4. Garanties négatives de sécurité et crédibilité de la dissuasion
Il faut rester fidèle à une méthode progressive pour assortir, à la Conférence d'examen et au Conseil de sécurité des Nations unies, d'éventuelles garanties négatives de sécurité de deux restrictions : l'une générale concernant les attaques éventuelles par armes de destruction massive ; l'autre, particulière, visant les Etats dont le Conseil de sécurité aurait constaté qu'ils ne remplissent pas leurs obligations dans le cadre du TNP.
Une fermeté sereine nous commande de maintenir la ligne selon laquelle nous nous engageons à créer « les conditions d'un désarmement nucléaire » et à en tirer les conséquences en adaptant notre position à chaque pas susceptible d'être franchi dans cette direction. Nous ne sommes pas naïfs et la France doit montrer sa détermination à assumer sa « non naïveté », c'est-à-dire sa lucidité sur le monde tel qu'il est.
Politiquement, nous pouvons être amenés à donner à nouveau des « garanties négatives de sécurité » aux Etats non dotés membres du TNP et non désignés par le Conseil de sécurité comme manquant à leurs obligations vis-à-vis de celui-ci.
Ces garanties doivent rester compatibles avec notre doctrine de dissuasion. Nos armes nucléaires sont des armes de non-emploi prioritairement destinées à dissuader l'emploi d'armes de destruction massive que pourrait utiliser contre le territoire national un Etat agresseur.
Il est important d'occuper le terrain de la doctrine en délégitimant la « délégitimation » de l'arme nucléaire dans le contexte actuel : peut-on croire en effet certains Etats s'ils s'engagent, par exemple, à ne pas utiliser l'arme nucléaire contre un Etat « non doté » dès lors que des forces nucléaires ou même des forces conventionnelles alliées n'y seraient plus stationnées ?
Certaines doctrines, telles que le non usage en premier ou le « sole purpose » (le seul but de l'arme nucléaire étant de dissuader une agression nucléaire contre un autre Etat nucléaire ou contre ses alliés) aboutiraient à ouvrir à nouveau la possibilité d'agressions conventionnelles ou par voie d'armes de destruction massive.
Ce qui est en jeu du côté américain, c'est la dissuasion élargie en Europe, en Asie, dans le Golfe.
Du côté russe, le rôle compensateur des armes nucléaires tactiques par rapport à la relative faiblesse des forces conventionnelles de la Russie.
S'agissant des autres Etats dotés, quel degré de confiance accorder à leurs engagements ? Beaucoup de pays ne sont pas des pays démocratiques. Le besoin de sécurité à long terme des pays européens alliés (Royaume-Uni, France) n'est pas aujourd'hui une priorité pour les Etats-Unis et il faut croire le président Obama sur parole quand il préconise, dans son discours de Prague, que les quatre autres Etats dotés réduisent, eux aussi, le rôle des armes nucléaires dans leurs doctrines et systèmes de défense, à l'imitation des Etats-Unis, sans prendre en compte l'asymétrie des moyens dont ils disposent par rapport à ceux-ci.
Il nous faudra donc convaincre nos amis américains de ne pas céder à une démagogie « abolitionniste » qui compromettrait la sécurité de leurs alliés, et pour finir la leur propre, et risquerait, à terme, de se retourner contre eux. Faut-il rappeler, en effet, qu'ils n'auront pas ratifié le TICE, et probablement pas le traité « post-START », au moment de la Conférence d'examen, que leur doctrine de défense (« nouvelle triade ») est source de déséquilibres et peut relancer la course aux armements. Par ailleurs, ce sont les conditions politiques du désarmement qu'il faut réunir et elles sont loin de l'être. Enfin, le discours « abolitionniste » ne paraît pas de nature à régler les crises de prolifération actuelles. Tel n'est d'ailleurs pas son souci.
La réduction des armes nucléaires existantes est souhaitable mais la délégitimation du nucléaire dans le monde tel qu'il existe aujourd'hui n'est pas une attitude responsable. Il faut en revenir à la réunion des conditions à créer pour l'élimination des armes nucléaires en même temps que le désarmement général et complet. Une approche graduelle - par pas successifs - sans diminution de la sécurité pour chacun est nécessaire. La France aussi est pour un monde sans guerre.
La Russie, quant à elle, dispose encore de milliers de têtes nucléaires, en particulier d'armes tactiques. Elle modernise qualitativement sa dissuasion stratégique.
De toutes les grandes puissances, la Chine est la seule qui développe son arsenal et vise à l'acquisition de plusieurs composantes terrestre et océanique, sur le modèle russe ou américain.
Loin derrière, l'Inde et le Pakistan accroissent aussi le nombre de leurs armes.
Il est nécessaire que les deux grandes puissances nucléaires, les Etats-Unis et la Russie, liquident les stocks excessifs qu'ils ont constitués au temps de la guerre froide. Pour des raisons techniques, liées aux capacités industrielles de démantèlement, cet objectif ne pourra être atteint qu'en une ou deux décennies.
Aujourd'hui, l'épicentre des tensions et de la course aux armements nucléaires s'est déplacé vers l'Asie. C'est dans cette région du monde qu'il faut porter l'effort de plafonnement des armements. Il est urgent et nécessaire que tous les pays qui ne l'ont pas fait ratifient le TICE (en particulier les Etats-Unis, la Chine, l'Inde et le Pakistan), que s'ouvre la négociation d'un traité dit « cut-off » et qu'en attendant un moratoire des essais et un moratoire de fabrication des matières fissiles à usage militaire soient prononcés. Telles sont aujourd'hui les trois priorités du désarmement nucléaire. Délégitimer abstraitement aujourd'hui l'arme nucléaire, alors que les conditions d'une véritable sécurité collective sont loin d'être réunies, c'est « mettre la charrue avant les boeufs ».