L'ÉTUDE DU CAS ACOMPLIA : LEÇONS ET PERSPECTIVES
PIERRE ROSENZWEIG - VICE-PRÉSIDENT « MÉDECINE INTERNE, DÉVELOPPEMENT CLINIQUE » SANOFI AVENTIS R&D
Pierre ROSENZWEIG
Merci Monsieur le Président, Mesdames Messieurs. Je vais vous parler de l'étude du cas Acomplia que j'appellerai dans ma présentation rimonabant, qui est le nom de la molécule active, pour en tirer quelques leçons et perspectives. Avant de vous présenter les quelques résultats-clés du dossier du rimonabant, je vais, en guise d'introduction et assez rapidement, vous indiquer dans quel contexte médical et réglementaire on développe les médicaments de l'obésité.
Le premier point de vue sera celui du patient, de la personne obèse. Si vous regardez le tableau de droite, vous verrez l'étude par laquelle nous avons demandé à des personnes pesant 99 kilos en moyenne, des patients obèses, de quantifier et de qualifier quels seraient les résultats d'un traitement médicamenteux de l'obésité. Le rêve, c'est 61 kilos, soit une perte de 38 kilos, 36 %. Un résultat heureux est un résultat de 68 kilos. 74 kilos, ce qui représente une réduction de 25 %, est qualifié d'un résultat acceptable. Enfin, 82 kilos, soit une perte de 17 % est qualifié de décevant. Il faudra bien avoir ces résultats en tête lorsque je vous présenterai les résultats du rimonabant. Je crois que c'est quelque chose de très important pour les praticiens qui traitent les patients obèses, en consultation, parce que dans la réalité un amaigrissement de 5 à 10 % du poids est déjà un résultat satisfaisant, en tout cas au plan médical. Nous y reviendrons. Il y a donc un important fossé entre les attentes, les espérances des patients quand ils s'adressent aux médicaments en tout cas, et le résultat que l'on peut leur fournir. La frustration des échecs peut encourager également à l'utilisation de produits non enregistrés comme des médicaments. Nous n'en parlons pas aujourd'hui, mais nous sommes informés dans la presse car l'utilisation de certains de ces produits n'est pas dépourvue de dangerosité, parfois fatale. Enfin, la chirurgie, nous en avons parlé un peu dans l'intervention précédente, mérite également toute une présentation que je ne ferai pas bien sûr. Elle est de plus en plus utilisée, de mieux en mieux tolérée, mais elle n'est cependant pas dépourvue de complications.
Face à ces espérances des patients, quel est le point de vue médical et réglementaire des agences qui autorisent la commercialisation des médicaments ? Il y a consensus pour dire qu'une perte de poids de 5 à 10 % qui serait durable, le mot durable est très important ici, est un objectif réaliste et médicalement significatif. Cette perte de 5 à 10 % a un impact positif sur les facteurs de risques cardiovasculaires, le professeur Oppert et d'autres intervenants y ont fait allusion. Le risque de diabète avec cette perte de poids est réduit de 50 % lorsque l'on arrive à maintenir cette perte de 10 %. Cela a été montré tout à fait scientifiquement. Notre président nous a parlé également de l'amélioration de l'arthrose, et les rhumatologues savent que leurs patients obèses peuvent connaître leur poids à un ou deux kilos près, suivant leur état de souffrance au niveau de leur arthrose. Bien entendu, l'hypertension artérielle, la dyslipidémie, l'apnée du sommeil dont nous n'avons pas parlé, voilà des conditions qui sont significativement améliorées - il y vraiment de très nombreuses publications - par une perte qui peut apparaître au premier abord comme modeste ou modérée. Toutes les échelles de qualité de vie confirment cela. Les personnes qui souffrent d'obésité, même avec une perte de 5 à 10 %, ont une amélioration significative de leur qualité de vie.
La troisième diapositive d'introduction concerne la place du médicament. Nous avons parlé de l'activité physique et du régime, la base. Il y a bien entendu la modification de l'environnement obèsogène, mais restons sur le plan médical. Quand l'IMC est supérieur à 27, le traitement médicamenteux peut être prescrit en complément du régime et de l'activité physique. Pour donner un chiffre, un IMC de 27 correspond à 83 kilos pour une personne comme moi d'1 mètre 75. En cas d'hypertension ou de diabète, si je pèse plus de 83 kilos et que mon régime ne me satisfait pas, mon médecin a le droit de me prescrire un médicament. Si je n'ai pas d'hypertension, de diabète ou de co-morbidité, un IMC de 30, c'est-à-dire 92 kilos en ce qui me concerne, me qualifiera pour avoir accès au médicament. Passons maintenant au rimonabant.
