2. Le « rapport Chartier » : une approche syncrétique et complexe
Notre collègue député Jérôme Chartier, député du Val d'Oise, a été chargé d'animer, au sein de l'Union pour un mouvement populaire, un groupe de réflexion sur le thème de la TVA sociale. Son rapport a été publié le 24 septembre 2007.
Le résumé de ses préconisations est reproduit dans l'encadré ci-après. On voit que ce rapport est loin de se limiter à la préconisation de la mise en place d'une « TVA pouvoir d'achat ». On n'examinera cependant pas ici ses préconisations à long terme, qui dépassent largement le cadre du débat sur la TVA sociale.
Les préconisations du rapport Chartier « A long terme : « - Maintenir le principe d'une fiscalité compétitive interdisant toute hausse ou toute création sans benchmark compétitif avec les pays européens à situation sociale comparable, et obligeant de revisiter les assiettes actuelle à la lumière des dispositifs fiscaux existants chez nos voisins et concurrents européens. « A moyen terme : « - Etablir une distinction entre les statuts des ayant-droits à la protection sociale afin d'identifier les salariés des résidents, pour fiscaliser la protection sociale des résidents et soumettre aux charges pesant sur les salaires la protection sociale des salariés. « Cette méthode, sans remettre en cause le système paritaire s'agissant de la protection sociale des salariés, permettra de suivre budgétairement les dépenses sociales et de considérer une partie de cette dépense au titre du budget de l'Etat. « - Transférer au moins 10 points du volume des charges pesant sur les salaires, dans l'attente d'une identification des dépenses de protection sociale relevant des résidents. « - Créer une double ressource : 10 % de chaque taxe collectée finance la protection sociale en complément d'un travail sur trois assiettes fiscales : C3S hors masse salariale, TVA, CSG ; « A court terme : « - Lancer sans attendre la « TVA pouvoir d'achat » allégeant les charges du salarié de 3,15 points en augmentant de 1,4 point l'ensemble des taux de TVA, en accompagnant la mesure d'une restructuration des trois taux afin de les rendre plus opérationnels pour l'emploi et contre l'économie souterraine, et d'une plus grande exposition à la concurrence, s'agissant notamment des marchés a forte tendance oligopolistique. » Source : Union pour un mouvement populaire, « Rapport du groupe de travail sur la TVA sociale », 24 septembre 2007 |
a) A court terme : la mise en place d'une « TVA pouvoir d'achat »
Le rapport Chartier propose, à court terme, de mettre en place non une TVA sociale, mais une « TVA pouvoir d'achat », qui servirait à financer des diminutions non de cotisations patronales, mais de cotisations salariés.
La « TVA pouvoir d'achat » s'inspire de la « TVA emploi » préconisée récemment 16 ( * ) par le pôle de recherches en économie de l'Ecole des hautes études commerciales du Nord (EDHEC) 17 ( * ) , dont le directeur est M. Noël Amenc, et qui consiste également à réduire les cotisations salariés.
Concrètement, la proposition du rapport Chartier est la suivante : « Le groupe de travail propose de transférer la cotisation d'assurance maladie résiduelle qui figure sur la part salariale (0,75 %) ainsi que la cotisation d'assurance chômage (2,4 %). Cela représente 3,15 points de cotisation dont la ressource est estimée à 14 milliards d'euros. En contrepartie, il propose d'augmenter de 1,4 point l'ensemble des taux [de TVA] dans le cadre d'un travail sur la redéfinition de la relation assiette-taux afin de rendre opérationnels les trois taux au lieu de 2 aujourd'hui ».
La « TVA emploi » ou la « TVA pouvoir d'achat » créerait donc des emplois selon un mécanisme différent de celui de la TVA sociale. La TVA sociale crée des emplois en réduisant le coût du travail. Dans le cas de la « TVA emploi », le coût du travail pour l'entreprise demeurerait inchangé à moyen terme : ce qui se passerait, c'est que les salariés verraient leurs salaires nets augmenter, ce qui accroîtrait l'incitation à travailler, et jouerait un rôle d'entraînement sur l'ensemble de l'économie.
b) A moyen terme : la mise en place d'une TVA sociale partielle, complétée par d'autres ressources fiscales, et accompagnée d'un réexamen des actuels allégements de cotisations sociales sur les bas salaires
A moyen terme, le rapport propose de mettre en place un dispositif complexe, qui ne correspond que partiellement à la TVA sociale.
Les principaux passages concernés sont reproduits par l'encadré ci-après.
