II. SECONDE TABLE RONDE : L'ACCEPTABILITÉ ET LA « REDEVABILITÉ » DES FONDS SOUVERAINS AUX ETATS-UNIS, EN EUROPE ET EN FRANCE

Participants :

- M. Pierre-Ignace Bernard, directeur associé McKinsey & Co ;

- M. Gilles Dard, président de Merrill Lynch France ;

- M. Pierre Delsaux, directeur libre-circulation des capitaux, droit des sociétés et gouvernement d'entreprise, Commission européenne ;

- M. Igor Noskov, conseiller financier, ambassade de Russie en France ;

- M. Olivier Prost, avocat associé, cabinet Gide Loyrette Nouel (Bruxelles).

La table ronde est animée par M. Jean Arthuis, président de la commission des finances du Sénat

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances du Sénat

Nous avons vu ce que représentent les fonds souverains, ce nouveau capitalisme d'Etat bien utile pour secourir les banques qui auraient pu, sans leur concours, périr de leurs propres turpitudes.

Ces fonds souverains cachent de bons clients pour le monde financier. Comment les rendre plus acceptables et plus responsables ? C'est à cette question que nous allons essayer de répondre maintenant dans le cadre de cette nouvelle table ronde.

Je donne la parole au premier intervenant, M. Pierre-Ignace Bernard, directeur associé au cabinet McKinsey & Co.

M. Pierre-Ignace Bernard, directeur associé McKinsey & Co

J'essaierai d'être bref dans mon intervention et de ne pas répéter des propos qui ont déjà été soulevés. Je souhaite, en premier lieu, apporter des éléments factuels sur l'activité effective des fonds souverains et indiquer quelle démarche devraient adopter les fonds souverains pour être plus acceptables.

Il convient d'abord de relativiser un peu l'importance du poids de ces fonds dans le système financier international. Selon les estimations actuelles, il s'établirait, de manière globale, entre 3.000 et 4.200 milliards de dollars. Toutefois, il est appelé à augmenter de plus en plus pour dépasser, dans quelques années, 12.000 milliards de dollars, une somme encore relativement modeste par rapport à d'autres classes d'actifs financiers internationales.

A ce jour, le poids des fonds de retraite (23,6 milliers de milliards de dollars) et du secteur de la gestion d'actifs (48,1 milliers de milliards de dollars) lui sont largement supérieurs ; d'où la nécessité de relativiser l'impact potentiel de ces fonds sur les marchés.

Cependant, si leurs stocks d'actifs sont plus faibles que ceux des autres marchés financiers, peut-être les volumes annuels de négociation qui les caractérisent sont-ils importants et, de fait, leur influence sur la fixation des prix des actifs et sur les marchés va-t-elle bien au-delà du poids relatif qu'ils représentent ? En réalité, il n'en est rien. Comme vous pouvez le constater sur le graphique, la proportion de l'activité de négociation des fonds souverains dans l'activité de négociation globale, qu'elle concerne le monde entier, les Etats-Unis ou l'Europe, est inférieure à 1 %. Elle est, en particulier, très faible dans les domaines des obligations et des actions. Ces pourcentages confirment que leur pouvoir d'influence est à relativiser.

Concernant leurs stratégies d'investissements effectives, nous observons qu'une partie significative de leurs investissements s'effectue au niveau domestique et par le biais d'obligations, par l'achat de bons du Trésor.

S'agissant de leurs placements en actions, nous avons distingué leurs investissements passifs et leurs investissements éventuellement actifs. Des fonds peuvent avoir, en effet, des participations en actions importantes, soit inactives, soit actives. C'est dans ce dernier cas qu'ils détiennent une capacité d'influence significative. Les zones bleues du graphique indiquent quels sont les montants cumulés, au niveau international, correspondant aux allocations d'actifs des fonds pour des investissements éventuellement actifs et significatifs en pourcentage du capital de l'entreprise. Selon les estimations, ces montants avoisineraient 200 milliards de dollars. Il s'agit d'une somme importante, mais relativement faible en vérité par rapport au montant de la capitalisation des entreprises à travers le monde, et qui nous amène à nous poser plusieurs questions : cette somme et le poids des fonds souverains sur les marchés financiers sont-ils appelés à croître ? Allons-nous assister à une montée en charge des opérations internationales au détriment de celles nationales, et des investissements actifs au détriment de ceux passifs ? A titre personnel, je n'en suis pas convaincu. En particulier, je ne crois pas que les fonds souverains s'orienteront vers des investissements de plus en plus actifs, car ceux-ci, souvent, ne se révèleront pas plus performants que des investissements passifs.

A l'instigation de la plupart des opérations de fusions-acquisitions depuis les marchés émergents vers les marchés développés se trouvent des fonds souverains. Ont été recensées dans le tableau les quinze principales opérations de fusions-acquisitions en provenance des fonds souverains, avec, en bleu, celles se caractérisant par une acquisition importante. Elles montrent que ces fonds souverains représentent des acteurs majeurs pour ce genre d'actions.

