C. LES OPÉRATIONS EXTÉRIEURES DE L'UNION EUROPÉENNE
La mission de l'Union européenne EUFOR Tchad/RCA
S'inscrivant dans le cadre défini par la résolution 1778 (2007) du Conseil de sécurité des Nations unies, la mission EUFOR Tchad/République Centrafricaine, lancée par le Conseil le 28 janvier dernier, a vocation à contenir les tensions régionales liées à la crise militaire et humanitaire que traverse la région du Darfour. Elle vient compléter l'opération hybride de l'Union africaine et de l'ONU au Darfour (MINUAD) destinée à protéger les civils en danger.
Une telle mission n'est pas sans enjeux quant à la crédibilité de la politique européenne de sécurité et de défense de l'Union européenne. En effet, comme l'a souligné dans sa présentation le rapporteur du texte, M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC), la mise en oeuvre de cette opération a révélé un certain nombre de difficultés tant dans la prise de décision politique en amont que dans l'organisation, sur place, d'une chaîne de commandement efficace :
« C'est le 28 janvier dernier que le Conseil de l'Union européenne a lancé l'opération EUFOR dans l'est du Tchad et dans le nord-est de la République Centrafricaine. Conformément au mandat figurant dans la résolution 1778 du 25 septembre 2007 des Nations unies, cette opération est la cinquième opération militaire conduite dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense, après Concordia, Artémis, Althea et EUFOR RD Congo, ainsi que la plus importante en termes d'effectifs. C'est surtout la plus multinationale des missions jamais envoyées en Afrique par l'Union européenne, avec 14 États membres présents sur le terrain, 18 sur le terrain et 22 au quartier général opérationnel situé au Mont Valérien.
Chacun mesure aujourd'hui l'importance des enjeux de cette mission EUFOR Tchad/RCA destinée à assurer la stabilisation de la région et à permettre, d'une part, à la MINUAD de se déployer rapidement et, d'autre part, à l'aide humanitaire d'accéder aux civils en danger. Ces éléments sont nécessaires pour trouver une solution permanente à la crise dans la région.
Au-delà, il s'agit également d'un test de crédibilité pour l'Union européenne et sa politique européenne de sécurité et de défense. L'EUFOR Tchad/RCA se déroule sans l'assistance de moyens militaires de l'OTAN. L'Union européenne devra prouver son aptitude à soutenir les autres organisations internationales sur place et à effectuer une gestion de crise efficace et rapide, dans un environnement hostile et très instable, avec une force composée de troupes de 14 États membres.
Cette opération se caractérise par ses enjeux stratégiques et politiques. En effet, l'ONU estime que la violence au Darfour a provoqué la mort d'au moins 200 000 personnes et le déplacement de deux millions de réfugiés depuis le début des affrontements entre les troupes gouvernementales et leurs alliés - notamment les milices Janjawids connues pour leur violence - et des mouvements armés régionaux.
Afin de mieux comprendre le degré de difficulté de l'opération, il est nécessaire de bien mesurer non seulement les enjeux du conflit dans cette région du Darfour, mais aussi les caractéristiques particulières du terrain. Comme l'a rappelé le général de corps d'armée irlandais Patrick Nash, qui en assure le commandement, « c'est une mission complexe dans un environnement difficile, avec une situation de sécurité volatile, un terrain hostile au niveau climatique et un défi logistique énorme ».
Le Darfour est une région extrêmement aride et pauvre à l'ouest du Soudan, à proximité de la frontière tchadienne et centrafricaine. Depuis de nombreuses années, la région connaît une certaine instabilité due à un conflit entre la population nomade arabe et les fermiers des communautés fur, massaleet et zagawa.
L'instabilité et l'insécurité dans la région se sont accentuées en 2003 après une série d'attaques par des groupes rebelles africains contre des installations gouvernementales soudanaises, sous le prétexte que le gouvernement soudanais menait une politique pro-arabe de répression contre les Africains.
Les représailles contre la population africaine locale ont été très violentes. Le gouvernement soudanais soutient ouvertement un certain nombre de milices « d'autodéfense ». Une milice pro-arabe, en particulier, les Janjawids, a participé aux massacres et aux viols systématiques des villageois des populations africaines locales, instaurant un climat de terreur et provoquant le déplacement de près de deux millions de réfugiés. Le régime de Khartoum dément toute affiliation avec les Janjawids, mais il a récemment commencé à incorporer les éléments de cette milice dans les forces militaires et de sécurité nationales.
