4. Des difficultés croissantes à construire des projets communs
La multiplication des lieux de décisions est devenue une source de complexité pour le citoyen qui ne sait plus qui fait quoi, en particulier au niveau de l'agglomération, ainsi que le soulignait il y a quelques mois le sénateur Alain Lambert dans un rapport au gouvernement. Elle est aussi devenue une source de complexité dans la prise de décision et le lancement des grands projets qui concernent l'ensemble de la zone dense. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne les transports.
Les communes adjacentes à Paris ne souhaitent pas accueillir les parkings de délestage où les « banlieusards » pourraient laisser leur véhicule avant de rentrer dans la capitale. Les communes qui se situent entre le Nord de Paris et l'aéroport de Roissy ne sont pas très allantes quant à la mise en oeuvre du projet CDG-Express et le projet « Métrophérique » de rocade circulaire autour de Paris pour relier les différents terminus des lignes de métro est retardé notamment du fait du projet concurrent défendu par la région.
Par ailleurs, une réflexion sur la construction de tours d'habitation de haute qualité environnementale et architecturale a été lancée par la ville de Paris qui envisage de les installer... chez ses voisins ! Enfin, il n'est pas inutile de rappeler également les déboires de l'extension du « Vélib » à la banlieue pour mesurer combien l'absence d'institution commune est devenue un obstacle au bon fonctionnement de l'agglomération.
Certes, il serait inexact de dire que la coopération n'existe pas entre les élus alors que des progrès sont en cours, en particulier, pour la gestion de certains espaces verts comme les bois de Boulogne et Vincennes ou pour gérer les risques comme celui lié à une crue centenaire. A certains égards, les expériences intercommunales ont sans doute aussi permis de faire avancer les esprits et d'engager des démarches partenariales dont les résultats doivent être appréciés au cas par cas.
Mais force est de constater aussi que le syndrome « NIMBY » 14 ( * ) a aussi ses adeptes dans l'agglomération, ce qui ne favorise ni une gestion concertée des implantations de logements sociaux, ni celle des constructions de nouveaux équipements de transports. Par ailleurs, la méfiance reste réelle en banlieue quant aux intentions prêtées aux édiles de la capitale qui ne sauraient se départir de leur mauvaise habitude historique de se décharger de leurs fardeaux sur les communes voisines. A cet égard, on peut rappeler les résultats de l'enquête réalisée par votre rapporteur auprès des maires de la petite couronne qui se déclarent, à près de 82 %, hostiles à ce que la ville de Paris devienne le chef de file de l'agglomération parisienne alors même qu'ils sont 70 % à souhaiter que leur commune soit partie prenante du Grand Paris.
Les apports du rapport d'Alain Lambert Le sénateur et ancien ministre Alain Lambert a, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, présidé un groupe de travail sur les relations entre l'État et les collectivités locales qui a rendu son rapport début décembre 2007. Le Premier ministre a fixé au groupe de travail trois thèmes d'examen : la clarification des compétences, l'allègement des contraintes et les relations financières. Comme l'ancien ministre le rappelle dès l'introduction du rapport, le lien entre les trois questions est serré puisque « l'enchevêtrement des compétences et la contractualisation polymorphe qui s'ensuit ont sans nul doute un coût élevé et entravent l'efficacité des politiques publiques ». Il estime ainsi que « l'existence de « quatre niveaux » d'administration locale, auxquels s'ajoute l'administration territoriale, n'est pas étrangère à cette situation ». Pour autant, le groupe de travail n'a pas souhaité ouvrir le débat institutionnel. Si la clarification des compétences apparaît nécessaire, c'est que la confusion actuelle apparaît une source de pertes de temps considérable, d'accroissement de la dépense publique et de confusion des responsabilités. Pour Alain Lambert, les racines du mal sont à rechercher notamment dans la clause générale de compétence des collectivités locales qui leur permet de régler les « affaires de leur compétence » sans qu'une définition précise et limitative en existe. Par ailleurs, il observe que « les lois de décentralisation ont fixé un cadre uniforme quels que soient les territoires concernés, très faiblement peuplés (là où quatre ou cinq « niveaux » d'administration sont un luxe inefficace) ou fortement structurés par une agglomération (dont l'EPCI ne dispose pas de tous les leviers d'action) ». Pour résoudre ce problème concernant les compétences, Alain Lambert évoque deux pistes. La première consiste à clarifier les compétences sur des politiques déjà bien identifiées par le législateur. Il évoque, ainsi, l'action sociale et l'insertion pour les départements et la formation professionnelle pour les régions qui « sont désormais les niveaux de compétences historiques et toute remise en cause de cette situation engendrerait des coûts de réorganisation historiques ». Pour l'éducation, il estime que « la question d'un regroupement de la responsabilité des collèges et lycées peut se poser, en la confiant soit aux départements, soit aux régions, pour simplifier le co-pilotage avec l'État ». Il considère, enfin, qu'il « pourrait revenir aux grandes villes et à leur intercommunalité d'exercer les compétences du département en matière d'action sociale ». La seconde piste consisterait, selon le groupe de travail, à confier aux départements et aux régions des compétences spéciales à la place de la clause de compétence générale. Enfin, Alain Lambert évoque l'intercommunalité pour saluer son succès. Il considère qu'« elle a permis de sauver l'action publique des petites communes rurales et de structurer le développement en zone urbaine - à l'exception de la petite couronne parisienne. Elle a organisé le partage des charges de centralité qui pesaient exclusivement sur la ville ou le bourg-centre ». Il appelle, maintenant, à la mutualisation des services communaux et intercommunaux. Parallèlement, il estime que « afin de donner la légitimité démocratique qui manque encore aux EPCI, le suffrage universel devrait pouvoir se prononcer en 2014, lors du scrutin municipal suivant ». Il propose pour cela de choisir des modalités qui « devront préserver la circonscription communale et instituer une double désignation des conseillers municipaux et intercommunaux ». En conclusion de ce rapport, Alain Lambert estime que l'un des défis à relever pour restaurer la confiance tient à la nécessité d'améliorer la compréhension des citoyens vis-à-vis de notre système institutionnel local. Sur le partage des compétences, le groupe de travail considère que « le cadre posé en 1982-1983 et revisité en 2003-2004 n'est plus adapté, qu'on atteint la fin d'un cycle et qu'un « acte 3 » serait peu bénéfique à cadre constant ». Le rapport du groupe de travail présidé par Alain Lambert comporte des éléments d'analyse utiles pour le débat relatif à l'évolution institutionnelle du Grand Paris car, s'il n'ouvre pas le débat institutionnel, il reconnaît que l'intercommunalité n'a pas pu faire son oeuvre en petite couronne alors que l'enchevêtrement des compétences et les interventions croisées y sont, peut-être plus qu'ailleurs, la règle. Les conclusions du rapport sont cohérentes avec la perception selon laquelle la confusion des citoyens sur le rôle de chaque collectivité y est totale. |
* 14 NIMBY pour « Not In My Backyard » soit « pas dans ma cour ».