Si nous nous référons aux codes de bonne conduite imposés par les organisations internationales et notamment par le FMI, les pistes de solutions « minimalistes » pour permettre aux fonds souverains d'être plus acceptables relèvent de trois domaines. Elles conduisent tout d'abord à articuler les modes de gouvernance. Les fonds souverains sont adeptes de méthodes de fonctionnement très diverses. Certains d'entre eux ont fait l'effort de les rendre plus explicites, mais pas toujours plus transparentes. Nous souhaitons savoir quels principes régissent leurs relations avec les gouvernements dont ils dépendent et, en particulier, s'ils possèdent un conseil d'administration et, si oui, quels en sont ses membres et son poids politique.

Les fonds souverains doivent articuler aussi l'approche des décisions d'investissement et de la gestion des risques. Pour cela, font-ils appel à des documents écrits ou à des mécanismes ad hoc susceptibles d'évoluer au gré des choix politiques ?

Enfin quelles sont les règles de gouvernance interne assurant l'intégrité des décisions prises ? En d'autres termes, à partir du moment où il a défini sa politique d'investissement, l'équipe de management du fonds souverain a-t-elle les moyens réels et l'indépendance nécessaire pour mettre en oeuvre celle-ci ? Au-delà, nous pouvons même imaginer une demande du FMI d'évaluer les instances dirigeantes de ces fonds sur la base de seuls critères économiques.

Une autre piste de solutions concerne les procédures opérationnelles. Il s'agit de savoir ce qui est entrepris pour expliciter les politiques d'investissement de ces fonds souverains. Temasek et le fonds norvégien indiquent clairement dans quels secteurs ils souhaitent investir, les limites qu'ils s'y fixent et s'ils souhaitent ou non s'impliquer dans la gestion des sociétés dans lesquelles ils acquièrent des participations. Mais leurs cas constituent des exceptions. Peu de fonds souverains ont formalisé leurs modes de fonctionnement, notamment parce que le traitement des liquidités qu'ils reçoivent en masse des pays en forte croissance dont ils sont originaires ne leur en laisse pas le temps.

La troisième piste de solutions porte sur la transparence. Actuellement les fonds souverains communiquent de manière très différente sur leurs méthodes de fonctionnement. Or, il me semble nécessaire, pour les rendre plus acceptables, qu'ils éclairent les marchés au moins sur leurs stratégies et modes d'investissement, leurs procédures de prise de décisions, leur volonté d'être actifs ou passifs dans la conduite des sociétés où ils prennent position, la structure de leur gouvernance et le rôle des gouvernements auxquels ils sont rattachés dans leur conseil d'administration.

M. Jean Arthuis

Merci d'avoir relativisé la place et le poids des fonds souverains, et d'esquisser quelques mesures, que vous appelez minimalistes, pour minimiser les craintes que leur développement peut engendrer ici ou là.

La parole est maintenant à M. Gilles Dard, président de Merrill Lynch France .

M. Gilles Dard, président de Merrill Lynch France

Beaucoup de choses ont été dites. Il n'est pas nécessaire de revenir sur ce qui a été indiqué ce matin. Mon propos portera sur l'acceptabilité et la redevabilité des fonds souverains, ainsi que sur leur évolution, du point de vue de Merrill Lynch .

Le groupe que je préside en France a levé entre 12,7 et 12,8 milliards de dollars de capitaux entre décembre 2007 et janvier 2008 auprès d'investisseurs comme Temasek (4,4 milliards de dollars + 600 millions de dollars), Korean Investment Corporation (2 milliards de dollars) et Kuweit Investment Authority (2 milliards de dollars). La participation de ces fonds dans notre recapitalisation représente donc environ 9 milliards de dollars sur un total de 12 milliards de dollars, le solde manquant ayant été apporté par des fonds de pension et des fonds d'investissement. Il est intéressant de constater d'ailleurs que ces différents intervenants ont acheté les mêmes supports financiers, soit des actions préférentielles. La recapitalisation de notre groupe n'a pas conduit à établir une distinction entre les fonds souverains et les fonds de pension.

Notre président, John Thain, a dû réagir assez rapidement face à notre besoin en capitaux et il a trouvé, dans ces fonds souverains, des investisseurs capables de prendre de lourdes décisions rapidement. Six mois après leur introduction dans notre capital, ils demeurent des acteurs passifs, non représentés au sein de notre conseil d'administration, inscrivant leur investissement dans le long terme. Nous sommes très heureux de leur présence dans notre groupe, signe de la bonne santé de notre entreprise. Temasek n'aurait pas investi dans Merrill Lynch si ses dirigeants ne misaient pas sur la stabilité de notre banque. Ce fonds existe depuis 1974. Il se trouve au coeur de l'actualité depuis peu alors qu'il investit depuis longtemps. De son côté, Kuweit Investment Authority fonctionne depuis 1953.

M. Jean Arthuis

Les actions préférentielles font-elles l'objet d'une rémunération par taux d'intérêt pour l'instant ?

M. Gilles Dard

D'une rémunération par dividende, de l'ordre de 9 % à 11 %.

