V. AUDITION DU 4 MARS 2009 : M. PIERRE MARIANI, PRÉSIDENT DU COMITÉ DE DIRECTION DE DEXIA SA
M. Jean Arthuis, président , a invité M. Pierre Mariani à rappeler les éléments de contexte ayant présidé à sa nomination et à dresser un premier bilan de la situation de Dexia. Il a également souhaité que la commission soit éclairée sur les conditions de cession des activités d'assurance de Financial Security Assurance (FSA) et de liquidation de ses activités de gestion d'actifs, sur le niveau des pertes envisagées et sur l'éventualité de la mise en jeu de la garantie de l'Etat.
Dexia s'étant livrée, selon les termes de M. Pierre Mariani , à des « développements hasardeux, mal financés et tentés loin des bases et des métiers qui ont fait la force historique de la société », M. Jean Arthuis, président, a voulu connaître les conditions de recentrage des activités du groupe et les conséquences que les difficultés financières traversées par Dexia pourraient avoir sur le niveau et les modalités des crédits consentis aux collectivités territoriales.
M. Pierre Mariani , président du comité de direction de Dexia , a détaillé les trois origines principales des difficultés du groupe. Le développement très rapide des activités internationales de Dexia, notamment hors d'Europe, s'est tout d'abord opéré sans sources de financement appropriées et sans que Dexia dispose d'une véritable clientèle dans les pays en question.
Le groupe a ensuite recouru à des financements à court terme pour constituer un portefeuille de placements de l'ordre de 160 milliards d'euros, notamment sous forme de portefeuilles d'investissement. Il a par ailleurs « échangé » son excellente notation sur les marchés financiers contre du risque de crédit, sous forme de prêts à des institutions bancaires ou à des pays émergents potentiellement rentables à long terme, mais ayant rapidement révélé des faiblesses.
En dernier lieu, Dexia s'est fortement exposée aux risques liés à l'évolution de la conjoncture américaine, au travers de sa filiale FSA. Celle-ci a développé des activités de garantie des émissions obligataires des collectivités locales aux Etat-Unis d'Amérique, pour 400 milliards de dollars, mais également des activités de rehaussement de crédit de structures de titrisation, pour 115 milliards de dollars. C'est de ce « coeur de portefeuille » qu'ont résulté les principales difficultés du groupe en 2007. FSA s'est enfin livrée à une activité de collecte de dépôts garantis, dont le montant de 17 milliards de dollars a été principalement réinvesti dans des actifs à sous-jacents immobiliers, connaissant aujourd'hui une chute considérable de leur valorisation.
Selon M. Pierre Mariani , ces trois sources de difficultés ont abouti, en septembre 2008, à une crise de liquidité et, dans une moindre mesure, de solvabilité, nécessitant le renforcement des fonds propres de Dexia. La faillite de Lehman Brothers a asséché le marché interbancaire et fait disparaître les instruments de financement à court terme auxquels l'entreprise avait recours. En conséquence, la direction de Dexia a sollicité des autorités belges, françaises et luxembourgeoises une recapitalisation rapide. Cette recapitalisation, dont M. Pierre Mariani a jugé qu'elle n'était pas la réponse la plus appropriée à une crise de liquidité, s'est traduite par des prises de participation des Etats français et belge, pour 5,7 % du capital chacun, par l'accroissement de la participation de la Caisse des dépôts et consignations et de la Caisse nationale de prévoyance, des régions belges et des actionnaires historiques du groupe.
Les autorités françaises ont subordonné leur prise de participation à des changements dans l'équipe dirigeante du groupe, ce qui a abouti à sa propre nomination et à celle de M. Jean-Luc Dehaene, en qualité de président du conseil d'administration. Face à un risque imminent de cessation de paiements, la nouvelle équipe dirigeante a sollicité la garantie des Etats, qui a été accordée le 9 octobre 2008.
M. Pierre Mariani a précisé que la clôture des comptes 2008 s'est soldée par une perte de 3,3 milliards d'euros pour Dexia, dont 3,1 milliards liés aux pertes et à la cession de FSA. Par ailleurs, le groupe a enregistré des pertes conséquentes liées à la dévalorisation de son portefeuille bancaire, passé des provisions au titre de l'affaire « Madoff » et constaté des pertes sur des opérations de change en Europe de l'Est. En revanche, il a cédé dans de bonnes conditions une participation dans une filiale du groupe des banques populaires autrichiennes.
