DEUXIÈME PARTIE : UNE ÉCONOMIE ÉMERGENTE AUJOURD'HUI PORTÉE PAR LE TOURISME
I. UNE ÉCONOMIE « ÉMERGENTE » AU CoeUR DE L'EUROPE, MARCHÉ POTENTIEL POUR NOS ENTREPRISES
A. UN PAYS QUI ÉMERGE AU NIVEAU RÉGIONAL
1. Une situation macro-économique enviable par rapport aux voisins régionaux
La situation macro-économique de la Croatie est plutôt bonne : l'inflation est contenue autour de 2,9 % et la croissance est assez soutenue . En 2007, le PIB a augmenté d'environ 6 % et atteint 37,1 milliards d'euros soit 53,5 % de la moyenne communautaire 24 ( * ) . Le PIB par habitant a même dépassé les 8.300 euros , un chiffre largement supérieur à ceux de la Bulgarie (3.800), Roumanie (5.500) et proche de la Pologne (9.500). Dans la région la Croatie se détache avec une économie qui fait figure de dynamique. Le PIB par habitant n'atteint ainsi que 4.000 euros en Serbie et 3.000 euros en Macédoine. La Croatie se situe donc à mi-chemin entre ses voisins du Sud et ses riches voisins du Nord comme la Slovénie qui affiche un PIB par habitant de 16.400 euros. La population croate représente moins de 1 % de celle de l'Union européenne et son PIB 0,3 % de celui des vingt sept Etats membres.
S'agissant des finances publiques, le déficit budgétaire a poursuivit sa décrue 25 ( * ) pour atteindre 2,3 % en 2007, rendant l'objectif de l'équilibre en 2011 atteignable.
La Croatie a une économie largement centrée sur le secteur des services qui représente 62,6 % du PIB . Il s'agit sans aucun doute du point fort de l'économie croate, avec au premier rang le secteur du tourisme qui représente à lui seul plus de 20 % du PIB en 2007 . L'économie est portée dans une moindre mesure par d'autres secteurs d'activités : l'industrie (23,5 % du PIB), la construction (6,8 %) et l'agriculture (7,1 %). Le pays a conservé les deux premières agglomérations industrielles portuaires de l'ancienne Yougoslavie : Rijeka et Split (chantiers navals). Cette activité industrielle et l'importance des infrastructures touristiques de la côte dalmate ont largement contribué à faire de la Croatie une des plus riches républiques de l'ex-Yougoslavie .
La Croatie a toutefois connu une chute importante de son activité économique au début des années 1990 . Le processus de transition d'un système d'économie planifiée vers une économie de marché, initié dès la fin des années 1980, s'est en effet heurté à la désindustrialisation et aux dommages dus à la guerre d'indépendance. Depuis 1996 le pays s'est engagé dans un vaste programme de reconstruction , la moitié du parc immobilier détruit pendant les conflits ayant ainsi été rebâti. Des vagues de privatisations ont été opérées avec succès malgré les irrégularités financières mises au jour. Depuis la fin de la guerre le pays a connu une croissance économique assez rapide, avec un PIB en augmentation de 6 % par an en moyenne et une inflation 26 ( * ) inférieure à 4 % . Aujourd'hui, la Croatie mise beaucoup sur son entrée dans l'Union européenne pour assurer la convergence de son économie avec celle des Etats membres 27 ( * ) . Comme le soulignait auprès de votre délégation M. Slobodan Mikac, directeur de l'agence pour les investissements, l'intégration aura, comme cela fût le cas pour les autres pays entrant dans l'Union européenne, un effet positif en termes d'investissements.
A cet égard, votre délégation a aussi pu constater, lors de ses entretiens, que les responsables politiques entendaient diffuser l'image d'un pays stable qui garantit une sécurité pour les investisseurs. Elle relève également, qu'à de nombreuses reprises, ses interlocuteurs ont souligné que l'intégration dans l'Union européenne favoriserait le renforcement de la sécurité juridique 28 ( * ) .
2. Des faiblesses structurelles à corriger pour assainir la croissance
La situation actuelle de la balance commerciale 29 ( * ) croate constitue une faiblesse importante, caractéristique d'un pays en transition . Les échanges extérieurs sont en effet fortement déséquilibrés, le taux de couverture des importations n'étant que de 50 %. Les deux tiers des échanges, réalisés avec l'Union européenne, sont déficitaires. La dépendance gazière à l'égard de la Russie demeure forte puisqu'elle représente 64 % de l'approvisionnement du pays. Le commerce régional est en revanche bien excédentaire et l'accord de libre échange régional (CEFTA 30 ( * ) ) conclu en 2006 est un atout.
