D. DES POUVOIRS PUBLICS QUI EXERCENT LEURS PRÉROGATIVES
Au niveau international, la création et l'extension des zones économiques exclusives depuis la seconde guerre mondiale a transféré aux États côtiers la responsabilité de 90 % du potentiel halieutique mondial. Seuls les grands migrateurs océaniques échappent à la législation des États. Le piratage dans les eaux internationales et les quelques États défaillants ne peut exonérer les États de leurs propres responsabilités dans la gestion des pêches d'autant que les pays qui les gèrent le mieux ne sont pas forcément les plus riches et les plus développés.
De son enquête, votre rapporteur retire la conviction que les difficultés rencontrées en France et en Europe viennent en grande partie de pouvoirs publics qui n'ont pas exercé leur autorité par faiblesse ou par complicité . La situation présente appelle un positionnement plus clair du ministère de l'agriculture, un exercice plus ferme de l'autorité et une lutte efficace contre la piraterie.
1. Ministère des pêcheurs ou ministère des poissons ? Conjuguer social et durable
Le ministère de l'agriculture et de la pêche est aujourd'hui à un tournant , c'est le sentiment de plusieurs de ses cadres et de plusieurs observateurs.
Si les choses devaient être présentées de manière simpliste, on pourrait écrire que le ministre de la pêche doit choisir entre être le ministre des pêcheurs ou le ministre des poissons. Cette alternative manichéenne est bien évidemment une fausse alternative, car il n'y a pas de pêcheurs sans poissons. Mais elle signifie quelque chose de profond.
Les ministres chargés de la pêche ont jusqu'à présent considéré dans une large majorité que leur rôle était avant tout social . Il consistait à prendre en charge politiquement une population - les pêcheurs - à la réputation remuante, protestataire voire agressive. De ce fait, leur succès pouvait être jugé à l'aune d'une satisfaction sociale, et surtout vis-à-vis du Premier ministre ou du Président de la République, à la mesure de leur capacité à éviter le blocage des ports et autres manifestations violentes. La vision à long terme de la profession et la gestion des ressources halieutiques passaient au second plan. L'important était d'obtenir de bons quotas à Bruxelles, de couvrir une fraude connue et d'apporter à la profession les dégrèvements fiscaux et subventions qu'elle souhaitait sur financements français ou européens. En matière de pêche, les autorités publiques avaient pour habitude de ne pas porter plainte contre les dégradations liées à des actions violentes, de contrôler mollement et de beaucoup fermer les yeux... Éviter les vagues était une consigne d'autant mieux suivie localement qu'on la savait appliquée au plus haut niveau.
Cette attitude n'allait pas sans un paternalisme assez prononcé et parfois encore présent. Ainsi, plusieurs interlocuteurs ont indiqué à votre rapporteur que l'administration maritime avait pour mission « d'encadrer » la profession. L'administrateur maritime du quartier serait en quelque sorte « le père » des pêcheurs, ceux-ci s'en remettant à lui et à leurs épouses pour toutes les questions financières et administratives.
Ce scénario bien rodé aurait pu se poursuivre si quelques grains de sable n'étaient pas venus le perturber.
Ils sont d'abord venus de la profession elle-même qui s'est alarmée d'avoir pour interlocuteurs un nombre croissant de responsables politiques et administratifs, y compris dans les régions côtières, qui considèrent qu'il convient de cogérer avec les pêcheurs et d'accompagner socialement le déclin inéluctable de leur profession. Nombreux sont également ceux qui se sont finalement alarmés d'être représentés par les plus radicaux au risque de se couper de l'opinion
Ils sont venus ensuite de la Commission européenne qui, en mettant en cause la France dans sa mission de contrôle des pêches et en obtenant de la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) une amende et une astreinte importante, a contraint à une prise de conscience et à un changement de pratique. La Commission exerce également une pression indispensable en matière de restructuration et de respect des quotas.
Ils sont également venus de la « société civile », ONG, opinion publique, grandes surfaces qui ont informé ou réagi par rapport à la crise des pêcheries.
Enfin, il serait injuste de le mésestimer, s'est fait jour au sein du ministère une vision différente de sa mission compte tenu du nouveau contexte.
Cette nouvelle vision n'est pas encore unanimement partagée mais elle est sans doute devenue majoritaire.
Elle repose sur l'idée que les pêcheries doivent désormais être gérées « sérieusement », c'est-à-dire que les critères scientifiques de gestion, le respect des TAC et quotas, des tailles minimales, des techniques autorisées doivent désormais s'imposer à tous, dans l'intérêt des pêcheurs, et que l'État a le devoir de les faire respecter.
Plus largement, cela veut dire que, s'il faut toujours accompagner la profession, l'avenir des pêcheurs ne peut plus s'envisager sans prendre en considération l'avenir de la ressource et l'anticipation des évolutions économiques .
Débattre de la possibilité de sortir la pêche des subventions et de l'envisager comme activité économique rentable et durable par elle-même n'est plus tabou . A titre d'exemple, le rapport Poséidon déclarait : « Le haut niveau d'aides publiques pour ce `petit' secteur conduit naturellement à s'interroger sur la pertinence de le maintenir : plus de 800 millions d'euros en intégrant les soutiens sociaux, plus si l'on intègre les aides conjoncturelles liées à la hausse du gazole à comparer au 1,1 milliard de chiffre d'affaires à la première vente en 2004 ». Aucun secteur économique ne peut dépendre à ce point des aides publiques dans le long terme. La pêche doit inévitablement retrouver le chemin d'un développement économique autonome des aides d'État.