Il est évident que la relation entre Merrill Lynch et les fonds souverains qui sont entrés dans son capital sera bonne si l'investissement consentis par ces derniers est rentable. Dans le cas contraire, nous ne savons pas encore ce qui se passera. Il est difficile pour un fonds de souverain de perdre de l'argent en raison de mauvais investissements. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous ne devons pas nous inquiéter de leur présence. D'une façon ou d'une autre, ils sont redevables envers la collectivité qu'ils représentent. Ils ne peuvent pas se permettre de faire n'importe quoi. Par conséquent, leurs investissements non stratégiques ou non rentables seront forcément réduits. De plus, le montant de leurs opérations, très élevé - de l'ordre de 8 trillions de dollars en 2011 -, sera structurellement limité par les capitalisations boursières mondiales. Ils devront procéder à une allocation d'actifs classique, étant entendu que le marché américain constitue 40 % de la capitalisation boursière mondiale, contre 5 % pour le marché français et 8 % pour le marché anglais.

Par ailleurs, assez rapidement, après avoir constaté que beaucoup de monde s'intéresse aux pays dont ils proviennent et avoir accru leurs connaissances des marchés, ces fonds souverains seront amenés à investir de plus en plus sur leurs territoires d'origine et sur des classes d'actifs plus risqués. D'après nos évaluations, leurs placements risqués pourraient passer de 3 trillions de dollars - somme actuelle - à 6 trillions de dollars dans le futur. Pour autant, cette évolution aboutira-t-elle à une hausse du prix de ces investissements ? A priori , nous ne le pensons pas. Mais ce qui est certain est que les fonds souverains auront moins le dollar pour référence à l'avenir, ce qui aura pour conséquence de faire baisser la valeur de cette monnaie.

Ils feront appel, en outre, à davantage de gérants externes, notamment pour montrer qu'ils se conduisent en bons élèves. Ainsi, des sociétés occidentales spécialisées dans la gestion profiteront de leurs investissements. Nous pensons même que la croissance de leurs activités se traduira par une explosion de l'industrie de l' asset-management , laquelle, selon nos évaluations, aura sous gestion 3 trillions de dollars d'actifs, contre 1,5 trillion de dollars aujourd'hui, pour le compte des fonds souverains.

Le risque de désir de protectionnisme causé par la montée des fonds souverains est, pour l'instant, excessif, notamment parce que leur développement n'en est qu'à son début.

Le fonds souverain de Norvège, qui représente 360 milliards de dollars d'actifs, est le plus transparent. Il annonce même les objectifs qu'il fixe en termes de rendement pour ses investissements (de l'ordre de 6 %) et quelle sera son allocation d'actifs (60 % d'actions et 40 % d'obligations). Il sollicite massivement des gérants externes et un tiers de son équipe est constitué de personnes étrangères.

Le fonds souverain chinois, CIC, lui, n'est gère transparent. Ainsi, il se garde bien de dévoiler sa stratégie et les rendements recherchés pour ses investissements. Toutefois, la perte de valeur de Blackstone suite à son entrée dans le capital de cette société risque de l'amener à changer son comportement et à devoir justifier ses décisions en matière de prise de participations.

Les fonds souverains poursuivent trois objectifs. Ils souhaitent augmenter la rentabilité de leurs investissements et diversifier leurs opérations pour les rendre moins dépendantes du dollar. Enfin, s'agissant des fonds souverains chinois, ils visent, à travers leurs opérations, à acquérir des matières premières, des sources d'énergie et à bénéficier de transferts technologiques.

La recherche de ces trois objectifs bute sur deux contraintes. D'une part, les fonds souverains doivent tenir compte de l'impact politique de leurs décisions d'investissement, qu'ils cherchent à minimiser. D'autre part, ils manquent de professionnels et dépendent donc des tiers gérants et des asset managers .

M. Jean Arthuis

Merci de votre témoignage. Vous représentez un établissement qui a été amené à accueillir des fonds souverains dans son capital et selon lequel, d'après votre propos, les fonds souverains seront conduits à faire appel de plus en plus à des gestionnaires tiers et donc à respecter des principes de bonne gouvernance, tels qu'ils sont appliqués dans les sociétés occidentales.

Nous allons entendre maintenant la position de la Commission européenne. Pour cela, je donne la parole à M. Pierre Delsaux.

M. Pierre Delsaux, directeur libre-circulation des capitaux, droit des sociétés et gouvernement d'entreprise, Commission européenne

Je m'efforcerai de répondre à trois questions : sommes-nous en présence d'un nouveau monde ? Est-ce que vingt sept équivaut à un ? Faut-il créer le meilleur des mondes ?

S'agissant de la première question, je me contenterai de faire quelques observations. Tout d'abord, le phénomène des fonds souverains n'est pas nouveau. Certains d'entre eux sont présents en Europe depuis les années 50.

Ensuite le volume relatif des investissements effectués par les fonds souverains est encore extrêmement faible par rapport à ceux des autres investisseurs. Malgré tout, il ne faut nier que leur émergence en Europe est positive puisqu'elle a permis la recapitalisation de sociétés en difficulté. Elle a toutefois fait naître un débat politique sur notre continent, alimenté par la croissance importante de ces fonds, la politique de diversification de leurs investissements, lesquels s'orientent de plus en plus vers des actions, le risque d'influence des gouvernements propriétaires des fonds souverains sur nos économies et donc la crainte que leurs décisions reposent sur des motivations, non pas économiques, mais politiques.