S'agissant des modalités de cession de FSA à Assured Guaranty LLC, M. Pierre Mariani a affirmé avoir obtenu la quasi-totalité des autorisations réglementaires aux Etats-Unis, indiqué que l'autorisation de la Commission européenne est attendue pour le 18 mars 2009 et fait valoir que les négociations avec les Etats français et belge, concernant les conventions de garantie sur l'activité de produits financiers, sont en cours de finalisation.
Cette cession s'accompagne d'actions destinées à réduire le profil de risque du groupe, en cessant les activités de portefeuille et de négociation pour compte propre, en centralisant à Paris et Bruxelles les activités de marché et en réduisant les limites de risque antérieurement applicables dans l'entreprise. En outre, le périmètre des activités de Dexia a été redéfini et concentré sur les seuls pays où l'entreprise dispose de vrais clients, d'un « funding » approprié et se livre à des activités profitables.
M. Pierre Mariani a indiqué que l'assainissement de la situation du groupe se traduira par des mesures de réduction des coûts, visant à diminuer ceux-ci de 15 % en trois ans. Ces mesures auront un impact sur l'emploi, raison pour laquelle une concertation est en cours avec les instances représentatives du personnel.
Il est enfin revenu sur la situation de la liquidité du groupe, affirmant que la garantie des Etats a permis à Dexia de retrouver des conditions acceptables de financement à court terme. Les conditions de financement à moyen terme sont en revanche plus délicates, les émissions réalisées par l'entreprise étant renchéries par le coût de la garantie des Etats. M. Pierre Mariani a toutefois précisé que la difficulté de financement à moyen terme affecte l'ensemble des banques et que la crise de liquidité est moins liée à une méfiance des établissements bancaires les uns à l'égard des autres qu'à leur inquiétude au sujet de leur situation propre.
A la demande de M. Jean Arthuis, président , M. Pierre Mariani a précisé que la rémunération des garanties des Etats est commune à la France, à la Belgique et au Luxembourg et varie en fonction des échéances, avant de détailler les taux applicables à chacune d'entre elles et les modalités de versement des rémunérations aux Etats. Il a également précisé que l'intégralité de la hausse des coûts de financement n'est pas répercutée sur les clients de Dexia. Si ces clients sont, en France, essentiellement des collectivités locales, la situation est plus diversifiée en Belgique, où l'entreprise ne tire que 40 % de ses revenus de l'activité de prêteur et se livre également à des activités de banque de dépôt et de gestion de trésorerie pour les collectivités.
Mme Nicole Bricq a successivement interrogé M. Pierre Mariani sur l'appréciation générale qu'il porte sur la liquidité des marchés, sur l'impact de la situation de Dexia sur les collectivités territoriales, ainsi que sur l'évolution des emplois et des rémunérations des dirigeants au sein de l'entreprise.
M. Serge Dassault est revenu sur la situation de certaines collectivités territoriales ayant contracté des emprunts à taux variable.
M. Joël Bourdin a commenté la difficulté qu'éprouve Dexia à se financer à moyen et long termes et a souhaité obtenir des précisions sur la situation du groupe à l'égard des pays d'Europe centrale et orientale.
M. Jean-Pierre Fourcade a souhaité savoir si Dexia a enregistré des pertes au titre de son activité de crédit aux collectivités locales américaines et si la cession de FSA est susceptible d'améliorer le bilan de l'entreprise et son cours en bourse. Il s'est également interrogé sur l'évolution des prêts indexés de Dexia compte tenu de la baisse attendue de l'inflation.
M. Jean Arthuis, président , est revenu sur les provisions constituées par le groupe et a suggéré que la cherté de la garantie de l'Etat pour Dexia plaide pour qu'elle puisse recourir à la Société de financement de l'économie française (SFEF).
M. Pierre Mariani , président du comité de direction de Dexia, a admis comme paradoxal qu'un problème de liquidité demeure pour Dexia, compte tenu des interventions massives consenties par les banques centrales. Il a relevé une contradiction dans le fait que les agents économiques réclament des prêts pour poursuivre leur activité et souhaitent simultanément que leurs disponibilités fassent l'objet de placements sans risque. A ce stade, le secteur bancaire n'a ni la taille, ni les fonds propres, ni la base de dépôts nécessaires pour se substituer aux opérateurs financiers tels que les SICAV monétaires ou obligataires qui assuraient traditionnellement l'essentiel du financement de l'économie. Si une diminution des taux courts pourra inciter les investisseurs à placer à nouveau leur trésorerie, l'inquiétude domine toujours au sein des établissements bancaires et les conduits souvent à refuser de prêter leurs disponibilités au-delà d'un mois.