Les revenus générés par l'industrie du tourisme (balance des services) ne suffisent pas à compenser le déficit commercial , si bien que le déficit des paiements courants atteint 6,8 % du PNB. Le niveau de la dette externe est élevé atteignant 32,9 milliards d'euros soit 87,8 % du PIB en 2007 . La consommation privée est le moteur de la croissance mais le chômage reste un problème économique important malgré sa diminution pour atteindre, en 2007, 12 % de la population.
Les autorités croates sont conscientes de ces faiblesses structurelles. C'est pourquoi elles ont engagé, notamment dans le cadre des négociations d'adhésion à l'Union européenne, des réformes dans la santé publique, le système bancaire ou encore le dispositif budgétaire. Votre délégation s'est néanmoins interrogée à de nombreuses reprises sur les facteurs de dynamisation de l'économie croate . Au terme de ces entretiens, votre délégation a acquis la conviction que le pays devait encore réaliser des efforts dans plusieurs directions.
Tout d'abord il convient de favoriser la consolidation de l'Etat de droit, ce qui passe par une réforme de la justice, une transparence accrue des procédures ou encore la lutte contre la corruption. Votre délégation est convaincue que la sécurisation de l'environnement des affaires constitue le levier le plus précieux pour assurer le développement économique du pays . A l'heure actuelle les investisseurs étrangers n'ont pas totalement confiance dans le système juridique croate. La corruption ainsi que les difficultés pour tenir un cadastre fiable handicapent lourdement les investissements. L'intégration dans l'Union européenne est de ce point de vue envisagée comme une opportunité pour réformer l'Etat et le système judiciaire.
Ensuite, l'adoption d'une loi sur les partenariats public-privé (PPP) doit être encouragée. Il s'agit d'un défi majeur pour les années à venir. En effet, le pays est confronté à des besoins d'investissements très lourds dans le domaine de l'environnement notamment (assainissement, traitement des ordures...) et les collectivités publiques ne seront pas en mesure d'assurer seules le coût de ces investissements. Plus largement, les besoins en infrastructures , même si celles-ci apparaissent relativement performantes par rapports aux Etats de la région, restent importants . Après la première phase qui s'est concentrée sur le réseau autoroutier, d'autres chantiers attendent le pays : le rail, les eaux et le traitement des déchets.
Les réformes dans les secteurs non compétitifs doivent également être engagées rapidement . Le tourisme ne pouvant suffire, les chantiers navals qui représentent 18.000 emplois directs, et d'autres activités industrielles comme la sidérurgie, sont voués à de sévères restructurations. Le mouvement de privatisation doit se poursuivre en toute transparence dans les aciéries et les chantiers navals . Citons à cet égard l'exemple d'une privatisation réussie dans le domaine du tourisme : le groupe franco-luxembourgeois « ORCO » qui a officiellement signé en 2005 une convention avec le Fonds croate de privatisation pour la mise en place d'un partenariat public-privé afin d'acquérir le complexe hôtelier Suncani Hvar. Aucune entreprise française n'avait participé aux privatisations avant ORCO . Le complexe de Suncani Hvar comprend neuf hôtels et dispose d'un camping et de deux restaurants indépendants. Il emploie désormais 500 personnes encadrées par quatre ressortissants français. Durant la privatisation, la société s'est engagée au maintien des emplois et au recrutement de 150 salariés avec la mise en place d'un plan de formation et d'un intéressement aux bénéfices. Le montant total des investissements prévus à l'horizon 2010 s'élève à environ 130 millions d'euros.
Enfin, une attention particulière doit être apportée à la législation concernant les travailleurs étrangers . Comme le soulignait auprès des responsables croates M. François Saint-Paul, ambassadeur de France en Croatie, la législation sur les travailleurs étrangers empêche aujourd'hui de nombreux cadres de s'installer en Croatie en raison des difficultés à opérer un regroupement familial 31 ( * ) .