Par ailleurs, un sujet a été peu abordé pour l'instant. Il concerne la réciprocité. Car si les fonds souverains investissent chez nous, nos entreprises peuvent-elles en faire de même librement sur les territoires dont ils sont issus ?

Enfin, les fonds souverains ont souvent été confondus avec les entreprises d'Etats qui interviennent et veulent contrôler d'autres entreprises en Europe. De notre point de vue, il est utile de les distinguer car leurs investissements ne répondent pas toujours aux mêmes motivations.

27 équivaut-il à un ?

La réponse à cette question est claire pour un mathématicien, moins pour un juriste. D'un certain côté, les 27 Etats membres de la Communauté européenne peuvent être considérés comme un territoire unique réagissant partout de la même façon face à l'apparition des fonds souverains. En effet, les textes européens reposent sur quatre libertés fondamentales dont la liberté de circulation des capitaux, laquelle est applicable, non seulement dans les relations entre Etats membres de la CEE, mais aussi dans les rapports entre pays tiers et Etats membres. En d'autres termes, au regard du droit communautaire existant, un investisseur d'un Etat tiers doit être traité exactement de la même manière qu'un investisseur d'un autre Etat membre. En outre, les traités européens ne font pas la différence entre les investisseurs publics et les investisseurs privés. Ainsi, un investisseur public d'un Etat tiers doit être traité exactement de la même manière qu'un investisseur privé d'un autre Etat membre.

M. Jean Arthuis

Sans réciprocité nécessaire ?

M. Pierre Delsaux

En effet.

Toutefois, cette ouverture au monde extérieur n'est pas sans limites. Divers mécanismes permettent aux Etats membres de protéger leurs intérêts stratégiques et donc de prendre des mesures visant à protéger ces intérêts stratégiques, cette notion n'étant pas définie dans les traités européens et étant donc laissée à l'interprétation de la Cour de justice. Or, jusqu'à présent, celle-ci en a eu une interprétation restrictive. Elle a toujours considéré que la défense des intérêts économiques ne justifiait pas la mise en place de mesures protectionnistes au niveau national, aussi bien dans les rapports entre Etats membres que dans les rapports entre Etats membres et pays tiers.

Par conséquent, il y a bien une unification des réponses apportées au niveau communautaire à l'entrée de capitaux étrangers en Europe. En même temps, chaque Etat membre a adopté sa propre législation visant à contrôler les investissements dans ses entreprises, provenant d'autres Etats membres comme de pays tiers. Il existe ainsi 27 législations nationales de ce type, toutes différentes, mais devant néanmoins se conformer aux principes du traité européen.

C'est dans ce contexte d'unité et de diversité que la Commission européenne a estimé nécessaire d'intervenir par une réponse coordonnée entre tous les Etats membres au problème suscité par les opérations des fonds souverains. C'est ainsi qu'elle a préparé un texte, adopté au mois de février dernier et établissant un certain nombre de principes, tous acceptés par les Etats membres au niveau du conseil des ministres des finances.

L'instauration de cette réponse coordonnée tient à plusieurs raisons. Tout d'abord, le phénomène des fonds souverains est un phénomène global, touchant le monde entier. Il nécessitait, à ce titre, une réponse unique. Il fallait éviter de lui apporter une réponse fragmentée et le scénario selon lequel chaque Etat membre aurait réagi à sa façon devant sa montée en charge, pour finalement aboutir à une fragmentation du marché européen.

Enfin, la réaction de la Commission européenne, approuvée par les Etats membres, est fondée sur le souci de maintenir la politique d'ouverture vis-à-vis des investissements des pays tiers, telle qu'elle est définie par les textes européens. Elle n'a pas été remise en cause par le traité de Lisbonne.

Faut-il créer le meilleur des mondes, un monde où tout serait réglementé, décidé par voie législative aux niveaux communautaire ou national ?

L'approche de la Commission européenne, celle défendue par l'ensemble des Etats membres, n'est pas celle-là. Nous pensons que la réglementation ne constitue pas une réponse appropriée aujourd'hui. Il nous paraît beaucoup plus utile d'essayer de fonctionner sur la base de principes et de codes de bonne conduite en poussant les fonds souverains à adopter ces derniers.

Tout d'abord, ces codes de bonne conduite devraient imposer de garantir l'indépendance des fonds souverains par rapport aux interventions politiques, de faire en sorte que leurs décisions d'investissements soient justifiées par des motivations économiques et non pas par une influence gouvernementale. Ils ne nécessitent pas de réinventer le monde. Un certain nombre de codes existent déjà. Ils ont été proposés par le FMI et sont appliqués dans des domaines différents que celui des fonds souverains. Toutefois, ils pourraient être transposés à ce secteur.

