CHAPITRE I : L'HISTORIQUE DU PROBLÈME

Cette démarche ne répond pas uniquement à une préoccupation documentaire. Elle s'explique aussi par le fait que les caractéristiques de la chlordécone, ses conditions et son aire d'application aux Antilles conditionnent assez largement l'ampleur et l'efficacité des mesures sanitaires, environnementales et agronomiques qui doivent contribuer à limiter les conséquences de son utilisation passée.

Mais ce rappel des faits ne doit pas se limiter aux seuls départements antillais . Car les recherches effectuées dans le cadre de cette étude ont permis de mettre en évidence une réalité qui avait été largement occultée par l'attention exclusive accordée jusqu'ici aux Antilles : la chlordécone a été utilisée sur plusieurs continents, y compris en Europe .

I. LA PRODUCTION DE LA MOLECULE AUX ETATS-UNIS

Le terme pesticide est une appellation générique qui désigne les substances naturelles ou de synthèse destinées à éliminer les organismes jugés nuisibles, dans des domaines aussi variés que l'agriculture, la vie urbaine ou la santé publique. On distingue cinq catégories principales de pesticides : les insecticides et les acaricides utilisés dans la lutte contre les insectes et les acariens, les fongicides utilisés dans la lutte contre les microorganismes et les champignons, les rodencides employés contre les rongeurs, les nématicides employés contre les vers, et les herbicides qui détruisent les mauvaises herbes.

Avant la seconde guerre mondiale, les pesticides, ou ce qu'on qualifie aujourd'hui de produits phytosanitaires dans la législation européenne, étaient essentiellement composés de produits d'origine minérale, comme le soufre, l'arsenic, ou le sulfate de cuivre (la fameuse bouillie bordelaise utilisée notamment pour le traitement de la vigne).

Depuis, leur substance active provient de composés organiques de synthèse que l'on distingue généralement en fonction de la nature de leurs principes actifs : organochlorés, organophosphorés, etc.

La molécule dont l'utilisation a été mise en cause aux Antilles, la chlordécone, est un organochloré.

La chlordécone a été découverte en 1951, brevetée en 1952 et commercialisée à partir de 1958 par la société « Allied Chemical », sous les noms de Kepone® et de GC - 1189 ®.

Jusqu'à son interdiction en 1976, environ 1 600 tonnes de matière active (à 94,5 % de chlordécone) ont été produites dans trois usines situées respectivement dans le Delaware, en Pennsylvanie et dans une unité complémentaire de fabrication située à Hopewell en Virginie.

La molécule a été principalement, mais pas exclusivement 6 ( * ) , utilisée comme pesticide à usage agricole.

Elle a fait l'objet de 55 formulations commerciales à des dosages très variés (de 0,125 % pour les pièges à fourmis, à 5 % pour la lutte contre le charançon du bananier, à 50 % pour le contrôle du cricket de Floride et à 90 % pour la lutte contre les doryphores).

Si on se réfère au rapport publié en novembre 2006 par le comité des polluants organiques persistants du Programme des Nations Unies pour l'Environnement, ces différentes formulations ont été utilisées sur un spectre large (lutte contre le doryphore et les vers taupins de la pomme de terre, le mildiou, la tavelure du pommier et les ravageurs du tabac et des agrumes, sans que cette liste soit limitative).

Mais, dès juillet 1975, la fabrication de l'usine de Hopewell a été interrompue car des défaillances graves avaient été constatées dans le dispositif d'hygiène et de sécurité de la chaîne de production.

Ces défaillances avaient donné lieu à une pollution importante des abords immédiats de l'usine et au constat d'effets toxiques aigus sur les ouvriers et sur les personnes habitant à proximité.

Les études faites à cette occasion 7 ( * ) ont mis en évidence un ensemble de symptômes regroupés sous la dénomination de « syndrome du Képone » qui se caractérise par des atteintes neurologiques (tremblement des membres, incoordination motrice, troubles de l'humeur et de la mémoire récente, mouvement anarchique des globes oculaires) et testiculaires (modification de certaines caractéristiques spermatiques).

La sévérité de ce tableau clinique a été étroitement corrélée à la concentration de la chlordécone dans le plasma des intéressés, ce qui a permis d'établir un seuil minimal associé à la présence de ces symptômes de 1 mg par litre de plasma et, à l'opposé un seuil associé à une absence d'effets indésirables observés compris entre 0,2 et 0,5 mg par litre. (Cf. l'article publié par Luc Multigner dans la revue de l'INSERM « Environnement, risques et santé » de novembre-décembre 2007).

Ce premier constat des dérèglements sanitaires dus à des émissions incontrôlées de chlordécone permet d'avancer deux observations :

- d'une part, les doses délétères observées en Virginie demeurent très supérieures à celles que l'on a pu déceler aux Antilles,

- et, d'autre part, les études effectuées en Virginie n'ont porté que sur des expositions aiguës et que sur les manifestations cliniques du « syndrome du Képone », excluant ainsi toute épidémiologie sur les effets des expositions chroniques aux produits ou sur toute autre manifestation clinique, comme les tumeurs cancérigènes ou les risques liés à la grossesse ou à l'allaitement.

Le bilan des effets sanitaires de ces dysfonctionnements de production a abouti, en 1976, à l'interdiction de la fabrication et de la commercialisation du Képone par les autorités fédérales américaines .

* 6 Elle a aussi été employée comme constituant du mirex, lui-même utilisé pour la lutte domestique contre les fourmis (GC-1283) et surtout comme produit retardant contre les incendies (Dechlorame ®).

* 7 L'US Environmental Protection Agency (Agence de protection de l'environnement du gouvernement fédéral américain) a publié, en janvier 2008, une revue complète de ces études.

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