Il y a 45 ans que nous avons découvert le principe actif du cannabis, le Delta 9 THC. Mais il a fallu attendre 1994, c'est-à-dire il y a 15 ans, pour que le rimonabant soit découvert. Il s'agissait du premier antagoniste des récepteurs cannabinoïdes. Cette diapositive est très simplifiée. Le rimonabant a un mécanisme d'action dual. Nous avons parlé tout à l'heure très éloquemment des rapports entre le cerveau et le système digestif. Le rimonabant a une action centrale, diminution de la faim et plus généralement de l'envie de nourriture, mais il a également une activité périphérique notamment au niveau du tissu adipeux et du foie, ainsi que dans d'autres tissus. Cette activité contribue, avec cette diminution de stockage des graisses et la diminution de la prise de nourriture, non seulement à la perte de poids, mais à des effets métaboliques que nous allons revoir tout de suite. Quels furent les résultats ? Vous avez ici une étude chez 3 000 patients qui a duré un an. Tous ces patients ont reçu un régime et un conseil d'activité physique mensuellement. Après quatre semaines de conseil et une perte de deux kilos, ils ont été tirés au sort et randomisés dans ce que l'on appelle une étude à double aveugle, c'est-à-dire lorsque ni le patient ni le médecin ne connaissent le traitement reçu. Les patients ont reçu soit vingt milligrammes de rimonabant, soit du placebo, représenté sur le graphique par la ligne bleu. Après un an de traitement, les patients sous rimonabant vingt milligrammes avaient perdu plus de huit kilos en moyenne, les patients sous placebo deux kilos.
Une autre façon d'exprimer ces résultats est présentée sur la droite, avec des seuils de perte de poids de plus de 5 % et de plus de 10 %. Pour les patients ayant eu une perte de plus 5 %, vous voyez que 20 % des patients sous placebo avaient atteint cette perte, et près de 50 %, plus du double, pour le rimonabant. Pour le seuil de 10 % de perte de poids, plus exigeant mais qui reste modéré, seuls 8 % des patients sous placebo l'ont atteint. Vous voyez de nouveau ce que je vous ai présenté dans ma première diapositive, la différence entre les espérances des patients, où une perte de 17 % du poids était considérée comme une déception. Ici, moins d'un patient sur dix a atteint 10 % de perte du poids. Il est important de comprendre cela en termes de frustration. Le rimonabant permettait de tripler le nombre de patients ayant atteint la perte de 10 %.
Comme nous l'avons dit plusieurs fois et il faut le répéter, perdre du poids est une chose, mais maintenir la perte de poids est essentiel. Dans cette deuxième étude qui cette fois s'est passée sur deux ans, les patients ont été de nouveaux tirés au sort entre les patients sous placebo et les patients sous rimonabant. Au bout d'un an les patients sous rimonabant étaient à nouveau tirés au sort. La moitié a continué le rimonabant alors que l'autre moitié est passée sous placebo, sans le savoir et sans que leur médecin ne le sache. Comme vous le voyez, après le passage sous placebo et un an de traitement sous rimonabant, les patients sous placebo ont progressivement regagné du poids pour rejoindre ceux qui avaient reçu uniquement du placebo pendant deux ans. Autrement dit, l'obésité réapparaît lorsque l'on arrête le traitement. En médecine, si l'on arrête un traitement anti-hypertenseur, la maladie hypertensive réapparaît C'est ce que l'on voit le plus souvent pour ce type de maladie.
Je vous ai dit un mot des effets métaboliques dans le mécanisme d'action, nous allons voir rapidement ce qu'il en est. Sous rimonabant, la courbe orange, on voit une augmentation significative du HDL cholestérol, le bon cholestérol, qui atteint 25 % contre 10 % pour le groupe sous placebo, qui avait tout de même perdu du poids ; et une diminution des triglycérides également significative par rapport au placebo. En ce qui concerne le diabète, comme vous le voyez dans cette étude chez 119 patients diabétiques, 30 % des patients sous placebo, qui avaient un régime et un conseil, ont atteint une normalisation de leur hémoglobine AAC, c'est-à-dire un très bon équilibre de leur diabète. 30 % sous placebo et 65 % sous rimonabant, donc un effet métabolique tout à fait significatif. A côté de ces effets désirés et attendus, il y a eu des effets indésirables. Les plus importants furent les problèmes de dépression. Si l'on regarde tous les troubles de l'humeur et tous les symptômes dépressifs, on voit qu'ils ont représenté 4,5 % des patients sous placebo contre 8,4 % des patients sous rimonabant. A l'intérieur de cet ensemble, les dépressions caractérisées, 1,7 % sous placebo contre 3,9 % sous rimonabant. Nous pouvons regarder ces chiffres de multiples façons. Nous pouvons dire que passer de quatre à huit, cela est 4 % en plus, ou de 1 à 3,9, 2 % en plus. On peut dire également que globalement, les chiffres sont doubles sous rimonabant comparés au placebo
Que s'est-il passé ? En juin 2006, nous avons été approuvés en Europe, notamment en France et partout. Sanofi-Aventis a insisté sur l'importance de traiter les patients obèses et diabétiques ainsi que la population où l'effet bénéfique était maximum. Ceci a reçu notamment l'avis favorable de la commission de transparence avec un remboursement dans cette population particulièrement à risque. Néanmoins, en juin 2007, le comité consultatif de la Food and Drug administration a voté négativement. Nous avons eu ensuite plusieurs auditions à l'Agence Européenne du Médicament, et nous n'avons malheureusement pas convaincu que le rapport bénéfice/risque du rimonabant restait positif. En octobre 2008 nous avons été suspendus et le médicament a donc été retiré dans le monde entier.