Il est nécessaire aussi que ces fonds souverains gagnent en transparence et que leurs politiques d'investissement soient claires pour tout le monde. Nous devons savoir où, pourquoi et comment ils ont investi. Telle est la position que nous défendons actuellement auprès du FMI. Elle a bien entendu entraîné une réaction de la part des fonds souverains. N'oublions pas que ces acteurs sont mobiles et peuvent décider d'investir chez nous ou ailleurs et notamment chez eux, sur des marchés émergents.

D'après les premiers contacts que nous avons eus avec eux, ils paraissent enclins à faire oeuvre de transparence, mais à condition que les autres fonds (fonds de pension, fonds spéculatifs, etc.) et encore plus les pays où ils investissent en fassent de même. Ils souhaitent connaître notre politique à l'égard des pays tiers, savoir si nous refusons des investissements étrangers dans certains secteurs. Ils refusent d'être l'objet de toute discrimination.

En guise de conclusion, les fonds souverains, même si leurs interventions restent encore marginales, posent des problèmes importants sur le plan politique et nous devons les appréhender sur la base d'un certain nombre de principes. Tout d'abord, l'ouverture des marchés a été profitable à l'Europe. C'est pourquoi il nous faut la maintenir, sans toutefois témoigner de trop de naïveté. Nous ne devons pas accepter n'importe quoi ; d'où la possibilité de mettre en place des mesures de protection au niveau national ou à l'échelon communautaire pour des secteurs sensibles.

Ensuite il est nécessaire que les fonds souverains mais aussi les pays susceptibles d'accueillir leurs investissements montrent plus de transparence.

M. Jean Arthuis

S'agissant du meilleur des mondes, vous avez privilégié les bonnes pratiques et les chartes rassemblant les bonnes règles de conduite. Mais vous interrogez-vous, au niveau de la Commission européenne, sur ce que pourrait être la réciprocité au-delà de la gouvernance et de la transparence ?

M. Pierre Delsaux

Nous ne voulons pas lier le débat sur les fonds souverains à notre demande d'avoir accès librement, pour nos entreprises, aux marchés des pays dont ils proviennent. Depuis longtemps, la Commission européenne entretient un dialogue avec ces Etats, sur lesquels, nous essayons de faire pression pour qu'ils ouvrent leurs frontières, notamment aux sociétés européennes. Par exemple, si les Chinois ont investi de manière importante dans le secteur financier européen, nous aimerions bien, en retour, pouvoir permettre à nos établissements bancaires et financiers de se positionner sur le marché chinois.

M. Jean Arthuis

La parole est maintenant à Igor Noskov, conseiller financier à l'ambassade de Russie en France.

M. Igor Noskov, conseiller financier, ambassade de Russie en France

Merci M. le président. Je souhaite d'abord remercier les organisateurs de cette table ronde de me permettre de présenter la position de notre pays, la Fédération de Russie, concernant les fonds souverains.

Nous sommes obligés de constater, avec regret, que le sujet est passé du plan économique au plan politique. La relation qu'on peut avoir avec les fonds souverains renvoie à celle qu'on entretient avec les pays dont ils proviennent. Si l'attitude à leur égard est bienveillante, leurs investissements sont acceptés sans aucune clause. A l'inverse, s'ils suscitent la méfiance, les prises de participations de leurs fonds souverains ne sont pas bien acceptées et il est mis des barrières pour les empêcher. Depuis longtemps, l'Union européenne et les Etats-Unis ont reconnu l'économie russe comme étant une économie de marché. La Russie, dans une période très courte, est passée d'une économie centralisée à une économie de marché. Nos relations avec les investissements étrangers ont changé radicalement. Notre pays s'est ouvert et continue à s'ouvrir, un mouvement favorisé par l'intégration de la Russie à l'économie mondiale, avec son entrée attendue dans l'OMC et l'OCDE.

Après une longue période de glaciation et de chaos, nous observons une croissance stable de notre économie. Grâce à la hausse des prix de ses ressources naturelles, le pays a obtenu des réserves de liquidités importantes qui ont alimenté ses fonds souverains. Depuis la nouvelle conception de la gestion des recettes d'Etat du pétrole et du gaz, entrée en vigueur cette année, le Fonds de stabilisation de la Fédération de Russie est divisé en deux fonds : le fond de réserve et le fonds du bien-être national. Au 1 er avril 2008, le volume des moyens du premier s'établissait à 125,4 milliards de dollars et le celui du second à 32 milliards de dollars.

Le fonds de réserve est appelé à garantir les dépenses d'Etat et à équilibrer le budget fédéral en cas de baisse des revenus apportés par le pétrole et le gaz. Son montant est limité à 10 % du PIB.

Les moyens du fonds du bien-être national ne peuvent être utilisés que pour le cofinancement des accumulations volontaires des retraites des citoyens et la couverture du déficit du budget du fonds de retraite de la Fédération de Russie.

Les deux fonds sont dirigés par le ministère des finances. La responsabilité particulière de la gestion de leurs moyens peut être déléguée à la banque centrale et à des organisations financières spécialisées. Le but de la gestion de ces fonds consiste à garantir l'intégrité de leurs moyens et le niveau stable des revenus dès leur placement dans une perspective de long terme. Le coût budgétaire de la Fédération de Russie est fixé par la loi. Elle a défini que les moyens du fonds de réserve peuvent être utilisés uniquement pour acheter des obligations émises par des Etats étrangers, des banques centrales, des organisations internationales et pour des dépôts bancaires ; ceux du fonds de bien-être international pour acquérir des obligations, des actions de compagnies et des parts de fonds d'investissement.