B. UNE PRÉSENCE ÉCONOMIQUE FRANÇAISE À CONSOLIDER
1. Les investissements français s'étoffent et se diversifient
Le marché croate constitue une véritable opportunité économique pour les entreprises françaises de même qu'il constitue une porte d'entrée privilégiée vers les autres marchés de l'ex-Yougoslavie . Et pourtant, bien qu'en progression, nos échanges commerciaux avec la Croatie restent modestes. Les échanges franco-croates représentent 556 millions d'euros en 2007 selon les douanes françaises, et la France ne représente que 3,3 % du commerce extérieur croate 32 ( * ) .
Au demeurant, votre délégation observe que la France se place au quatrième rang des investisseurs avec 7,8 % des investissements directs à l'étranger (IDE) derrière l'Autriche (26,2 %), les Pays-Bas (16,8 %), l'Allemagne (14,6 %) mais devant le Luxembourg (6,7 %), la Hongrie (6,2 %) et l'Italie (5,7 %). Elle note avec satisfaction le rachat en juin 2006 de la Splitska Banka (9 % du marché bancaire croate) par la Société générale, pour un montant d'un milliard d'euros. Elle se félicite également des investissements français réalisés ces derniers mois, comme le rachat de Dukat (transformation du lait, 2.000 emplois), par Lactali s pour un montant de 274 millions d'euros. En 2007, les nouvelles arrivées sur le marché croate ont été celles de Cardif (groupe BNP-Paribas), Eurovia (concepteur de route) et Colas (construction de route) qui ont racheté des sociétés locales de travaux routiers. De son coté, Bricostore (bricolage) a ouvert son deuxième magasin à Pula. Fin octobre 2007, Alphacan, filiale du groupe Arkema, a annoncé l'acquisition de la société croate Prozor, spécialisée dans la commercialisation de profilés et d'accessoires de menuiserie en PVC.
Ainsi, les investissements des entreprises françaises recouvrent aujourd'hui des secteurs industriels très divers : Bouygues (autoroutes), Alstom (infrastructures), Lesaffre (agro-alimentaire), Saint Jean Industrie (équipementier automobile) et Epis Centre (agro-industriel). De nombreuses entreprises sont présentes sous forme de partenariats classiques, de sous-traitance ou à travers des filiales et des bureaux de représentation comme Renault, Peugeot, Citroën, l'Oréal, Essilor, Servier, Danone, Transroute, Publicis, ALD automobile, SANEF.
Au cours de son entretien avec des membres de la communauté d'affaires françaises à Zagreb, votre délégation a pu relever que les filiales françaises présentes en Croatie étaient pour la plupart très satisfaites du développement de leurs affaires . Et pour cause, la Croatie dispose d'atouts : sa population dont le niveau d'éducation est satisfaisant 33 ( * ) , l'absence de saut culturel à faire, le pays étant par tradition européen et les importantes communautés expatriées qui constituent un contact direct avec les pays d'installation. Au total, le consommateur croate connaît et apprécie les produits français, comme cela a été indiqué à votre délégation à de nombreuses reprises.
En tout état de cause, votre délégation tient à souligner que l'ensemble des personnes auditionnées plaide pour un renforcement de la présence française en Croatie . Elle regrette aussi que les exportations françaises à destination de la Croatie ne représentent que 0,12 % du total des exportations françaises, la France n'étant que le septième fournisseur, dépassée par la Chine en 2007. Il convient de souligner que l'offre française reste encore très faible sur certains créneaux comme le textile, la chaussure, la maroquinerie, la décoration ou les arts de la table. Les responsables politiques et les acteurs économiques locaux sont très attentifs au développement des investissements français et espèrent que l'entrée dans l'Union européenne consolidera ceux-ci.
2. Des perspectives de grands contrats pour les entreprises françaises
Les perspectives de grands contrats publics pour les entreprises françaises sont relativement modestes en raison d'une certaine imperméabilité du secteur public aux entreprises et capitaux étrangers, tandis que le programme de privatisations connaît des retards. Le développement des partenariats public-privé dans le secteur des infrastructures et de l'environnement offre en revanche de réelles opportunités aux entreprises françaises . Deux groupes du BTP opèrent aujourd'hui sur des infrastructures en concession : Bouygues pour l'autoroute istrienne entre Rijeka et Pula et Egis pour les péages de l'autoroute Zagreb-Maribor.
