qui l'a conduite à un repli historique du niveau de sa production.
Une partie importante des vingt prochaines années se joue à court terme, dans la capacité à rebondir rapidement. Mais la crise provoque aussi des interrogations plus fondamentales pour l'avenir. Au-delà des déséquilibres financiers et de leurs effets sur l'économie réelle, n'est-elle pas avant tout la manifestation des dysfonctionnements de la sphère réelle. Ne sont ce pas les régimes de croissance ou, du moins, certains régimes de croissance, qui en sont responsables ?
Un système macroéconomique s'est mis en place à l'échelle du monde qui s'accompagne d'un développement sans précédent de flux monétaires financiers qui traduisent et compensent, très imparfaitement du reste, les déséquilibres qui caractérisent ce système.
Ce système mondial n'a pas été suffisamment piloté.
La crise économique actuelle a révélé les insuffisances de coordination internationale des politiques macro et micro-économiques. Elles ne concernent pas que les politiques conjoncturelles. Les régimes de croissance des principaux pays industrialisés, c'est-à-dire leurs moteurs économiques respectifs, présentent des incompatibilités, ou créent à tout le moins au niveau international une situation sous-optimale.
D'un point de vue conjoncturel, la crise a infirmé la théorie du découplage , puisque les difficultés rencontrées aux États-Unis se sont rapidement transmises à l'économie mondiale dans son ensemble. Cette synchronisation des cycles renforce la nécessité de réponses communes et cohérentes aux chocs , voire si possible d'une réflexion sur la prévention des crises, au niveau mondial.
D'un point de vue structurel, la crise peut également être interprétée comme le résultat de déséquilibres résultant d'une antinomie entre les régimes de croissance des principales économies mondiales . La complémentarité apparente des économies nationales (par exemple la complémentarité entre épargne asiatique et consommation américaine) ne doit pas masquer les facteurs de tension et les risques de crise qu'engendrent les déséquilibres internationaux. Le manque de coordination est d'autant plus préjudiciable que le cadre monétaire est commun, comme c'est le cas en zone euro.
I. UNE REPRISE INCERTAINE APRÈS UNE RÉCESSION MONDIALE HISTORIQUE
A. UNE RÉCESSION MONDIALE HISTORIQUE
La crise financière, qui s'est déclenchée au cours de l'été 2007, est simultanément la plus forte crise financière depuis celle de 1929, et la plus grave récession mondiale depuis celle de l'après-guerre. Au cours du premier trimestre 2009, l'activité mondiale s'est contractée de 6,5 %. Sur l'ensemble de l'année, le commerce mondial s'est rétracté de 12,5 %.
ÉCARTS DE PRODUCTION 1 ( * )
DIFFÉRENCE ENTRE LE PIB EFFECTIF ET LE PIB
POTENTIEL,
EN % DU PIB POTENTIEL
Note : méthode OCDE de calcul des PIB potentiels (Document de travail du Département des affaires économiques de l'OCDE n° 482) ; sur la notion de PIB potentiel, voir le chapitre 1 de la deuxième partie du présent rapport.
Source : OCDE
En France, la récession, qui devrait être légèrement supérieure à 2 % en 2009, est moins grave que dans la zone euro dans son ensemble (-3,9 %), mais plus grave que lors des deux récessions précédentes de 1993 et 1975.
L'enchaînement chronologique de la crise débuta avec la crise du crédit hypothécaire à risque américain (subprime), c'est-à-dire une crise de surendettement : la croissance excessive du crédit s'était fondée, au cours des années précédentes, sur la perspective d'une augmentation rapide et continue des actifs notamment immobiliers, la bulle immobilière et la bulle du crédit se nourrissant réciproquement. L'assouplissement des conditions de crédit, associé à la dilution des risques, par le biais de la titrisation, a créé un système instable qui s'est effondré lors du retournement du marché immobilier américain.
Deux facteurs d'aggravation des crises financières 2 ( * ) se sont retrouvés dans celle-ci :
- d'une part, une interdépendance entre plusieurs marchés d'actifs ;
- d'autre part, une fragilisation du système bancaire .
La crise financière s'est rapidement transmise à l'économie réelle , par les canaux habituels de transmission des chocs entre économie financière et économie réelle :
- la dépréciation des actifs bancaires a encouragé les établissements financiers à restreindre l'accès au crédit des ménages et des entreprises, ce qui se traduit négativement en termes de consommation et d'investissement ;
- la chute des marchés financiers a provoqué des effets de richesse négatifs qui ont impacté la demande globale.
Ces effets de contagion ont été aggravés par une rupture de confiance généralisée des entreprises et des ménage s, confrontés aux nécessités du désendettement.
Des signes de reprise se sont toutefois manifestés dès la mi-2009.
* 1 L'écart de production mesure la différence entre le niveau effectif de la production et ce que serait le niveau de production sans inflation si tous les facteurs étaient employés.
* 2 « Les crises financières », rapport du CAE n° 50 (2004)