2. Contrôler et sanctionner
L'évaluation du contrôle des pêches par l'État n'était pas dans le mandat de votre rapporteur mais cette thématique s'est révélée incontournable. Il faut l'aborder succinctement.
D'une part, comme cela a déjà été évoqué, l'action contre la France de la Commission européenne a bien été à l'origine d'une prise de conscience. Celle-ci continue de se diffuser. Elle a conduit notre pays à reconnaître ses dépassements de quotas en matière de pêche au thon rouge et à la décision d'imposer, pour cette pêche des quotas individuels.
D'autre part, ce sont les pêcheurs eux-mêmes qui l'appellent de leurs voeux . Votre rapporteur a pu constater qu'ils étaient les premiers, en privé, à dénoncer tous les comportements interdits ou nuisibles à la ressource dont ils sont témoins en mer de la part de collègues peu scrupuleux. Car si la solidarité empêche les dénonciations, beaucoup sont conscients des dérives et du danger que cela fait peser sur la pérennité de leur profession. Ceux qui respectent les règles se sentent lésés par rapport à des confrères qui ne les respectent pas et qui ne sont pas sanctionnés.
De plus, même s'ils souhaitent en général plus d'autonomie dans la gestion des pêcheries, vantant les mérites d'une gestion locale proche des réalités de la mer, ils sont parfaitement conscients que le contrôle et les sanctions relèvent avant tout de l'autorité publique et qu'il leur sera d'autant plus facile de s'autodiscipliner que le contrôle sera ferme et la sanction juste et égale pour tous .
Enfin, il faut noter qu'une telle attitude est indispensable pour assurer une certaine crédibilité locale et internationale . Votre rapporteur ne se fera ici que l'écho du désarroi de chercheurs qui relèvent combien les observateurs étrangers peuvent être surpris et choqués devant certaines pratiques françaises de laisser faire.
3. La lutte contre la piraterie
Directement liée aux responsabilités de l'État en matière de pêche est la question de la lutte contre la piraterie.
Le sérieux nécessaire de la gestion des pêches et la discipline demandée aux pêcheurs ne peuvent réussir, être compris et partagés que si une telle politique s'inscrit dans un cadre cohérent de bout en bout .
Or, partout dans le monde, de bonne foi ou de mauvaise foi, la pêche illégale, non déclarée et non réglementée est dénoncée comme le fléau et la cause de nombreux maux. En Méditerranée notamment, en raison de l'absence de zones économiques exclusives, et pour la pêche au thon rouge en particulier, la piraterie est une puissante incitation à maintenir un comportement de « passager clandestin ». Pourquoi faire des efforts alors qu'ils profiteront au pirate par ailleurs souvent bien connu et identifié ?
Les États ne sont pourtant pas démunis même si un contrôle à 100 % est impossible.
Il leur est tout d'abord possible d'interdire leur zone économique exclusive aux pêcheurs pirates. En France, l'exemple le plus probant est celui de la pêche à la légine dans les terres australes.
La pêche dans les terres australes La principale ressource des TAAF (5 M € environ) est l'organisation durable des pêcheries à la légine sur Crozet et Kerguelen (6 000 t environ) et à la langouste sur Saint-Paul et Amsterdam (400 t environ). La seule pêche à la légine représente un chiffre d'affaires de l'ordre de 30 millions d'euros. Elle est organisée dans une zone économique exclusive (ZEE) de près de 1,8 million de km², soit trois fois la surface du territoire métropolitain. Le préfet a compétence pour fixer le total admissible de capture (TAC) et attribuer les quotas. Des scientifiques, notamment du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) et du laboratoire de Chizé interviennent comme conseillers scientifiques, que ce soit pour l'évaluation des stocks, la définition des méthodes de pêche et la réduction des prises accidentelles d'espèces protégées. Face à une pêche illicite très importante - sans doute le double du quota autorisé - à partir de 1996, le Gouvernement a décidé de mobiliser des moyens militaires de la Marine nationale. C'est le préfet de La Réunion qui a autorité en matière d'action de l'État en mer dans la zone sud de l'océan Indien. Il a autorité générale de police administrative en mer et est responsable du respect des lois, de la sauvegarde des droits souverains, du maintien de l'ordre public et de la sécurité des personnes et des biens. Le commandement maritime de La Réunion lui apporte son concours dans ces missions. Pour la surveillance des pêches, la Marine mobilise trois bâtiments, les frégates Nivôse et Floréal et le patrouilleur Albatros, pour un total de 250 jours de présence en mer dans la ZEE. Un patrouilleur supplémentaire, l'Osiris, est financé par les TAAF et le Conseil régional. Ce navire avait été arraisonné et confisqué en 2003 par la Marine, sur les 23 arraisonnés depuis 1997. L'efficacité opérationnelle de la Marine a été fortement renforcée par la mise en place, en février 2004, d'une surveillance satellitaire. Le satellite Radarsat permet de prendre des clichés depuis l'espace où il est possible de dénombrer les navires présents, d'identifier les navires pêchant illicitement, de les localiser et d'intervenir rapidement. Si la pêche illégale a beaucoup diminué dans notre zone, elle s'est déplacée vers les eaux