b) Le vote du Parlement sur le plafond de la dette de l'Etat largement vidé de sa substance
Ce recours important aux titres de court terme, en 2008, a été présenté par le Gouvernement comme permettant d'éviter de provoquer un choc sur le programme d'emprunt de l'Etat à moyen et long termes, alors que le montant de la dette venant à échéance, et qui devait donc être refinancée, atteignait un point élevé. Néanmoins, le recours à des BTF est de nature à accroître la variabilité de la charge d'intérêts 59 ( * ) .
Or, selon l'interprétation retenue , l'article 34 de la LOLF n'exige l'autorisation du Parlement que pour le montant de la dette négociable de l'Etat dont la durée de vie à l'émission est supérieure à un an , c'est-à-dire les BTAN 60 ( * ) et les OAT 61 ( * ) , à l'exclusion des BTF . Pour les titres de long et moyen termes (OAT et BTAN), la loi de finances comporte ainsi un plafond de la variation nette, appréciée en fin d'année. Ainsi, pour 2009, ce plafond a été fixé à 44,7 milliards d'euros par la loi de finances rectificative du 20 avril 2009. Pour les BTF, en revanche, le tableau de financement mentionne seulement la variation de l'encours prévu.
Il s'agit là d'une lacune regrettable dans un contexte de valorisation des pouvoirs du Parlement . Dès l'examen du PLF pour 2008, votre rapporteur général avait mis en lumière ce problème, en cherchant à retracer l'intention du législateur organique en la matière ( cf. encadré ci-après ). Le rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'Etat », notre ancien collègue Paul Girod en 2007 et notre collègue Jean-Pierre Fourcade en 2008 62 ( * ) , ont exprimé les mêmes préoccupations.
Séance du Sénat du 28 novembre 2007 PLF pour 2008 Débat sur l'évolution de la dette M. Philippe Marini, rapporteur général [...]. Monsieur le ministre, la situation est bien paradoxale, puisque le besoin de financement atteint un niveau record de 145 milliards d'euros, tandis que le plafond de variation nette de la dette négociable de l'Etat, sur lequel nous allons voter, est, quant à lui, en baisse et s'établit à 16,7 milliards d'euros. Cette baisse résulte d'un effet d'optique et représente simplement la préférence de l'agence France Trésor pour des raisons que nous pouvons comprendre pour des refinancements à court terme d'échéances d'emprunts qui sont remboursées les unes après les autres. [...] Je souhaite appeler votre attention sur le point suivant : la LOLF est ici respectée dans sa lettre, mais pas dans son esprit. La lettre, c'est l'article 34, et le plafond correspond effectivement à la dette négociable de l'Etat d'une durée supérieure à un an. On opère une soustraction, en déduisant du montant des émissions d'emprunts prévues en 2008, soit 119,5 milliards d'euros, l'amortissement de la dette à moyen et long termes, soit 102,8 milliards d'euros : le résultat, 16,7 milliards d'euros, est le plafond sur lequel nous allons nous prononcer. Cependant, l'esprit de la LOLF n'est pas respecté. Pourquoi ? Je voudrais rappeler quelle était l'intention du législateur. Cette intention a été éclairée, dans le courant de l'année 2002, par des échanges, en particulier de correspondance, entre, d'un côté, Jean Arthuis et moi-même, et, de l'autre, les ministres de l'époque, Francis Mer et Alain Lambert. J'avais accepté, le 26 juillet 2002, la définition de la dette négociable de l'Etat d'une durée supérieure à un an proposée par les ministres. À la suite d'échanges que nous avions eus, Jean Arthuis et moi-même précisions, le 3 octobre de la même année, que le fait que le « bleu » budgétaire prévoie une marge de manoeuvre de 5 milliards d'euros pour fixer le plafond de la dette, souhaitée à l'époque par les gestionnaires de l'agence France Trésor, n'était pas conforme à la loi organique relative aux lois de finances et que, par ailleurs, le plafond de la variation de la dette avait un statut juridique analogue à celui du solde budgétaire : s'il peut être dépassé en cours d'année, il ne peut l'être en fin d'année qu'à la condition expresse qu'un collectif budgétaire l'autorise. Il y avait là l'expression d'une double préoccupation, qui reflétait les débats antérieurs. Le premier point de vue, qui avait déjà été formulé par Alain Lambert lorsqu'il rapportait au Sénat le projet de loi organique relatif aux lois de finances, était le suivant : « Il s'agit, en quelque sorte, de donner un contenu à l'autorisation d'émettre des emprunts en la liant au besoin de financement révélé et exprimé par le tableau de financement . » L'autre point de vue avait été exprimé, lors de la discussion du projet de loi organique précité, par Florence Parly, qui était alors secrétaire d'Etat au budget. Je voudrais citer les propos qu'elle avait tenus, parce qu'il y a une grande constance dans les positions de nos technostructures administratives : « S'il devait y avoir un plafond d'emprunt, cela ne devrait pas placer le Gouvernement dans une situation