II. UNE SURVEILLANCE FINANCIÈRE EN « TROMPE L'oeIL » AUX EFFETS PERVERS
La focalisation de la supervision financière en Europe sur les États témoigne d'une vision où ceux-ci sont a priori plus dangereux pour la stabilité financière et macroéconomique que les agents privés.
Les risques systémiques occasionnés par les agents privés ont ainsi été sous-estimés dans l'édifice de la supervision financière en Europe.
Tandis que les risques macroéconomiques de la dette publique sont appréhendés au moyen d'instruments incomplets, il est légitime de se demander si la coexistence d'une surveillance relativement rigoureuse des dettes publiques et d'un certain laxisme dans le domaine de la supervision financière des agents privés n'a pas accru les risques financiers globaux en Europe .
A. LA DETTE PUBLIQUE BRUTE N'A QU'UNE FAIBLE SIGNIFICATION EN SOI
La dette publique au sens du PSC et donc celle dont il est question dans les débats de politique économique ne donne pas une image fidèle de la situation patrimoniale de l'État.
Il s'agit d'une dette brute et non d'une dette nette des actifs des administrations publiques .
Or, pour apprécier la soutenabilité d'une dette quelle qu'elle soit, il faut à tout le moins déduire de cette dette les actifs disponibles qu'elle peut avoir financé.
Au demeurant, pour l'État, le diagnostic est plus complexe. Il lui appartient, et c'est l'essence même de la justification de son intervention, de financer des transferts et des biens et services qui ne lui bénéficient pas. Ce faisant, une partie majoritaire de ses emplois de fonds profite aux agents privés. La comptabilité publique et la Comptabilité nationale ne retracent pas correctement ces opérations qui n'ont pas de contrepartie au bilan de l'État. Il serait pourtant judicieux de valoriser les actifs incorporels créés par les dépenses publiques afin de mieux appréhender la situation d'endettement des administrations publiques.
Plus largement, alors que l'augmentation du potentiel de croissance des États européens dépend étroitement du financement des biens publics que sont l'éducation, les infrastructures, l'innovation..., il convient de réserver la possibilité de financer ces investissements par l'emprunt public.
Il reste qu'une augmentation tendancielle du poids de la dette publique dans le PIB peut être considérée comme un indicateur défavorable si l'on peut vérifier qu'elle s'explique par une inefficacité économique des emplois financés. On peut alors considérer a priori que les emprunts publics ont un rendement économique insuffisant.
Encore faut-il vérifier cette suspicion légitime. Et, sous cet angle, la seule considération de la progression du ratio dette publique/PIB ne suffit pas :
- la croissance peut être freinée par des déséquilibres économique persistants ;
- le rendement des emplois financés par la dette publique peut être retardé.
Tel est, par exemple, le cas par nature des investissements dans le capital humain (éducation, formation) ou l'innovation (recherche).
Le problème de la surveillance financière en Europe est que ces considérations économiques ne font que commencer à être prises en compte . Ainsi, ce n'est que depuis peu d'années que les rapports annuels sur la situation des finances publiques en Europe comportent quelques considérations sur la qualité des finances publiques.
De même, ces approches n'ont été intégrées aux règles du PSC qu'après sa réforme de 2005.
Par ailleurs, elles ne sont pas dotées du même statut que les critères comptables, n'étant envisagés que comme des éléments d'appréciation parmi d'autres . Or, le devenir de la croissance en Europe dépend étroitement de sa capacité à financer les investissements évoqués ci-dessus (la formation, l'éducation, la recherche fondamentale...) qui relèvent, à peu près partout dans le monde, de financements publics.
Ainsi, étant donné les relations entre la croissance économique, le bien-être des populations et la soutenabilité des dettes de l'ensemble des agents, une surveillance exclusivement comptable des dettes publiques présente des risques macroéconomiques et financiers élevés.
Il est donc essentiel que la surveillance financière des États soit assise sur un cadre d'analyse rénové tenant compte de la rentabilité économique et sociale des dépenses publiques.