2. Préciser les finalités des formations professionnelles artistiques
a) Clarifier les objectifs des CEPI
Au cours de ses auditions, votre rapporteur a entendu les attentes des directeurs de conservatoire d'une clarification des finalités des cycles d'enseignement préprofessionnels (CEPI) et des « profils d'élèves » auxquels s'adressent ces formations. L'évolution naturelle de leurs établissements avait conduit certains directeurs à configurer des CEPI ; tel a été le cas, par exemple du conservatoire de Rouen.
Ces questions intéressent également les collectivités territoriales, et notamment les régions, puisqu'une conception plus ou moins large de ces cycles aurait un impact direct sur le niveau des financements nécessaires...
On relève en effet une certaine contradiction :
- d'un côté, les exigences du cursus, en termes de volume horaire notamment, font qu'il s'adresse - ou s'adressera - à un nombre limité de jeunes, particulièrement motivés ;
- de l'autre, l'éventail des enseignements dispensés, et donc des débouchés possibles, est plus large que dans le cadre du précédent 3 e cycle ; cela s'inscrit, d'ailleurs, dans une certaine tendance européenne d'ouverture et de diversification des formations artistiques préprofessionnelles.
Un professionnel a aussi relevé le rôle que pourrait jouer le CEPI en termes de formation continue, en particulier dans les régions disposant d'un nombre important d'enseignants peu diplômés.
L'ancien directeur de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles du ministère de la culture et de la communication a souligné, lors de son audition, que la clarification des objectifs du CEPI et le caractère sélectif des recrutements devaient conduire à y accueillir des effectifs restreints, inférieurs à ceux actuellement formés au sein des cursus conduisant au DEM, DET ou DEC. Le CEPI répondrait ainsi à un objectif de plus grande maîtrise des flux d'entrée dans ces formations préprofessionnelles.
Toutefois, la lecture des textes d'application, et notamment du document d'accompagnement au décret et aux arrêtés relatifs au CEPI, ne confirme pas clairement cette position : la notion d' « orientation » est mise en avant, celle-ci étant entendue de façon large puisque le CEPI aurait vocation à déboucher sur des études et carrières artistiques mais également « para-artistiques ».
Il apparaît donc nécessaire de clarifier les objectifs et la vocation des CEPI . Cela permettrait notamment d'afficher clairement les débouchés possibles pour les élèves inscrits dans ces formations. En effet, à travers le questionnaire adressé aux élèves du conservatoire de Lille 22 ( * ) , votre rapporteur a pu constater que ces derniers avaient le plus souvent une très faible connaissance des différentes opportunités offertes à l'issue de ce cycle. Ils sont demandeurs d'une meilleure information à cet égard.
Votre rapporteur relève que les expériences ou préfigurations de CEPI déjà lancées, cette année, à Lille ou Lyon notamment, seront des acquis à capitaliser pour mieux cerner les finalités et modalités concrètes de mise en oeuvre de ces formations.
Par ailleurs, l'exigence de transparence et de clarification des objectifs du CEPI répond également à un souci d'employabilité, au sens large, de ces diplômés.
Certains se sont inquiétés auprès de votre rapporteur du risque qu'il y aurait à former deux fois trop d'élèves dans le CEPI par rapport aux possibilités d'emploi. Il convient, en effet, de ne pas leurrer les jeunes sur la réalité des perspectives d'emploi. Une éventuelle multiplication par 3 ou 4 du nombre de CEPI ne risquerait-elle pas d'entraîner des désillusions individuelles, sans compter un coût collectif ?
Néanmoins, ainsi que l'ont évoqué un certain nombre des interlocuteurs rencontrés, on ne peut avoir une vision trop restrictive de la contribution d'une formation artistique dans la vie personnelle et professionnelle des jeunes concernés. Si tous n'en feront pas leur métier, les compétences et qualités développées au cours de cet enseignement exigeant pourront être mises à profit dans des domaines parfois connexes.
Les discussions sont vives à ce sujet et chaque point de vue emporte aussi des conséquences financières variables.
Afin de ne pas s'enfermer dans un débat qui peut devenir paralysant et pour en appréhender correctement les enjeux, votre rapporteur juge indispensable de mieux connaître le devenir des anciens élèves et d'améliorer la connaissance des perspectives d'insertion professionnelle des futurs diplômés.
b) Améliorer le suivi du devenir des élèves et la connaissance des débouchés
En effet, votre rapporteur a pu constater, au cours de ses travaux, l'absence d'études statistiques sur le devenir des élèves ayant obtenu un diplôme d'études musicales (DEM), chorégraphiques (DEC) ou théâtrales (DET), à leur sortie du conservatoire.
De même, il n'existe quasiment pas de données sur les perspectives d'insertion professionnelle à l'issue des formations artistiques.
Certes, ces dernières ne sauraient être pensées en termes d'adéquation stricte avec les besoins du marché de l'emploi, qui, dans ce domaine, ne peuvent être quantifiés : en effet, c'est souvent l'offre artistique qui est censée susciter, elle-même, sa propre demande.