Abordons maintenant la question de la situation de la recherche et du développement dans l'industrie en ce qui concerne les médicaments de l'obésité. Nous regardons ce que font nos collègues, concurrents, nos amis et nos partenaires. J'ai donc demandé à notre service de veille scientifique de me procurer un tableau sur l'état des recherches en cours. Vous allez voir que certaines pistes de recherche ont déjà été évoquées. Nous pouvons les classer arbitrairement en quatre types. Il y a des recherches en ce qui concerne un effet périphérique pur. Un médicament est ici déjà enregistré, c'est l'orlistat, il y a même maintenant une version OTC, over the canters, c'est-à-dire une version en vente sans ordonnance, ayant reçu une autorisation par l'agence européenne, qui correspond à la demi-dose du médicament vendu sous ordonnance. Il y a des successeurs pour cet effet purement périphérique. Il y a de la recherche très active sur un effet central. Il existe un médicament, le subitramine, qui est sur le marché en France, mais beaucoup d'autres vont venir. Il y a les effets métaboliques dont Madame Romon a parlé, on retrouve ici des GLP1. Enfin des combinaisons de produits connus, ceci est une boîte qui me pose plus de questionnements puisqu'il s'agit de combinaisons de produits qui ont déjà des inconvénients, donc je ne sais pas très bien ce que cela va donner. Cependant, vous pouvez noter que l'échec du rimonabant a sonné le glas de cette piste qui semblait pourtant prometteuse des antagonistes CB1, puisque toutes les sociétés ou presque - il en reste quelques-unes en stade pré-clinique - mais les majeures ont arrêté les recherches dans ce domaine.
En conclusion, le traitement pharmacologique de l'obésité représente je pense un besoin médical non satisfait. Il y a deux molécules dans les pharmacies pour traiter l'obésité. Il y en a des dizaines, littéralement, pour traiter les conséquences de l'obésité, l'hypertension, le diabète. Mais seulement deux molécules pour traiter l'obésité et le diabète depuis le retrait du rimonabant. Et rien de nouveau depuis dix ans, cela était visible sur le tableau précédent, 1998 pour la probation de la sibutramine. Ainsi rien de nouveau depuis dix ans, donc le retrait du rimonabant, et seulement deux molécules.
Pourquoi ? Le développement des médicaments dans l'obésité, et j'en ai fait pendant dix ans, est une oeuvre de longue haleine. C'est très difficile, je vous l'ai montré, il faut des études de plus de deux ans et des populations très larges pour bien cerner la sécurité d'emploi des médicaments. Il y a des échecs, nous avons vu le retrait du rimonabant, il y avait eu avant l'affaire « Fen-Phen » aux Etats-Unis, avec les problèmes des valves cardiaques et l'histoire de la dexfenfluramine .
Nous pouvons nous demander comment l'industrie va aider les patients, car il faut vraiment continuer à chercher, il y a un besoin absolument évident. Il y a certainement une piste pour des médicaments à faibles risques, Madame Romon en a parlé un peu. Est-ce que ces médicaments n'auront pas une efficacité limitée, nous le verrons. Elle en a parlé aussi, il y a certainement les médicaments visant les complications de l'obésité comme le diabète, les GLP1, par lesquels on vise d'abord le diabète et secondairement l'obésité. Enfin, je pense qu'un certain nombre de ces médicaments devront avoir démontré un bénéfice de morbidité significatif, notamment de morbidité cardiovasculaire, ce que malheureusement le rimonabant n'a pas eu le temps de faire, puisque les études ont dû être interrompues avec le retrait du médicament. Je pense que nous avons vraiment besoin de ce type de médicament pour l'obésité. Ce n'est bien sûr pas la première approche, qui est le régime et l'activité physique, mais les partenariats entre la recherche publique et l'industrie sont un point clé pour essayer de trouver des solutions pour nos patients.
Je vous remercie.
Jean-Claude ETIENNE
Merci, Monsieur Rosenzweig, pour cette histoire d'un médicament retiré. Un point rapide sur la place des projets sur l'obésité dans les différents programmes de l'ANR est prévu. Si Monsieur Matthieu Lévi-Strauss veut bien intervenir sur ce thème.