Dans les prochaines années, le développement des infrastructures et des équipements collectifs (eaux et assainissement) va connaître une forte impulsion en grande partie liée aux financements de l'Union européenne . A cet égard, les projets d'incinérateurs de déchets qui devraient être installés à Zagreb et dans le sud du pays, ainsi que les décharges contrôlées qui doivent être financées par l'instrument communautaire d'aide à la pré-adhésion (IPA) dans les 21 provinces sont susceptibles d'intéresser Suez et Veolia. Selon les informations recueillies auprès de la mission économique de Zagreb par votre délégation, les deux groupes tentent également de vendre auprès des municipalités la solution juridique de la délégation de service public en matière de traitement des eaux usées.
D'autres projets d'envergure intéressant nos entreprises sont également en cours de négociation , notamment dans les secteurs de l'agro-alimentaire, du tourisme, du transport aérien, des transports en commun, des autoroutes, des banques et du gaz. Dans le domaine de l'énergie, GDF serait candidat pour investir dans le futur réseau de distribution de gaz desservant la côte adriatique, et Total est un des partenaires clé du projet de construction et de gestion du terminal gazier de l'île de Krk. On notera aussi la réouverture de la réflexion sur la construction d'une centrale nucléaire susceptible d'intéresser le groupe français Areva. Votre délégation souligne qu'il s'agit là d'une piste intéressante et, de l'aveu même des autorités croates 34 ( * ) , une opportunité à exploiter puisqu'un grand projet de ce type aurait des effets structurants positifs en termes d'emplois ou de réduction du coût de l'énergie.
Dans le domaine aéronautique, Croatia Airlines est en négociation avancée pour l'achat de quatre A319/320 neufs pour remplacer une partie de sa flotte d'Airbus.
Enfin, et c'est sur ce dernier point que votre délégation souhaite apporter un éclairage particulier, le développement du tourisme en Croatie représente un marché en pleine expansion . Cet essor devrait naturellement bénéficier d'une attention particulière de nos entreprises eu égard aux retombées multiples que le tourisme est en mesure de générer pour de nombreux secteurs d'activité : agences de voyages, transport aérien, hôtellerie et restauration, construction et BTP. On estime ainsi à plus de 200 millions d'euros la dépense globale annuelle des touristes français, soit les deux-tiers de notre excédent commercial de l'année 35 ( * ) .
* 24 Source : Eurostat.
* 25 4,7 % en 2004, 4,2 % en 2005, 3 % en 2006.
* 26 3,2 % en 2006, 2,9 % en 2007.
* 27 Dans le secteur bancaire par exemple, M. Pierre Boursot, directeur de la Splitska Banca à Split soulignait auprès de votre délégation que la Croatie constituait aujourd'hui un marché bien développé proche des standards européens notamment en matière de produits d'épargne ou de moyens de paiement dans les transactions courantes.
* 28 Votre délégation s'est vu confirmer par exemple que le groupe de grande distribution alimentaire Leclerc avait renoncé à s'implanter en Croatie en raison de difficultés rencontrées dans l'accession à la propriété de terrains.
* 29 Le déficit commercial représente 26,4 % du PIB en 2007 contre 24,5 % en 2006.
* 30 « Central European Free Trade Agreement » est un accord de libre échange conclu entre l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Macédoine, la Moldavie, le Monténégro, la Serbie et le Kosovo.
* 31 Les amendements à la loi sur le séjour des étrangers, en cours d'adoption, en allégeant les procédures, notamment de regroupement familial, vont dans le bon sens.
* 32 Les échanges sont dominés par les exportations de voitures et les autres biens d'équipement (machines-outils et électriques), les bateaux de plaisance et les produits cosmétiques et pharmaceutiques.
* 33 La Croatie compte 4,4 millions d'habitants. Le quart de sa population active a reçu une formation supérieure et 49 % de la population parle anglais. Chaque année environ 5.000 étudiants s'inscrivent à des programmes de formations postuniversitaires et 300 obtiennent un doctorat. Selon un sondage effectué par la Banque mondiale en 2005, plus de 92 % des entreprises installées en Croatie sont satisfaites des compétences de leur personnel.
* 34 Votre délégation s'est vu confirmer par le Premier ministre l'ouverture prochaine d'une réflexion sur une éventuelle coopération nucléaire avec la France.
* 35 L'excédent français était de 305 millions d'euros en 2007.