internationales en marge de celle-ci. Ce succès ouvre désormais la voie à des coopérations internationales avec les pays qui rencontrent les mêmes difficultés : l'Afrique du Sud (île Marion), l'Australie (île Heard et îles McDonald) avec laquelle un accord a été signé le 23 novembre 2003. Cette coopération est un vrai succès puisqu'elle permet aux deux pays de planifier conjointement leur action, les bâtiments français peuvent même patrouiller dans les eaux australiennes. Un accord similaire devrait voir le jour avec l'Afrique du Sud. Cette mission est menée avec efficacité pour le plus grand profit des armateurs réunionnais et de l'emploi local avec 45 millions d'euros de chiffre d'affaires et 250 emplois à temps plein. Six armements, soit huit bateaux, sont autorisés à pêcher. Les exportations de la grande pêche australe sont devenues les deuxièmes plus importantes à partir de l'île de La Réunion. La pêche illégale a eu aussi un fort impact sur la faune. Les oiseaux ont beaucoup souffert de la pêche à la palangre car ils venaient manger les appâts sur les hameçons lors de leur mise à l'eau et coulaient ensuite avec. Il a donc fallu imposer la mise à l'eau des lignes uniquement la nuit. Malheureusement, certaines espèces, comme les pétrels à menton blanc, pêchent la nuit et sont donc toujours victimes de cette technique. D'autres solutions sont donc à trouver. Dans le cas des orques, la situation est très inquiétante. Très intelligentes, elles ont compris qu'elles pouvaient s'alimenter sur les lignes des pêcheurs à la légine lorsqu'ils les remontent à la surface, ne laissant que la tête accrochée à l'hameçon et provoquant des pertes très importantes (+ de 30 %). Dès lors, les pêcheurs peu scrupuleux éliminent-ils les orques. Des bateaux pirates ont même été arraisonnés avec de la dynamite à bord à cet effet ! Cette pratique est bien évidemment interdite sur les bateaux pêchant légalement dans notre ZEE. Mais, sur Crozet, où toute la population d'orques avait été identifiée et suivie lors de campagnes successives depuis 1964 grâce à la photographie de leur nageoire dorsale qui, par ses encoches et cicatrices, leur sert de carte d'identité, une chute brutale a été constatée. En 1988-1989, il y avait 93 individus, mais seulement 43 en 1998-2000. De même, entre 1981 et 1990, neuf jeunes avaient été observés contre seulement un seul entre 1991 et 2000. La population est gravement déstabilisée et la réduction du nombre des femelles fait craindre sa disparition. Source : Rapport du sénateur Christian Gaudin sur la recherche en milieu polaire, OPECST, 2007. |
Ainsi, des moyens adaptés de surveillance - contrôle satellitaire - et d'intervention, y compris militaires, permettent d'avoir raison de la pêche pirate dans les zones les plus reculées de nos ZEE. Il n'y a guère de raison que des dispositifs identiques ne permettent pas un contrôle plus étroit des pêcheries .
A cet égard, au Pérou, la société française CLS est chargée par le gouvernement d'effectuer la surveillance par satellite des navires de pêche . Même si cela demande une pédagogie permanente et une capacité sans faille à contrôler et sanctionner les fraudeurs, il est possible d'avoir une vision très complète de l'activité de la flotte de pêche et d'utiliser ces données à des fins de recherche. Ces dispositifs sont contraires à la culture des pêcheurs car celle-ci est marquée par le secret des « bons coins ». Ils sont donc peu disposés à accepter ce « mouchard » ou cette « boîte noire » à leur bord. D'ailleurs, toutes les possibilités techniques n'en sont pas exploitées pour éviter les conflits avec la profession, mais c'est un dispositif incontournable d'un contrôle moderne de l'effort de pêche, d'identification des navires et donc de lutte contre la piraterie .
Ces dispositifs de contrôle satellitaire ont tendance à se généraliser pour toutes les pêches aux grands migrateurs comme la pêche aux thonidés. Les Comores viennent récemment de s'en équiper pour suivre l'activité des senneurs et palangriers européens dans leurs eaux ainsi que celle de leurs propres navires.
En outre, dans les TAAF comme dans de nombreuses autres zones de pêche, ce ne sont pas des armateurs originaires d'États défaillants qui pratiquent la pêche illégale mais ceux de pays développés notamment européens ou asiatiques .
A l'autre bout de la chaîne, il est indispensable d' empêcher les produits pirates d'accéder aux marchés . Là aussi, une fermeture complète est impossible, à moins de procéder à l'identification ADN de chaque filet de poisson. Mais agir efficacement n'est pas aussi difficile que cela si un contrôle réel des débarquements est effectué et si les principaux marchés se ferment à une pêche que l'on sait illicite. Le thon rouge est évidemment le cas le plus connu et le plus caractéristique par la disproportion des quotas officiellement autorisés et des mises sur le marché. Mais c'est aussi le cas d'autres stocks comme la légine par le passé.
Ainsi, la mission de l'État doit être réaffirmée et cohérente :
- promotion active d'une pêche durable qui signifie aussi bien pérennité d'une pêche économiquement rentable que de stocks halieutiques en bon état,
- prise en charge sans défaillance de la mission de contrôle et de sanction,
- lutte active contre la pêche pirate y compris par les nationaux.