Néanmoins, alors que la notion d' « orientation professionnelle » est réaffirmée avec la mise en place des CEPI et du diplôme national d'orientation professionnelle (DNOP), un éclairage sur les débouchés potentiels s'avère indispensable pour penser au mieux les contenus des formations et accompagner les élèves dans leur parcours d'orientation.
Ce suivi doit être conduit à la fois au niveau local - notamment au regard des compétences des régions en termes d'articulation emploiformation - et à l'échelle nationale.
(1) Au niveau local
L'inscription du schéma régional des CEPI au sein du PRDF offre une opportunité d'intégrer la préoccupation relative à l'employabilité des jeunes diplômés .
Les régions disposent pour cela d'outils d'observation qu'il serait utile de décliner au domaine des enseignements artistiques .
Certains ont fait valoir des difficultés spécifiques à ce secteur, citant par exemple l'absence de partenaires sociaux représentatifs.
Votre rapporteur suggère que les régions s'appuyent sur les groupes de travail des commissions régionales des professions du spectacle (COREPS), pour autant que celles-ci fonctionnent régulièrement. Ces commissions, auxquelles participent les partenaires sociaux ainsi que des représentants de toutes les collectivités territoriales ont considérablement développé leurs travaux ces dernières années et peuvent apporter leur expertise.
Dans ses orientations stratégiques, le conseil régional de Rhône-Alpes considère d'ailleurs cela comme indissociable des prérogatives confiées à la région par la loi du 13 août 2004 : il est souligné, en effet, qu' « en s'emparant de cette compétence nouvelle, la Région doit pouvoir se doter d'outils d'observation et d'évaluation qui lui permettront de piloter le schéma et de le faire évoluer » . En l'occurrence, cela s'inscrit dans un dispositif existant, le « Contrat d'Objectifs Emploi Formation pour le spectacle vivant et l'audiovisuel », signé en février 2007 entre la Région, l'Etat et les partenaires sociaux, dont l'un des objectifs est « la structuration de l'offre de formation en corrélation avec l'évolution de l'emploi » ; ce dispositif est piloté en lien avec les observatoires des Commissions Paritaires Nationales Emploi Formation des deux branches. Le volet de ce dispositif qui sera consacré au schéma régional des enseignements artistiques devra notamment faire apparaître les éléments suivants :
- origine des élèves inscrits en CEPI : origine géographique, études antérieures, origine sociale ;
- suivi du parcours des élèves titulaires du DNOP : entrée dans l'enseignement supérieur, insertion professionnelle, réorientation vers d'autres filières...
Suivant cet exemple, que l'on retrouve en Poitou-Charentes notamment, votre rapporteur suggère que l'ensemble des régions mettent en place de tels outils d'observation du parcours des élèves inscrits en CEPI, dans leur poursuite d'études et leur devenir professionnel , en lien, le cas échéant, avec les conservatoires et les établissements d'enseignement supérieur.
En tout état de cause, il serait souhaitable que le ministère s'assure de l'homogénéité des données recueillies.
A cette fin, votre rapporteur souhaite qu'il sensibilise les équipes dirigeantes et éducatives des établissements ainsi que les collectivités locales à cette nécessité et qu'il prenne des initiatives en la matière.
(2) Au niveau national
Comme certains interlocuteurs, et notamment les conseillers « enseignements artistiques » des conseils régionaux, ont relevé que l'échelon régional n'est pas toujours le plus pertinent pour analyser les débouchés, s'agissant notamment des « petites » régions.
Selon eux, le travail de suivi des élèves au niveau local doit donc se combiner à une approche nationale, voire européenne, des perspectives d'insertion professionnelle des diplômés des formations artistiques.
Cela suppose de développer une méthodologie adéquate.
Le rapport d'étape des « Entretiens de Valois », présenté en juin 2008, montre bien qu'un accord se dégage sur la nécessité d'améliorer l'observation du secteur du spectacle vivant. A été notamment évoqué à ce titre le fait de mettre en oeuvre un réel système d'information par l'adoption de référents (nomenclatures d'emploi ou d'activités répertoriées par la Nomenclature d'activités française (NAF)).
En outre, les travaux de l'Observatoire prospectif des métiers et des qualifications du spectacle vivant devraient être utilement exploités.
S'agissant du volet enseignement supérieur , le ministère de la culture et de la communication a engagé un travail de mise en place d'un meilleur suivi des diplômés des filières culturelles. Il élabore une enquête destinée à renseigner l'indicateur d'insertion professionnelle de façon homogène et partagée entre les différents secteurs.
Ceci suppose la constitution d'annuaires et le suivi des diplômés, sachant que la connaissance de l'insertion doit s'améliorer significativement non seulement quantitativement mais aussi du point de vue du périmètre des activités professionnelles exercées après l'obtention d'un diplôme.
Votre rapporteur attirera l'attention du ministère sur la nécessité de poursuivre ces travaux en coordination avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, afin d'assurer une cohérence dans leurs démarches respectives.