Les préconisations que le rapport Chartier recommande de mettre en oeuvre « à moyen terme » « Le groupe de travail propose que 10 points de charges sociales soit transférés sur d'autres assiettes dans l'immédiat, ce qui permettrait un regain de compétitivité immédiat de l'emploi face à nos voisins européens. « 10 points représentent 16 %, soit 60 milliards de transfert ou de réduction. Les allégements sur les bas salaires, dits allégements « Fillon », qui constituent l'héritage de mesures successives lancées depuis 1994 et accrues dans le cadre des lois sur la réduction du temps de travail, dont le volume est évalué à 21 milliards d'euros en exonération de charges, seraient intégrés dans ces transferts. « Pour favoriser l'accès à l'emploi et élargir en même temps le bénéfice du transfert à l'ensemble des salaires, le groupe de travail propose d'associer une partie fixe et une partie variable à l'allégement, en laissant le soin aux remarquables connaisseurs que sont les membres du Conseil économique et social, saisi par le Premier Ministre pour rendre un rapport sur le financement de la protection sociale pour le mois de décembre prochain, d'imaginer une répartition efficiente. « S'agissant des 39 milliards d'euros transférés sur d'autres ressources, le groupe de travail préconise une solution associant un prélèvement de 10 % des recettes de toute assiette au titre de la dépense sociale, en complément d'un travail sur trois ressources qui apporteront l'essentiel de la contrepartie, en l'occurrence la contribution sociale généralisée (CSG), la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), et la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). (...) « La C3S fait l'objet de deux critiques : « - d'une part, plus la chaîne économique est longue, plus l'impact de cette taxe est important. « - d'autre part, comme elle s'applique sur le chiffre d'affaire en France, elle incite à l'importation. « Le groupe de travail propose un dispositif qui, utilisant le principe de la C3S, inverse totalement les effets. « Le groupe de travail propose un travail approfondi sur la C3S qui s'appliquerait à l'ensemble des entreprises et dont serait soustraite la totalité de la masse salariale chargée. Il s'inspire à cet égard des travaux conduits par deux industriels, Serge Dassault et Gérard Quéveau, qui ont réfléchi sur l'instauration d'un «coefficient emploi activité» dont le mécanisme se rapproche de la proposition du groupe de travail. « Dans ce cadre, la composante masse salariale deviendrait un atout pour réduire le volume de la C3S acquittée et l'importation serait particulièrement taxée, ce qui était l'effet recherché à l'origine par le dispositif d'une hausse de TVA seule pour financer la protection sociale. « Enfin, la largeur de l'assiette garantit d'emblée un taux faible pour une ressource élevée. » Source : Union pour un mouvement populaire, « Rapport du groupe de travail sur la TVA sociale », 24 septembre 2007 |
Les préconisations à moyen terme du rapport Chartier peuvent donc être synthétisées de la façon suivante :
- allégements supplémentaires de cotisations sociales employeurs de 40 milliards d'euros ;
- financement de ces allégements supplémentaires par la TVA, mais aussi la CSG, une C3S réformée de manière à reposer sur le chiffre d'affaires diminué des coûts salariaux 18 ( * ) et « un prélèvement de 10 % des recettes de toute assiette » ;
- mise dans le « pot commun » des 20 milliards d'euros actuels d'exonérations de cotisations employeurs sur les bas salaires, et réforme de ces exonérations, sans que le rapport précise si ce serait pour les rendre plus ou moins favorables aux bas salaires.
On remarque qu'il s'agit plutôt de « pistes » que de propositions concrètes. En particulier, le rapport Chartier n'indique pas clairement s'il est ou non favorable à la proposition du rapport Besson et de la note de l'inspection générale des finances de concentrer, au moins partiellement, sur les bas salaires, les nouveaux allégements de cotisations patronales. Par ailleurs, le profil de la C3S réformée reste à définir. La compatibilité communautaire de cette contribution demeure sujette à caution, et s'y appliquent aussi les fortes objections déjà faites au coefficient emploi activité (CEA) préconisé par notre collègue Serge Dassault, analysé en 2006 par le groupe de travail sur l'élargissement de l'assiette des cotisations employeurs de sécurité sociale, le Conseil d'orientation pour l'emploi, le Conseil d'analyse économique et le Centre d'analyse stratégique 19 ( * ) . Le Conseil d'orientation pour l'emploi s'interrogeait, en particulier, sur la justification économique d'un tel prélèvement, qui provoque une taxation en cascade et se prononçait contre cette solution, tandis que la plupart des membres du Conseil d'analyse économique avaient exprimé leur scepticisme sur les diverses variantes de la cotisation sur la valeur ajoutée, y compris le coefficient emploi activité.
* 16 « La « TVA emploi », une TVA pour créer des emplois et améliorer le pouvoir d'achat des salariés », mars 2007.
* 17 Cette école, basée à Lille et à Nice, ne présente aucun lien avec HEC.
* 18 On rappelle que la C3S est une taxe sur le chiffre d'affaires, dont le taux est de 0,16 % : 0,13 % au titre de la contribution sociale de solidarité des sociétés et, depuis 2005, 0,03 % au titre de la contribution additionnelle, qui finance l'assurance maladie.
* 19 Se reporter sur ce point au rapport n° 41 (2006-2007) de votre rapporteur général sur les prélèvements obligatoires et leur évolution.