La situation, chacun le sait, est aggravée par le nombre important de réfugiés dans la région. 241 000 réfugiés soudanais sont installés dans l'est du Tchad, 3 000 autres le sont dans la région de Birao, au nord de la République centrafricaine. De plus, 179 000 Tchadiens et 200 000 Centrafricains sont des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays.
Le conflit au Darfour a créé un climat d'insécurité qui s'est propagé au Tchad et à la République centrafricaine, notamment à cause de l'importance des flux de populations réfugiées. De plus, un conflit interne, au Tchad, entre rebelles et troupes gouvernementales, ainsi que la présence de milices criminelles armées, fragilisent la situation en engendrant d'autres flux de réfugiés.
La pénurie en eau dans une région aussi aride et le manque criant de nourriture ne font qu'exacerber et aggraver les problèmes, la situation géographique ne permettant qu'un accès restreint aux organisations humanitaires. Celles-ci, soutenues par l'ONU, ont pourtant besoin que la situation soit stabilisée afin d'opérer de manière optimale.
La mise en place de l'EUFOR Tchad/RCA s'inscrit dans le cadre d'un ensemble de mesures visant à renforcer l'engagement de l'Union européenne en soutien d'une solution à la crise du Darfour. Ainsi, afin de protéger les civils en danger, l'ONU et l'Union africaine ont déjà lancé l'opération hybride Union Africaine/ONU au Darfour, la MINUAD. Cette opération civilo-militaire, qui sera composée à terme de 20 000 soldats et de 6 000 policiers a intégré et repris le commandement de la mission de l'Union africaine au Soudan - AMIS - lancée depuis 2004. L'ONU a également lancé la mission des Nations unies en République centrafricaine et au Tchad, le MINURCAT.
L'EUFOR, la MINUAD et la MINURCAT devront également coordonner leurs efforts avec trois autres opérations de paix en place dans la région : la mission des Nations unies au Soudan (MINUS), la Force multinationale en Centrafrique (FOMUC) coordonnée par la Communauté économique et monétaire des États de l'Afrique centrale (CEMEAC) et le Bureau des Nations unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine.
La mission EUFOR est destinée principalement à soutenir la présence multidimensionnelle des Nations Unies dans l'est du Tchad et dans le nord-est de la République centrafricaine et d'améliorer la sécurité dans ces régions afin de permettre la résolution des conflits et de donner aux organisations humanitaires une garantie de sécurité.
Les objectifs de l'opération EUFOR Tchad/RCA sont les suivants : contribuer à la protection des civils en danger, en particulier les réfugiés et les personnes déplacées ; faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire et la libre circulation des personnels humanitaires en contribuant à l'amélioration de la sécurité dans la zone d'opérations ; contribuer à la protection des activités, des personnels, des locaux et des installations des Nations unies.
C'est dans le cadre de l'apaisement de la situation dans la région que l'opération EUFOR Tchad/RCA a été déployée. Lorsqu'elle le sera pleinement, elle comptera environ 3 700 hommes. A la fin du mois d'avril, quelque 2 380 personnels étaient déjà déployés sur le théâtre d'opérations. Le déploiement de l'EUFOR dans cette région permettra à terme d'aider et de protéger des milliers de réfugiés fuyant les combats du Darfour et traversant les frontières tchadienne et centrafricaine.
La région du déploiement de l'EUFOR a été divisée en trois zones par le commandement EUFOR : la zone nord, la zone centrale et la zone sud. Chaque zone est sous la responsabilité d'un bataillon. La zone nord est sous la responsabilité d'un bataillon polonais, la zone centrale sous la responsabilité d'un bataillon français et la zone sud, comprenant également le nord-est de la République centrafricaine, est sous la responsabilité d'un bataillon irlandais. Un contingent français assure une présence à Birao au nord-est de la République centrafricaine.
A l'heure actuelle, nous suivons les déploiements au Tchad et en République centrafricaine. La capacité opérationnelle initiale n'y ayant été atteinte que tout récemment, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions de l'opération avant la poursuite de son déploiement en vue d'atteindre la capacité opérationnelle finale.
Il faudra toutefois prêter attention à quelques points.
En premier lieu, l'EUFOR ne doit être instrumentalisée ni par les rebelles et les forces soudanaises qui risquent de faire volontairement l'amalgame entre forces françaises et troupes de l'EUFOR, ni par le gouvernement tchadien qui pourrait se protéger derrière la barrière de l'EUFOR et aggraver la situation en persécutant les rebelles.
Ensuite, l'EUFOR doit veiller à bien marquer son indépendance vis-à-vis des troupes françaises, afin de ne pas tomber dans le piège du point précédent. De même, la population doit sentir la présence de l'EUFOR comme étant un élément positif de stabilité et de sécurité.
