2. Des propositions d'évolution
Le caractère essentiellement jurisprudentiel des règles concernant l'aménagement conventionnel de la réparation suscite, depuis quelques années, une demande de clarification de la part de la doctrine. Dans ce cadre, certains préconisent notamment l'intégration dans le code civil et, de ce fait, la généralisation, de dispositions actuellement relatives aux relations entre professionnels et consommateurs.
Le groupe de travail présidé par M. Pierre Catala consacre , dans son avant-projet de réforme, certaines solutions d'ores et déjà admises par la jurisprudence , à commencer par l'inefficacité des clauses limitatives ou exonératoires en présence d'un dol ou d'une faute lourde et l'impossibilité d'exclure la réparation par le manquement d'un cocontractant à l'une de ses obligations essentielles. Ce faisant, il prend position pour une approche très « rigoriste » de la jurisprudence « Chronopost ».
Dans le même temps, il envisage deux types de modifications par rapport au droit en vigueur. Tel est le cas, d'une part, des aménagements de la réparation en matière délictuelle. Le groupe de travail présidé par M. Pierre Catala propose ainsi d' affirmer la validité de principe des clauses excluant ou limitant la réparation, sauf lorsque cette responsabilité est fondée sur une faute.
Cette validité serait néanmoins exclue en matière corporelle. En outre, en matière contractuelle, une telle clause serait sans effet en l'absence d'une « contrepartie réelle, sérieuse et clairement stipulée », lorsqu'elle intervient entre un professionnel et un consommateur.
Mme Suzanne Carval, maître de conférences à l'université de Paris 1, a jugé que la transposition au sein du code civil d'une analyse de l'équilibre contractuel, comme le fait déjà le code de la consommation, s'avérerait également souhaitable. Elle a milité pour l'institution en droit français d'une loi sur les clauses abusives entre professionnels. Elle a rappelé qu'en droit anglais, le juge peut écarter -même dans les contrats entre professionnels- les clauses limitatives de responsabilité, en utilisant le test du caractère « raisonnable » de la limitation prévue. Mais elle a jugé que la rigueur de la rédaction retenue par l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription risquait de condamner par principe les clauses d'exonérations entre professionnels.
S'agissant, d'autre part, des clauses pénales , le groupe de travail présidé par M. Pierre Catala envisage l'abrogation des articles 1226 à 1230, 1232 et 1233 du code civil 77 ( * ) , tout en conservant un pouvoir de révision judiciaire afin de modérer des clauses « manifestement excessives ».
Ces propositions d'évolution sont en partie liées à des constructions doctrinales tendant à assurer une harmonisation du droit des contrats au plan européen, voire international , qui admettent expressément les clauses limitatives de responsabilité sous réserve du respect des principes d'équité et de bonne foi.
Les principes d'Unidroit consacrent ainsi, dans leur article 7.1.6, la règle selon laquelle une partie ne peut se prévaloir d'une clause limitative ou exclusive de responsabilité en cas d'inexécution d'une obligation, ou lui permettant de fournir une prestation substantiellement différente de celle à laquelle peut raisonnablement s'attendre l'autre partie, si, eu égard au but du contrat, il serait manifestement inéquitable de le faire.
Cette même approche se retrouve dans les Principes du droit européen des contrats, élaborés par la Commission créée par le professeur Ole Lando. Aux termes de leur article 8:109, ces Principes prévoient que les moyens accordés en cas d'inexécution peuvent être exclus ou limités à moins que ce ne soit contraire aux exigences de la bonne foi.
Les auditions conduites par vos rapporteurs ont fait apparaître une approbation de principe de la consécration dans le code civil des solutions jurisprudentielles actuelles.
M. Pierre Sargos, président du groupe de travail de la Cour de cassation sur l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, a indiqué que le groupe de travail de la Cour de cassation était favorable aux modifications proposées par cet avant-projet et a jugé opportune la consolidation au niveau législatif de la jurisprudence « Chronopost ».
Mme Pascale Fombeur, directeur des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice, s'est déclarée favorable à la consécration des limitations contractuelles de la réparation, soulignant qu'il convenait de la distinguer de la limitation de la responsabilité elle-même, laquelle peut se heurter au principe constitutionnel, dégagé par le Conseil constitutionnel de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyens de 1789 et de l'article 1382 du code civil, selon lequel « nul n'ayant le droit de nuire à autrui, en principe tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer » 78 ( * ) . Elle a estimé qu'une plus grande liberté dans l'aménagement des modalités de la réparation n'était envisageable qu'en cas de réelle égalité entre les parties.
Mme Joëlle Simon, directrice juridique du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), a jugé que la consécration de la possibilité de limiter de manière conventionnelle la responsabilité en matière délictuelle, proposée par l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, ne concernerait en réalité que des cas d'école. En matière contractuelle, elle a estimé que plusieurs dispositions devraient trouver leur place dans le code de la consommation, plutôt qu'au sein du code civil.
L'association de consommateurs UFC-Que choisir a estimé que la plupart des innovations proposées par le rapport du groupe de travail présidé par M. Pierre Catala devraient intégrer le code de la consommation, car en pratique, elles visent les rapports existant entre professionnels et non professionnels. Elle s'est déclarée opposée à la suppression du pouvoir du juge de revoir à la hausse les clauses pénales, en raison du fait que dans les contrats d'adhésion, les professionnels ont tendance à prévoir des clauses pénales dérisoires pour les consommateurs, notamment les opérateurs de téléphonie mobile.
M. François Asselin, président de la commission « Marchés » de la Fédération française du bâtiment (FFB), s'est déclaré favorable aux dispositions proposées en matière de clauses pénales.
M. Jean-Luc Guillot, président du comité juridique de la Fédération bancaire française (FBF), a considéré que des règles relatives aux relations entre professionnels et consommateurs avaient leur place dans le code de la consommation et non dans le code civil.
M. Jérôme Frantz, secrétaire de la commission du droit de l'entreprise de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris (CCIP), a jugé la consécration générale de la validité des aménagements conventionnels bienvenue. Il a estimé que seule la clause qui excluait la réparation d'un manquement à une obligation essentielle ou la limitait à un montant dérisoire devait être réputée non écrite.
* 77 Ces dispositions, pour l'essentiel inchangées depuis 1804, organisent le régime de la clause pénale, à l'exception du pouvoir de révision judiciaire, prévu à l'article 1152 du code civil.
* 78 Conseil constitutionnel, décision n° 82-144 DC du 22 octobre 1982 relative à la loi relative au développement des institutions représentatives du personnel.