II. L'ÉQUATION INSOLUBLE DE L'INDUSTRIE SOUS QUOTAS

La principale conséquence de la décision du Conseil constitutionnel concerne les modalités de « mise à contribution » des industries françaises soumises au SCEQE. Dès lors, l'élaboration d'un nouveau dispositif de taxe carbone impliquerait, pour le législateur, de respecter pleinement les principes constitutionnels tout en s'éloignant le moins possible de l'optimum économique incarné par l'exonération totale des industries sous quotas.

A. L'INDUSTRIE SOUS QUOTAS : DE QUOI PARLE-T-ON ?

1. Un cadre communautaire en pleine mutation

a) Le fonctionnement du SCEQE

Inspiré du marché de quotas d'émission de dioxyde de soufre (SO 2 ) mis en place par les Etats-Unis, le SCEQE impose à chaque Etat membre de déterminer, en liaison avec la Commission européenne et pour une durée de 5 ans, un niveau global d'émissions de gaz à effet de serre compatible avec l'objectif auquel il a souscrit dans le cadre du Protocole de Kyoto.

Il appartient ensuite aux Etats membres de répartir la quantité globale de quotas entre les installations industrielles situées sur leur territoire, le cas échéant à titre onéreux. Les Etats ont, en effet, la faculté de prévoir qu'une partie de ces quotas soit vendue, et ce dans la limite de 10 % sur la période 2008-2012 19 ( * ) .

Les industriels qui auraient excédé leur quota 20 ( * ) peuvent acheter des quotas sur les marchés du carbone , mis en vente par des exploitants disposant de droits d'émissions excédentaires. De tels achats peuvent se faire de gré à gré ou sur des places de marché. A l'issue de chaque année, et avant le 30 avril, les sites industriels relevant du champ de la directive doivent restituer la quantité de quotas 21 ( * ) correspondant à leurs émissions effectives de l'année précédente, qu'ils auront dû déclarer avant le 15 février. En cas de défaut, le site est redevable d'une amende de 100 euros par tonne manquante 22 ( * ) . Cette pénalité est non libératoire , et ne dispensera donc pas l'industriel d'acquérir les quotas qui lui font défaut.

b) Le tournant de 2013 : la mise aux enchères des quotas

En application du « paquet énergie-climat » 23 ( * ) adopté sous présidence française de l'Union européenne, en décembre 2008, le SCEQE connaîtra de profondes mutations lors de son entrée en « phase III », soit au 1 er janvier 2013. Outre une extension du marché par l'inclusion de nouveaux secteurs et, pour certains secteurs, l'assujettissement de nouveaux gaz en sus du dioxyde de carbone, la principale innovation consiste en une mise aux enchères des quotas , aujourd'hui principalement alloués à titre gratuit.

Ainsi, aux termes du 1 de l'article 10 de la directive 2003/87/CE modifiée par la directive 2009/29/CE, « à compter de 2013, les Etats membres mettent aux enchères l'intégralité des quotas qui ne sont pas délivrés à titre gratuit conformément aux articles 10 bis et 10 quater . Le 31 décembre 2010 au plus tard, la Commission fixe et publie le montant estimé de quotas à mettre aux enchères ». Le 2 du même article dispose que :

- 88 % de la quantité totale des quotas à mettre aux enchères sont répartis entre les Etats membres en parts identiques à la part des émissions de l'État membre concerné vérifiées dans le cadre du système communautaire en 2005 , ou à la moyenne de l'État membre concerné pour la période 2005-2007, le montant le plus élevé étant retenu ;

- 10 % de la quantité totale des quotas à mettre aux enchères sont répartis entre certains Etats membres aux fins de la solidarité et de la croissance dans la Communauté, augmentant ainsi la quantité de quotas que ces États membres mettent aux enchères ;

- 2 % de la quantité totale des quotas à mettre aux enchères sont répartis entre les États membres dont les émissions de gaz à effet de serre, en 2005, étaient d'au moins 20 % inférieures aux niveaux de leurs émissions de l'année de référence qui leur sont applicables en vertu du protocole de Kyoto ( pays de l'Est ).

Ce principe général admet des exceptions en faveur des « secteurs ou sous-secteurs exposés à un risque important de fuite de carbone » . Il s'agit ici d'éviter les délocalisations motivées par le coût du carbone au sein de l'Union européenne, dommageables sur les plans économique, social et environnemental ( cf . encadré). Le 2 de l'article 10 bis de la directive « quotas » révisée dispose néanmoins que « Pour définir les principes d'établissement des référentiels ex-ante par secteur ou sous-secteur, le point de départ est la performance moyenne des 10 % d'installations les plus efficaces d'un secteur ou sous-secteur de la Communauté pendant les années 2007-2008 ». En conséquence, l'éventuel solde de quotas des installations des secteurs ou sous-secteurs exposés devra être acquis aux enchères dès 2013, ce qui devrait représenter une proportion de quotas payants de l'ordre de 30 %.

Les secteurs exposés aux fuites de carbone

Au sens de la directive « quotas », un secteur ou sous-secteur est considéré comme exposé à un risque important de fuite de carbone s'il répond aux critères suivants :

- la somme des coûts supplémentaires directs et indirects induits par la mise en oeuvre de la directive 2009/29/CE précitée entraîne une augmentation des coûts de production d'au moins 5 % de la valeur ajoutée brute, et l'intensité des échanges avec des pays tiers , définie comme le rapport entre la valeur totale des exportations vers les pays tiers plus la valeur des importations en provenance de pays tiers et la taille totale du marché pour la Communauté (chiffre d'affaires annuel plus total des importations en provenance de pays tiers), est supérieure à 10 % ;

- ou la somme des coûts supplémentaires directs et indirects induits par la mise en oeuvre de la directive entraînerait une augmentation d'au moins 30 % de la valeur ajoutée brute ;

- ou l'intensité des échanges avec des pays tiers est supérieure à 30 % .

La directive précise que les secteurs et sous-secteurs exposés à un risque important de fuite de carbone doivent être déterminés au plus tard le 31 décembre 2009 et tous les cinq ans par la suite par la Commission européenne, après un échange de vues au sein du Conseil européen. Une première liste a ainsi été dressée par la Commission dans une décision en date du 24 décembre 2009 24 ( * ) .

Source : commission des finances

* 19 Ils doivent également décrire le traitement qu'ils envisagent pour les « nouveaux entrants », c'est-à-dire pour les sites industriels non encore existants ou étendus pendant la période d'application de leur plan national.

* 20 Soit les installations dites « courtes ».

* 21 Cette restitution peut également se faire à partir d'unités de réduction d'émissions (URE) attribuées aux porteurs de projets destinés à réduire les émissions dans les pays en voie de développement, conformément aux dispositions du Protocole de Kyoto. Les URE sont elles-mêmes échangeables. Ce dispositif est transposé aux articles L. 229-20 et suivants du code de l'environnement.

* 22 Article L. 229-18 du code de l'environnement.

* 23 Et notamment de la directive 2009/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 modifiant la directive 2003/87/CE afin d'améliorer et d'étendre le système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre.

* 24 Décision établissant, conformément à la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, la liste des secteurs et sous-secteurs considérés comme exposés à un risque important de fuite de carbone.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page