IV- DÉCLARATIONS DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE GRAND PARIS
A- EXTRAITS DU DISCOURS DU 26 JUIN 2007 À L'OCCASION DE L'INAUGURATION DU SATELLITE N° 3 ROISSY CHARLES-DE-GAULLE
« (...) Nous vivons encore aujourd'hui en 2007 sous l'impulsion du Général de Gaulle et de Paul Delouvrier qui ont structuré de manière très profonde cette région. Mais la meilleure manière d'être fidèle à cet héritage doit être de penser à notre tour à ce que doit être l'aménagement de l'Île-de-France pour répondre à d'autres défis.
C'est une mission qui revient bien sûr au conseil régional, qui n'a plus la même place en 2007 qu'en 1965. Mais l'État peut-il se priver d'avoir un projet, une stratégie pour la région économiquement la plus puissante d'Europe, qui produit 28 % de la richesse nationale de notre pays ? Je ne le pense pas.
Je vois en somme deux grands enjeux pour l'Île-de-France en 2007 : la cohésion et la croissance.
Retrouver la cohésion, c'est simplement reconstruire une ville équilibrée à partir d'une agglomération en voie d'éclatement. L'éclatement, ce sont ces familles qui vont habiter à une heure et demie de voiture parce que le logement est trop cher. L'éclatement, ce sont ces quartiers qui ne sont reliés au monde que par un bus qui passe tous les quarts d'heure quand il ne se fait pas caillasser. L'éclatement, ce sont ces artères démesurées qui libèrent les voitures mais enferment les riverains.
Aux origines de cette agglomération, lorsque Paris s'est constitué, les choses se sont faites différemment. Le mur de Charles V est devenu les grands boulevards, le mur des Fermiers généraux est devenu le boulevard Saint-Jacques et l'avenue Kléber, les fortifications de Thiers les boulevards des maréchaux. On ne créait pas seulement des rocades, mais des places, des carrefours. Mais une fois le périphérique construit, et franchi, cette ambition, perdue, dans un autre monde.
Je crois qu'il faut la retrouver. Retrouver l'esprit du préfet Haussmann dans le Paris de 1860 et de Pierre-Charles L'Enfant dans le Washington de 1800. Plutôt que de vouloir comme Alphonse Allais construire les villes à la campagne, pourquoi ne pas construire une vraie ville dans nos banlieues ? Elles ne manquent pas de l'espace nécessaire, mais de volonté politique et d'une vision coordonnée de l'organisation urbaine, appuyée sur les pouvoirs nécessaires pour la mettre en oeuvre. Pour ne pas toujours construire des logements sociaux là où il y a déjà des logements sociaux. Pour ne pas faire passer systématiquement l'intérêt de chaque commune avant celui d'une métropole, -excusez du peu-, peuplée de 11 millions d'habitants.
Pour développer une vision globale d'aménagement pour la Seine-Saint-Denis, si proche d'ici, mais si isolée du reste de la communauté nationale par ses difficultés exceptionnelles.
Il faut aussi une ambition de croissance. Quand j'étais ministre de l'Aménagement du Territoire, je n'ai jamais voulu mélanger l'ambition essentielle de créer des métropoles fortes en province, et l'ambition inavouable de provincialiser l'Île-de-France. Il n'y aura pas de France forte et ambitieuse si l'Île-de-France se recroqueville sur elle-même. Si elle renonce à construire les plus hautes tours d'Europe. Si elle renonce à attirer les meilleurs chercheurs du monde. Si elle renonce à son ambition d'être une place financière de premier plan. C'est quand même curieux que la grande place financière d'Europe soit Londres où ils n'ont pas d'euros ! C'est curieux ! On a fait l'Europe pour être au coeur de la vie financière et monétaire et non pas pour en être exclus. Les grandes villes de province ont pris un élan démographique, économique, culturel extraordinaire ces dernières années. Je ne vois pas de honte à ce que la métropole parisienne les imite. Mais j'en verrais une à ce qu'elle se laisse distancer par Shanghai, par Londres ou par Dubaï.
Pour finir et pour avancer, j'identifie quatre leviers de changement.
D'abord les infrastructures. Construisons enfin des transports en commun circulaires, comme le projet Métrophérique qui reliera tous les terminaux des lignes de métro. Construisons Charles-de-Gaulle Express.