A cet égard, elle rappelle les préconisations récemment formulées par le groupe de travail commun aux commissions des affaires culturelles et des finances du Sénat sur la réforme du financement des universités 23 ( * ) : « confier au ministère ou à un organisme indépendant l'élaboration d'un cahier des charges commun à l'ensemble des universités (appel d'offre), afin que chaque université évalue l'insertion professionnelle selon les mêmes critères et méthodes. Cette homogénéité est nécessaire à la crédibilité de l'indicateur.
De telles enquêtes sont conditionnées à la possibilité pour les universités de maintenir les adresses électroniques attribuées à leurs diplômés et de développer suffisamment de services liés à ces adresses pour inciter ceux-ci à continuer à les utiliser. Car si leurs adresses électroniques personnelles peuvent être également employées, le suivi en cas de changement peut s'avérer lourd.
Il convient de préciser naturellement que, dans la mesure où seraient collectées des données à caractère personnel auprès des étudiants (identité, e mail, adresse...), cette enquête de cohorte devrait être soumise à l'application de la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978, modifiée en 2004. Un dossier de formalités préalables devrait donc être adressé à la CNIL. En outre, ainsi que les services de cette dernière l'ont précisé à votre groupe de travail, les droits des étudiants devraient être pris en compte : information, volontariat, respect du droit d'accès et de rectification, confidentialité des informations et anonymat des résultats.
S'il s'agit d'une enquête de cohorte nationale, elle pourrait être prise en charge par un organisme ou par un prestataire de services ad hoc. Les universités, après accord des étudiants, communiqueraient les coordonnées de ceux-ci à l'organisme pour gérer l'enquête. »
c) Assurer la continuité et la pertinence des parcours vers l'enseignement supérieur
Le fait que le diplôme délivré en fin de CEPI (le DNOP) ne conduise pas directement à une profession, impose d'autant plus que la réflexion sur les contenus des formations soit conduite en articulation avec le volet enseignement supérieur, afin d'assurer un continuum cohérent de l'ensemble du dispositif de formation.
A cet égard, il faut rappeler la longue absence de véritable structuration de l'enseignement artistique supérieur, qui explique la complexité du parcours de nombreux professionnels. Ainsi, dans le domaine musical, la porte d'accès étroite aux deux conservatoires nationaux supérieurs de musique (les CNSM de Paris et de Lyon) ne permet de former qu'un faible nombre de professionnels.
Les incertitudes qui continuent à peser sur la structuration de l'enseignement supérieur entretiennent l'inquiétude des jeunes et de leurs parents sur les finalités du DNOP, qui aura notamment pour fonction de permettre l'accès à un enseignement supérieur encore mal défini et dont la réorganisation est en cours.
Il semble qu'environ 10 pôles soient nécessaires sur l'ensemble du territoire. Votre rapporteur a souligné, dans la première partie du rapport, que de tels pôles avaient déjà été préconisés dans le cadre du Plan Landowski de 1967 en faveur du développement de l'enseignement musical ; or, ils n'avaient pas vus le jour.
Deux pôles de préfiguration ont été choisis à Boulogne-Billancourt et Paris. Toutefois, l'Union nationale et syndicale des directeurs de conservatoire dénonce « l'absence de transparence, d'appel d'offre et de cahier des charges précis » dans laquelle se déroulerait ce processus.
Par ailleurs, un certain nombre de collectivités se sont déjà investies dans ce domaine, notamment dans le cadre de partenariats avec l'université.
Sachant que toutes les attentes ne pourront être comblées, le ministère devra clarifier rapidement le paysage de l'enseignement supérieur artistique et informer les acteurs des critères retenus pour l'examen des dossiers.
Par ailleurs, le ministère de la culture et de la communication, en coordination avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, s'est fixé pour objectif d'inscrire les formations relevant de sa tutelle dans le schéma européen licence-master-doctorat (LMD) et de poursuivre l'inscription d'un nombre croissant de ses diplômes au Répertoire national de la certification professionnelle (RNCP).
En outre, votre commission souhaite qu'il s'assure d'une adéquation pertinente entre les perspectives d'emplois et le nombre de diplômés.
Cette analyse ne devrait certes pas être conduite dans l'idée de définir un numerus clausus mais elle devrait néanmoins permettre d'établir un rapport entre le contenu des formations proposées et les grandes évolutions de l'employabilité au sens large.
Les informations sont encore très lacunaires et un délai sera nécessaire pour combler ce vide, mais l'on dispose néanmoins d'ores et déjà d'un certain nombre d'études permettant une analyse prospective.
Ainsi, par exemple, le ministère évalue à 2 000 le nombre de musiciens jouant dans des orchestres permanents, à 30 000 ceux disposant du statut de l'intermittence et à environ 1 000 musiciens par an les besoins en matière de renouvellement.
* 22 Voir la synthèse des réponses en annexe.
* 23 Rapport n° 382 présentés par MM. Philippe Adnot et Jean-Léonce Dupont, rapporteurs, ainsi que MM. Christian Gaudin, Serge Lagauche, Gérard Longuet et Philippe Richert.