Les deux fonds se caractérisent par une comptabilité transparente. D'après la loi, le ministère des finances présente au gouvernement un rapport trimestriel sur l'exécution du budget fédéral et un rapport annuel sur le volume des entrées et des moyens des fonds, leurs placements et leur utilisation. Le gouvernement remet les rapports trimestriel et annuel aux deux chambres du Parlement. De plus, le ministère des finances publie des informations sur l'utilisation des fonds au début de chaque mois sur son site Internet et dans la presse.

Nous savons que les marchés internationaux sont actuellement en proie à une crise qui crée de l'incertitude et le manque de confiance des investisseurs. Les fonds souverains qui sont orientés par nature vers des investissements de long terme peuvent devenir un important facteur dans la restitution de la confiance et de la stabilité sur le marché financier mondial. S'ils n'ont pas la possibilité d'entrer dans le capital des sociétés occidentales, quelles seront les alternatives pour remettre les sociétés en difficulté à flot ?

La rentabilité des investissements au titre des Etats, considérée comme plus sûre, est moins élevée que la rentabilité des investissements dans des entreprises. C'est pourquoi l'intérêt pour les investissements en actions est réel. Les fonds s'appellent souverains car les Etats les gèrent de manière indépendante. S'ils veulent investir en actions, c'est parce que leur rentabilité est plus élevée que celle des obligations. Ils cherchent toujours les objets d'application les plus avantageux. Le changement de priorités dans l'utilisation de moyens des fonds souverains n'est pas une surprise. Il était prédit depuis longtemps qu'avec l'accumulation des moyens, ils seraient amenés à adopter des politiques plus indépendantes et agressives en réalisant des investissements en obligations d'Etat.

On dit toujours que la société occidentale repose sur l'économie de marché et la compétition libre. Comment serait-il possible de violer ces principes en appliquant des mesures protectionnistes ? A cet égard, les compagnies d'intérêt stratégique pour les Etats, si elles ont des besoins de financement, doivent être ouvertes à n'importe quel investissement et prendre des décisions indépendantes quant à leur recapitalisation. Le marché doit rester le critère de sélection. Dans le cas contraire, il pourrait y avoir de la discrimination et du protectionnisme.

Les investissements des fonds souverains provoquent aujourd'hui des réactions agressives, notamment dans la presse économique française. Certains craignent que les fonds souverains ne finissent pas dévorer l'économie occidentale. Il convient, à ce stade, de prendre en considération l'avis des plus grandes organisations internationales économiques (FMI, Banque mondiale, OCDE, G8). Pour elles, de manière unanime, les fonds souverains jouent un rôle positif dans le maintien de la normalisation des marchés financiers et les économies occidentales gagneront à accueillir leurs investissements. La crainte que les fonds souverains poursuivent, au travers de leurs opérations, des stratégies politiques ne se confirme pas dans la réalité. Au cours des dernières années, ils se sont montrés des investisseurs responsables, cherchant à optimiser leurs ressources dans une perspective de long terme.

La Russie soutient les initiatives internationales pour encadrer les opérations des fonds souverains, particulièrement la généralisation et la diffusion de l'expérience. Quant à la mise en place de codes de bonne conduite, ce projet ne pourra être efficace que lorsque les pays recevant les investissements des fonds souverains et l'ensemble des fonds (fonds spéculatifs, fonds de pension, etc.), qui gèrent des moyens énormes de façon opaque au travers d'investissements de court terme et sont responsables en grande partie de la déstabilisation des marchés financiers, accepteront de s'y conformer eux-mêmes.

M. Jean Arthuis

Que pense la Russie du principe de réciprocité ?

M. Igor Noskov

C'est aux responsables politiques de se positionner sur le sujet. Toutefois, parler de ce sujet nécessite de distinguer les investisseurs privés et les investisseurs publics. Par ailleurs, la Caisse des dépôts et consignations n'est-elle pas un fonds souverain ?

M. Jean Arthuis

Cet établissement est sous la responsabilité du Parlement et comme la responsabilité est populaire, il s'agit bien effectivement d'un fonds souverain.

La dernier intervenant est M. Olivier Prost, avocat associé au cabinet Gide Loyrette Nouel de Bruxelles.

M. Olivier Prost, avocat associé, cabinet Gide Loyrette Nouel (Bruxelles)

Merci M. le président. Depuis plusieurs mois, on semble laisser entendre que les fonds souverains évoluent dans une zone de non-droit. Cette vision n'est pas tout à fait correcte. En effet, il existe tout un ensemble de dispositions de droit commun susceptibles de s'appliquer sans discrimination aux fonds souverains comme à bon nombre d'autres opérateurs financiers ou économiques.