Il convient enfin de souligner l'importance pour les États de l'Union européenne de soutenir publiquement une telle opération qui constitue pour la politique européenne de sécurité et de défense un véritable test quant à sa capacité d'action. Par le passé, le succès de l'opération EUFOR RDC/Congo a permis à l'Union européenne d'accroître sa crédibilité internationale. Il faut poursuivre dans cette voie.
Mais nous pouvons déjà constater que les contacts au cours des premiers mois d'opérabilité avec la population locale se sont révélés positifs. L'opération est fortement soutenue par l'ONU. Le succès des opérations de l'ONU dans la région repose en grande partie sur la stabilité de la région frontalière entre le Tchad et le Soudan, et sur la protection des réfugiés et des déplacés.
Malgré quelques difficultés lors de la phase de génération de forces, 3 700 soldats plus des réserves devraient être suffisants pour s'assurer que l'objectif de l'EUFOR est atteint.
Le lancement de la mission a été applaudi, non seulement par l'ONU, mais également par les médias et la société civile, qui voient dans cette opération une responsabilisation des Européens face à la violence et aux conflits dans la région du Darfour. Cette mission s'inscrit dans la volonté générale d'encourager les organisations régionales à coopérer et à s'entraider. La présence de l'EUFOR représente non seulement un facteur de sécurité pour les civils, mais aussi pour tous les États de la région, ainsi que pour l'Union africaine qui se voit ainsi l'alliée de l'Union européenne. Le poids de la présence européenne tend à crédibiliser le rôle de l'Union africaine, qui doit mener à bien sa mission au Darfour avec l'aide de l'ONU.
Mes chers collègues, je souhaite appeler votre attention sur les grandes difficultés relatives à la mise sur pied des forces, en particulier le refus d'un certain nombre de pays d'y contribuer, ce qui a entraîné des délais importants ayant ralenti le processus de génération de forces et de déploiement sur le terrain. Le besoin de déploiement accéléré afin de stabiliser la situation le plus rapidement possible, a constitué un test du mécanisme de décisions politiques. On constate qu'il a fallu plus de six mois pour obtenir la décision de déploiement de cette opération militaire prise, enfin, le 28 janvier 2008 par l'Union européenne. En l'occurrence, le manque de flexibilité, la réticence de certains pays lors de négociations politiques nous ont rappelé la grande difficulté de décider sur la base de l'unanimité.
Mes chers collègues, la mission EUFOR Tchad/RCA s'intègre pleinement dans les efforts de l'ONU de trouver une issue à la crise du Darfour. La sécurisation de la zone des camps de réfugiés et la protection de l'aide humanitaire et des personnels des Nations unies sont les clés d'une résolution de la crise au Darfour.
Cette opération a montré que des difficultés importantes subsistaient au sein même de l'Union européenne. Il est donc nécessaire d'examiner la situation de manière globale et de définir clairement la politique étrangère et de sécurité commune concernant l'Afrique et le rôle que doit jouer l'Union européenne sur ce continent, en prenant particulièrement en compte les responsabilités historiques et les risques de conflits actuels.
Rappelons enfin que cette opération n'est pas sans risque. Comme vous le savez, le 4 mars dernier, un soldat français de l'EUFOR a trouvé la mort lors d'une mission de reconnaissance après avoir traversé la frontière soudanaise. Plus récemment, le 1 er mai, un ressortissant français travaillant pour l'ONG humanitaire Save Children a été sauvagement assassiné dans l'est du Tchad, à proximité de la frontière soudanaise, par un gang de coupeurs de routes.
Ces attaques soulignent que des risques demeurent dans la région malgré la présence de l'EUFOR ; elles ne font que renforcer l'importance d'une telle mission qui est un tour de force à la fois logistique et stratégique, d'une ampleur nouvelle pour l'Union européenne.
De plus, le 11 mai dernier, le Soudan a rompu ses relations diplomatiques avec le Tchad, l'accusant d'avoir soutenu une attaque de rebelles au Darfour contre Khartoum. Cela ne fait qu'envenimer la situation et rappelle la complexité du conflit.
Aussi, le projet de recommandation, qui est aujourd'hui soumis à notre vote, reprend les premières conclusions du rapport et réaffirme :
Tout d'abord, l'importance du rôle de la communauté internationale et de l'Union européenne, en particulier dans la protection des réfugiés et des personnes déplacées au Soudan, au Tchad et en République centrafricaine.
Ensuite, la nécessité de poursuivre les efforts aux niveaux national, européen et à l'échelle de l'OTAN, en vue de développer et de renforcer les capacités d'intervention et de soutien aux forces européennes, que ce soit dans les domaines de la déployabilité, de la mobilité, de la logistique, des systèmes d'armes, de l'interopérabilité et de la multinationalité.
