E. M. GÉRARD BRÉART, DIRECTEUR DE L'INSTITUT THÉMATIQUE « SANTÉ PUBLIQUE », INSERM
Je vais essayer de voir les relations entre principe de précaution et recherche, puis développer deux points : y a-t-il antinomie ou au contraire complémentarité ?
Pour l'antinomie, je ne reviendrai pas sur la définition réelle du principe de précaution mais simplement sur la façon dont les chercheurs le vivent parfois. La recherche est la production de connaissances nouvelles qui nécessite forcément d'explorer des domaines inconnus alors que le principe de précaution est parfois vécu par les chercheurs comme l'absence d'exploration de domaines inconnus : il y a là une certaine antinomie, parfois vécue comme risquée (excès de précaution et non excès d'utilisation du principe de précaution).
En voici deux exemples. Le premier est l'étude de médicaments chez la femme enceinte, qu'on interdit généralement parce qu'elle présente un risque particulier ; mais cela veut dire que les femmes enceintes sont privées d'un certain nombre de médicaments actifs : un excès de précaution peut être ennuyeux. Le deuxième exemple : l'application du principe de précaution peut amener à mettre en oeuvre et à proposer des actions de prévention sans que l'on ait forcément une idée de leur efficacité ; cela empêche un certain nombre de recherches sur la prévention et cela va consommer un certain nombre de ressources, comme on l'a déjà évoqué.
Quelles sont les pistes de solutions ? A mon avis, cette possibilité de compatibilité est dans l'encadrement des recherches. La loi sur la protection des personnes qui est en cours de discussion veut, au niveau de l'évaluation initiale des recherches, fonder les décisions des Comités de protection des personnes sur la notion de risque et de bénéfice. Je pense qu'il faut continuer à travailler sur ce point clef fondamental, qu'une recherche doit être évaluée en fonction du risque mais aussi des bénéfices potentiels. Il est aussi important de faire en sorte que chaque recherche ait un promoteur qui soit responsable du contrôle de qualité, et enfin, que toute recherche soit publiée et diffusée. Cela nous amène à discuter pour savoir comment on peut encore améliorer la complémentarité. Dans l'application du principe de précaution, existent deux points clefs pour l'épidémiologiste que je suis, le manque de connaissances et, lorsqu'elles sont présentes, leur discussion et l'interprétation des résultats.
Comment améliorer ce lien entre la décision et la production de la connaissance ? Plusieurs points ont déjà été évoqués. Le premier est la notion de réversibilité ou décision réversible, mais qui doit être accompagnée de recherches (qui ne doivent pas seulement appartenir au domaine toxicologique fondamental mais aussi être de nature épidémiologique pour regarder effectivement les effets sur la santé sans se borner aux effets théoriques). En termes de discussions des résultats, il faut des examens contradictoires qui commencent dès la discussion du projet ; si l'on veut que les résultats d'une étude soient acceptés, il faut aussi que son protocole ait été discuté et accepté. Il faut donc à la fois un examen contradictoire du projet, une analyse contradictoire des résultats et - point à voir avec les spécialistes de la communication - une formation et une information sur l'incertitude des études : pourquoi les épidémiologistes ne peuvent-ils donner des résultats simples en forme de « oui » ou de « non » ? Ce type de réunion pourrait contribuer à le faire. Ce sera ma conclusion : comme chercheur, je souhaite que l'on développe les connaissances mais c'est surtout l'analyse contradictoire et multidisciplinaire des études qui peut permettre de progresser.
M. Claude BIRRAUX
Merci beaucoup, M. Bréart. C'était très clair. Cela rejoint ce que je disais sur l'épidémiologie parce qu'il faut beaucoup de cas ; il faut toujours la mesure de l'incertitude parce que si vous trouvez trois plus ou moins cinquante, cela n'a plus aucune signification. La mesure de l'incertitude est très importante mais ne rien trouver est aussi un résultat ! C'est ainsi mais le public a peut-être des difficultés à le comprendre.