Engageons d'autres projets ambitieux et efficaces. Un pays qui n'a plus de projets est un pays qui n'a pas d'ambition. C'est donc un pays qui n'a pas d'avenir. On va retrouver des grands projets et on va mobiliser les synergies nationales au service de ces grands projets. Cela me semble plus ambitieux et plus important que de raisonner sur la carte orange gratuite pour nos compatriotes qui sont au RMI. Il vaut mieux investir pour qu'ils aient un emploi, qu'ils quittent le RMI plutôt que de les enserrer dans une politique d'assistance. Parce que, lorsque l'on est au RMI, même lorsque l'on a le transport gratuit, on n'est pas très heureux.
Deuxième levier de changement, c'est l'urbanisme. J'en ai parlé. La densité de logement des maisons de ville est la même que celle des barres. Pourquoi se contenter de faire un échangeur alors qu'on pourrait faire une place ?
La question de la mobilisation du foncier, des choix en matière de logement est centrale. Je me suis toujours demandé pourquoi en centre-ville, il y avait encore des maisons particulières et dans les villes nouvelles, il y avait des tours. C'est plutôt l'inverse. L'habitat collectif en centre-ville. L'habitat individuel, en périphérie de nos villes. Il faut que l'on repense la ville.
L'attractivité dans tous les domaines. La recherche et l'enseignement supérieur. En fait de grands scientifiques et de laboratoires de pointe, nous avons atteint depuis longtemps la masse critique, mais la réaction en chaîne n'a pas commencé. Le monde connaît plus la Sorbonne de Gerson et Saint Thomas d'Aquin que le plateau de Saclay et sa profusion d'institutions brillantes mais totalement cloisonnées. C'est extraordinaire, Saclay. Il n'y a pas de campus. Il n'y a pas de transports en commun. Il n'y a pas un endroit où tout ce monde là peut se retrouver. Pourquoi, d'ailleurs, les seuls campus attractifs, on les voit à l'étranger ? Pourquoi, nous, on doit avoir des universités où les bibliothèques sont fermées le dimanche ? C'est curieux ! Où il n'y a pas d'espace sportif, où il n'y a pas d'espace culturel. Pourquoi, quand les familles qui ont quelques moyens veulent envoyer leurs enfants dans une université, les envoient-elles à l'étranger ? Pourquoi renoncer à doter la France des meilleures universités au monde ? Moi, je veux en France les meilleures universités du monde. Je veux que chaque université puisse avoir un campus. Je veux que chaque université soit une zone franche pour que les étudiants de cette université qui veulent monter leur entreprise puissent la monter sur le campus de l'université comme dans les grandes universités du monde. En fait, à quoi cela sert d'être la cinquième puissance au monde, si on n'est pas capable de réformer notre enseignement supérieur et notre système de recherche ?
Il faut enfin l'organisation des pouvoirs. Enfin, Paris est la seule agglomération de France à ne pas avoir de communauté urbaine. Alors qu'elle est la plus grande et la plus stratégique des régions, l'intercommunalité y crée des périmètres sans substance réelle. Quant aux départements, qui peut comparer le rôle d'un département de petite couronne et celui d'un département rural, mais ils ont les mêmes pouvoirs, la même fiscalité, la même structure ?
Tout ceci forme un champ de réflexion immense, mais indispensable. Je ne souhaite pas qu'on adopte un nouveau schéma directeur de la région Île-de-France avant d'être allé au bout de ces questions et d'avoir défini une stratégie efficace. Une stratégie, ce n'est pas un gros mot. Je propose donc que l'ensemble des administrations concernées soient mobilisées dès l'automne 2007 sous l'oeil attentif du gouvernement pour préparer les propositions d'actions nécessaires dans les champs que je viens d'évoquer, et qu'un comité interministériel d'aménagement du territoire dédié à l'Île-de-France se tienne fin 2008 pour adopter ce nouveau plan stratégique et le schéma directeur correspondant, ainsi que les textes législatifs et réglementaires nécessaires. C'est curieux de résonner en termes d'aménagement du territoire pour les autres régions que pour la première région de France où vivent presque 12 millions de personnes (...). »