De même, le besoin de formuler des propositions en vue d'une réforme rapide du mécanisme Athéna lié au financement des opérations militaires, à la gestion des crises par l'Union européenne, pour s'assurer d'une participation au moins financière de tous les États prenant la décision du lancement d'une opération.
Enfin, la nécessité de prendre les mesures pour que l'Union européenne dispose d'une capacité de planification et de commandement des opérations qui soit réellement permanente et réactive.
Vous le voyez, mesdames, messieurs, mes chers collègues, à cet égard, cette opération constitue un défi pour l'Union européenne. »
La question de la réforme du mécanisme de financement des opérations de gestion de crise, dit mécanisme Athéna, a été abordée lors des débats sur la recommandation. Le mécanisme ne couvre, dans le cas de la mission EUFOR Tchad / République Centrafricaine, pas le tiers des coûts (120 millions d'euros pour un montant global estimé à près d'un demi-milliard d'euros). L'essentiel des coûts demeure, en conséquence, à la charge des États membres. La recommandation, telle qu'adoptée, propose d'élargir la participation financière à tous les États membres prenant la décision du lancement d'une opération, quand bien même ils ne participeraient pas directement à la mission . Une telle réforme apparaît nécessaire au regard des risques que fait peser la structure actuelle en matière de réactivité, l'utilisation de deux canaux de financement contribuant à ralentir la mise en oeuvre des décisions. Une amélioration sensible du dispositif contribuerait grandement à l'avènement d'un véritable fonds commun pour le financement des opérations de l'Union européenne.
Créé le 23 février 2004 par la décision 2004/197/PESC, le mécanisme Athéna est destiné à gérer le financement des coûts communs des opérations de l'Union européenne en matière de sécurité et de défense. Ce dispositif répond aux difficultés de financement rencontrées lors des mises en oeuvre des opérations Concordia dans l'ex-République yougoslave de Macédoine et Artémis en République démocratique du Congo. Le Traité sur l'Union européenne prévoit le financement, par le budget de la PESC, des opérations civiles de gestion des crises. Les dépenses afférentes aux missions ayant des implications en matière de défense sont, quant à elles, à la charge des États membres. Les coûts communs (transport, casernement, quartier général), répartis en cinq catégories, sont alors financés dans le cadre du mécanisme Athéna. La répartition des coûts communs se fait selon la clé du PNB attribuée à chaque État (15,57 % pour la France contre 17,22 % pour le Royaume-Uni et 20,01 % pour l'Allemagne).
Le Comité spécial, chargé de gérer
le mécanisme, voit sa composition varier selon les sujets en discussion.
L'ensemble des États membres participent à ses réunions
lorsqu'y sont évoquées les affaires générales. Dans
le cas d'opérations précises, seuls les États membres
contributeurs disposent du droit de vote.
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Revenant sur les difficultés observées dans la chaîne de commandement, l'Assemblée s'est interrogée sur la mise en oeuvre du concept de nation-cadre, au regard, notamment, des difficultés soulevées par la rétractation suédoise au début de l'opération et les retards que celle-ci a induits. La recommandation préconise à cet effet une révision de la procédure de sélection actuelle. Le texte appelle également à la mise en oeuvre d'une capacité de planification et de commandement des opérations permanente et réactive. Les débats avec l'hémicycle ont néanmoins laissé ouverte la question de la forme censée incarner cette capacité, un centre unique pouvant s'avérer surdimensionné et in fine moins réactif que plusieurs petites cellules. Une telle organisation dépasserait le Centre d'opérations, non permanent, mis en place le 1 er janvier 2007.
Les observations de la commission politique et de son rapporteur soulignent la pertinence d'un suivi parlementaire de ce type d'opération. La capacité de proposition de l'Assemblée de sécurité et de défense européenne ne se borne pas, pour autant, à de simples modifications de l'ingénierie juridique en matière de PSDC. Elle peut également viser les objectifs mêmes de la mission à l'instar de la demande formulée par un de ses membres en faveur d'un plan d'action global pour les populations réfugiées une fois la mission EUFOR terminée.