La première de ces dispositions, fondamentale, concerne la libre circulation des capitaux, étendue en Europe aux relations avec les pays tiers, qui s'applique aux investissements directs et investissements de portefeuille et permet aux Etats de prendre des mesures restrictives (autorisations préalables, golden shares , etc.) si elles sont justifiées par des objectifs légitimes (ordre public, sécurité publique...). En France, le régime de 1966 imposait la délivrance d'autorisations préalables de manière générale et non pas au cas par cas pour les investissements étrangers. Il a été dénoncé par la Cour de justice européenne en 2000, conduisant la France à adopter un nouveau décret dit « anti-OPA ». Ce texte n'est en effet qu'un nouvel outil de contrôle des investissements étrangers. Il est actuellement à l'étude au niveau de la Commission européenne et semble, a priori , beaucoup plus proportionné au regard des exigences communautaires, notamment parce qu'il ne fixe aucun principe général d'interdiction, que le régime de 1966. Il impose des autorisations dans un certain nombre de secteurs bien déterminés.

Un texte de ce genre, au travers de la loi Volkswagen, existait également en Allemagne. Il prévoyait un certain nombre de droits de préférence et donnait, selon la Commission européenne, un pouvoir excessif à l'Etat allemand dans cette entreprise.

Il a été question ce matin d'une possible harmonisation des dispositions réglementaires au niveau communautaire. Elle serait la bienvenue. Mais elle nécessitera du temps, surtout dans des domaines relatifs à la sécurité publique, l'ordre public et aux objectifs stratégiques. Pendant encore longtemps, ce système à double étage dans lequel les Etats prennent des mesures que la Cour de justice européenne contrôle par la suite subsistera, qui offre parfois à un Etat membre la possibilité de refuser une opération, même si ce refus se révèle quelques mois ou années plus tard illégal.

Par conséquent, le principe de libre circulation des capitaux s'accompagne d'un contrôle réglementaire dans des cas bien précis, qui s'applique aux fonds souverains comme à l'ensemble des autres opérateurs.

La deuxième forme de contrôle non discriminatoire concerne le contrôle communautaire des concentrations. Celui-ci sert, notamment, lors de l'acquisition du pouvoir dans une entreprise européenne par prise de participation au capital ou achat d'actifs. Il se traduit par un contrôle de la Commission européenne par le biais d'une analyse concurrentielle et la possibilité donnée à un Etat d'imposer des mesures restrictives à la concentration par le désengagement de l'investisseur de certaines activités, de manière à permettre une concurrence plus loyale lorsque la situation le justifie.

Deux autres types de dispositifs sont à prendre en compte :

• La réglementation des services financiers dans le cadre de l'OMC. Selon ce texte, chaque Etat s'engage de manière volontaire à libéraliser ou non des services. Certains pays comme les Etats-Unis ont introduit, dans leurs engagements, leur refus d'ouvrir le capital de certaines de leurs entreprises évoluant dans des secteurs comme les télécommunications et les assurances à des investisseurs étrangers lorsqu'ils cachent, de façon significative, un Etat. Bien entendu, cette réglementation des services financiers s'accompagne d'exceptions possibles si elles sont nécessaires à la protection d'intérêts légitimes.

• Le contrôle des subventions internationales dans le cadre de l'OMC. Il s'applique à tous. Il est évident que si un fonds souverain investit dans une société qui se met à exporter des produits en Europe, celle-ci bénéficiera d'une subvention. S'il existe un contrôle des aides d'Etat extrêmement strict en Europe, il n'y en a pas aux Etats-Unis, en Russie ou en Chine.

Il faudrait effectivement que chaque Etat adopte les mêmes législations. L'absence d'harmonisation des dispositifs réglementaires à l'échelon de l'OMC conduit à des divergences au niveau international.

Dans quelle mesure faut-il envisager une réglementation spécifique aux fonds souverains ? L'instauration d'une telle disposition peut répondre à des motivations politiques ou commerciales. Comme il a été indiqué précédemment, les fonds souverains ne constituent pas de « mauvais » investisseurs et il s'agit de savoir si les préoccupations qu'ils suscitent ne trouvent pas de réponse dans les réglementations existantes. Les possibilités de restrictions, telles qu'elles sont définies dans un certain nombre de textes nationaux, devraient se limiter à des menaces graves et bien réelles sur l'économie d'un pays, de manière à ne pas céder à des tentations protectionnistes et à permettre une situation « gagnant/gagnant » pour les fonds et les autorités concernées.

C'est dans cette perspective qu'il convient d'apprécier les nouvelles initiatives internationales, en particulier celles du FMI, qui cherchent à la fois :

• A mieux faire connaître les fonds souverains. De ce point de vue, les principes de base relatifs à la transparence permettent de rassurer sur les objectifs commerciaux.

• A mettre en exergue le rôle positif que les Etats peuvent avoir dans la sphère financière internationale. La pression des actionnaires n'est-elle pas moins forte dans un fonds souverain que dans un fonds privé ?

Ces deux objectifs ont pour but de rasséréner les fonds souverains et d'éviter précisément des utilisations protectionnistes des mesures restrictives qui doivent se limiter à des situations exceptionnelles.

M. Jean Arthuis

La réciprocité pourrait s'appliquer ici également.