M. Pierre Mariani a confirmé que Dexia envisage la suppression de 900 emplois, dont 250 en France, et a précisé les modalités de réduction des rémunérations variables des dirigeants du groupe. Par ailleurs, les administrateurs du groupe ont vu la partie fixe de leurs jetons de présence divisée par deux. A M. Jean Arthuis, président , qui s'interrogeait sur la portée des interventions de l'Etat actionnaire dans ces arbitrages et sur la relative passivité de ce dernier, M. Pierre Mariani a répondu que l'Agence des participations de l'Etat est représentée par un administrateur au sein de Dexia.
S'agissant des crédits structurés, le taux moyen de la dette structurée des collectivités territoriales s'établit à 4,22 %, soit en-deçà du taux moyen de 4,90 % constaté pour l'ensemble des prêts consentis par Dexia aux mêmes collectivités. La structuration de la dette permet donc toujours un financement à moindre coût. Par ailleurs, si la crise a profondément modifié le niveau de certains indices entrant dans la composition de ces crédits, la façon dont Dexia a structuré ses propres produits a limité l'impact du retournement conjoncturel sur ses clients. Enfin, Dexia a pris conscience très précocement des risques liés aux dettes structurées et a proposé à certaines collectivités les aménagements susceptibles de les neutraliser. Sur 22.800 clients et 115 milliards d'euros d'encours de prêts en France, seuls 46 collectivités, 14 hôpitaux et 5 bailleurs sociaux supportent aujourd'hui des taux particulièrement élevés en raison du caractère structuré de leur dette.
A M. Philippe Dallier , qui s'est interrogé sur l'existence de cas flagrants de défaut de conseil à certaines collectivités aujourd'hui en difficulté, M. Pierre Mariani a rappelé que Dexia n'a pas commercialisé les produits les plus complexes et avait formulé des offres de déstructuration sur certains contrats, en dépit de leur caractère coûteux.
En réponse aux différents intervenants, M. Pierre Mariani a enfin apporté les précisions suivantes :
- l'exposition de Dexia aux pays d'Europe centrale et orientale est estimée à 13 milliards d'euros, correspondant essentiellement à des émissions souveraines ; certains prêts seront convertis en monnaie locale ;
- le comté de Jefferson (Alabama) est, pour l'heure, la seule collectivité à avoir fait défaut aux Etats-Unis ;
- le produit de la cession de FSA, pour une valeur de 1,4 à 1,5 milliard de dollars, se compose de liquidités (pour environ 360 millions de dollars) et d'actions d'Assured Guaranty, dont la valeur a fortement chuté au cours de la période récente ; la contribution de cette cession au redressement du bilan de Dexia en sera limitée d'autant, mais il convient de se féliciter de ce que les 700 millions de dollars de dette de l'entreprise soient repris par l'acquéreur ;
- la baisse de l'inflation devrait donner une inflexion favorable aux emprunteurs ayant eu recours à des prêts indexés ;
- sur les 3,1 milliards d'euros de pertes enregistrées en 2008, 1,7 milliard résultent de la cession de FSA, soit la valeur de cette société dans les comptes. En application des nouvelles normes comptables, le risque propre de crédit et des crédits d'impôts différés comptabilisés comme profits ont été annulés pour FSA. Le portefeuille de produits financiers présente un niveau de pertes effectif de 12 millions de dollars et les provisions passées dans les comptes s'élèvent à 1,95 milliard de dollars. Les pertes économiques, telles qu'elles résultent des modèles internes du groupe, sont de l'ordre de 800 millions de dollars, à mettre en regard d'un seuil de « first loss » de 4,5 milliards de dollars dans le cadre de la garantie des Etats ;
- enfin, compte tenu de la garantie spécifique dont elle bénéficie, Dexia n'a pas accès à la SFEF, mais le taux que cette dernière consentirait à l'entreprise serait vraisemblablement plus avantageux que celui qui est associé à la garantie des Etats.