Les chaînes de commandement des opérations de l'Union européenne
Les opérations militaires de gestion de crise conduites par l'Union européenne s'appuient sur une chaîne de commandement, comportant trois maillons :
• Un niveau stratégique/pré-décisionnel qu'incarne l'État-major de l'Union européenne (EMUE) , chargé d'évaluer les situations et d'alerter. Son intervention se situe en amont de la décision politique ;
• Un niveau militaire stratégique de planification et de conduite, au travers de l'État-major d'opérations (EMOPS/OHQ) . Celui-ci planifie les opérations, accompagne le déploiement des forces, prévoit la stratégie au plan militaire et coordonne le retour des troupes à l'issue de la mission. Il peut utiliser les structures du quartier général de l'OTAN en Europe (SHAPE) à Mons (Belgique) ou celles de cinq États membres, par ailleurs volontaires pour être éventuellement nation-cadre (Allemagne, France, Italie, Grèce et Royaume-Uni) ;
• A l'échelon local, l'État-major de la force (EM FOR/FHQ) conduit la mission sur le théâtre des opérations.
L'examen de la recommandation sur la mission EUFOR Tchad/République Centrafricaine a permis à l'Assemblée de formuler plusieurs remarques quant à l'organisation de la chaîne de commandement dans le cadre de cette opération (principe de nation-cadre à revoir, absence de centre permanent de planification). Le rapport d'information de la commission de défense, instruit de l'expérience tchadienne mais également des opérations menées en Bosnie-Herzégovine, en République démocratique du Congo et au Liban, permet, à cet égard, de cerner les principales difficultés que peut rencontrer, de manière générale, l'Union européenne dans sa conduite des opérations de gestion de crise.
La question du partenariat avec l'OTAN dans le cadre des accords Berlin plus n'est, en particulier, pas sans soulever quelques difficultés. Trois domaines sont visés par lesdits accords : l'accès de l'Union européenne à la planification de l'OTAN, les options de commandement européen de l'OTAN et le recours aux moyens et capacités collectifs de celle-ci. Leur application n'en est pas moins délicate, notamment en matière de chaîne de commandement, celle de l'OTAN devant être adaptée à ce type de collaboration. Cette modification induit de longues négociations peu en phase avec l'impératif de réactivité propre à ce type de mission. Par ailleurs, l'utilisation des locaux belges du SHAPE n'implique pas forcément une coopération plus étroite : le cas de l'opération Althea en Bosnie-Herzégovine est, à cet égard, significatif, l'État-major d'opérations de l'OTAN étant, pour partie, situé à Naples. Enfin, l'OTAN ne dispose ni d'instruments civils adéquats, ni du budget nécessaire au financement d'opérations de reconstruction/coopération. Il convient, en outre, de ne pas négliger l'assimilation OTAN-États-Unis dans certaines régions du monde, comme en témoigne l'expérience libanaise. Elle contraste avec la volonté d'autonomie en matière de PESD affichée par l'Union européenne.
Le principe de nation-cadre n'est pas, non plus, sans poser de difficultés. Les réserves soulevées à l'occasion de l'examen du rapport sur la mission EUFOR Tchad/RCA font écho à celles constatées à l'occasion de la mise en place de l'opération EUFOR en République démocratique du Congo. Les délais pour le choix de la nation-cadre, induits par le caractère politique de celui-ci, apparaissent contraires à l'exigence de rapidité liée aux situations de crise. Une fois la nation retenue, la coopération avec Bruxelles reste moins étroite qu'attendue au regard de l'éloignement entre les centres de décisions (Comité permanent de Sécurité et EMUE notamment) et l'État-major d'opérations situé dans la nation-cadre. Il convient également de ne pas mésestimer l'inexistence de continuité liée au changement d'État-major à chaque opération et l'absence de compétence de celui-ci en matière de gestion civile de la crise.
La distinction en trois maillons de la chaîne de commandement n'est pas, non plus, sans soulever quelques interrogations en matière d'efficacité. La commission de défense s'interroge à juste titre sur l'absence de capacité de planification opérationnelle au cours de la phase pré-décisionnelle , à la lumière des deux missions EUFOR. Elle appuie le projet de restructuration de l'EMUE présenté en janvier dernier par son directeur, le général Leakey. Celui-ci envisage d'augmenter le nombre d'officiers de l'EMUE de cinq « planificateurs ».
Un tel redéploiement de l'EMUE ne saurait occulter la nécessité de mettre en place un État-major d'opération permanent , intégrant notamment l'actuelle Cellule de planification civilo-militaire et installé dans les mêmes locaux que l'EMUE. La stabilité d'une telle organisation permettrait de tempérer les difficultés observées plus haut. La question du coût, souvent opposée à la création d'un tel État-major intégré, peut être évitée en repensant les logiques actuelles de mise à disposition des officiers. La mise en place de ce dispositif garantit de surcroît une certaine visibilité à l'action militaire de l'Union européenne, moins dépendante des structures atlantistes. Elle permettrait, enfin, le développement d'une culture stratégique commune à l'ensemble des États membres.