M. Olivier Prost

Quelques remarques sur la notion de réciprocité.

Je ne crois pas que nous soyons plus faibles que les Américains, même si l'Europe est constituée de « plusieurs étages » avec 27 Etats membres, une Commission européenne et une Cour de justice. Aujourd'hui, si un pays européen veut prendre une mesure contre une opération portant atteinte à ses intérêts vitaux, il a la capacité et l'autorisation de le faire dès lors que la mesure prise est proportionnée. Il est difficile de parler de réciprocité quand les pays occidentaux ne possèdent pas de fonds souverains, propriétés surtout de pays situés à l'est du monde, et n'a comme seule réponse à apporter à leur développement que la mise en place de réglementations. Dans de tels rapports asymétriques, il convient donc d'utiliser cette notion de réciprocité avec précaution.

S'agissant de la directive OPA, ce texte prévoit un certain nombre de dispositions communautaires contraignantes pour encadrer les offres publiques d'achat. Il comprend également une clause de réciprocité selon laquelle les Etats membres ont la possibilité de s'affranchir des dispositions communautaires mentionnées dans la directive si elles ne sont pas respectées par des fonds souverains lorsque ceux-ci souhaitent prendre une participation dans une entreprise européenne.

L'exigence de réciprocité est parfois plus délicate. Ainsi, en Europe, la production de gaz et son transport constituent deux activités bien différenciées. Est-il possible qu'une entreprise étrangère, présente, elle, sur les deux activités, puisse agir sur le territoire européen et racheter des entreprises qui ont été scindées en deux ?

En résumé, il nous faut assurer la fluidité des économies sans faire preuve de naïveté.

M. Jean Arthuis

Merci d'avoir rappelé que les investissements des fonds souverains s'opèrent dans un cadre légal et non pas dans un espace de non-droit, et de nous avoir appelé à faire preuve de circonspection en matière réglementaire. Vous avez souligné que la Commission européenne n'a pas très bien accueilli le texte anti-OPA adopté par la France. Où en sommes-nous dans ce qui s'apparentait à un possible contentieux ?

M. Pierre Delsaux

Il s'agit toujours d'un possible contentieux. Nous discutons encore du sujet avec les autorités françaises. Je suis certain qu'avec un peu de volonté, nous trouverons une solution pour avoir un texte conforme au traité européen.

M. Jean Arthuis

C'est une bonne nouvelle. Nous n'avons plus le temps, malheureusement, d'engager un débat. Vous pouvez de fait accabler le président de séance. Mme Nicole Bricq, souhaitez-vous intervenir ?

Mme Nicole Bricq, sénatrice

Toutes les interventions ont été très intéressantes. Je crois que nous devons nous préparer à un décentrement du monde qui se caractérisera et se caractérise déjà par un transfert de richesses et d'activités vers une partie de la planète qui demande à participer au festin mondial.

Nous devons nous préparer à cette échéance et ne pas consacrer tout notre temps à adopter des mesures protectionnistes, même si celles-ci ont leur utilité. Car nous ne devons pas faire preuve de crédulité concernant les intentions des fonds souverains. Il y a deux ou trois ans, M. Michel Rocard a indiqué que toutes les entreprises européennes étaient susceptibles de subir un jour une offre publique d'achat. Je pense qu'il a raison et c'est pourquoi les capitalistes européens seraient mieux inspirés de faire travailler le capital, et notamment le capital productif, de leurs entreprises plutôt que de se distribuer des stock options .

M. Jean Arthuis

Vous partagez la position de l'Eurogroup qui a dénoncé, avant-hier, les pratiques scandaleuses des responsables des entreprises. Les opérations des fonds souverains suscitent rarement des craintes quand elles conduisent à délocaliser des emplois d'ouvriers. Par contre, quand elles se traduisent par une offre publique d'achat sur une grande entreprise, elles sèment l'effroi et il faut alors s'opposer à elles sous couvert de patriotisme économique.

Les interventions des fonds souverains prennent de l'ampleur et se caractérisent par l'émergence d'un nouveau capitalisme d'Etat, une forme de renationalisation de nos entreprises par des pays étrangers. Dès lors, on en vient à rêver à la création d'un fonds souverain français, de manière à ce que cette renationalisation soit l'oeuvre, non plus de la Chine ou de pays du Moyen-Orient, mais de la France.

Nous avons compris que la mise en place de codes de bonne conduite apaiserait les craintes et que l'entrée d'Etats dans le capital d'entreprises peut être un facteur de perturbation des règles de concurrence loyales.

Au fond, nos inquiétudes sont inutiles. Car nous ne pouvons pas nous passer des fonds souverains qui financent nos déséquilibres et prospèrent sur eux. Il serait opportun d'éclairer l'opinion publique sur le rôle de ces acteurs, notamment pour convaincre encore davantage les Français de la nécessité de réformer notre pays et de lutter contre les déficits publics. Les fonds souverains sont, en quelque sorte, le miroir de tous nos déséquilibres. Ils pourraient constituer un levier permettant à chacun de prendre conscience de l'urgence de conduire les réformes nécessaires.

(La séance est levée à 12 heures 55)

Le Président,

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