d'incapacité brutale à financer ses dépenses, parce qu'il y aurait une rupture de trésorerie et un retard dans l'encaissement d'une recette importante, par exemple. » Nous pouvons très bien comprendre cela, et nous avons intégré ces points de vue dans un amendement de compromis voté lors de la discussion du projet de loi organique relatif aux lois de finances, puis lorsque nous avons interprété, par le biais d'un échange de lettres, ce que signifie le plafond d'appel à l'endettement. Or, [...] qu'en est-il aujourd'hui ? On peut dire qu'il n'est plus possible de distinguer de manière simple emprunts et trésorerie. Les préoccupations du Gouvernement, telles qu'elles avaient été formulées par Mme Parly, à savoir éviter toute rupture de trésorerie, ont bien été prises en compte, mais celles du Parlement ne le sont plus. En 2008, le lien entre besoin de financement et emprunts n'apparaît plus clairement. En d'autres termes, le plafond de variation de la dette ne constitue plus la sanction politique et juridique du déficit du budget de l'Etat. L'esprit de la LOLF n'est plus respecté, les émissions d'emprunts de court terme liées au financement du déficit et à l'amortissement de la dette à moyen et long termes se trouvent fondues, diluées au sein des mouvements de trésorerie de l'Etat. [...] Monsieur le ministre, je m'arrêterai là quant à ces considérations qui sont aussi bien juridiques que financières, mais voyons leur incidence économique et leur traduction en termes de décisions politiques. Lorsque le législateur organique a voulu ce débat qui précède le vote de l'article d'équilibre, qu'a-t-il réellement souhaité ? Premièrement, il s'agissait d'établir une liaison entre besoin de financement et recours à l'emprunt ; or, ce lien est aujourd'hui dilué. Deuxièmement, compte tenu de l'ampleur et des conséquences de nos déficits, la représentation nationale devait s'engager de façon solennelle, par un vote, sur les nouveaux appels à l'emprunt. Force est de constater que ce montant de 16,7 milliards d'euros sur lesquels nous allons nous prononcer n'a de signification que technique et qu'il représente un support vraiment très contestable pour un vote dont la valeur d'engagement politique devrait être une préoccupation essentielle. Sur ces sujets, nous devons nous remettre au travail. Nous devrions pouvoir reprendre les interprétations qui ont été données de la LOLF, voire rédiger différemment les dispositions concernées. [...] Source : compte-rendu intégral des débats |
Il est donc souhaitable que l'autorisation parlementaire porte sur la dette négociable dans son ensemble . La Cour des comptes, aujourd'hui, appuie ce point de vue en estimant qu'« au-delà de la fixation du plafond de variation annuelle de la dette à plus d'un an, il convient, afin que le Parlement puisse appréhender de manière globale la politique d'emprunt, que l'information relative à la dette porte sur l'ensemble des composantes de la variation annuelle de son montant, y compris à court terme 63 ( * ) ».
Votre rapporteur général propose, en ce sens, un amendement au projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour 2008 . Cette initiative tend à restaurer l'esprit initial de la LOLF, en distinguant entre émissions d'emprunts au sens strict et émissions de trésorerie : seules ces dernières peuvent être légitimement soustraites à l'autorisation parlementaire Il s'agit, à titre expérimental pour les deux prochains exercices, à la fois d' élargir la portée du vote du Parlement , en étendant l'autorisation sous plafond aux titres de court terme (inférieurs à un an) supérieurs ou égaux à trois mois, et de renforcer l'information des parlementaires, en cours d'exercice , dans le cas où l'urgence commanderait que la variation prévue du plafond précité soit dépassée sans recourir préalablement à une loi de finances rectificative. Ces innovations, cependant, prennent en considération la souplesse d'action nécessaire au gestionnaire de la dette.
* 59 L'augmentation de l'encours des BTF ne s'est pas traduite, au premier semestre 2009, par une hausse de la charge d'intérêts de la dette, l'effet « taux » ayant compensé l'effet « volume » (en mai 2009, l'Etat empruntait à trois mois au taux de 0,798 %, et à un an au taux de 0,868 %). Néanmoins, un risque de renchérissement existe car, les emprunts sous forme de BTF étant en pratique, le plus souvent, d'une durée de 3 mois, ils seront renouvelés plusieurs fois au cours de l'année, et le niveau très bas des taux d'intérêt reste un phénomène d'ordre exceptionnel qui, par nature, ne devrait pas perdurer.
* 60 Bons du Trésor à intérêts annualisés, à échéance de 2 ans et 5 ans.
* 61 Obligations assimilables du Trésor à taux fixe, à taux variables et indexés, à échéance comprise entre 10 et 50 ans.
* 62 Cf. en dernier lieu le rapport n° 99 (2008-2009), tome III, annexe 12.
* 63 Rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'Etat pour l'exercice 2008, p. 59.